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Date : 20110217

Dossier : IMM-3433-10

Référence : 2011 CF 190

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 17 février 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ZINN

 

 

ENTRE :

 

PENG CHOW LIM

ET TAN HWEE CHIN

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs demandent à la Cour d’examiner et d’annuler une décision par laquelle une agente d’immigration a rejeté leur demande de résidence permanente au Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH).

 

[2]               Les demandeurs prétendent que l’agente a commis une erreur en omettant de fournir des motifs suffisants, en les privant de leur droit à l’équité procédurale et en rendant une décision déraisonnable, compte tenu des faits invoqués et des lignes directrices établies par le défendeur.

[3]               La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

 

Motifs suffisants

[4]               Dans leur mémoire, les demandeurs citent de longs passages de la décision de l’agente. Ils prétendent qu’une bonne part de la décision témoigne d’un manque d’égard puisque l’agente n’a pas accordé beaucoup d’importance à la preuve présentée. Selon les demandeurs, il est bien établi en droit qu’un décideur doit invoquer des motifs pour justifier l’importance qu’il accorde à la preuve et que, en l’espèce, l’agente ne l’a pas fait. Les demandeurs affirment que l’agente a simplement examiné la preuve dont elle disposait et a déclaré quelle importance elle y accordait, et que cette analyse n’était pas conforme aux normes établies dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

 

[5]               Les demandeurs ont attiré l’attention de la Cour sur un passage tiré de l’affaire Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565, où le juge Mactavish a écrit ce qui suit au par. 14 :

À mon avis, ces « motifs » n’en sont pas du tout. Il s’agit plutôt essentiellement d’un résumé des faits et de l’énoncé d’une conclusion, sans aucune analyse étayant celle-ci. L’agente a simplement examiné les facteurs favorables pour lesquels la demande pourrait être accueillie, concluant que, à son avis, ces facteurs n’étaient pas suffisants pour justifier l’octroi d’une dispense. Elle n’a cependant pas expliqué pour quelles raisons. Or, cela n’est pas suffisant puisque les demandeurs se trouvent ainsi dans une position peu enviable où ils ignorent pourquoi leur demande a été rejetée.

 

Selon les demandeurs, voilà exactement l’erreur de l’agente.

 

[6]               Les demandeurs citent également Raudales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 385, relativement à ce qui constitue des motifs suffisants, et ils prétendent que la Cour ne peut pas examiner la décision telle qu’elle est rédigée, car elle ne donne aucune explication des motifs qui ont amené l’agente à donner du poids, quel qu’il soit, à la plupart des éléments de preuve.  

 

[7]               À titre d’exemples de préoccupations qui ont été exprimées, les demandeurs soulignent un certain nombre de passages où l’agente fait mention de certains faits et termine ensuite par l’une des affirmations suivantes : [traduction] « j’ai soupesé ce facteur et je ne lui ai accordé qu’une valeur limitée », « j’ai accordé beaucoup d’importance à ce facteur », « j’ai soupesé tous ces facteurs et je leur accorde peu d’importance » et « j’ai soupesé ce facteur et je ne lui ai pas accordé beaucoup de poids ».

 

[8]               Contrairement à l’affaire dont était saisie la Cour dans Adu, l’agente ne fait pas que citer les faits et conclure avec une affirmation relative à l’importance qu’elle leur accorde. En lisant la décision dans son ensemble, les raisons pour lesquelles elle accorde plus ou moins d’importance à certains éléments de preuve sont claires. Par exemple, en ce qui concerne les liens familiaux et personnels au Canada, l’agente a souligné que les demandeurs ont choisi de rester au Canada et de remplir une demande CH et que, bien que leur fille ait peu de famille au Canada, elle est ici depuis près de 18 ans et sa situation n’est pas vraiment inhabituelle. En ce qui concerne l’établissement, l’agente a expliqué avoir accordé peu d’importance à l’appartenance des demandeurs au centre pour personnes âgées de Windsor et à leurs liens au Canada parce que les demandeurs n’avaient pas donné suffisamment de précisions sur la façon dont la rupture de ces liens causerait des difficultés. L’agente a aussi fait remarquer que les demandeurs ont de la famille à Singapour et qu’ils sont financièrement autonomes. Voilà autant de raisons pour lesquelles l’agente a accordé plus ou moins de poids à la preuve. Les demandeurs ne devraient pas avoir de doutes au sujet du rejet de leur demande et la Cour n’en a certainement pas.

 

Équité procédurale

[9]               L’argument des demandeurs selon lequel ils ont été privés de leur droit à l’équité procédurale repose sur le fait que l’agente leur a demandé de fournir certains documents et a ensuite conclu qu’ils n’avaient pas fourni [traduction] « suffisamment d’éléments de preuve ». Les demandeurs expliquent l’iniquité dont ils auraient été victimes aux par. 21 à 25 de leur mémoire :

[traduction] Les demandeurs ont fourni la preuve au décideur. Après avoir reçu les éléments de preuve demandés, le décideur a changé d’idée et a rejeté la demande, principalement parce que les demandeurs n’avaient pas fourni « suffisamment d’éléments de preuve » alors qu’ils avaient fourni tous les éléments de preuve que le décideur avait demandés.

 

Ils prétendent que cela est inéquitable sur le plan de la procédure et déraisonnable à première vue.  

 

Elle a effectivement donné l’occasion aux demandeurs de répondre à ses préoccupations, en demandant des documents, mais l’équité commande que tous les points à propos desquels elle croyait avoir besoin de plus de documents ou d’explications auraient dû être présentés aux demandeurs.

 

Il est avancé que de ne pas le faire, dans les circonstances, est simplement injuste.

