Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

Federal Court

 

 


Date : 20110203

Dossier : T-2181-09

Référence : 2011 CF 125

Ottawa (Ontario), le 3 février 2011

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

 

DAVID CROUSE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

COMMISSIONAIRES NOVA SCOTIA

 

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision que l’arbitre W. Augustus Richardson, c.r. (ci-après l’arbitre), a rendue en date du 4 décembre 2009 en vertu de l’article 251.12 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L-2. L’arbitre a annulé un ordre de paiement de 1801,22 $ émis antérieurement au profit du demandeur en vertu de l’article 251.12 du Code canadien du travail. Dans sa décision, l’arbitre a admis que le travail que Commissionaires Nova Scotia (CNS) effectuait à l’Aéroport international d’Halifax était assujetti à la réglementation fédérale et au Code canadien du travail. Cependant, l’arbitre a également conclu que ce travail demeurait assujetti au Labour Standards Code, RSNS 1989, c. 246 de la Nouvelle-Écosse jusqu’à l’expiration du contrat entre CNS et l’Administration de l’aéroport international d’Halifax (l’AAIH), le 30 septembre 2010.

 

Le contexte factuel

[2]               Le demandeur, David Crouse, est un commissionnaire qui travaille au service de CNS pour fournir des services de sécurité à l’Aéroport international d’Halifax en vertu d’un contrat entre CNS et l’AAIH. Ce contrat visait la période allant du 1er octobre 2005 au 30 septembre 2010. Il avait été conclu en conformité avec des normes du travail établies par la législation provinciale, plus précisément par le Labour Standards Code de la Nouvelle-Écosse.

 

[3]               Le 16 août 2007, le Conseil canadien des relations industrielles (le CCRI) a émis une ordonnance accréditant l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’AFPC) à titre d’agent négociateur de certains employés de CNS à l’aéroport, dont le demandeur. Dans sa décision, le CCRI a confirmé la compétence fédérale à l’égard de l’unité de négociation. CNS a continué d’appliquer les normes prévues au Labour Standards Code de la Nouvelle-Écosse.

 

[4]               Le 12 novembre 2008, le demandeur a déposé une plainte en vertu de la partie III du Code canadien du travail dans laquelle il alléguait qu’il ne touchait pas de rémunération d’heures supplémentaires ni de paye de vacances conformément aux normes prévues au Code canadien du travail.

 

[5]               Le 9 février 2009, l’inspectrice Paula Stagg a conclu que CNS devait au demandeur une rémunération d’heures supplémentaires et une paye de vacances totalisant 1801,22 $. Elle a émis un ordre de paiement à cet égard le 4 mars 2009.

 

[6]               Le 9 mars 2009, CNS a interjeté appel de cette décision.

 

[7]               Le 10 juin 2009, W. Augustus Richardson, c.r., a été nommé comme arbitre pour connaître de l’appel. Le 4 décembre 2009, l’arbitre a accueilli l’appel interjeté à l’encontre de l’ordre de paiement et a conclu que le contrat de travail entre CNS et l’AAIH devait être régi par les normes applicables prévues au Labour Standards Code de la Nouvelle-Écosse jusqu’au 30 septembre 2010, date d’expiration du contrat alors en vigueur.

 

La décision contestée

[8]               Après avoir examiné l’exposé conjoint des faits que les parties avaient produit, l’arbitre a cerné deux questions à trancher : i) sont-ce les normes minimales de travail de la partie III du Code canadien du travail ou celles du Labour Standards Code de la Nouvelle-Écosse qui régissent CNS; ii) si c’est la partie III du Code canadien du travail qui régit CNS, celle-ci a-t-elle néanmoins le droit de ne pas se conformer aux normes du travail de la partie III jusqu’à l’expiration de son contrat actuel avec l’AAIH le 30 septembre 2010?

