Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110218

Dossier : IMM-4014-10

Référence : 2011 CF 199

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 février 2011

En présence de monsieur le juge Barnes

 

ENTRE :

 

ZHEN TING SHI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Zen Ting Shi visant à faire annuler la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande d’asile.

 

Contexte

[2]               M. Shi a demandé l’asile peu de temps après son arrivée au Canada le 13 octobre 2007. Il a affirmé être entré au Canada au moyen d’un faux passeport de Singapour qu’il aurait remis à son passeur chinois à son arrivée. Au soutien de sa demande de protection, M. Shi a fait valoir qu’il avait été victime de persécution religieuse en raison de son appartenance à une église chrétienne clandestine.

 

[3]               Lorsque M. Shi a rempli son formulaire de renseignements personnels (FRP), il a indiqué seulement qu’il était entré au Canada au moyen d’un faux passeport de Singapour, dont il ne pouvait pas donner les détails. Il a aussi fait état de l’existence d’une carte d’identité de résident (CIR) et d’une fiche de ménage (hukou). M. Shi a dit que ces deux documents se trouvaient en Chine et qu’il allait les produire. Le FRP ne fait pas mention de l’existence d’un passeport chinois.

 

[4]               Le 10 novembre 2008, la Commission a écrit à M. Shi pour lui dire qu’il devait produire une CIR originale. Ce n’est qu’après qu’une date d’audition de sa demande d’asile par la Commission a été fixée que son FRP a été modifié afin qu’il y soit question de son passeport chinois. M. Shi prétendait qu’il ne connaissait pas les détails de ce passeport, mais qu’il pouvait le produire avec l’original de son certificat de naissance. Il s’est engagé à transmettre des copies complètes des deux documents par télécopieur dans les deux jours suivants et à fournir les originaux dans un délai de deux semaines. M. Shi prétendait également que sa CIR avait été saisie par les autorités postales chinoises, et il a produit un relevé de cette saisie.

 

[5]               L’audition de la demande d’asile de M. Shi a été ajournée afin de lui donner le temps de produire les pièces d’identité demandées. La Commission et le conseil de M. Shi lui ont expliqué l’importance de se conformer à l’engagement de produire ces documents dans le délai prévu. La Commission était manifestement et à juste titre préoccupée par le fait que tarder à produire les documents manquants pouvait rendre plus facile leur fabrication.

 

[6]               Lorsque l’audition a repris plus de trois mois plus tard, contrairement à ce qu’il avait promis, M. Shi n’avait pas produit des copies de ses pièces d’identité transmises par télécopieur. Il a plutôt produit une copie d’une seule page de son prétendu passeport chinois ainsi qu’un document qu’il disait être l’original de son certificat de naissance. Il a expliqué que son père n’avait pas un télécopieur à sa disposition et que, tout comme sa CIR, son passeport avait été saisi par les autorités postales chinoises quand son père avait essayé de l’envoyer au Canada.

 

Décision de la Commission

[7]               La Commission a conclu que M. Shi n’était pas crédible et elle a rejeté toute la preuve concernant son identité. Elle a aussi conclu que les documents qu’il avait produits pour démontrer qu’il était un ressortissant chinois n’étaient pas authentiques. Ces conclusions étaient fondées sur un certain nombre de problèmes relevés par la Commission au regard du témoignage et de la conduite de M. Shi, notamment :

a)                  le fait qu’il était invraisemblable que les parents de M. Shi, sachant que leur fils était recherché par le Bureau de la sécurité publique, aient dit aux autorités postales chinoises qu’ils expédiaient sa CIR au Canada;

b)                  la contradiction entre le relevé de la saisie effectuée par les autorités postales et la description faite par M. Shi de ce qui s’était passé au moment de la saisie de sa CIR;

c)                  le fait que, après avoir dit qu’il n’avait pas de certificat de naissance, M. Shi a déclaré que son certificat de naissance et son passeport chinois étaient en Chine et qu’il pouvait les obtenir;

d)                  le fait que M. Shi n’a produit ni sa CIR ni son passeport lors de la première audience de la Commission, même s’il était représenté par un conseiller juridique expérimenté et qu’il savait que la Commission exigerait les deux documents;

e)                  le fait que M. Shi a reproché à son conseil de ne pas l’avoir informé de l’importance de produire toutes les pièces d’identité disponibles, alors qu’il connaissait les directives de la Commission concernant la preuve de son identité;

