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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110202

Dossier : T-1540-09

Référence : 2011 CF 115

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 février 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

 

DAVINDER SINGH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Le présent contrôle judiciaire s’inscrit dans la série de contrôles judiciaires des décisions par lesquelles le ministre a réexaminé des décisions initiales de ne pas approuver les demandes de transfèrement de prisons américaines à des prisons canadiennes sur le fondement de la Loi sur le transfèrement international des délinquants, L.C. 2004, ch. 21. Les principes dominants, dans la mesure où ils sont utiles pour l’examen du présent contrôle et des contrôles judiciaires connexes, sont énoncés dans la décision Holmes c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 112.

 

II.         CONTEXTE

[2]               Monsieur Singh, citoyen canadien de 35 ans, purgeait une peine de 8 ans et 1 mois dans une prison américaine assortie de trois ans de mise en liberté sous surveillance. Il s’est fait prendre à entrer aux États‑Unis avec 3,45 kg de marijuana et 316 livres d’ecstasy cachés dans le coffre de sa voiture.

 

[3]               Dans sa première décision, le ministre a rejeté la demande de transfèrement. Cette décision était fondée, au moins en partie, sur la première évaluation du ministère. Dans cette première évaluation, le ministère a conclu ce qui suit après vérification de ses homologues du domaine du renseignement de sécurité :

[traduction] …les renseignements obtenus à ce jour ne nous permettent pas de croire qu’il commettrait, après son transfèrement, un acte de terrorisme ou une infraction d’organisation criminelle […] Toutefois, il semble que l’infraction, de par sa nature, soit un crime organisé.

 

[4]               Dans sa première évaluation, alors qu’il examinait la gravité de l’infraction, le ministère a conclu que le demandeur pouvait avoir des liens avec une organisation criminelle.

 

[5]               Le ministre a rejeté la demande de transfèrement. La décision comportait un paragraphe décrivant l’infraction, un paragraphe décrivant l’objet de la Loi ainsi que l’exigence d’examiner chaque demande sur le fond. Le ministre a ensuite exposé le motif du rejet – la possibilité que le demandeur commette un crime organisé :

[traduction] Le trafic de stupéfiants est réputé avoir des répercussions importantes sur la collectivité compte tenu du fait qu’il touche un large bassin de victimes, qui comprend autant les consommateurs que les non‑consommateurs de drogue. Compte tenu de la quantité de stupéfiants, du recours à des complices et de l’évaluation du dossier du demandeur ayant révélé qu’il pouvait avoir des liens avec une organisation criminelle, j’estime qu’il peut commettre, après son transfèrement, une infraction d’organisation criminelle.

[Non souligné dans l’original.]

 

[6]               Le syntagme « peut commettre » ne concorde pas avec l’al. 10(2)a) de la Loi. La première décision du ministre a été rendue avant la décision du juge Barnes dans Grant c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2010] A.C.F. no 386, qui a mis l’accent sur l’exigence prévue par la loi de déterminer si un demandeur commettra une infraction d’organisation criminelle.

 

[7]               Bien que le demandeur ait déjà introduit la procédure de contrôle judiciaire, le ministre a examiné la première décision comme on le lui avait demandé.

 

[8]               S’agissant de la probabilité que le demandeur commette une infraction de terrorisme ou une infraction d’organisation criminelle, le ministère a indiqué dans sa deuxième évaluation que cette probabilité était nulle. Sur cette question, la deuxième évaluation indiquait ce qui suit :

[traduction] …les renseignements obtenus à ce jour ne nous permettent pas de croire qu’il commettrait, après son transfèrement, un acte de terrorisme ou une infraction d’organisation criminelle, au sens de l’article 2 du Code criminel.

 

[9]               S’agissant de la question du crime organisé, le ministère n’a pas indiqué que l’infraction semblait être un crime organisé et a indiqué ce qui suit dans sa deuxième évaluation :

[traduction] Les renseignements de sécurité n’indiquent pas que M. Singh est un acteur important ni qu’il a des liens avec un groupe du crime organisé…

 

[10]           Au vu de la deuxième évaluation, le ministre a rejeté la demande de transfèrement. Dans sa deuxième décision, modelée sur sa première décision, le ministre a indiqué qu’il avait l’obligation en vertu de l’art. 2 d’examiner si le délinquant commettra, après son transfèrement, une infraction d’organisation criminelle. Il n’est pas nécessaire de déterminer si le changement de formulation est davantage une question de forme qu’une question de substance. En évaluant ce facteur, le ministre a récité les faits de l’infraction.