 

[9]               L’arbitre a noté que l’inspectrice n’avait pas traité de la question de la compétence, malgré que des observations lui eurent été présentées à ce sujet. L’arbitre a tranché la question de savoir si la partie III du Code canadien du travail s’appliquait, en présumant, sans nécessairement l’admettre, que l’accréditation de CNS en vertu de la partie I n’était pas un facteur déterminant à cet égard. L’arbitre  a noté que le paragraphe 167(1) du Code énonce que la partie III s’applique :

a) à l’emploi dans le cadre d’une entreprise fédérale […];

b) aux employés qui travaillent dans une telle entreprise;

c) aux employeurs qui engagent ces employés.

 

[10]           L’arbitre a conclu que la disposition précitée, combinée aux définitions énoncées au Code canadien du travail, menait à la conclusion qu’un employeur qui emploie des gens dans le cadre de l’exploitation d’un aéroport est un « employeur » pour l’application de la partie III du Code. L’arbitre a aussi conclu que les services de sécurité étaient essentiels à l’exploitation d’un aéroport. Puisque CNS employait des gens dans le cadre de l’exploitation d’un « aérodrome », CNS était un « employeur » pour l’application de la partie III du Code.

 

[11]           Après avoir statué que la partie III du Code canadien du travail régissait les employés de CNS, l’arbitre a examiné la question de savoir si CNS pouvait ne pas tenir compte des normes du travail de la partie III jusqu’à l’expiration du contrat la liant à l’AAIH le 30 septembre 2010. L’arbitre a noté que CNS avait conclu un contrat contraignant avec l’AAIH en croyant de bonne foi que le droit provincial s’appliquait, et qu’exiger que CNS applique le droit fédéral entraînerait une augmentation importante de coûts. CNS a également soutenu que toute ordonnance rendue sous l’empire d’une nouvelle compétence devrait donner pleinement effet aux accords contractuels conclus avant cette transition. L’arbitre a noté en outre que le syndicat, qui agissait pour le compte du demandeur, soutenait que, si l’arbitre admettait les prétentions de CNS, il se trouverait à permettre à cette dernière de se soustraire par contrat à l’application des normes minimales prévues à la partie III, ce qui serait contraire au paragraphe 168(1) du Code canadien du travail.

 

[12]           L’arbitre a également noté qu’avant l’accréditation de l’AFPC, CNS avait cru qu’elle était régie par le droit provincial, et elle avait agi, de bonne foi, en conséquence. En outre, l’arbitre a statué que CNS était assujettie, en fait et en droit, à la compétence provinciale jusqu’à ce que celle‑ci soit évincée par l’invocation de la compétence fédérale, parce que le droit du travail est de prime abord une question provinciale, et elle est présumée être régie par les lois provinciales. Aussi l’arbitre a-t-il conclu qu’avant l’accréditation de l’AFPC, CNS était régie par le droit provincial et elle avait établi un contrat avec l’AAIH en conformité avec cette croyance. L’arbitre a invoqué l’arrêt Colombie-Britannique (Procureur général) c. Lafarge Canada Inc., 2007 CSC 23, [2007] 2 R.C.S. 86, au soutien de sa conclusion selon laquelle les lois provinciales continueraient de s’appliquer jusqu’à ce que le gouvernement fédéral fasse valoir sa compétence de manière à évincer la compétence provinciale.

 

[13]           Cela a amené l’arbitre à exprimer l’avis que la présente affaire concernait des conditions d’emploi valides et contraignantes assujetties aux lois provinciales. Il a estimé que, dans  ces circonstances, les observations du Conseil canadien des relations de travail (le CCRT) dans la décision The Corporation of the City of Thunder Bay / Telephone Division (operating as Thunder Bay Telephone) and the International Brotherhood of Electrical Workers, Local Union 339, (1994), 27 CLRBR (2d) 87 étaient pertinentes. Dans cette affaire, le CCRT avait affirmé que [traduction] « les mesures prises par les parties sous le régime de la législation provinciale sont valides, et elles lient les parties même après qu’il a été statué que les relations de travail de l’employeur relevaient de la compétence fédérale ».

