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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110131

Dossier : IMM-2104-10

Référence : 2011 CF 108

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

SONAM DHONDUP, TENZIN YONTEN

ET TENZIN YESHI

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée par Sonam Dhondup (le demandeur principal), Tenzin Yonten et Tenzin Yeshi (collectivement, les demandeurs) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la LIPR). Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire du défaut du ministre (le défendeur) de statuer sur la demande déposée par M. Dhondup afin de parrainer ses deux enfants à charge de facto, les demandeurs Tenzin Yonten et Tenzin Yeshi, pour des motifs d’ordre humanitaire et pour qu’ils puissent obtenir la résidence permanente au Canada.

 

[2]               Les demandeurs sollicitent un bref de mandamus enjoignant au défendeur de rendre une décision au sujet de la demande de parrainage du demandeur principal, Sonam Dhondup, visant ses enfants à charge de facto, Tenzin Yonten et Tenzin Yeshi, pour des motifs d’ordre humanitaire suivant le paragraphe 25(1) de la LIPR, à partir de l’information dont il dispose, et de répondre à la demande de délivrance de permis de séjour temporaire (PST) présentée par le demandeur principal pour le compte de Tenzin Yonten et de Tenzin Yeshi en vertu du paragraphe 24(1) de la LIPR.

 

[3]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la présente demande est accueillie.

 

I.          Le contexte

 

A.        Contexte factuel

 

[4]               Le demandeur principal, Sonam Dhondup, est un membre de la communauté ethnique tibétaine et a vécu en Inde. Il a obtenu l’asile au Canada en juillet 2002. En mai 2003, il a obtenu le statut de résident permanent, à la suite de quoi il a tenté de parrainer son épouse, Tsering Paldon, leur fille Tenzin Tselha, et ses deux enfants issus d’une union de fait antérieure présumée, les demandeurs mineurs Tenzin Yonten et Tenzin Yeshi. Sa conjointe de fait précédente, Pema Bhuti, est décédée en 1995.

 

[5]               Le 16 juillet 2003, l’épouse et les enfants du demandeur principal se sont présentés à une entrevue au Haut-commissariat du Canada (HCC) en Inde. Bien que l’agente ait été convaincue de l’authenticité de la relation entre le demandeur principal, son épouse et leur enfant, elle a exprimé des doutes quant à l’existence d’une relation parent-enfant entre lui et ses deux autres enfants. À l’issue de l’entrevue, les demandeurs ont reçu une lettre les enjoignant à se soumettre à une analyse génétique visant à confirmer leur filiation s’ils voulaient que leur demande soit traitée.

 

[6]               À la soi-disant grande surprise du demandeur principal, les résultats de l’analyse génétique ont montré qu’il n’était pas le père biologique des demandeurs mineurs. Dans son affidavit, le demandeur principal qualifie cette révélation d[traduction]« extrêmement douloureuse » puisqu’il avait pris soin de Yonten et de Yeshi comme s’ils étaient ses propres enfants et qu’il ignorait que leur défunte mère avait eu d’autres relations alors qu’ils étaient conjoints de fait.

 

[7]               En janvier 2004, par suite des résultats de l’analyse génétique, les demandeurs mineurs ont été exclus de la demande de parrainage du demandeur principal. Les demandeurs ont reçu une lettre à cet effet, lettre qui les informait qu’ils pouvaient néanmoins présenter une demande de résidence permanente distincte [traduction] « directement dans une ambassade ou un consulat du Canada à l’extérieur du Canada ». En mars 2004, l’épouse du demandeur principal et leur enfant ont obtenu le statut de résident permanent. Les demandeurs mineurs sont restés en Inde et ont été confiés au frère du demandeur principal lorsque l’épouse de ce dernier et leur enfant sont venus le rejoindre au Canada.

