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Date : 20110218

Dossier : IMM‑3732‑10

Référence : 2011 CF 201

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 février 2011

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

JASKARAN SINGH DHALIWAL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Jaskaran Singh Dhaliwal demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SAI a confirmé une mesure d’exclusion prononcée par la Section de l’immigration, laquelle avait conclu que M. Dhaliwal avait présenté de façon erronée des faits importants, ayant contracté un mariage non authentique afin d’obtenir le statut de résident permanent au Canada.

 

[2]               À la fin de l’audience, j’ai fait savoir aux parties que la demande serait accueillie, car j’étais convaincue que M. Dhaliwal n’avait pas eu droit à une audience équitable devant la SAI. Cette conclusion repose sur les motifs qui suivent.

 

Analyse

[3]               Comme M. Dhaliwal prétend qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale, la Cour doit déterminer si la procédure suivie par la SAI satisfaisait au degré d’équité exigé eu égard à l’ensemble des circonstances : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43.

 

[4]               Comme l’avocat du ministre l’a dit, l’affaire reposait entièrement sur les dires de l’un et de l’autre. L’issue de l’instance devant la SAI dépendait entièrement de la crédibilité relative de M. Dhaliwal et de son ex‑épouse, Mme Mahli. Alors que Mme Mahli a témoigné assez longuement devant la SAI, M. Dhaliwal n’a pas eu une véritable possibilité d’exposer sa version de l’affaire devant la Commission.

 

[5]               M. Dhaliwal et Mme Mahli ont tous deux parlé, dans leur témoignage devant la Section de l’immigration, des circonstances entourant leur mariage et de la rupture de leur union. La Section de l’immigration a préféré le témoignage de Mme Mahli à celui de M. Dhaliwal.

 

[6]               Les audiences devant la SAI sont de nouvelles instances et ne se limitent pas à un examen de la preuve ayant justifié la mesure d’exclusion. Lorsque de nouveaux éléments de preuve sont produits en appel, la SAI doit examiner l’affaire dans son ensemble, y compris tous les nouveaux faits qui lui sont présentés : Kahlon c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 104, 7 Imm. L.R. (2d) 91 (C.A.F.).

 

[7]               M. Dhaliwal a comparu sans l’aide d’un conseil devant la SAI. Il a dit clairement au président de l’audience qu’il voulait témoigner étant donné qu’il était d’avis que tous les faits pertinents n’avaient pas été présentés à la Section de l’immigration. On ne lui a pas donné la possibilité de le faire.

 

[8]               Il ressort clairement de la transcription que le président du tribunal n’a tout simplement pas compris comment une partie qui se représente elle‑même peut témoigner devant la Commission sans qu’un avocat soit présent pour effectuer l’interrogatoire principal.

 

[9]               Lorsqu’il s’est présenté à l’audience, M. Dhaliwal s’attendait à ce que le membre de la Commission l’interroge. Bien que la preuve dont je dispose n’indique pas que M. Dhaliwal avait lu le guide d’information de la SAI, ce document indique clairement que l’appelant qui n’est pas représenté par un conseil peut demander au membre de la Commission de lui poser les questions qui lui permettront de trancher l’appel : voir Guide d’information – Marche à suivre pour tous les appels interjetés devant la Section d’appel de l’Immigration (SAI), au point 3(1).

 

[10]           Le président de l’audience a refusé d’interroger M. Dhaliwal, lui disant que [traduction] « [c]e n’est pas comme ça que ça marche » : transcription, à la page 4. Il a plutôt demandé à maintes reprises à M. Dhaliwal d’expliquer qui allait effectuer l’interrogatoire principal s’il témoignait. Comme M. Dhaliwal n’a pas pu donner une réponse satisfaisante à cette question, un autre sujet a été abordé, de sorte qu’il n’a jamais eu la possibilité de donner sa version des faits.

 

[11]           La Commission a ensuite mentionné dans sa décision que M. Dhaliwal « n’a pas été interrogé, étant donné qu’il avait choisi de se représenter lui‑même ».

 

[12]           Le président de l’audience n’a, à aucun moment, expliqué à M. Dhaliwal qu’il pouvait simplement témoigner, être assermenté et donner sa version des faits. M. Dhaliwal aurait bien sûr pu être contre‑interrogé ensuite par le conseil du ministre.

