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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110211

Dossier : IMM-650-10

Référence : 2011 CF 173

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 février 2011

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

 

ROCIO ANGELICA FLORES ALCAZAR

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, par laquelle il a été décidé que Rocio Angelica Flores Alcazar (la demanderesse) n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

[2]               Mme Alcazar est une citoyenne mexicaine qui a demandé l’asile en raison du fait qu’elle craignait d’être persécutée par son ex-conjoint, un policier qui l’a battue, violée et menacée.

 

[3]               La SPR a rejeté sa demande au motif que la demanderesse n’avait pas fait usage de la protection offerte par l’État au Mexique.

 

[4]               Pour les raisons suivantes, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire.

 

Les faits

[5]               La demanderesse entretenait une relation avec M. Garcia, un membre du quartier général de la police judiciaire du Bureau du procureur général de la justice au Mexique. Le couple a commencé à avoir des problèmes en juillet 2006. La demanderesse a dit qu’elle voulait poursuivre ses études, mais son conjoint a craint qu’elle ne rencontre un autre homme à l’université et qu’elle ne le quitte. Il est devenu contrôlant et violent, l’a battue, l’a obligée à avoir des relations sexuelles contre son gré et l’a également enfermée dans la maison.

 

[6]               Elle a été hospitalisée pendant trois jours en décembre 2007 à la suite de blessures infligées par son conjoint lors d’une agression. Le rapport d’hôpital mentionnait que le ministère public avait été informé d’un « cas médico-légal ». La demanderesse a de nouveau été hospitalisée en mars 2008 à la suite de blessures infligées par son conjoint.

 

 

[7]               Après son hospitalisation en 2007, la demanderesse s’est rendue au Bureau du ministère public afin de faire une dénonciation, mais les personnes responsables n’ont pas voulu accepter sa déposition parce qu’elles ont dit qu’il n’y avait pas de médecin légiste pour l’examiner et parce qu’il n’y avait pas de témoin pour corroborer ses allégations. Ils lui ont dit de revenir un autre jour, ce qu’elle n’a pas fait. À la maison, son conjoint lui a dit que la police l’avait informé qu’elle avait tenté de le dénoncer. Plus tard, il l’a menacée de la tuer si elle tentait de le faire une fois de plus.

 

[8]               La demanderesse s’est finalement enfuie pour aller vivre chez sa tante à Tamaulipas, mais a reçu un message texte de la part de M. Garcia, un mois plus tard, qui disait qu’il savait où elle se trouvait. Elle a ensuite déménagé à Tula, Hidalgo, mais a aperçu M. Garcia dans un parc voisin deux semaines plus tard. Par la suite, elle a déménagé à Jalisco, Guadalajara, mais a appris que M. Garcia avait dit à un membre de la famille qu’il viendrait la rejoindre pour la surprendre. Une fois de plus, elle a déménagé chez une tante dans le district fédéral, puis s’est enfuie au Canada le 30 juin 2008, où elle a fait une demande d’asile.

 

La décision contrôlée

[9]               Dans sa décision rendue le 31 décembre 2009, la SPR s’est concentrée sur la question qui visait à savoir s’il y avait une protection adéquate de l’État offerte au Mexique.

 

[10]           La SPR a conclu que les preuves documentaires présentées donnaient à penser que le Mexique était une démocratie avec des élections libres et normales, en contrôle effectif de son territoire, et que rien ne donnait à penser que le Mexique connaissait l’effondrement complet de son appareil étatique.

 

[11]           La SPR a noté que le Mexique avait adopté une législation civile, administrative et pénale pour interdire la violence familiale. Il a également mis en place diverses mesures pour les victimes afin qu’elles puissent demander une protection contre leurs agresseurs et qu’elles puissent signaler l’inconduite, l’incompétence ou la corruption d’un policier. La SPR a admis que le Mexique avait éprouvé des problèmes dans le passé en matière de violence familiale, mais a noté que :

Cependant, en ce qui a trait au caractère adéquat de la protection de l’État offerte à la demandeure d’asile, la Commission accorde une plus grande valeur probante à la preuve documentaire. Celle qui est citée est tirée de diverses sources fiables et indépendantes, pour lesquelles l’issue de cette demande d’asile en particulier n’est d’aucun intérêt. Même s’il y a des incohérences entre les sources, la prépondérance de la preuve objective concernant la situation actuelle dans le pays donne à penser que, bien qu’imparfaite, la protection offerte par l’État au Mexique est efficace et adéquate, que le pays fait de sérieux efforts pour régler le problème de violence familiale et que les policiers sont disposés et aptes à protéger les victimes.