 

[8]               Afin de tenter de faire venir les demandeurs mineurs au Canada, le demandeur principal a de nouveau présenté une demande en vue de parrainer Yonten et Yeshi en tant qu’enfants à charge de facto pour des motifs d’ordre humanitaire. La demande a été déposée au HCC situé à New Delhi le 30 avril 2004. Elle renfermait des observations concernant les motifs d’ordre humanitaire invoqués et notamment, l’intérêt supérieur des enfants.

 

[9]               Le 31 mai 2004, le HCC a écrit au demandeur principal pour l’informer qu’il était impossible de traiter la demande relative à Yonten et Yeshi parce que la demande de parrainage précédente avait été fermée après la délivrance des visas à l’épouse du demandeur principal et à leur enfant. Le 29 juillet 2004, le demandeur principal a demandé à la Cour fédérale l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire du refus de traiter la demande. L’autorisation a été accordée le 4 août 2004.

 

[10]           Le demandeur principal et l’avocat du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (CIC) ont fini par convenir de régler le différend. Les modalités du règlement, qui sont énoncées dans une lettre rédigée par Mme Marinos en date du 16 septembre 2004, prévoyaient que la demande de parrainage du demandeur principal fondée sur des motifs d’ordre humanitaire serait traitée par le HCC à Delhi, en tenant compte de la date de la demande originale, soit mai 2004. Le 10 février 2005, le demandeur principal a déposé un avis de désistement puis, le 25 mai 2005, il a présenté une demande dûment remplie au Centre de traitement des demandes (CTD) de Mississauga. Dans une lettre datée du 9 février 2005, Mme Marinos a avisé le demandeur principal qu’il devait préciser dans sa demande que celle-ci était fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et joindre à cette dernière toute l’information se rapportant aux motifs d’ordre humanitaire.

 

[11]           Il ressort clairement des observations écrites des parties qu’à partir de ce moment, leur compréhension des faits à l’origine de la présente affaire diverge. Le 16 juin 2005, le demandeur principal a reçu une lettre du CTD de Mississauga l’informant que sa demande avait été transmise au HCC à Delhi; on y faisait allusion à la demande présentée [traduction] « au nom de l’enfant que vous comptez adopter ». Par ailleurs, la lettre informait le demandeur principal qu’étant résidant de l’Ontario, il était assujetti à la Loi sur l’adoption internationale et qu’il recevrait, dans les semaines à venir, plus d’instructions et une trousse de demande pour ses enfants. Le demandeur principal prétend avoir été étonné par le contenu de la lettre, qui laissait entendre que sa demande était traitée comme une demande d’adoption officielle de ses enfants. Or, il avait toujours eu l’intention de parrainer ses enfants de facto pour des motifs d’ordre humanitaire, et c’est d’ailleurs ce que prévoyait l’entente de règlement.

 

[12]           Dans une tentative d’éclaircir la situation, le demandeur principal a écrit au CTD de Mississauga pour insister sur le fait que la demande de parrainage de ses enfants de fait serait traitée à New Delhi sur la base de motifs d’ordre humanitaire et que par conséquent, il avait demandé d’être dispensé des conditions applicables en matière d’adoption. Néanmoins, le 5 juillet 2005, le demandeur principal a reçu une lettre du ministère des Services à l’enfant et à la Jeunesse de la province l’informant que CIC lui avait demandé une « lettre de non-opposition » ainsi que des renseignements supplémentaires. L’employé qui avait écrit la lettre pensait que [traduction] « l’adoption [faisait] partie de [ses] projets ». Le demandeur principal a répondu au moyen d’un affidavit détaillé, mentionnant une fois de plus que pour l’instant, il souhaitait parrainer ses enfants à charge de facto, et qu’il les adopterait plus tard au Canada.

 

[13]           En octobre 2005, le demandeur principal a apparemment été une fois de plus étonné de recevoir du coordonnateur des adoptions privées et internationales du ministère des Services à l’enfant et à la Jeunesse une lettre l’informant que l’adoption des enfants parrainés serait assujettie à certaines lois et que le demandeur principal devrait par conséquent remplir un certain nombre de conditions, notamment de faire faire une étude du milieu familial et de retenir les services d’un organisme d’adoption autorisé.

