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Date : 20110216

Dossier : IMM‑3622‑10

Référence : 2011 CF 186

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 février 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

 

PATERNISE DIEUJUSTE‑PHANOR

ROCK DIEUJUSTE

JEAN ROLDY SAMEUL DIEUJUSTE

ANNE MEDJINE DIEUJUSTE

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE
L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision en date du 30 avril 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’ont ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni qualité de personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), parce que leurs demandes n’ont aucun lien avec l’un des motifs d’obtention du statut de réfugié au sens de la Convention et qu’ils ne sont pas personnellement exposés à un risque de persécution en Haïti.

 

FAITS

Contexte

[2]               La demanderesse principale, Paternise Dieujuste‑Phanor, est une citoyenne d’Haïti âgée de 47 ans. Elle travaillait à Haïti comme infirmière autorisée. Le second demandeur, Rock Dieujuste, est son mari. Il est citoyen haïtien et travaillait à Haïti comme professeur. Les deux autres demandeurs sont leurs enfants mineurs.

 

[3]               La demanderesse principale est arrivée au Canada avec ses deux enfants le 17 juillet 2008 et a présenté une demande d’asile. Son mari, le deuxième demandeur, l’a rejointe le 16 décembre 2008.

 

[4]               Dans l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels (FRP), la demanderesse principale a décrit trois incidents au cours desquels elle a été attaquée à Haïti :

1.      Lors des élections de 2006, un groupe d’hommes ont menacé la demanderesse principale pour la forcer à voter. Elle a refusé de voter en raison de sa religion. Elle n’a plus eu de contact avec ces hommes;

2.      Vers le mois de mai 2008, deux hommes se sont approchés de la demanderesse principale et lui ont dit qu’un patient était décédé parce qu’elle avait refusé de l’admettre à l’hôpital. La demanderesse principale ne se rappelait pas l’incident dont les hommes parlaient. Les hommes lui ont dit qu’un jour ils allaient revenir pour se venger;

3.      Le 30 mai 2008, les demandeurs mineurs ont été enlevés et une rançon a été exigée pour leur retour. La demanderesse principale et son mari ont réussi à réunir la somme exigée et leurs enfants leur ont été rendus en échange le lendemain. La demanderesse principale a signalé l’incident à la police et lui a demandé de garder le rapport secret. Néanmoins, la semaine suivante, elle a commencé à recevoir d’autres appels des mêmes ravisseurs, qui lui ont dit qu’ils allaient la tuer parce qu’elle était allée voir la police.

 

[5]               Par suite de ces menaces, les demandeurs se sont enfuis d’Haïti. La famille est d’abord allée aux États‑Unis (É.‑U.), où elle est demeurée pendant un mois avant de venir au Canada pour y présenter une demande d’asile. Le mari n’a pas accompagné sa famille au Canada mais est retourné en Haïti. Il a déclaré dans son FRP et dans son témoignage oral qu’il était retourné en Haïti parce qu’il avait un emploi là‑bas et qu’il voulait aider financièrement sa famille (il croyait qu’il ne pourrait trouver un emploi au Canada ou aux É.‑U.).

 

[6]               Le mari est retourné en Haïti le 1er août 2008. En septembre, il a commencé à recevoir des appels sur son cellulaire de personnes qui cherchaient son épouse. Ces personnes l’ont accusé de cacher son épouse et l’ont averti qu’ils allaient le tuer s’il ne leur disait pas où elle se trouvait. Par suite de ces menaces, le deuxième demandeur a quitté sa maison pour emménager chez son cousin, lequel habitait tout près. Très tôt le matin du 12 septembre 2008, le mari a entendu des coups de feu à proximité de sa maison. Plus tard ce matin‑là, il est passé devant chez lui et a vu que sa maison était criblée de balles. Il a signalé l’attaque à la police, laquelle a rédigé un rapport.