 

 

[12]           La SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables pour obtenir une protection dans une démocratie comme le Mexique : la demanderesse avait la responsabilité de faire davantage que de simplement montrer qu’elle avait tenté de faire une dénonciation à la police. La SPR a également conclu que la demanderesse n’avait pas présenté de preuve claire et convaincante qui démontrait que la police ne lui aurait pas fourni une protection adéquate si elle avait été appelée à le faire.

 

[13]           La SPR a fait remarquer que, même si la demanderesse s’était rendue au ministère public pour tenter, sans succès, de déposer une dénonciation, il y avait des recours pour demander réparation à un niveau supérieur. La SPR a conclu que la demanderesse « n’a absolument rien fait pour se protéger dans son pays d’origine, à l’exception de son unique tentative visant à dénoncer M. Garcia, auquel moment elle a été avisée de revenir le lendemain, mais ne l’a pas fait ». La SPR admet que la demanderesse avait eu peur de l’influence de M. Garcia et de ses relations avec la police, mais a fait remarquer que cela n’avait pas empêché sa mère de le dénoncer à un autre moment.

 

[14]           Par conséquent, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas pris tous les moyens raisonnables pour obtenir la protection offerte par l’État et qu’elle n’avait donc pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État avec une preuve claire et convaincante. La SPR a donc conclu que la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

La législation pertinente

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR)

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country…

 

 

La question en litige

 

[15]           La question fondamentale à trancher est à mon avis la suivante :

Est-ce que la SPR a commis une erreur susceptible de révision lorsqu’elle a conclu que la demanderesse ne s’était pas prévalue de la protection adéquate offerte par l’État?

 

La norme de contrôle

[16]           La norme de contrôle d’une décision concernant la protection de l’État est une question mixte de fait et de droit, qui fait l’objet de la norme de raisonnabilité : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Flores c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 503, au paragraphe 21.

 

Analyse

[17]                La demanderesse prétend que la SPR a commis certaines erreurs dans sa décision. Premièrement, elle soutien que la SPR a commis une erreur de fait en concluant qu’une seule tentative d’obtenir une protection de l’État avait été faite. Deuxièmement, la demanderesse prétend que la SPR n’a tenu compte correctement d’aucune des preuves contradictoires qui appuyaient sa déclaration sur l’absence de protection adéquate de l’État. Plus particulièrement, la SPR était tenue d’examiner ce qui se passait réellement dans le pays plutôt que de vérifier ce que l’État s’efforçait de mettre en place, c’est-à-dire, s’en tenir aux preuves de la protection réelle de l’État plutôt que simplement aux preuves d’efforts sérieux. Finalement, puisque la demanderesse est une femme victime de mauvais traitements, elle soutient que la SPR aurait dû tenir compte de sa situation personnelle particulière.

 

[18]                Le défendeur soutien qu’il y a une présomption de la protection de l’État et qu’il est de la responsabilité de la demanderesse de fournir une preuve claire et convaincante pour réfuter cette présomption, ce qu’elle n’a pas fait.

 

[19]                À mes yeux, il est clair que deux dénonciations de violence conjugale ont été faites au ministère public. Le rapport d’hôpital, qui fait état des blessures de la demanderesse, mentionne que [traduction] « le ministère public est informé du cas médico-légal ». En outre, la demanderesse a témoigné qu’elle s’est également rendue au Bureau du ministère public une fois sortie de l’hôpital. La SPR a commis une erreur de fait en ne tenant pas compte de cette preuve et en concluant qu’une seule dénonciation avait été faite aux autorités, alors qu’il y en avait deux qui avaient été faites, soit une par l’hôpital et une par la demanderesse.

