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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110202

Dossier : IMM-1017-10

Référence : 2011 CF 106

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 février 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

ENTRE :

 

CARLOS HERNAN OLIVEROS RUBIANO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), de décision du 22 janvier 2010 par laquelle un agent chargé de l’examen des risques avant renvoi (l’agent) a déterminé que le demandeur ne serait pas exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait en Colombie.

[2]               Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de l’agent et renvoyant l’affaire à un autre agent pour nouvel examen conformément aux directives que la Cour estimera appropriées.

 

Le contexte

 

[3]               Carlos Hernan Oliveros Rubiano (le demandeur) est né le 14 mars 1968 et il est un citoyen de la Colombie.

 

[4]               Le demandeur était l’une des cibles d’un stratagème d’extorsion utilisé par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Il prétend que les FARC ainsi que les groupes d'autodéfenses unies de Colombie (AUC) ont souvent demandé de l’argent, tant à lui qu’à sa famille élargie, que tous ont refusé de donner. En octobre 2001, le demandeur et ses cousins ont informé l’armée colombienne de la tentative d’extorsion. En réponse, l’armée colombienne a tué l’un des auteurs de la tentative d’extorsion. Le demandeur aurait ensuite été détenu par trois membres armés des FARC qui ont exigé des renseignements bancaires et personnels sur son cousin, Alfonso Cruz, et sur d’autres hommes d’affaires. Le demandeur travaillait comme directeur adjoint des activités à la banque Bilbao Vizcaya Argentaria Colombia. C’est à cause de son poste et parce qu’il avait accès aux dossiers financiers que, croit-il, les FARC lui ont demandé de leur fournir ces renseignements. En 2002, Alfonso Cruz et deux des autres cousins du demandeur ont été assassinés. Pendant plusieurs années, le demandeur a reçu des appels téléphoniques dans lesquels on lui demandait sans cesse de fournir des dossiers financiers tout en lui rappelant qu’il connaissait les conséquences de ne pas collaborer avec les FARC.  

 

[5]               En 2005, deux hommes sur un motocycle ont tiré sur le demandeur alors qu’il conduisait un taxi. Le demandeur s’est rendu à l’Unité de réaction immédiate du ministère public [Unidad de Reaccion Inmediata de la Fiscalia] (URI), le bureau du procureur général, pour signaler l’incident. On lui a dit que l’URI ferait enquête.

 

[6]               Le demandeur et sa famille ont fui en Équateur en septembre 2005. Ils n’ont pas demandé l’asile parce qu’ils ont appris qu’ils ne pourraient pas travailler ou obtenir de l’aide financière pour se loger. Ils sont retournés en Colombie après dix jours.

 

[7]               En avril 2006, le demandeur et sa famille sont entrés aux États-Unis munis de visas de visiteurs. Le 26 avril 2006, le demandeur a sollicité l’asile à la frontière canado-américaine. On l’a empêché de présenter une demande en raison de l’Entente sur les pays tiers sûrs. Il a demandé l’asile aux États-Unis, mais sa demande a été rejetée. Il est alors entré au Canada illégalement et a tenté de présenter une demande d’asile qui a été rejetée.

 

[8]               Le demandeur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) en novembre 2009. Dans sa demande d’ERAR, il a demandé la tenue d’une audience qui ne lui a pas été accordée.

 

La décision de l’agent

 

[9]               L’agent a conclu que le demandeur avait, dans sa demande, présenté une preuve objective insuffisante pour étayer les risques. L’agent a conclu que le demandeur n’était pas exposé au danger d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités et qu’il n’était pas une personne à protéger.

[10]           L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il était personnellement exposé à un risque. Bien que les cousins du demandeur aient été assassinés ‑ ceux‑ci ayant été des propriétaires fonciers ou des employés de propriétaires fonciers ‑, la preuve n’établissait pas de façon suffisante qu’il était dans une situation semblable à celle de ces victimes. L’agent a conclu que la preuve ne démontrait pas que le demandeur était une personne présentant un intérêt pour les FARC ou les AUC. Selon l’agent, la preuve n’établissait pas que le demandeur était dans une situation semblable à celle des personnes qui sont poursuivies activement par les FARC ou par l’Armée nationale de libération nationale (ELN).