f)                    la prétention de M. Shi selon laquelle il n’avait pas immédiatement demandé à ses parents de lui faire parvenir son passeport ou son certificat de naissance par la poste parce qu’un interprète lui avait dit que seule sa CIR était requise;

g)                  le fait que M. Shi n’a pas fait mention de l’existence de son certificat de naissance ou de son passeport chinois dans son FRP et son excuse selon laquelle il n’avait pas été informé qu’il devait le faire, en dépit de l’existence d’une directive écrite claire;

h)                  la déclaration faite par M. Shi dans son FRP au sujet de son faux passeport de Singapour et l’affirmation correspondante selon laquelle il ne possédait pas d’autre passeport – une erreur qu’il a imputée à l’interprète;

i)                    l’incapacité de M. Shi, à l’audition initiale, de donner le numéro de série ou les dates de délivrance ou d’expiration de son prétendu passeport chinois et son incapacité d’expliquer pourquoi il n’avait pas téléphoné à ses parents pour obtenir ces renseignements;

j)                    l’omission de M. Shi d’obtenir son certificat de naissance et son passeport chinois pendant plus de deux ans;

k)                  la rectification apportée tardivement à son FRP au sujet de l’existence de son certificat de naissance et de son passeport, après avoir dit que son FRP était complet et correct;

l)                    l’omission de M. Shi de produire sans tarder, comme promis, des copies télécopiées complètes de son certificat de naissance et de son passeport après l’ajournement de l’audition;

m)                le fait que M. Shi n’a produit une copie originale de son certificat de naissance que des semaines après la date à laquelle il avait promis à la Commission de le faire;

n)                  la production, par M. Shi, d’une copie d’une seule page de son passeport chinois des semaines après la date à laquelle il avait promis de produire une copie de tout le document à la Commission;

o)                  le fait que M. Shi n’a pas expliqué en temps voulu à la Commission pourquoi il n’avait pas respecté les engagements qu’il avaient pris en matière de production;

p)                  les explications non corroborées de M. Shi concernant le non‑respect de son engagement, selon lesquelles ses parents n’avaient pas accès à un télécopieur malgré le fait qu’ils vivaient dans une région urbaine de plusieurs millions d’habitants. M. Shi a ensuite fait valoir que son père était un homme peu instruit et qu’il ne pouvait pas demander à sa sœur de 21 ans, qui avait fait de bonnes études, de l’aider;

q)                  la contradiction entre l’engagement initial de M. Shi à obtenir des copies télécopiées et son témoignage subséquent selon lequel aucun télécopieur ne pouvait être utilisé;

r)                   le fait que M. Shi a jeté l’enveloppe dans laquelle son certificat de naissance aurait été envoyé au Canada;

s)                   l’omission de M. Shi de produire une preuve corroborant la prétendue saisie de son passeport chinois par les autorités postales;

t)                    le fait que des renseignements qui auraient dû figurer sur le prétendu certificat de naissance de M. Shi ne s’y trouvaient pas;

u)                  le fait que des renseignements qui auraient dû figurer sur le hukou ne s’y trouvaient pas;

v)                  les nombreux faux hukous en Chine;

w)                l’incapacité de M. Shi de fournir les renseignements attendus au sujet de l’importance du hukou en Chine et des nombreuses situations dans lesquelles il est utilisé pour avoir accès aux services offerts par le gouvernement.

 

[8]               Il ressort clairement des motifs de la Commission que celle‑ci n’a pas cru que M. Shi était un ressortissant chinois et que son omission de produire les pièces d’identité existantes et attendues permettait de penser qu’il n’était pas celui qu’il prétendait être. M. Shi affirme que la Commission a fondé sa décision sur des conclusions d’invraisemblance déraisonnables et sur un examen erroné de son certificat de naissance.

 

Question en litige

[9]               La Commission a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve relative à l’identité de M. Shi dans la mesure où l’évaluation qu’elle a faite de sa crédibilité n’était plus fiable ou raisonnable?

 

Analyse

[10]           Les questions soulevées par M. Shi en l’espèce ont trait à la façon dont la Commission a apprécié la preuve relative à sa crédibilité. C’est la norme de contrôle de la décision raisonnable qui s’applique à ces questions : voir Sun c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1255, au paragraphe 3.