 

[14]           D’après l’affidavit qu’il a souscrit, tout au long de 2005 et 2006, le demandeur principal a continué de s’attendre à ce que sa demande soit traitée sur la base de l’existence de motifs d’ordre humanitaire et il a continué de produire des éléments de preuve de la relation entre les demandeurs. Le demandeur principal a aussi commencé à se demander si l’adoption des enfants en Inde pouvait constituer une option viable.

 

[15]           En mars 2006, le demandeur principal a rendu visite à ses enfants en Inde et a tenté, sans succès, d’être reçu en entrevue au HCC à New Delhi dans le but d’accélérer le processus. Par suite de sa visite, les inquiétudes que nourrissait le demandeur principal au sujet du bien-être de ses enfants se sont accentuées et il a souscrit à cet effet un affidavit qu’il a transmis au HCC à New Delhi le 5 juin 2006. L’affidavit était accompagné d’observations concernant le coût prohibitif lié à l’adoption d’enfants en Inde. Ainsi, il demandait une fois de plus que l’on traite sa demande de parrainage en se fondant sur des motifs d’ordre humanitaire. Étaient également annexées à la demande les lettres échangées avec le CTD de Mississauga et l’administration provinciale.

 

[16]           Selon le défendeur, le demandeur principal aurait inscrit, dans la demande présentée en 2005, que le parrainage visait des [traduction] « enfants devant être adoptés au Canada ». Les demandes de résidence permanente des « enfants devant être adoptés au Canada – code FC6 » ont été reçues par le HCC à New Delhi le 24 juin 2006. Les demandes présentées en vertu de cette catégorie doivent respecter plusieurs conditions en application de l’alinéa 117g) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227).

 

[17]           Le 16 novembre 2006, Manjit Keshub, agent d’immigration au HCC à New Delhi, a reçu en entrevue les demandeurs mineurs, accompagnés de leur oncle paternel.

 

[18]           Le 18 décembre 2006, n’ayant reçu aucune communication du HCC à New Delhi, le demandeur principal a fait parvenir une lettre pour demander des renseignements, en expliquant de nouveau sa situation et en réitérant son incapacité de payer le coût d’adoption de ses enfants. Le 12 janvier 2007, le demandeur principal a reçu une lettre dans laquelle on lui demandait de produire, dans un délai de 180 jours, les documents exigés sous le régime de l’article 117 du Règlement : une ordonnance de tutelle rendue par un tribunal compétent l’autorisant à quitter l’Inde avec les enfants, un exemplaire de l’étude du milieu familial effectuée au Canada, un avis de consentement ou une lettre de non-opposition de l’administration provinciale et un certificat de non‑opposition du Central Adoption Resource Agency (CARA) de l’Inde.

 

[19]           Croyant que le HCC s’était fourvoyé en décidant de traiter sa demande comme s’il avait l’intention d’adopter les demandeurs mineurs, le demandeur principal a fait parvenir une autre lettre en date du 6 février 2007 afin de rappeler qu’il n’avait pas les moyens d’adopter ses enfants et qu’il demandait qu’on leur délivre des visas d’immigrants en tant que membres de fait de sa famille pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[20]           Pour seule réponse, le demandeur principal a reçu, le 27 février 2007, une télécopie du HCC faisant suite à la demande de renseignements que le demandeur principal avait envoyée en décembre 2006 et lui demandant de produire les documents en question. Le défendeur prétend avoir envoyé deux autres demandes du genre, le 1er mars 2007 et le 18 juillet 2007, afin de réclamer les documents manquants.