 

[14]           L’arbitre a noté en outre que, dans l’affaire Thunder Bay Telephone, le CCRT avait déclaré que la convention collective alors en vigueur, conclue à une époque où les parties se croyaient régies par le droit provincial, demeurerait en vigueur telle quelle jusqu’à sa date de fin. L’arbitre a conclu qu’il devrait rendre une ordonnance semblable dans la présente affaire en vertu du paragraphe 251.12(4) du Code, qui permet à l’arbitre de rendre « toutes les ordonnances nécessaires à la mise en œuvre de » sa décision. Aussi l’arbitre a-t-il conclu que CNS et les contrats de travail entre CNS et l’AAIH devraient être régis par les normes minimales applicables du Labour Standards Code de la Nouvelle-Écosse jusqu’au 30 septembre 2010 inclusivement, et que l’ordre de paiement émis par l’inspectrice devait être annulé.

 

Les questions en litige

[15]           La présente demande soulève la question suivante :

1.            Quelle norme de contrôle convient-il d’appliquer à la décision de l’arbitre?

 

2.            L’arbitre a-t-il commis une erreur lorsqu’il a statué que le Code canadien du travail s’appliquerait seulement après le 30 septembre 2010?

 

La norme de contrôle

[16]                 Les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle applicable à la présente affaire. Le demandeur soutient que la question en litige est une question juridique, constitutionnelle et juridictionnelle, à l’égard de laquelle l’arbitre n’a pas une plus grande expertise que la Cour, et que la norme de contrôle applicable est donc celle de la décision correcte. En revanche, la défenderesse soutient que le demandeur conteste la réparation accordée par l’arbitre, et que la Cour a déjà statué dans le passé qu’une telle réparation était sujette à révision en fonction de la raisonnabilité, étant donné les vastes pouvoirs réparateurs que le Code canadien du travail confère à l’arbitre.

 

[17]                 En l’espèce, le demandeur n’est pas en désaccord avec la conclusion de l’arbitre selon laquelle CNS est assujettie à la partie III du Code canadien du travail. Il allègue plutôt que la question en litige est celle de savoir si les pouvoirs réparateurs de l’arbitre comprennent le pouvoir de suspendre l’application du Code canadien du travail. À ce stade-ci, il me semble pertinent de procéder à une analyse des quatre facteurs énoncés dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, afin de déterminer quelle est la norme de contrôle applicable.

 

[18]                 Le premier facteur à examiner pour déterminer quelle norme s’applique est l’existence d’une clause privative. Les deux parties conviennent que le Code canadien du travail comporte une clause privative d’une portée considérable, ce qui porte à croire qu’il faut faire preuve d’une grande déférence à l’égard de l’arbitre. Les paragraphes 251.12(6) et (7) énoncent :

251.12

 

[…]

 

Caractère définitif des décisions

 

(6) Les ordonnances de l’arbitre sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

 

Interdiction de recours extraordinaires

 

(7) Il n’est admis aucun recours ou décision judiciaire — notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action d’un arbitre exercée dans le cadre du présent article.

 

 

251.12

 

[…]

 

Order final

 

(6) The referee’s order is final and shall not be questioned or reviewed by any court.

 

 

 

No review by certiorari, etc.

 

 

(7) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise to question, review, prohibit or restrain a referee in any proceedings of the referee under this section.  

 

 

[19]                 Le deuxième facteur à examiner est le but de la partie III du Code canadien du travail et la fonction de l’arbitre nommé en vertu de l’article 251.12. Dans l’arrêt Dynamex Canada Inc. c. Mamona, 2003 CAF 248, [2003] A.C.F. No 907, au paragraphe 35, la Cour d’appel fédérale a affirmé que :

[…] le but de la partie III du Code canadien du travail consiste à protéger les travailleurs individuels et à créer un niveau de certitude sur le marché du travail en établissant des normes minimales de travail et en établissant des mécanismes afin de résoudre efficacement les différends résultant de l'application de ces dispositions.

.

 

[20]                 Le troisième facteur à examiner est l’expertise du tribunal en cause. Le Code canadien du travail confère clairement de vastes pouvoirs réparateurs à l’arbitre, puisque le paragraphe 251.12(4) permet à l’arbitre de « rendre toutes les ordonnances nécessaires à la mise en œuvre de sa décision ». La défenderesse invoque l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Dynamex, au paragraphe 39, où la Cour d’appel fédérale a affirmé que :

[…] les arbitres ont habituellement une expertise plus vaste en matière de normes du travail que cette Cour. Cela suppose que leurs décisions doivent être traitées avec respect en ce qui concerne les recours et les droits des employés prévus à la partie III du Code canadien du travail, même lorsqu'une telle décision implique une question d'interprétation de la loi qui confère des pouvoirs à l'arbitre.