 

[20]                La SPR n’a aussi fait état que d’un incident à la suite duquel la demanderesse avait été hospitalisée, malgré la preuve qui démontrait qu’il y avait eu deux hospitalisations distinctes à plusieurs mois d’intervalle.

 

[21]                Les erreurs de fait précédentes ne sont pas déterminantes en tant que telles. Cependant, la SPR n’a pas tenu compte de la situation personnelle de la demanderesse et n’a pas dûment pris en considération la preuve contraire lorsqu’elle a évalué s’il y avait une protection adéquate de l’État ou non.

 

 

[22]                La SPR n’a pas tenu compte d’aspects importants de la situation personnelle de la demanderesse. Il s’agit d’une femme qui a été victime de violence physique et sexuelle de la part de son conjoint, un policier, et qui a été hospitalisée deux fois. Au moins deux dénonciations ont été faites au ministère public. Lorsqu’elle a tenté de faire une dénonciation après que l’hôpital se fut rendu compte qu’il s’agissait d’un « cas médico-légal », on lui a non seulement dit de revenir un autre jour, mais son conjoint violent a apparemment été informé par la police de sa tentative visant à le dénoncer. Il l’a ensuite menacée pour la dissuader de tenter toute autre dénonciation.

 

[23]                La jurisprudence a remis en question l’utilité, pour une femme maltraitée, de retourner voir la police après une première tentative infructueuse : Pereyra Aguilar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 216, au paragraphe 36. En l’espèce, cela soulève la question d’autres sévices qui pourront être infligés à la demanderesse par son agresseur si elle tente une dénonciation à la police; cette question doit être abordée.

[24]                La SPR a jugé significatif le fait que, après le départ de sa fille, la mère de la demanderesse, harcelée par M. Garcia, l’ait dénoncé aux autorités à cause de ses tentatives répétées pour retrouver la demanderesse. La SPR n’a fait aucune distinction entre la situation de la mère de la demanderesse et la situation de la demanderesse. Cette dernière est la cible visée par M. Garcia, dont la violence et le harcèlement sont la preuve de son obsession de tout contrôler, tandis que sa mère ne l’est pas.

 

[25]                Bien que la Cour doive faire preuve de retenue quant aux conclusions de la SPR à propos de la protection de l’État, l’analyse de la preuve documentaire effectuée par la SPR concernant l’accessibilité de la protection de l’État est problématique. La SPR a choisi d’accorder « une plus grande valeur probante à la preuve documentaire qu’à l’opinion de la demandeure d’asile quant au caractère adéquat de la protection de l’État ». Il est erroné de négliger le témoignage de la demanderesse simplement parce qu’elle possède un intérêt personnel dans l’issue de l’affaire; la SPR est tenue d’expliquer pourquoi elle a écarté son témoignage : Torres Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1336, au paragraphe 56.

 

[26]                Surtout, la SPR doit tenir compte des preuves contradictoires selon lesquelles la protection de l’État n’est pas adéquate : Toriz Gilvaja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 598, au paragraphe 38. Ceci est particulièrement important à la lumière du témoignage de la demanderesse selon lequel la police aurait apparemment divulgué des renseignements à M. Garcia à propos de sa tentative visant à le dénoncer. Bien que la SPR ait admis qu’il y avait des preuves contradictoires, elle n’a pas expliqué pourquoi elle a choisi d’écarter celles qui étaient incluses dans un rapport de la Direction de la recherche de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) et dans un rapport de 50 pages d’Amnesty International.

 

 

Conclusion

[27]                Selon moi, la SPR s’est appuyée sur des généralisations lorsqu’elle a conclu qu’une protection adéquate de l’État s’offrait à la demanderesse. Elle n’a pas su évaluer la situation personnelle de la demanderesse et a choisi de s’appuyer sur les preuves documentaires concernant les efforts faits par l’État pour fournir une protection de l’État plutôt que sur les preuves qui démontraient quelle protection de l’État était réellement offerte à une personne dans la même situation que la demanderesse.

 

[28]                J’accueillerai la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  Aucune ordonnance concernant les dépens n’est rendue.

 

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-650-10

 

INTITULÉ :                                       ROCIO ANGELICA FLORES c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 5 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 11 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel M. Fine

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Neeta Logsetty

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Daniel M. Fine

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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