 

[7]               Par suite de l’attaque, le demandeur est déménagé dans une ville située à environ 15 kilomètres de là. Il a continué à recevoir des menaces par téléphone. Au début du mois de novembre, deux hommes l’ont aperçu près de l’école secondaire où il enseignait et lui ont crié qu’ils savaient désormais où le trouver. Le mari a décidé de s’enfuir d’Haïti.

 

[8]               Dans l’exposé circonstancié de son FRP, la demanderesse principale explique pourquoi elle craint de retourner en Haïti :

 

[traduction]

¶14.     J’ai peur, si je retourne dans mon pays, d’être tuée par les ravisseurs qui ont enlevé mes enfants, comme ils ont menacé de le faire. J’ai peur qu’ils enlèvent mes enfants de nouveau et que cette fois ils ne me soient pas rendus. Je ne crois pas que le gouvernement puisse me protéger. Pour toutes ces raisons, je demande le statut de personne à protéger.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[9]               Dans une décision rendue le 27 mai 2010, la Commission a rejeté les demandes d’asile des demandeurs parce qu’elle a conclu qu’il n’y avait aucun lien avec l’un des motifs de la Convention énoncés à l’article 96 de la Loi et qu’ils n’étaient pas personnellement exposés à un risque de persécution au titre de l’article 97 de la Loi.

 

[10]           La Commission a jugé que la demanderesse principale et son mari étaient crédibles. Elle a reconnu leur identité et a conclu que leurs témoignages oraux concordaient avec leurs FRP.

 

[11]           La Commission a conclu qu’il n’y avait aucun lien avec l’un des motifs de la Convention énoncés à l’article 96 de la Loi. Se fondant sur les décisions Rizkallah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 156 N.R. 1 (C.A.F.), et Cius c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1, la Commission a conclu que ni la richesse ni le statut de personne qui retourne en Haïti après un séjour à l’étranger ne permettent de constituer un groupe social au sens de la Convention. De plus, la Commission s’est demandé si la demanderesse principale ou sa fille pouvaient alléguer l’existence d’un lien en raison de leur sexe, mais, se fondant sur les décisions Soimin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 218, et Sermot c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1105, elle a conclu que leur crainte n’était pas fondée sur le sexe.

 

[12]           Enfin, la Commission a examiné l’argument des demandeurs selon lequel ils faisaient partie du groupe social [traduction] « des personnes au fait d’une complicité possible de la police dans des actes criminels ». La Commission a rejeté cette description d’un groupe social. Au paragraphe 10, la Commission a énoncé la règle de droit concernant les groupes sociaux visés par la définition dans la Loi :

¶10.     [...] En ce qui a trait à l’appartenance à un groupe social, la Cour suprême du Canada a établi trois catégories dans Ward[1] : les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable; les groupes dont les membres s’associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu’ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique. Le tribunal juge que le groupe social invoqué par le conseil ne correspond à aucune de ces trois définitions.

 

[13]           En ce qui a trait à un risque de persécution au titre de l’article 97 de la Loi, la Commission a conclu essentiellement que le risque auquel sont exposés les demandeurs est un risque auquel sont généralement exposées d’autres personnes en Haïti. Au contraire, se fondant sur les décisions Carias c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 602, au paragraphe 25, et Cius, précitée, au paragraphe 23, la Commission a déclaré que, selon les règles de droit, les demandeurs d’asile doivent être en mesure de démontrer qu’ils sont personnellement exposés à un risque non partagé par les autres habitants d’Haïti. La Commission a défini le risque auquel sont exposés les demandeurs comme un « risque d’enlèvement » et a conclu qu’il s’agissait d’un phénomène courant en Haïti :

¶13.     Le conseil a fait valoir que le risque d’enlèvement auquel la demandeure d’asile est exposée est un risque personnalisé, car la famille craint des ravisseurs en particulier. La preuve documentaire montre que les enlèvements constituent un phénomène courant en Haïti.