 

[21]                 Cette affirmation de la Cour d’appel fédérale concerne davantage la retenue dont il faut faire preuve à l’égard du droit d’une partie à une réparation. Or, la question en l’espèce concerne plutôt le pouvoir de l’arbitre d’ordonner un type de réparation précis par opposition au fondement juridique de cette réparation. Lorsqu’il s’agit de déterminer l’expertise d’un tribunal dans le cadre d’une analyse relative à la norme de contrôle, « […] ce n’est pas […][l’]expertise générale ou particulière [du Tribunal] qui est en cause, mais plutôt son expertise à l’égard de la question précise dont il était saisi » (Canada (Procureur général) c. Mowat, 2009 CAF 309, [2009] A.C.F. No 1359). La Cour est d’avis que l’arbitre n’a pas une expertise plus vaste que celle de la Cour pour déterminer s’il a le pouvoir de suspendre l’application du Code canadien du travail.

 

[22]                 Enfin, la Cour doit examiner la nature de la question. Or, il est question ici du pouvoir de l’arbitre d’accorder un type de réparation précis et du fondement juridique de cette réparation. Dans l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 59, la Cour suprême a affirmé qu’« une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question. » Ici, l’arbitre a conclu expressément que la disposition du Code canadien du travail qui lui permet de « rendre toutes les ordonnances nécessaires à la mise en œuvre de sa décision » l’autorisait à [traduction] « éviter » temporairement l’application du Code canadien du travail. En somme, cette conclusion liée à la compétence constitutionnelle est au cœur de la question en litige en l’espèce. Cela porte à croire que la question devrait être considérée comme une véritable question de compétence (provinciale par opposition fédérale), à l’égard de laquelle il y aurait lieu de faire preuve de moins de retenue.

 

[23]                 Compte tenu des facteurs susmentionnés, la Cour conclut que la norme de contrôle applicable en l’espèce est la décision correcte, malgré la clause privative d’une portée considérable contenue dans le Code canadien du travail. La  Cour examine normalement ce type de question de droit, qui ne relève pas des connaissances spécialisée de l’arbitre (Dynamex). 

 

Analyse

[24]                 Le demandeur soutient qu’il n’y a aucun fondement juridique à la décision de l’arbitre de suspendre l’application du Code canadien du travail. Le demandeur note que l’arbitre a conclu que, jusqu’au moment où l’AFPC a été accréditée, CNS s’était crue régie par les lois provinciales, et elle avait agi, de bonne foi, en conséquence. Puisque le droit du travail est de prime abord une question provinciale, CNS était présumée être régie par les lois provinciales, et elle devrait le demeurer jusqu’à l’expiration du contrat entre CNS et l’AAIH.

 

[25]                 L’arbitre a conclu qu’avant la demande d’accréditation de l’AFPC, les relations entre CNS et ses employés étaient régies par les lois provinciales. Le demandeur soutient que cette conclusion est erronée. Il allègue que, bien que CNS ait pu croire à tort qu’elle était assujettie aux normes du travail provinciales, cette croyance ne l’emporte pas sur le Code canadien du travail. Le demandeur soutient que l’arbitre n’avait pas le pouvoir d’admettre la défense d’ignorance de la loi de la défenderesse et de déclarer arbitrairement que les lois provinciales s’appliquaient aux relations de travail de la défenderesse assujetties à la réglementation fédérale.