 

[11]           L’agent a accordé une importance minime aux affidavits de la mère et des cousins du demandeur. Il a conclu que ces personnes avaient un intérêt direct à ce que l’audience ait une issue favorable pour le demandeur. À son avis, les affidavits démontraient l’existence d’une relation familiale entre le demandeur et ses cousins assassinés et qu’ils faisaient une nouvelle fois état des événements allégués par le demandeur, mais qu’ils n’étaient pas étayés par une preuve objective établissant que le demandeur serait personnellement exposé au risque de subir des préjudices en Colombie.

 

[12]           L’agent a conclu que les actions du demandeur n’étaient pas compatibles avec celles d’une personne qui craignait pour sa vie ou celle de sa famille. Le demandeur a fui la Colombie vers l’Équateur pour y demander l’asile, mais il est retourné en Colombie après dix jours. Selon l’agent, l’Équateur disposait d’un système de protection des réfugiés.

 

[13]           L’agent a souligné que la mère et le frère du demandeur résidaient encore en Colombie et qu’ils n’étaient pas victimes de harcèlement, de crimes ou de violence.

 

[14]           L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas établi que l’État colombien ne pouvait ou ne voulait pas assurer sa protection. Il a souligné que l’URI avait interrogé le demandeur lorsqu’il avait signalé qu’on avait fait feu sur lui, et lui avait indiqué qu’elle ferait enquête. L’agent a conclu que cet élément établissait que les autorités en Colombie étaient disposées à porter assistance aux citoyens qui s’adressaient à elles. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas épuisé toutes les possibilités qui lui auraient permis d’obtenir la protection de l’État et qu’il n’avait pas présenté de preuve claire et convaincante que l’État était incapable de le protéger.

 

[15]           L’agent a alors examiné les renseignements sur la situation régnant en Colombie. Il a conclu que la Colombie est une démocratie multipartite aux prises avec un conflit armé interne continu. Il a fait remarquer que des groupes tels que les FARC et l’ELN commettaient de nombreuses violations des droits de la personne. Il a souligné que les tribunaux faisaient enquête sur la collaboration des membres du Congrès colombien avec ces paramilitaires.

 

Les questions en litige

[16]           Le demandeur a présenté les questions suivantes :

            1.         La décision de l’agent chargé de l’ERAR portait sur la crédibilité du demandeur (sans que le mot ne soit explicitement utilisé) et l’agent a de ce fait commis une erreur en n’accédant pas à la demande d’audience du demandeur.

            2.         La décision de l’agent chargé de l’ERAR était déraisonnable, parce que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve probante et pertinente sur les risques auxquels le demandeur était exposé ou, s’il en a tenu compte, parce que l’agent n’a pas expliqué pourquoi il avait jugé que cet élément de preuve n’avait aucune valeur probante en l’espèce.

            3.         L’agent chargé de l’ERAR a appliqué une norme erronée pour évaluer la protection de l’État dont le demandeur disposait.

 

[17]           Je reformulerais comme suit les questions en litige :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         L’agent chargé de l’ERAR a-t-il commis une erreur en ne tenant pas l’audience prévue à l’alinéa 113b) de la Loi?

            3.         L’agent a-t-il fait abstraction d’éléments de preuve probants?

            4.         L’agent a-t-il appliqué un critère erroné lorsqu’il a évalué la protection offerte par l’État?

 

Les observations écrites du demandeur

 

[18]           Le demandeur fait valoir que la question de l’audience est une question d’équité procédurale et qu’il convient de l’évaluer selon la norme de la décision correcte. En ce qui a trait aux autres questions en litige, la norme applicable est celle de la décision raisonnable.