 

[14]           Se fondant sur les décisions Prophète c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331, au paragraphe 23, et Soimin, précitée, au paragraphe 16, la Commission a conclu ce qui suit au paragraphe 17 :

Après avoir examiné la preuve à la lumière de la jurisprudence, le tribunal est convaincu que la crainte des demandeurs d’asile d’être victimes d’enlèvement est une crainte ressentie généralement par d’autres personnes en Haïti. De ce fait, les demandeurs d’asile n’ont pas qualité de personne à protéger.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[15]           L’article 96 de la Loi garantit la protection des réfugiés au sens de la Convention :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a  well‑founded fear of  persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country

 

[16]           L’article 97 de la Loi garantit la protection des personnes qui seraient personnellement, par leur renvoi du Canada, exposées à une menace à leur vie ou au risque de peines cruelles et inusitées ou au risque d’être soumises à la torture :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[17]           Les demandeurs soulèvent les deux questions suivantes :

1.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en faisant abstraction de deux éléments de preuve fondamentaux qui contredisaient sa conclusion selon laquelle la demanderesse principale était exposée uniquement à un risque généralisé de persécution?

2.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne motivant pas suffisamment sa conclusion selon laquelle les demandeurs étaient exposés uniquement à un risque généralisé et n’ont pas qualité de personnes à protéger?

 

NORME DE CONTRÔLE

[18]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a statué, au paragraphe 62, qu’à la première étape du processus de contrôle judiciaire, la cour de révision « vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » : voir également Khosa c. Canada (MCI), 2009 CSC 12, les motifs du juge Binnie, au paragraphe 53.

 

[19]           La conclusion tirée par la Commission concernant la question de savoir si les demandeurs sont des personnes à protéger et s’ils sont exposés à un risque particularisé constitue une question mixte de fait et de droit et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : voir, par exemple, la décision que j’ai rendue dans Michaud c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 886, aux paragraphes 30‑31.

 

[20]           Lorsqu’elle doit déterminer si la décision de la Commission est raisonnable, la Cour doit s’attarder « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59.

 

[21]           La décision concernant la question de savoir si la Commission a suffisamment motivé la décision par laquelle elle a rejeté les demandes d’asile présentées par les demandeurs est une question d’équité procédurale et doit être correcte : Weekes c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 293, au paragraphe 17.

 

ANALYSE

Question 1 :    La Commission a‑t‑elle commis une erreur en faisant abstraction d’éléments de preuve qui contredisaient sa conclusion selon laquelle la demanderesse principale était exposée uniquement à un risque généralisé de persécution?

[22]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a fait abstraction d’éléments de preuve soumis par la demanderesse principale qui démontraient qu’elle risquait d’être enlevée parce qu’elle n’avait pas admis un patient à l’hôpital. À l’appui de cette allégation, les demandeurs soutiennent que la Commission disposait des deux éléments de preuve suivants dont elle n’a pas tenu compte :

1.      Des déclarations faites dans l’exposé circonstancié modifié du FRP de la demanderesse principale :

[traduction]

¶4. À l’hôpital, je travaillais habituellement la nuit. Un jour, vers le mois de mai 2008, alors que je faisais des courses, deux hommes m’ont abordée et m’ont dit qu’un jour je n’avais pas admis un patient à l’hôpital et qu’à cause de cela le patient était décédé. Ils m’ont dit qu’ils allaient revenir un jour pour se venger. Je ne me souvenais pas de la personne dont ils parlaient.

 

¶5.       [...] Le 30 mai 2008, vers 1 h 30, j’ai reçu un appel au travail sur mon cellulaire et l’appelant m’a dit de ne pas m’inquiéter si je ne voyais pas les enfants parce qu’il les avait. Il m’a dit qu’il savait que je travaillais à l’hôpital.

2.      Un certificat d’attestation du conseil d’administration de la 2e section communale de Belanger, commune des Verrettes, indiquant que la demanderesse principale avait signalé avoir été menacée par deux étrangers parce qu’elle n’avait pas admis un patient à l’hôpital où elle travaillait.