 

[11]           Dans l’avant‑dernier paragraphe, qui énonce les motifs du rejet, le ministre s’est dit préoccupé par la possibilité que le demandeur continue ses activités criminelles organisées :

[traduction] Je souligne également que le demandeur transportait sciemment une grande quantité de stupéfiants. Le demandeur a participé à la perpétration d’une infraction grave qui, si elle avait abouti, lui aurait permis de recevoir un avantage matériel, notamment de l’argent, de la part du groupe qu’il a aidé ou de toute personne faisant partie de ce groupe. Au vu de cette preuve, je crains que le demandeur continue ses activités criminelles organisées.

 

[12]           Le ministre peut tirer une conclusion qui n’est pas conforme à l’avis qu’il reçoit. Il peut soupeser les facteurs allégués et les autres facteurs différemment. Toutefois, il lui incombe d’expliquer comment il a pu tirer sa conclusion ou pourquoi il se dit préoccupé.

 

[13]           En l’espèce, le ministre devait expliquer pourquoi il craignait que le demandeur continue ses activités criminelles organisées alors que la preuve démontrait qu’il n’avait aucun lien avec le crime organisé. Il est nécessaire de fournir une explication raisonnée, d’autant plus que les renseignements des homologues du Service correctionnel du Canada, qui travaillent à la division du renseignement de sécurité ainsi qu’au SCRS, n’ont pas permis aux conseillers ministériels de croire que le demandeur commettrait, après son transfèrement, un crime organisé.

 

[14]           La décision du ministre ne répond pas aux exigences de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité énoncées dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. Les motifs sont totalement inadéquats puisqu’ils n’indiquent pas clairement comment le demandeur pourrait continuer ses activités criminelles organisées alors qu’il n’a aucun lien avec des organisations criminelles et que rien n’indique que le trafic de stupéfiants qu’il a commis était une infraction d’organisation criminelle. Dans ces circonstances et à la lumière du contexte de l’avis reçu, il faut que le ministre explique comment il en est arrivé à cette conclusion.

 

[15]           Le défendeur s’est appuyé sur une citation de l’arrêt Dunsmuir pour indiquer que si, d’une manière ou d’une autre, le ministre avait pu être fondé à rejeter la demande de transfèrement même si ses motifs étaient insuffisants, la Cour aurait dû confirmer la décision.

 

[16]           La citation en question est soulevée dans le cadre de l’analyse de la notion de « déférence ». Au paragraphe 48 de l’arrêt Dunsmuir, précité, la Cour suprême s’est ainsi exprimée :

Nous convenons avec David Dyzenhaus que la notion de [traduction] « retenue au sens de respect » n’exige pas de la cour de révision [traduction] « la soumission, mais une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » […]

 

[17]           Le syntagme « pourraient être donnés » ne saurait signifier que la Cour est tenue de déterminer quels devraient être les motifs au vu de la preuve. Agir ainsi minerait sérieusement la norme de la raisonnabilité fondée sur la justification, la transparence et l’intelligibilité au sens de l’arrêt Dunsmuir précité au paragraphe précédent.

 

[18]           En l’espèce, la Cour doit tenir compte des motifs comme le ministre les a donnés et évaluer leur raisonnabilité à la lumière des critères susmentionnés.

 

[19]           Si le ministre n’explique pas comment il en est arrivé à sa conclusion au vu de la preuve établie dans le cadre de l’évaluation du ministère, la Cour ne peut conclure que la décision du ministre est raisonnable. Ce serait de la pure spéculation que de deviner comment le ministre en est arrivé à sa conclusion. Le ministre a l’obligation de motiver sa décision, obligation qu’il n’a pas respectée. Par conséquent, la Cour conclut que la décision est déraisonnable.

 

III.       CONCLUSION

[20]           Le présent contrôle judiciaire sera accueilli, la décision sera annulée et la question sera réexaminée sur le fond dans les 60 jours de la date du présent jugement. Le demandeur a droit à ses dépens.


JUGEMENT

LA COUR CONCLUT que le contrôle judiciaire est accueilli, que la décision est annulée et que la question sera réexaminée sur le fond dans les 60 jours de la date du présent jugement. Le demandeur a droit à ses dépens.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1540-09

 

INTITULÉ :                                                   DAVINDER SINGH

 

                                                                        et

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           les 27 et 28 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  le 2 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Conroy, c.r.

 

            POUR LE DEMANDEUR

Curtis Workun

 

            POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Conroy & Company

Avocats

Abbotsford (Colombie‑Britannique)

 

            POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

            POUR LE DÉFENDEUR

 

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