 

[19]           Le demandeur fait valoir qu’une audience est requise lorsque la question de la crédibilité constitue un élément essentiel de la décision visée. Bien que l’agent n’ait pas expressément déclaré qu’il jugeait le demandeur non crédible, ses remarques concernant la preuve objective insuffisante et le peu d’importance qu’il a accordée à la preuve documentaire du demandeur constituent essentiellement des conclusions sur la crédibilité. De plus, le demandeur soutient que sa crédibilité est en cause puisque l’agent a mis en doute sa crainte subjective et qu’il a refusé d’accorder quelque importance au récit du demandeur sans éléments de preuve le corroborant. Une audience aurait donc dû être tenue.

 

[20]           Le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte toute la preuve dont il disposait. L’agent a conclu que la situation du demandeur n’était pas semblable à celle des membres de sa famille qui ont été assassinés. Il a en outre conclu que le demandeur n’était pas une personne présentant un intérêt pour les FARC ou les AUC. Cependant, les affidavits de la mère et du cousin du demandeur traitaient de ces deux questions. L’agent n’a pas tenu compte de ces affidavits et leur a accordé une importance minime parce qu’ils avaient été rédigés par des parents qui avaient un intérêt direct dans l’issue de l’instance. Selon le demandeur, la jurisprudence établit que le simple fait que les témoins soient des parents désireux d’aider des demandeurs dans les procédures n’est pas une raison pour accorder peu d’importance à leurs témoignages.

 

[21]           Selon le demandeur, l’agent a appliqué une norme erronée dans son analyse de la protection offerte par l’État. L’agent a indiqué que le demandeur n’avait pas épuisé toutes les possibilités qui lui auraient permis d’obtenir la protection de l’État. Le demandeur soutient que le critère applicable consiste à se demander s’il a fait des efforts raisonnables pour obtenir la protection de l’État. De plus, le demandeur fait valoir que le simple fait pour l’agent d’avoir conclu que la Colombie est une démocratie multipartite ne signifie pas qu’elle peut protéger ses ressortissants. L’ampleur de la corruption au sein du gouvernement colombien démontre que celui‑ci ne peut pas offrir la même protection que d’autres États démocratiques. Le demandeur fait valoir que l’agent a fait référence à la situation en Colombie et a énoncé sa conclusion sans analyser la façon dont la situation dans le pays affectait la capacité du demandeur de se réclamer de la protection de l’État.

 

Les observations écrites des défendeurs

 

[22]           Les défendeurs soutiennent que le demandeur n’a pas établi qu’il était personnellement exposé à un risque de préjudice. L’agent a tiré les conclusions raisonnables suivantes qui démontrent que le demandeur n’était pas personnellement exposé à un risque : le demandeur avait une profession différente de celles des personnes ciblées par les FARC; sa mère et son frère résidaient encore en Colombie sans problème; le demandeur n’a pas prouvé qu’il était une personne présentant un intérêt pour les FARC; et sa situation ne correspond pas à celle des gens couramment ciblés par les FARC.

 

[23]           Les défendeurs font valoir que l’agent a tenu compte des affidavits de la mère et des cousins du demandeur et qu’il leur a accordé une importance minime. L’agent a examiné le contenu des affidavits, mais a conclu qu’ils faisaient simplement état une nouvelle fois des incidents allégués par le demandeur et qu’ils décrivaient ses liens familiaux, mais qu’ils n’étaient pas étayés par une preuve objective. Les défendeurs soutiennent qu’il était loisible à l’agent d’accorder peu de valeur aux affidavits, car ils avaient été présentés par intérêt personnel et ne provenaient pas d’auteurs objectifs.

 

[24]           Les défendeurs allèguent que le demandeur n’avait pas démontré qu’il avait pris des mesures raisonnables pour obtenir la protection de l’État. Le demandeur ne s’est adressé à l’URI qu’après trois années de harcèlement et de menaces et il a ensuite quitté la Colombie onze jours après avoir fait une déposition auprès de l’URI. Les défendeurs soutiennent que les motifs de l’agent doivent être lus dans leur ensemble. Bien que l’agent ait conclu que le demandeur devait épuiser toutes les possibilités qui lui auraient permis d’obtenir une protection, il ressort clairement des motifs qu’il n’était pas indifférent au fait que le demandeur n’avait pas présenté de preuve claire et convaincante de ses efforts raisonnables visant à obtenir la protection de l’État.