 

[23]           La demanderesse principale soutient que les demandeurs étaient directement ciblés par ces deux hommes parce qu’elle n’avait pas admis le patient. Par la suite, la demanderesse principale a reçu des menaces après avoir signalé l’enlèvement à la police. Après que la demanderesse principale et ses deux enfants se furent enfuis d’Haïti, le mari de la demanderesse principale a reçu des menaces et sa maison a été [traduction] « criblée de balles ». La Commission a fait référence au Formulaire de renseignements personnels au paragraphe 5 de sa décision, et elle a conclu que les demandeurs étaient crédibles. Par conséquent, les demandeurs soutiennent que la Commission n’a pas tenu compte du fait que le risque de persécution auquel était exposée la demanderesse principale lui était propre.

 

[24]           À l’audience, la Commission a invité le conseil à présenter ses observations concernant le risque personnel. Le conseil a formulé les observations suivantes à ce sujet :

[traduction]

Les demandeurs ne craignent pas un enlèvement aléatoire s’ils retournent en Haïti. Il ne s’agit pas d’un cas où ils seraient partis un certain temps et voudraient y retourner mais craindraient de constituer une cible tentante pour des ravisseurs. Ils craignent un groupe précis de ravisseurs qui ont déjà enlevé les enfants puis, à la suite de l’enlèvement, ont menacé de tuer la demanderesse et les deux enfants et ont ensuite non seulement proféré des menaces mais criblé de balles la maison où vivait le demandeur. Ils ont clairement démontré qu’ils n’avaient pas seulement un intérêt passager pour ces deux demandeurs.

(Dossier certifié du tribunal, p. 302)

 

 

 

[25]           La Commission n’a pas fait référence au témoignage de la demanderesse principale concernant les menaces qu’elle avait reçues parce qu’elle n’avait pas admis le patient. La Cour peut conclure que la Commission n’a pas examiné l’ensemble de la preuve lorsque cette dernière omet de mentionner des éléments de preuve contredisant ses conclusions. Voir la décision Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F.) (QL), 157 F.T.R. 35.

 

[26]           Dans la décision Aguilar Zacarias c. Canada (M.C.I.), [2011] CF 62, le juge Noël s’est exprimé ainsi au paragraphe 17 :

¶17 […] Parce que la crédibilité du demandeur n’était pas en cause, il incombait à la Commission d’apprécier rigoureusement le risque personnel auquel le demandeur était exposé afin de procéder à une analyse complète de sa demande d’asile au titre de l’article 97 de la LIPR. Il semble que le demandeur n’avait pas été pris pour cible de la même manière que n’importe quel autre marchand : il était menacé de représailles parce qu’il avait collaboré avec les autorités, qu’il avait refusé de se plier à la volonté du gang et qu’il connaissait les circonstances du décès de M. Vicente.

 

 

En l’espèce, la Commission ne s’est pas acquittée de son obligation d’analyser et d’évaluer pleinement le risque auquel étaient personnellement exposés les demandeurs. Tout comme le juge Noël l’a écrit, les demandeurs n’étaient pas ciblés au même titre que n’importe quelle autre personne en Haïti. Dans le cas des demandeurs, ils étaient exposés à des représailles parce que la demanderesse principale, une infirmière, n’a pas admis un patient qui est ensuite décédé et les ravisseurs voulaient se venger. Puis, lorsque la demanderesse principale a signalé l’enlèvement à la police, les ravisseurs ont de nouveau voulu se venger. Même après que la demanderesse principale et ses deux enfants eurent quitté Haïti, les ravisseurs ont continué à chercher à se venger sur le mari de la demanderesse principale, lequel est l’un des demandeurs devant la Commission. La Commission n’a fait référence à aucun de ces éléments de preuve dans sa décision.

 

[27]           Comme je l’ai dit dans la décision Melvin Alonso Cruz Pineda c. Canada (M.C.I.), 2011 CF 81, au paragraphe 39, lorsque la Commission a omis de faire référence à un rapport d’expert selon lequel le demandeur était désormais exposé à une menace plus grande par rapport à l’ensemble de la population, le fait de passer sous silence cet élément de preuve constituait une erreur susceptible de contrôle.