 

[21]           Le demandeur principal s’est alors efforcé d’obtenir les documents exigés. Il a fait faire une étude du milieu familial par une travailleuse sociale de l’Association des travailleuses et travailleurs sociaux de l’Ontario, laquelle a accepté d’offrir ses services à un prix très inférieur compte tenu de la situation particulière du demandeur principal. Celui-ci a aussi écrit au HCC à trois reprises, soit en mai, en juin et en juillet 2007, pour demander de plus amples renseignements sur les exigences précises relatives à l’étude. Dans sa lettre de juin, il demandait également si l’imposition de ces exigences signifiait que sa demande était traitée comme une demande d’adoption et non comme une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le demandeur principal n’a reçu aucune réponse. Il a néanmoins décidé d’aller de l’avant et l’étude a été terminée le 27 juin 2008. Le même jour, une copie de l’étude a été envoyée au HCC avec des observations à jour concernant l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[22]           D’après l’affidavit de Manjit Keshub, ce n’est qu’après avoir reçu les observations datées du 27 juin 2008 que le HCC s’est rendu compte que le demandeur principal voulait que sa demande soit évaluée en fonction de motifs d’ordre humanitaire parce qu’il ne pouvait acquitter les 10 000 $ à 20 000 $ de frais d’adoption requis pour chaque enfant. C’est en effet ce qui ressort des notes qu’il a saisies dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) le 24 juillet 2008, où on peut notamment lire que « l’avocat du répondant, des services juridiques communautaires de Parkdale, précise que son client veut désormais que l’évaluation des deux demandes se fasse en fonction de motifs d’ordre humanitaire ». [Non souligné dans l’original.] La seule autre allusion aux motifs d’ordre humanitaire figurant dans le STIDI remonte à l’époque où le dossier a été déposé, soit le 16 juin 2005, et est ainsi libellée : [traduction] « l’avocat a présenté un dossier complet nécessitant un traitement particulier, dont l’examen de motifs d’ordre humanitaire, lequel sera transmis à l’agent des visas ». Or, dans son affidavit, M. Keshub dit avoir reçu, le 5 juin 2006, des observations exposant le contexte des demandes présentées par le demandeur principal, accompagnées d’une requête en vue d’obtenir le traitement des demandes sur la base de motifs d’ordre humanitaire; cependant, il ne remarque pas que ces déclarations contredisent le fait qu’il croyait, selon ses dires, que le demandeur principal avait changé d’idée en 2008 quant à la façon dont il voulait que la demande soit traitée.

 

[23]           Le demandeur principal a poursuivi ses efforts en vue de respecter les conditions exigées par le HCC, en leur écrivant en août 2008 au sujet des documents manquants, en leur expliquant les difficultés qu’il éprouvait à les obtenir et en réitérant une fois de plus son désir de parrainer les enfants pour des motifs d’ordre humanitaire, et en tant qu’enfants qu’il souhaitait adopter.

 

[24]           En mai 2009, le demandeur principal s’est rendu en Inde afin d’obtenir une ordonnance de tutelle. Après avoir été reportée à trois reprises, l’audience a finalement eu lieu le 1er juin 2009. Au cours de ce même séjour, le demandeur principal s’est rendu maintes fois au bureau du CARA afin d’obtenir le « certificat de non-opposition ». Le CARA a refusé de lui remettre le certificat du fait que ni le demandeur principal ni les demandeurs mineurs n’avaient la citoyenneté indienne et que l’organisme ne croyait pas avoir compétence sur l’affaire. Le demandeur principal a fini par obtenir que le directeur adjoint du CARA lui délivre une lettre à cet effet.

 

[25]           En juillet 2009, le demandeur principal a reçu la décision écrite du tribunal indien. Celui-ci avait statué qu’il ne pouvait délivrer d’ordonnance de tutelle au demandeur principal, ayant conclu que ce dernier était en fait et en droit le père des demandeurs mineurs puisque ceux-ci étaient nés pendant qu’il était marié à leur mère. Le juge reconnaissait que le demandeur principal se devait d’obtenir la tutelle en raison du résultat négatif de l’analyse génétique, mais signalait que ces résultats n’avaient pas été versés au dossier malgré le fait que le demandeur principal avait produit un affidavit concernant l’analyse.