 

[26]                 Il est bien établi en droit qu’en vertu des principes constitutionnels établis, les provinces ont une compétence exclusive sur les relations de travail pour ce qui concerne les contrats de travail. Cependant, par dérogation à ce principe, le Parlement fédéral peut faire valoir une compétence exclusive dans ces domaines s'il est établi que cette compétence est partie intégrante de sa compétence principale sur un autre sujet (Construction Montcalm Inc. c. Com. Sal. Min., [1979] 1 R.C.S. 754). En l’espèce, le CCRI a émis un ordre confirmant la compétence fédérale à l’égard du travail que la défenderesse effectuait à l’Aéroport international d’Halifax. La Cour note que la décision du CCRI n’a pas été contestée par voie de demande de contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur les Cours fédérales. L’arbitre a également reconnu dans sa décision la nature fédérale des activités de la défenderesse, c’est-à-dire la prestation de services de sécurité à l’Aéroport international d’Halifax.

 

[27]                 Le demandeur a invoqué la décision d’un arbitre des normes du travail dans l’affaire Olchove and Adair’s Car Crushing Ltd., [1997] CLAD No 413. Bien qu’une telle décision ne lie pas la Cour, étant donné l’absence de jurisprudence sur la question, la Cour estime que cette décision revêt une certaine pertinence dans la présente affaire.

 

[28]                 Dans l’affaire Olchove, la plaignante avait commencé à travailler comme commis comptable au service d’Adair’s Transport Ltd. en 1981. À un certain moment entre 1991 ou 1992, elle avait cessé de travailler au service d’Adair’s Transport Ltd. et elle était devenue l’employée d’une nouvelle société, Adair’s Car Crushing Ltd. Elle avait ensuite été congédiée en avril 1996. Elle avait alors déposé une plainte de congédiement injuste en vertu du Code canadien du travail. L’arbitre a noté qu’Adair’s Transport et Adair’s Car Crushing Ltd. menaient toutes deux leurs affaires comme si le Code canadien du travail s’appliquait à leurs employés. Cependant, l’arbitre a conclu qu’Adair’s Transport était une entreprise fédérale et que bien qu’elle avait peut-être été en quelque sorte un successeur d’Adair’s Transport, Adair’s Car Crushing Ltd. n’avait jamais mené d’activités liées au transport interprovincial, et elle n’avait donc jamais été considérée comme un employeur fédéral. Aussi l’arbitre a-t-il conclu qu’il n’avait pas compétence pour connaître de la plainte de congédiement injuste de la plaignante.

 

[29]                 Dans l’affaire susmentionnée, la plaignante avait exposé à l’arbitre un argument semblable à celui qui a été soulevé en l’espèce. Elle avait soutenu qu’en dépit du fait qu’Adair’s ne fût pas employeur fédéral, étant donné qu’Adair’s Transport et Adair’s Car Crushing Ltd. avaient toutes deux mené leurs affaires comme si le Code canadien du travail s’appliquait à leurs employés, l’arbitre devrait se déclarer compétent et connaître de la cause de la plaignante. Au paragraphe 21 de la décision, l’arbitre a rejeté cette prétention et a affirmé ce qui suit :

[traduction]

[21] Le fait que l’employeur ait continué d’appliquer les dispositions du Code à ses employés n’a aucune incidence sur la question de savoir si l’entreprise est une entreprise fédérale. Si les employeurs pouvaient choisir l’ordre juridique auquel leurs relations de travail seraient assujetties tout simplement en appliquant la législation de leur choix à leurs employés, cela contrecarrait entièrement le partage des compétences établi par la Constitution du Canada et les dispositions du Code canadien du travail qui exigent qu’il y ait une entreprise fédérale pour que le Code s’applique. La compétence en matière de relations de travail relève du droit constitutionnel et non du choix de l’employeur.

 

 

[30]                 En l’espèce, l’arbitre a reconnu que [traduction] « CNS [avait] peut-être été assujettie aux lois fédérales sur le travail à un certain moment avant la demande de l’AFPC, mais personne ne le savait parce que personne n’avait fait valoir la compétence fédérale. Et jusqu’à ce que la compétence ait été invoquée de telle sorte qu’elle évinçât la compétence provinciale, CNS [était] demeurée assujettie à cette dernière. » CNS a peut-être entretenu la croyance raisonnable qu’elle était assujettie aux normes fédérales du travail, mais la Cour convient avec le demandeur que cette croyance ne l’emporte pas et ne peut pas l’emporter le Code canadien du travail.