 

[13]           Il ne fait aucun doute que les parties qui se représentent elles‑mêmes peuvent poser des difficultés aux décideurs. Ceux‑ci doivent se garder de descendre dans l’arène ou d’agir comme le conseil de la partie non représentée. Les décideurs ont cependant l’obligation de faire en sorte que toutes les parties, y compris celles qui ne sont pas représentées par un conseil, aient droit à une audience équitable.

 

[14]           Dans Davids c. Davids, [1999] O.J. No. 3930, 125 O.A.C. 375, la Cour d’appel de l’Ontario a souligné que l’équité exige que les décideurs [traduction] « essaient de s’adapter au fait que les parties qui ne sont pas représentées par un avocat ne connaissent pas bien le processus afin de leur permettre de faire valoir leur point de vue » : au paragraphe 36.

 

[15]           Les décideurs ont l’obligation de faire en sorte que la partie qui se représente elle‑même comprenne la nature de l’instance et d’attirer son attention sur les éléments fondamentaux de la procédure : Wagg c. Canada, 2004 CAF 303, [2004] 1 R.C.F. 206 (C.A.F.), aux paragraphes 32 et 33. Ce n’est pas ce qui s’est passé en l’espèce. En fait, il semble que le président de l’audience ne comprenait pas lui‑même les options en matière de procédure qui sont à sa disposition lorsqu’une personne qui n’est pas accompagnée d’un conseil souhaite témoigner pour son propre compte.

 

[16]           De plus, il ressort clairement de la transcription que l’audience s’est déroulée de plus en plus mal après cette erreur initiale, commise au début de l’instruction. Le président de l’audience est intervenu à maintes reprises pendant que M. Dhaliwal contre‑interrogeait Mme Mahli. Il ne fait aucun doute que certaines de ces interventions étaient justifiées, mais, dans d’autres cas, elles ont empêché M. Dhaliwal de poser ce qui était nettement des questions pertinentes.

 

[17]           Le président de l’audience a aussi empêché M. Dhaliwal de réagir au témoignage de Mme Mahli. Selon lui, M. Dhaliwal n’avait pas le droit de produire une contre‑preuve en réponse au témoignage de Mme Mahli parce que, après avoir entendu ce témoignage, son propre témoignage serait [traduction] « vicié » : transcription, à la page 15.

 

[18]           Le conseil du ministre reconnaît que la SAI a commis une erreur en empêchant M. Dhaliwal de témoigner pour son propre compte et de répondre au témoignage de Mme Mahli. Il soutient cependant qu’au bout du compte, M. Dhaliwal a pu exposer sa version des faits à la Commission grâce à ses observations écrites et au témoignage qu’il avait livré devant la SAI.

 

[19]           Je ne partage pas cet avis.

 

[20]           La SAI disposait évidemment du témoignage livré par M. Dhaliwal devant la Section de l’immigration, mais ce dernier avait indiqué très clairement qu’il souhaitait le compléter. On l’a empêché de le faire.

 

[21]           En outre, la Commission dit explicitement, dans ses motifs, que tout élément de preuve que M. Dhaliwal a tenté de produire au moyen de ses observations écrites a été écarté par le président de l’audience. La décision indique que, « [d]ans ses observations écrites, l’appelant a essayé de réfuter davantage le témoignage de Mme Mahli; ce faisant, il a essayé à plusieurs occasions de produire de nouveaux éléments de preuve que le tribunal doit nécessairement ignorer […] » : au paragraphe 16, non souligné dans l’original.

 

[22]           Il ne fait donc aucun doute que M. Dhaliwal a été privé de certains des éléments les plus fondamentaux d’une audience équitable, à savoir le droit de produire une preuve pour son propre compte et le droit de répondre à la preuve présentée contre lui.

 

[23]           Je rejette l’affirmation du ministre selon laquelle on devrait considérer que M. Dhaliwal a renoncé à son droit de se plaindre du manque d’équité de son audience. Il ressort clairement de la transcription que M. Dhaliwal a constamment tenté de présenter sa preuve à la Commission et que celle‑ci l’a empêché de le faire. Il a essentiellement été forcé d’accepter les directives et les décisions du président de l’audience et de s’y conformer. Le principe de la renonciation ne s’applique pas dans ces circonstances.