 

[26]           En septembre 2009, le demandeur principal a fait parvenir au HCC une lettre exposant dans le détail les tentatives qu’il avait faites pour obtenir l’ordonnance de tutelle et les inquiétudes qu’il éprouvait au sujet du bien-être de ses enfants; la lettre était accompagnée d’un affidavit qu’il avait souscrit, d’une copie de la lettre du CARA et d’une autre de l’ordonnance judiciaire rejetant sa demande d’ordonnance de tutelle. Le demandeur principal sollicitait la délivrance de PST pour les demandeurs mineurs sous le régime du paragraphe 24(1) de la LIPR, ce qui leur permettrait d’attendre la décision définitive du HCC au Canada.

 

[27]           En octobre 2009, le défendeur a informé le demandeur principal par courriel que les renseignements supplémentaires fournis en septembre 2009 seraient examinés et qu’une décision définitive serait rendue dans 10 à 12 semaines. En décembre 2009, n’ayant reçu aucune autre communication, le demandeur principal a fait parvenir une lettre de suivi afin de s’enquérir des derniers développements et de rappeler à l’agent des visas qu’il avait présenté une demande officielle de PST pour les demandeurs mineurs. En janvier 2010, il a effectué deux autres suivis par lettre, auxquels il a joint une deuxième puis une troisième demande officielle de PST.

 

[28]           Dans une lettre datée du 11 janvier 2010, le HCC a informé le demandeur principal que pour pouvoir examiner sa demande sur la base de motifs d’ordre humanitaire, il avait besoin d’une ordonnance dans laquelle le demandeur principal était nommé tuteur légal. On conseillait au demandeur principal de présenter une demande d’ordonnance de tutelle en cour, en prenant soin de déposer les éléments de preuve provenant de l’analyse génétique. Le 28 janvier 2010, le demandeur principal a répondu à la lettre en expliquant pourquoi il était incapable d’obtenir l’ordonnance exigée et en priant l’agent des visas de rendre une décision à partir des renseignements disponibles. C’est dans cette lettre que le demandeur principal a fait sa troisième demande officielle de PST.

 

[29]           En mars 2010, n’ayant pas reçu de réponse a ses lettres, le demandeur principal a fait parvenir à l’agent des visas une autre lettre de suivi comportant une quatrième demande officielle de PST et avisant le destinataire de son intention de demander un bref de mandamus à la Cour fédérale s’il n’obtenait pas de réponse dans un délai de sept jours. La réponse du HCC est parvenue par courriel le 1er avril 2010 : une fois de plus, on sollicitait l’ordonnance de tutelle demandée le 11 janvier 2010.

 

[30]           Le demandeur principal a alors déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à la Cour, par suite de quoi M. Keshub a produit un affidavit pour le compte du ministre et défendeur. Pour répondre aux préoccupations soulevées par l’agent d’immigration dans son affidavit en lien avec le fait qu’aucun certificat n’avait été produit pour attester le décès de la mère des demandeurs mineurs, le demandeur principal a souscrit un nouvel affidavit qu’il a fait parvenir au HCC à New Delhi le 23 juillet 2010. Il a joint à l’affidavit une nouvelle demande de PST pour les enfants.

 

[31]           En septembre 2010, le demandeur principal a fait parvenir au HCC à New Delhi de nouvelles observations axées sur le danger auxquels les enfants étaient exposés. Apparemment, dès février 2011, Yonten aura besoin d’un certificat d’immatriculation du gouvernement indien pour avoir un statut juridique dans ce pays. Or, puisque son unique parent, le demandeur principal, est désormais citoyen canadien, il lui sera impossible d’obtenir ce document. À partir de ce moment, il sera en situation irrégulière et ne pourra poursuivre son instruction. Le 4 octobre 2010, une autre demande de PST a été présentée.

 

[32]           Le 21 octobre 2010, la Cour fédérale a accepté d’entendre la demande.