 

[31]                 L’arbitre a cité l’arrêt Lafarge, plus particulièrement aux paragraphes 4 et 37. Cependant, la Cour est d’avis que l’arrêt Lafarge se distingue nettement de la présente affaire. Dans l’affaire Lafarge, la Cour suprême du Canada était saisie d’une situation où la question en litige pouvait relever soit de la compétence fédérale ou de la compétence provinciale. L’affaire a été tranchée sur le fondement de la prépondérance fédérale par opposition à l’exclusivité des compétences. Or, le demandeur appartient à un groupe d’employés de CNS qui fournissent un service continu qui fait partie intégrante des activités quotidiennes de l’aéroport et qui relève clairement de la compétence fédérale. Il n’y a pas de revendications concurrentes, et personne ne prétend que les services précis qu’offrent ces employés de CNS relèvent de deux chefs de compétence différents énumérés à la Constitution Act, 1867 (R.-U.), 30 & 21 Victoria, c. 3.

 

[32]                 L’arbitre s’est également appuyé sur la décision du CCRT (prédécesseur du CCRI) dans l’affaire Thunder Bay Telephone pour déterminer la réparation en litige dans la présente affaire. Ici encore, la décision Thunder Bay Telephone se distingue nettement de la présente affaire. Dans l’affaire Thunder Bay Telephone, le CCRT traitait de l’incidence d’une convention collective alors en vigueur sur la question de savoir si une demande d’accréditation en vertu du Code canadien du travail avait été déposée en temps opportun. Cette situation diffère sensiblement de celle dont la Cour est saisie ici puisque l’AFPC a déjà été accréditée à titre d’agent négociateur des employés de CNS en cause en l’espèce.

 

[33]                 La défenderesse soutient que l’arbitre a invoqué à juste titre la décision Thunder Bay Telephone, parce que la compétence à laquelle les employeurs et leurs employés sont assujettis (fédérale ou provinciale) peut changer au fil du temps et, par conséquent, toute ordonnance rendue sous l’empire de la compétence nouvellement applicable doit reconnaître les arrangements contractuels conclus avant cette transition.

 

[34]                 Cet argument ne convainc pas la Cour. En effet, la Cour n’est pas saisie d’un cas où les activités d’un employeur auraient initialement été assujetties à la compétence provinciale, puis auraient changé de telle sorte qu’elles seraient passées sous la compétence fédérale – comme, par exemple, dans le cas d’une entreprise locale qui étendrait ses activités à une échelle interprovinciale. En l’espèce, tel que mentionné précédemment, les employés de CNS en cause ici ont toujours été employés dans le cadre d’une entreprise fédérale. Le fait que l’application du droit provincial à ces employés de CNS n’ait pas été contestée auparavant ne justifie pas en droit la suspension du droit fédéral jusqu’à l’expiration du contrat.

 

[35]                 En conséquence, la Cour conclut que l’arbitre a outrepassé sa compétence lorsqu’il a décidé de suspendre l’application du Code canadien du travail à CNS et ses employés jusqu’à l’expiration des contrats de CNS alors en vigueur au motif que CNS avait présumé que le droit provincial s’appliquait à ses employés. La Cour ne trouve aucun fondement juridique à la décision de ne pas reconnaître la compétence législative fédérale au motif que le contrat entre les deux parties n’a pas encore expiré. L’arbitre a commis une erreur et a outrepassé sa compétence lorsqu’il a suspendu l’application du Code canadien du travail et a déclaré que la province avait compétence à l’égard de relations de travail assujetties à la réglementation fédérale. Sa décision revient à permettre à la défenderesse de se soustraire par contrat à l’application des normes minimales prévues au Code canadien du travail (partie III). L’arbitre a donc commis une erreur, et, dans ces circonstances, l’intervention de la Cour est justifiée.

 

[36]                 Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens.

2.         L’affaire est renvoyée à l’arbitre pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire en conformité avec les présents motifs. 

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2181-09

 

INTITULÉ :                                       DAVID CROUSE

                                                            c. COMMISSIONAIRES NOVA SCOTIA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 3 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Raven

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Eric Durnford, c.r.

Amy Bradbury

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Ritch Durnford

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.