 

[25]           Les défendeurs font valoir que le demandeur n’a pas établi une crainte subjective. L’agent a déterminé que les actions du demandeur n’étaient pas compatibles avec celles d’une personne qui craint pour sa vie. Il aurait pu demander l’asile en Équateur, mais il ne l’a pas fait.

 

[26]           Enfin, les défendeurs soutiennent que l’agent n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas une audience. La tenue d’une audience pour statuer sur une demande d’ERAR est exceptionnelle. L’agent n’a pas conclu que le demandeur n’était pas crédible; il a conclu que le demandeur n’avait pas établi au moyen d’une preuve documentaire qu’il était personnellement exposé à un risque de préjudice. Il est loisible à l’agent de décider quelle importance il accordera à la preuve, avant qu’il se prononce sur la crédibilité. L’agent a conclu que, même si la preuve du demandeur était crédible, la valeur probante des éléments de preuve visant à établir qu’il était personnellement exposé à un risque était insuffisante, de sorte que l’agent n’était pas tenu de tenir une audience.

 

L’analyse et la décision

 

[27]           La première question

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            La norme de contrôle applicable à la décision définitive d’un agent chargé de l’ERAR est celle de la décision raisonnable. Cependant, toute question ayant trait à l’équité procédurale exige l’application de la norme de la décision correcte (voir Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 799, au paragraphe 11).

 

[28]           Le demandeur fait valoir que la décision de ne pas tenir une audience a trait à l’équité procédurale. Généralement, le droit d’être entendu est une question d’équité procédurale. Cependant, comme le juge Yves de Montigny l’a déclaré dans Iboude c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1316, au paragraphe 12, il ressort clairement de l’alinéa 113b) de la Loi que le ministre n’est pas obligé de tenir une audience. L’agent chargé de l’ERAR possède le pouvoir discrétionnaire de tenir une audience si les facteurs énoncés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), s’appliquent aux faits de l’espèce. Par conséquent, il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[29]           Nonobstant cette analyse, rien n’indique en l’espèce que l’agent s’est demandé s’il devait tenir une audience et une telle situation pourrait constituer un manquement à l’équité procédurale. C’est pourquoi l’absence d’une audience en l’espèce exige l’application de la norme de décision correcte. La norme de la décision raisonnable sera appliquée aux autres questions soulevées.

 

[30]           J’aborderai en premier lieu la quatrième question.

 

[31]           La quatrième question

            L’agent a-t-il appliqué un critère erroné lorsqu’il a évalué la disponibilité de la protection de l’État?

            Le demandeur fait valoir que l’agent a commis une erreur de droit en appliquant un critère erroné pour évaluer la protection de l’État offerte en Colombie.

 

[32]           Dans Ward c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a statué que la présomption de la protection de l’État ne pouvait être réfutée qu’au moyen d’une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État d’assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l’État pour les protéger n’ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet des incidents au cours desquels l’État n’a pas assuré sa protection.

 

[33]           La Cour d’appel fédérale a ajouté, au critère énoncé dans Ward, précité, que lorsque l’État est une démocratie qui fonctionne normalement, la présence d’institutions démocratiques alourdissent le fardeau du demandeur de prouver qu’il a « […] épuis[é] les recours qui s'offrent à lui » (voir Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532, [1996] A.C.F. no 1376 (QL) (C.A.F.), au paragraphe 5).