 

[33]           Le 31 octobre 2010, M. Keshub a répondu au demandeur principal pour l’informer une fois de plus que les demandes n’étaient pas traitées parce que le HCC avait besoin de l’ordonnance de tutelle. M. Keshub affirmait être d’avis que le tribunal indien avait commis une erreur la première fois parce qu’il s’en était remis uniquement à la preuve par affidavit en guise de preuve du mariage du demandeur principal, alors qu’il s’agissait en fait d’une union de fait. M. Keshub informait par conséquent le demandeur principal de la possibilité de demander au ministre de délivrer des permis aux enfants, ajoutant que la demande risquait de ne pas être approuvée puisqu’il n’était manifestement pas le père biologique des demandeurs mineurs.

 

II.                 La question en litige

 

[34]           Il s’agit en l’espèce de décider si les demandeurs ont le droit de se voir décerner une ordonnance de mandamus relativement à la demande de visas d’immigrants et de PST présentée par le demandeur principal au nom de ses deux enfants à charge de facto pour des motifs d’ordre humanitaire, compte tenu de la preuve produite et de l’entente de règlement intervenue en 2004.

 

III.       Argumentation et analyse

 

[35]           L’ordonnance de mandamus est une mesure discrétionnaire de redressement en equity. La Cour ne l’accorde que si les conditions suivantes, définies par le juge Joseph Robertson s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale dans Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742, [1993] ACF no 1098 (QL) (CA); confirmé [1994] 3 RCS 1100, au par. 45, sont réunies :

1. Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public […];

2. L’obligation doit exister envers le demandeur;

3. Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation et, notamment :

 

a) le demandeur a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b) (i) il y a eu une demande d’exécution de l’obligation, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande, à moins que celle-ci n’ait été rejetée sur-le-champ; et (iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable;

 

4. Lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, les règles suivantes s’appliquent : [omis]

5. Le demandeur n’a aucun autre recours […]

6. L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

7. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé;

8. Compte tenu de la balance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

 

[36]           Les observations du défendeur visent la troisième condition. Ainsi, celui‑ci prétend que le demandeur principal n’a pas rempli toutes les conditions préalables et que le délai de traitement plus long exigé en raison de l’existence de « circonstances particulières » n’était pas déraisonnable à première vue (Lee c. Canada (Secrétaire d’État) (1987), 16 FTR 314, 4 Imm. L.R. (2d) 97 (1re inst.)).

 

A.                 Les conditions préalables

 

[37]           Le demandeur principal soutient qu’il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de l’obligation; il note qu’il a produit à de nombreuses reprises toute la documentation exigée au meilleur de sa capacité et que, partant, il a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation.

 

[38]           Le défendeur soutient que le demandeur principal a omis de lui fournir le certificat de décès de son ex-conjointe de fait, Pema Bhuti, et que sans ce certificat, il ne disposait d’aucune preuve concluante que la mère des demandeurs mineurs était décédée. Compte tenu des résultats négatifs obtenus lors de l’analyse génétique et du contexte factuel de l’affaire, le défendeur prétend qu’il est déraisonnable d’exiger que le demandeur principal soit désigné tuteur légal des demandeurs mineurs.

 

[39]           Cet intérêt envers le certificat attestant le décès de la conjointe du demandeur principal n’a jamais été porté à l’attention de ce dernier avant que le défendeur ne dépose ses documents dans le cadre de la présente demande. En réponse à cette demande, le demandeur principal a d’ailleurs souscrit un autre affidavit afin d’expliquer pourquoi il n’avait pas ce certificat en main et de décrire les tentatives infructueuses faites par son frère au cours de l’été 2010 en vue d’en obtenir un auprès du bureau du fonctionnaire qui, à New Delhi, est assimilable à un coroner.

 

[40]           Je comprends que le défendeur se soucie de la question de la filiation des demandeurs mineurs. Comme en font foi la loi et les règlements, la possibilité d’un recours d’abus ou de trafic d’enfants demeure une importante préoccupation pour le défendeur. Or, voilà maintenant cinq ans que le demandeur principal tente de régler ces questions. Rien au dossier n’indique que les actes posés par le demandeur principal aient pu correspondre à autre chose que des efforts louables pour se conformer aux demandes du défendeur et accélérer l’arrivée au Canada des demandeurs mineurs. D’après ce que je constate, le dossier ne renferme aucune contradiction susceptible d’éveiller les soupçons des représentants du défendeur. À ce stade-ci, il semble improbable que le simple passage du temps puisse permettre de remédier aux lacunes sur lesquelles le défendeur continue d’insister.