 

[10]           Cet argument est sans fondement.

 

[11]           L’agente, dans une lettre datée du 9 février 2010 (soit quatre ans et demi après le dépôt initial de la demande CH), a écrit ce qui suit aux demandeurs :

[traduction] Pour pouvoir rendre une décision sur la dispense des exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, nous avons besoin de plus de renseignements, plus particulièrement :

 

Preuve d’emploi du parrain (y compris l’avis de cotisation 2008, les trois derniers talons de paie et les états bancaires des 6 derniers mois), une copie complète de votre passeport et de celui de votre conjointe, des renseignements sur les biens ou la résidence dont vous êtes propriétaires à Singapour, s’il y a lieu, et tout autre renseignement à jour que vous voulez fournir.

 

[12]           Dans une lettre datée du 23 février 2010, les demandeurs ont fourni les documents demandés et ont rédigé deux courts paragraphes qui étaient considérés comme des « renseignements à jour ».

 

[13]           L’argument des demandeurs selon lequel la demande de documents créait une attente légitime que les documents demandés seraient suffisants pour permettre au décideur de bien évaluer la demande est sans fondement. La lettre indique simplement qu’il est nécessaire d’obtenir ces documents avant de pouvoir rendre une décision – rien ne laisse croire que la décision devait être favorable. De plus, quand l’agente affirme que les demandeurs n’ont pas fourni « suffisamment d’éléments de preuve », elle ne dit pas qu’ils n’ont pas bien répondu à la demande de renseignements; elle dit plutôt que la preuve présentée par les demandeurs ne lui permettait pas d’arriver à la conclusion qu’ils souhaitaient. C’est ce qui ressort clairement de la lecture de cette phrase eu égard à l’ensemble de la décision : [traduction] « Cependant, les demandeurs n’ont pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour montrer qu’ils se sont établis, à un point tel qu’ils seraient exposés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou déraisonnables s’ils retournaient à Singapour ».

 

Caractère raisonnable de la décision

[14]           Rien n’indique que l’agente a négligé de prendre en considération des preuves pertinentes, mais les demandeurs prétendent (i) qu’il était illogique pour l’agente d’accorder de l’importance au fait qu’ils ont présenté une demande CH au lieu d’une demande de parrainage à partir de l’étranger étant donné que s’ils avaient présenté une telle demande, il n’y aurait aucun motif d’ordre humanitaire, (ii) que la conclusion de l’agente selon laquelle les difficultés n’étaient pas le résultat de circonstances échappant au contrôle des demandeurs était déraisonnable compte tenu que la séparation qu’ils devraient supporter pendant cinq ans, soit la durée du traitement de leur demande de parrainage, échappe à leur contrôle, (iii) que la conclusion de l’agente selon laquelle la situation n’était pas inhabituelle était déraisonnable parce que, bien qu’elle ait énuméré différents facteurs, l’agente ne s’est pas demandée si, dans l’ensemble, la situation était inhabituelle et elle n’a pas non plus tenu compte de la nature inhabituelle du travail de la fille des demandeurs, et (iv) qu’il était déraisonnable pour l’agente de conclure que les demandeurs seraient en mesure de subvenir financièrement à leurs besoins à Singapour alors qu’elle a conclu que la preuve ne suffisait pas pour démontrer que les demandeurs étaient établis au Canada.

 

[15]           Contrairement à ces observations, j’estime qu’il n’y a rien de déraisonnable dans la décision de l’agente. Elle appartenait aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47.

 

[16]           Plus précisément, il n’y avait rien de problématique dans les conclusions de l’agente selon lesquelles les demandeurs ont présenté une demande CH plutôt qu’une demande de parrainage à partir de l’étranger puisque ce fait est directement lié à la question de savoir si les difficultés qu’éprouveraient les demandeurs échapperaient à leur contrôle. La référence faite par l’agente aux circonstances échappant au contrôle des demandeurs se rapportait à la difficulté de quitter le Canada après y avoir vécu pendant cinq ans. Cela n’échappe pas au contrôle des demandeurs parce qu’ils ont décidé de vivre ici sans avoir le statut de résident permanent, mais avec des permis de visiteurs. 

 

[17]           L’agente a examiné les faits dans leur ensemble. Elle a énoncé expressément ce qui suit dans le dernier paragraphe de sa décision :

[traduction] J’ai tenu compte de tous les renseignements concernant la présente demande dans son ensemble. Après avoir examiné les motifs invoqués par les demandeurs pour justifier une exemption, et avoir soupesé l’ensemble de ces facteurs, je ne suis pas d’avis qu’il s’agit de difficultés inhabituelles et injustifiées ou déraisonnables.

 

[18]           L’agente n’a pas ignoré la nature inhabituelle du travail de la fille des demandeurs comme employée du Service correctionnel. Elle a reconnu que ce travail était extrêmement stressant et qu’elle devait faire des quarts de travail et des heures supplémentaires, mais a conclu que ces caractéristiques (pas le travail en soi) n’étaient pas inhabituelles.

 

[19]           Enfin, il était loisible à l’agente de conclure que les demandeurs pourraient subvenir financièrement à leurs besoins à Singapour et que leur établissement au Canada était insuffisant pour justifier une décision favorable. L’autonomie financière n’est qu’un aspect de l’établissement, qui ne représente qu’un aspect d’une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. 

 

[20]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé une question aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée et aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3433-10

 

INTITULÉ :                                       PENG CHOW LIM ET TAN HWEE CHIN c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee

 

                         POUR LES DEMANDEURS

Kareena R. Wilding

 

                               POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lee & Company

Avocats

Toronto (Ontario)

 

                           POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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