 

Question 2 :    La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne motivant pas suffisamment sa conclusion selon laquelle les demandeurs étaient exposés uniquement à un risque généralisé et n’ont pas qualité de personnes à protéger?

[28]           Les demandeurs soutiennent que les motifs de la Commission sont insuffisants parce que la Commission n’a pas appliqué la jurisprudence qu’elle cite aux faits particuliers de la demande d’asile présentée par les demandeurs. Les demandeurs soutiennent notamment que la Commission n’a pas expliqué pourquoi les éléments de preuve produits par les demandeurs ne démontraient pas l’existence d’un risque personnel auquel ne sont pas généralement exposés d’autres Haïtiens. En fait, les demandeurs soutiennent que la Commission n’a fait référence à aucun élément de preuve pour justifier cette conclusion. Au lieu de cela, l’analyse de l’article 97 qu’a faite la Commission ne comportait qu’un seul paragraphe :

¶17.     Après avoir examiné la preuve à la lumière de la jurisprudence, le tribunal est convaincu que la crainte des demandeurs d’asile d’être victimes d’enlèvement est une crainte ressentie généralement par d’autres personnes en Haïti. De ce fait, les demandeurs d’asile n’ont pas qualité de personne à protéger.

 

[29]           Dans l’arrêt VIA Rail Canada Inc. c. Canada (Office national des transports) (2000), [2001] 2 C.F. 25 (C.A.F.), le juge Sexton a énoncé, au paragraphe 22, la teneur de l’obligation de motiver la décision :

¶22.     On ne s’acquitte pas de l’obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion. Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l’examen des facteurs pertinents.

 

[30]           En l’espèce, la Commission a retenu, au paragraphe 13, le témoignage des demandeurs selon lequel « le risque d’enlèvement auquel [ils sont exposés] est un risque personnalisé, car la famille craint des ravisseurs en particulier ». La Commission a ensuite cité quatre décisions de la Cour. Dans la décision Carias, précitée, la Cour a statué que les demandeurs ne pouvaient prouver qu’ils étaient personnellement exposés à un risque en démontrant simplement qu’ils font partie d’un vaste groupe de personnes ciblées en raison de leur richesse. Dans la décision Cius, précitée, la Cour a statué que le risque de violence était un risque auquel tout le monde est confronté en Haïti et n’était pas propre au demandeur dans cette affaire. Les décisions Prophète et Soimin, précitées, vont dans le même sens.

 

[31]           Les motifs de la Commission n’indiquent pas clairement le lien entre ces décisions et le témoignage de la demanderesse principale selon lequel les ravisseurs l’avaient menacée en raison de l’incident à l’hôpital et parce qu’ils savaient qu’elle avait signalé l’enlèvement à la police, ni le lien avec le témoignage de son mari selon lequel des individus qui cherchaient la demanderesse principale l’ont contacté et menacé à plusieurs reprises après son retour en Haïti.

 

[32]           La Commission a commis une erreur en omettant d’examiner les faits particuliers de la demande d’asile présentée par les demandeurs dans le contexte du droit applicable.

 

QUESTION CERTIFIÉE

[33]           Les deux parties ont informé la Cour que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale qu’il conviendrait de certifier en vue d’un appel. La Cour est du même avis.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision en conformité avec les présents motifs.

 

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jenny Kourakos, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3622‑10

 

INTITULÉ :                                                   PATERNISE DIEUJUSTE‑PHANOR, ROCK DIEUJUSTE, JEAN ROLDY SAMEUL DIEUJUSTE, ANNE MEDJINE DIEUJUSTE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 7 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 16 février 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Heather Neufeld

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Me Peter Nostbakken

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Services juridiques communautaires du Sud d’Ottawa

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 



[1] Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689.

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