 

[41]           Le défendeur maintient que le demandeur principal devrait s’adresser à nouveau aux tribunaux indiens pour tenter d’obtenir une ordonnance de tutelle, et ce, malgré que le demandeur principal n’ait cessé de leur expliquer à quel point le temps et le coût de cette démarche étaient prohibitifs. Dans ses plus récentes observations, le demandeur principal a fait valoir que le tribunal indien considérerait l’affaire comme une chose jugée. Je ne me sens pas habilité à extrapoler sur l’issue probable de cette deuxième demande que l’on adresserait au tribunal indien, mais je souligne que pour l’instant, le demandeur principal est considéré comme le père putatif des demandeurs mineurs par le tribunal indien.

 

[42]           Le défendeur semble mécontent de cette conclusion voulant que le demandeur principal soit le « père biologique » puisqu’il dispose d’éléments de preuve établissant de façon concluante qu’il est impossible qu’il le soit. En outre, le dossier révèle que le défendeur juge cette décision erronée puisqu’elle repose sur la conviction que les demandeurs mineurs sont nés pendant le mariage entre le demandeur principal et Pema Bhuti, mariage dont l’existence n’a pas été établie à partir des documents habituels.

 

[43]           En fait, l’ordonnance du tribunal dit simplement que le demandeur principal est le père des enfants, et non leur père biologique, et le demandeur principal a d’ailleurs prêté serment quant aux détails de la relation qu’il avait avec la mère des demandeurs mineurs et à son décès subséquent. Dans sa demande initiale, datée de 2003, le demandeur principal a remis au défendeur les actes de naissance et les documents scolaires des demandeurs mineurs, dans lesquels il était indiqué qu’il était le père.

 

[44]           Je ne vois pas pour quel motif on pourrait prétendre que le demandeur principal n’a pas remplir les conditions préalables, surtout qu’il a demandé au défendeur de rendre une décision en s’appuyant sur les documents disponibles et que le défendeur y a consenti, estimant qu’il parviendrait à une décision dans un délai de 10 à 12 semaines à compter d’octobre 2009.

 

B.         Le caractère déraisonnable du délai

 

[45]           Trois conditions doivent être remplies pour qu’un délai soit jugé déraisonnable : (1) le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige à première vue; (2) le demandeur et son conseiller juridique n’est sont pas responsables; et (3) l’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante (Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 CF 33, 159 R.C.F. 215, au paragraphe 23. En l’espèce, je suis convaincu que le demandeur principal satisfait aux trois conditions.

 

[46]           Le défendeur soutient que, lorsque des visas de résidents permanents sont en cause, l’important n’est pas de savoir si le défendeur peut expliquer pourquoi le délai de traitement est plus long, mais si le dossier, dans l’ensemble, donne une indication préliminaire de l’existence de circonstances spéciales. Je conviens qu’il y a en l’espèce des circonstances spéciales, mais je pense avoir déjà précisé que le délai a été plus long que ce que commandaient ces circonstances et que le défendeur ne l’a pas justifié de façon satisfaisante dans le cadre de la présente instance.

 

[47]           Chaque demande de bref de mandamus dépend des faits qui lui sont propres. Ainsi que l’a déclaré le juge Michael Kelen dans Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 4 CF 189 (1re inst.), confirmé 2003 CAF 233 :

[…] Quelle serait la période qui serait considérée comme un délai d’attente trop long en ce qui concerne le traitement d’un dossier d'immigration? Dans la décision Bhatnager, précitée, le retard a duré quatre ans et demi; dans les décisions Dee et Bouhaik, il s’agissait d'un retard d’environ quatre ans et, dans les décisions Conille et Platonov, d’environ trois ans. Tous ces délais ont été jugés déraisonnables à la lumière des faits mis en preuve. D'après ce qu’a dit le juge Strayer dans la décision Bhatnager, à la page 317, les décisions n’ont pas eu pour effet « de fixer un délai qui servirait de limite à ce qui est raisonnable ». Dans la décision Platonov, le juge MacKay a également formulé une mise en garde au sujet de cette approche au paragraphe 10 :