 

[11]           M. Shi prétend que la Commission a agi de façon trop zélée et s’est fondée sur des hypothèses pour exprimer des doutes au sujet du fait que ses parents auraient révélé aux autorités postales chinoises qu’ils expédiaient sa CIR au Canada. M. Shi prétend également que la conclusion de la Commission selon laquelle il y avait une contradiction entre le relevé de la saisie par les autorités postales et son témoignage au sujet de la découverte de sa CIR était déraisonnable, car les deux versions pouvaient facilement être conciliées. De plus, il critique le fait que la Commission s’est appuyée sur l’absence des numéros d’identité de résident de ses parents sur son certificat de naissance. Selon d’autres éléments de preuve, le régime d’identification chinois des CIR a été créé après la naissance de M. Shi, de sorte que la Commission ne pouvait pas raisonnablement se fonder sur l’absence de ces renseignements pour conclure que le certificat de naissance de M. Shi n’était pas authentique.

 

[12]           Les critiques formulées par Mme Coulthard à l’égard des conclusions qui précèdent sont en partie fondées. Comme je l’ai dit dans Zheng c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 327, 343 FTR 247, au paragraphe 7, le fait qu’une personne ne veuille pas mentir aux autorités ne constitue pas habituellement une raison valable de douter de sa crédibilité. Je suis également d’accord avec elle lorsqu’elle dit que la Commission n’avait pas de raison d’être préoccupée par l’absence de renseignements relatifs à l’identité de résident sur le certificat de naissance de M. Shi, car elle disposait d’autres éléments de preuve dignes de foi démontrant que le régime des CIR a été mis en place plus tard en Chine. De plus, je souscrirais normalement à l’opinion du défendeur selon laquelle la Commission pouvait s’appuyer sur ce qu’elle considérait être une contradiction entre le relevé de la saisie effectuée par les autorités postales et la description de cet incident faite par M. Shi sur la foi du ouï‑dire. En l’espèce cependant, l’interprète a dit à la Commission, lors de l’audience, que le libellé du relevé ne permettait pas de conclure à une telle contradiction. Cette conclusion n’est donc pas étayée par la preuve.

 

[13]           Malgré les conclusions qui précèdent, le problème essentiel de la demande de M. Shi réside dans le fait que sa conduite et son témoignage contradictoire jetaient de tels doutes sur sa crédibilité qu’une évaluation plus favorable de ces éléments de preuve relativement peu controversés ne changerait rien à la situation. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne la préoccupation de la Commission concernant l’absence de données d’identité de résidence sur le certificat de naissance de M. Shi. Il s’agit seulement de l’un des sujets de préoccupation qui ont amené la Commission à conclure que le certificat de naissance de M. Shi était frauduleux.

 

[14]           Il incombait à M. Shi d’établir son identité en produisant des documents acceptables ou, à défaut, en expliquant de manière raisonnable pourquoi il n’avait pas ces documents : voir l’article 106 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2007, ch. 7. La Commission a donné à M. Shi toutes les chances d’établir son identité et de produire les documents qu’il disait pouvoir avoir facilement à sa disposition. L’excuse qu’il a donnée pour ne pas avoir transmis son passeport par télécopieur n’était pas du tout crédible et, comme son propre conseil l’a admis devant la Commission, [traduction] « un passeport est beaucoup plus difficile à fabriquer ».

 

[15]           Comme la juge Judith Snider l’a écrit dans Qiu c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 259, 176 ACWS (3d) 493, il est toujours loisible à la Commission de tirer des conclusions défavorables concernant la crédibilité si le demandeur a omis de produire des pièces d’identité fondamentales en l’absence de raisons impérieuses expliquant pourquoi ces documents n’ont pas pu être obtenus. C’est ce qui s’est passé en l’espèce. L’évaluation défavorable de la crédibilité de M. Shi par la Commission était amplement étayée par la multitude d’incohérences, d’omissions et d’invraisemblances contenues dans son témoignage, et il n’y a aucune raison de modifier cette conclusion dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

 

[16]           Aucune partie n’a proposé une question aux fins de certification et la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge


 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4014-10

 

INTITULÉ :                                       SHI c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Diane Coulthard

 

                                          POUR LE DEMANDEUR

Bradley Bechard

 

                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levine Associates

Avocats

Toronto (Ont.)

 

                                          POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ont.)

 

                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.