 

[34]            Cependant, dans Farias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1035, 75 Imm. L.R. (3d) 31, le juge Michael Kelen a affirmé ce qui suit au paragraphe 19 :

[…] dans sa récente jurisprudence, la Cour fédérale a conclu que l’arrêt Kadenko ne peut être interprété comme signifiant que les demandeurs d’asile doivent épuiser « tout recours possible » pour réfuter la présomption de protection de l’État. Cela est d’autant plus vrai lorsque l’État est présumé s’est livré à la persécution. Par exemple, dans Chaves, précitée, la juge Tremblay‑Lamer a conclu au paragraphe 15 :

 

¶15 Cependant, à mon avis, les arrêts [Ward] et Kadenko ne sauraient signifier qu’une personne doit épuiser tous les recours disponibles avant de pouvoir réfuter la présomption de protection de l’État (voir Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 536 (1re inst.) (QL), et Peralta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 123 F.T.R. 153 (C.F. 1re inst.)). La situation est plutôt la suivante. Lorsque les représentants de l’État sont eux-mêmes à l’origine de la persécution en cause et que la crédibilité du demandeur n’est pas entachée, celui-ci peut réfuter la présomption de protection de l’État sans devoir épuiser tout recours possible au pays. Le fait même que les représentants de l’État soient les auteurs présumés de la persécution affaiblit la nature démocratique apparente des institutions de l’État, ce qui diminue d’autant le fardeau de la preuve […]

 

 

[35]           De même, il est établi dans la jurisprudence de la Cour fédérale que la démocratie ne suffit pas à garantir une protection efficace de l’État (voir Katwaru c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 612, au paragraphe 21).

 

[36]           L’agent en l’espèce a déclaré que [traduction] « il incombe au demandeur de démontrer qu’il a épuisé toutes les voies de recours dont il pouvait disposer dans le pays de sa nationalité ». Enfin, il a réitéré que [traduction] « dans la présente affaire, le demandeur n’a pas démontré qu’il a effectivement épuisé toutes les voies de recours dans le pays de sa nationalité ».

 

[37]           Le demandeur a déclaré dans sa demande d’ERAR qu’il s’était adressé à l’armée colombienne pour obtenir de l’aide relativement aux menaces d’extorsion dont il avait fait l’objet de la part des FARC et des AUC. Il a fait aussi valoir qu’il avait fait une déposition auprès de l’URI, le Bureau du procureur public, lorsqu’il a essuyé un coup de feu dans une voiture de taxi, qui aurait apparemment été tiré par des membres des FARC. Il est clair que le demandeur s’est adressé aux autorités, à plusieurs occasions, pour en obtenir la protection.

 

[38]           Le demandeur a en outre présenté une preuve documentaire selon laquelle 60 membres du Congrès colombien font l’objet d’une enquête pour avoir collaboré avec les paramilitaires. Étant donné l’ampleur de la corruption au sein du gouvernement, la conclusion de l’agent selon laquelle la Colombie est une démocratie multipartite ne devrait pas nécessairement signifier que la Colombie est capable de protéger ses citoyens (voir Gilvaja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 598, 81 Imm. L.R. (3d) 165, au paragraphe 43).

 

[39]           Compte tenu de la preuve, l’agent a commis une erreur de droit en exigeant que le demandeur démontre qu’il avait épuisé toutes les possibilités qui lui auraient permis d’obtenir la protection de l’État, le demandeur ayant établi qu’il avait fait des efforts raisonnables pour obtenir la protection de l’État dans un pays où les autorités ne sont souvent pas capables d’assurer cette protection à leurs ressortissants.

 

[40]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

[41]           Étant donné ma conclusion sur cette question, il n’est pas nécessaire que je tranche les autres.

 

[42]           Vu ma décision, les parties ne m’ont pas demandé de me prononcer sur une question grave de portée générale qu’elles auraient pu proposer.

 


JUGEMENT

 

[43]           LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


ANNEXE

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, 2001, ch. 27

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

[. . .]

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

. . .

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1017-10

 

INTITULÉ :                                       CARLOS HERNAN OLIVEROS RUBIANO

 

                                                            - c. -

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

                                                            L’IMMIGRATION et

                                                            MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA

                                                            PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 février 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jonathan E. Fedder

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kareena Wilding

Veronica Cham

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jonathan E. Fedder

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

 

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