 

[24]           Enfin, je rejette aussi la prétention du ministre selon laquelle, malgré les manquements à l’équité procédurale, il n’y a aucune raison de renvoyer l’affaire à la SAI puisque l’issue d’une nouvelle audience est prévisible.

 

[25]           En règle générale, un manquement à l’équité procédurale rend nulles l’audience et la décision qui en résulte : voir Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, [1985] A.C.S. no 78. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a mentionné que le droit à une audience équitable est « un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit ». Elle a ajouté qu’« [i]l n’appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d’hypothèses sur ce qu’aurait pu être le résultat de l’audition [si elle avait été équitable] » : au paragraphe 23.

 

[26]           Il y a une exception limitée à cette règle : un manquement à la justice naturelle peut ne pas être pris en compte [traduction] « lorsque le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir » : Mobil Oil Canada Ltd. et al. c. Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, [1994] A.C.S. n14, au paragraphe 53. Cela peut arriver, par exemple, lorsque les circonstances soulèvent une question de droit pour laquelle il existe une réponse inéluctable : au paragraphe 52. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

[27]           Comme je l’ai dit précédemment, la présente affaire repose entièrement sur les dires de l’un et de l’autre. Les versions de Mme Mahli et de M. Dhaliwal diffèrent sur un grand nombre d’aspects fondamentaux. La Section de l’immigration a préféré la version de Mme Mahli à celle de M. Dhaliwal. La SAI devra au bout du compte choisir entre ces deux versions contradictoires, mais seulement après que les deux parties auront eu une possibilité réelle et équitable de produire les éléments de preuve pertinents qu’elles souhaitent. Je ne peux pas dire à ce stade‑ci que l’issue de la procédure est connue.

 

Dépens

[28]           L’avocat de M. Dhaliwal soutient que les manquements à l’équité procédurale sont si graves en l’espèce qu’une ordonnance d’adjudication des dépens devrait être rendue en sa faveur.

 

[29]           Des dépens ne sont généralement pas accordés dans les instances en matière d’immigration qui se déroulent devant notre Cour. L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, prévoit que, « [s]auf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens ».

 

[30]           Le critère de l’existence des « raisons spéciales » est rigoureux et chaque cas dépend de ses faits particuliers : Ibrahim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1342, [2007] A.C.F. no 1734, au paragraphe 8.

 

[31]           Notre Cour a conclu que des raisons spéciales existaient lorsqu’une partie a agi de mauvaise foi ou d’une manière qui peut être qualifiée d’inéquitable, d’oppressive ou d’inappropriée : voir Manivannan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1392, [2008] A.C.F. no 1754, au paragraphe 51.

 

[32]           La Cour a toutefois aussi déjà considéré que des « raisons spéciales » existaient lorsqu’une conduite a prolongé inutilement ou de façon déraisonnable l’instance : voir, par exemple, John Doe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 535, [2006] A.C.F. no 674; Johnson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1262, [2005] A.C.F. no 1523, au paragraphe 26; Qin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1154, [2002] A.C.F. no 1576. À mon avis, c’est le cas en l’espèce.

 

[33]           Le simple fait qu’une demande de contrôle judiciaire présentée en matière d’immigration est contestée et que le tribunal est ensuite réputé avoir commis une erreur ne donne pas naissance à une « raison spéciale » justifiant l’adjudication des dépens. La présente affaire est toutefois exceptionnelle, à mon avis. Les manquements à l’équité procédurale commis en l’espèce sont si évidents et si graves que la demande de contrôle judiciaire n’aurait jamais dû être contestée.

 

[34]           Par conséquent, je suis convaincue que des raisons spéciales justifient l’adjudication des dépens en faveur de M. Dhaliwal. Si les parties ne peuvent pas s’entendre sur le montant des dépens, elles peuvent demander l’aide de la Cour.


 

JUGEMENT

 

                        LA COUR STATUE :

 

            1.         que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens. La décision de la SAI est annulée et l’appel de M. Dhaliwal est renvoyé à un tribunal de la SAI différemment constitué pour qu’une nouvelle décision soit rendue en conformité avec les présents motifs;

2.         que l’affaire ne soulève aucune question aux fins de certification.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3732‑10

 

 

INTITULÉ :                                                   JASKARAN SINGH DHALIWAL c.
LE MINISTRE DE
LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 16 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 18 février 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

Hadayt Nazami

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Brad Gotkin

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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