 

Chaque cas est un cas d’espèce, et je ne crois pas que la jurisprudence relative à la présente affaire soit particulièrement utile, sauf pour indiquer certains paramètres à l’intérieur desquels la Cour a rendu une ordonnance de mandamus lorsqu’elle a conclu à un retard inhabituel qui n’est pas raisonnablement expliqué.

 

[48]           Ainsi que le fait valoir le demandeur principal, le délai de plus six ans dépasse de beaucoup le délai de traitement estimatif établi par le défendeur, soit de une à deux années pour les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. En octobre 2009, M. Keshub a fait parvenir au demandeur principal une lettre indiquant qu’une décision serait rendue dans une période de 10 à 12 semaines. Toutefois, d’après le courriel qu’il a envoyé en avril 2010, il est évident qu’aucune décision n’avait encore été prise.

 

[49]           Le défendeur prétend que le délai de traitement plus long est attribuable au défaut du demandeur principal d’établir, au moyen d’éléments de preuve suffisants, qu’il était légalement autorisé à emmener les demandeurs mineurs avec lui au Canada. Toutefois, plus de six années se sont écoulées depuis le dépôt de la demande initiale, et plus de deux depuis que le défendeur s’est « de nouveau » rendu compte que le traitement de la demande devait se fonder sur des motifs d’ordre humanitaire, un imbroglio qu’il ne tente pas même d’expliquer; il s’agit d’une période de temps considérable qui a donné lieu à une abondante correspondance, de sorte que le défendeur aurait tout au moins dû soulever le point qu’il invoque ici pour expliquer le délai. Malgré ce que laisse entendre le défendeur dans ses observations écrites, je ne puis rejeter la présente demande au motif que la question de savoir si Pema Bhuti était réellement décédée n’a pas encore été complètement élucidée.

 

[50]           Le demandeur principal a présenté sa preuve à de multiples reprises. On ne lui a offert aucun motif de ne pas croire aux documents présentés à l’appui de sa demande. Le tribunal indien estime qu’il est le père putatif des demandeurs mineurs. Je souscris au point de vue du demandeur principal qui maintient que, compte tenu de la preuve, les tribunaux canadiens jugeraient vraisemblablement, eux aussi, que le demandeur principal est le père de facto des demandeurs mineurs et que, indépendamment de la preuve de nature génétique, il est tenu de subvenir à leurs besoin.

 

[51]           Le délai est devenu excessif.

 

[52]           Le défendeur ne semble pas contester le fait que toutes les autres conditions d’octroi d’un bref de mandamus sont respectées, et c’est aussi mon avis.

 

[53]           Le demandeur principal se trouve présentement dans un flou administratif digne de Kafka. Il n’est pas raisonnable de la part du défendeur de s’attendre à ce que demandeur principal patiente encore pour obtenir une décision. Ce dernier demande que la décision soit rendue en tenant compte des motifs d’ordre humanitaire qui le dispenseraient de certaines obligations que prévoit la LIPR et que lui impose actuellement le défendeur. Il semble paradoxal que le défendeur refuse de rendre une décision au motif que certains documents manquent, alors que la décision en question pourrait avoir pour effet de soustraire le demandeur principal à l’obligation de produire ces documents.

 

IV.       Conclusion

 

[54]           Compte tenu des conclusions qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il est ordonné au défendeur de rendre une décision dans un délai de 30 jours.

 

[55]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il est ordonné au défendeur de rendre une décision dans un délai de 30 jours.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2104-10

 

INTITULÉ :                                       DHONDUP ET AL. c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 19 JANVIER 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 31 JANVIER 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Geraldine Sadoway

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Geraldine Sadoway

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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