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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110224

Dossier : IMM-3823-10

Référence : 2011 CF 225

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 24 février 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

ESTANIEL DESIR

DESTROY DESIR

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Dans la présente demande de contrôle judiciaire visant une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), l’avocat des demandeurs, Me Sina Ogunleye, a signé et produit un exposé des arguments alléguant que le demandeur principal avait été arrêté, battu et torturé par la police nigériane. Dans l’exposé des arguments additionnel que Me Ogunleye a signé et produit auprès de la Cour, les mêmes allégations sont soulevées contre la police de Sainte-Lucie. Comme l’a reconnu Me Ogunleye lors de l’audience relative à la présente demande, ces allégations ne ressemblent en rien aux faits de l’affaire que la Commission avait examinés. Cela a eu pour effet d’induire la Cour en erreur relativement aux motifs pour accorder l’autorisation dans le cadre de la présente demande.

 

[2]               Le demandeur principal a demandé l’asile afin d’obtenir une protection contre son ex‑épouse et la famille de celle‑ci à Sainte-Lucie. Après leur séparation, il a été victime de diverses formes de harcèlement de la part de son ex-épouse et de la famille de celle-ci. La Commission a rejeté sa demande du fait qu’il n’y avait pas de lien entre celle-ci et les motifs prévus par la Convention au titre de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et que, en ce qui concerne la demande d’asile au titre de l’article 97, le demandeur principal n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

 

[3]               Dans le peu d’observations écrites produites par Me Ogunleye au nom des demandeurs, il est déclaré que [traduction] « la Commission s’est considérablement basée sur les inférences qu’elle a tirées des effets émotifs du demandeur lors de son témoignage durant l’audience, et elle a fondée sa conclusion défavorable quant à la crédibilité sur ce témoignage ». Rien ne vient étayer cette déclaration dans le dossier dont je dispose.

 

[4]               Lors de l’audition de la présente demande, Me Ogunleye a déclaré que la seule question en litige était de savoir si la Commission avait commis une erreur en concluant qu’il n’y avait aucun lien entre la demande des demandeurs et l’un des motifs prévus par la Convention. Il a soutenu que la Commission avait commis une erreur en ne concluant pas que le demandeur appartenait à un groupe social identifiable, soit les hommes maltraités par leur ex‑conjointe. Le défendeur s’est opposé à ce que cet argument soit avancé lors de l’audience, car il n’avait été formulé ni dans l’avis de demande des demandeurs, ni dans leur exposé des arguments. Je suis d’accord avec le défendeur que rien dans les documents produits par les demandeurs dans la présente instance ne donnait de préavis raisonnable à la partie adverse que cette question serait soulevée; je ne l’examinerai donc pas.

 

[5]               J’ai examiné la question de savoir si la Commission avait commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas de lien avec un motif prévu par la Convention. Bien qu’elle n’ait pas été abordée dans l’exposé des arguments des demandeurs, j’ai aussi examiné la question de savoir si la Commission avait commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

 

[6]               J’ai examiné ces questions selon la norme de la décision raisonnable, laquelle, a-t-on conclu, s’appliquait à des décisions semblables de la Commission sur des demandes d’asile : Gilbert c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1186, au paragraphe 18; Kalejova c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 252, au paragraphe 19; Sagharichi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 182 N.R. 398 (C.A.F.), au paragraphe 3. La Cour doit déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas de lien avec un motif prévu par la Convention?

 

[7]               Pour démontrer qu’une personne a la qualité de réfugié, il faut la preuve d’un lien clair entre elle et l'un des cinq motifs prévus par la définition de « réfugié au sens de la Convention » : Kang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1128, au paragraphe 9; Starcevic c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1370, aux paragraphes 10 et 12. Être une victime de crime ou d’une vendetta personnelle, comme en l’espèce, ne peut généralement pas établir un lien entre la crainte de persécution et les motifs prévus par la Convention : Kang, précitée, au paragraphe 10.

 

[8]               Comme dans Kang, précitée, où la demanderesse avait fondé sa demande d’asile sur une menace de mort de la part de son oncle, ou comme dans Starcevic, précitée, où la crainte alléguée du demandeur provenait de l’époux de son ex-épouse, le demandeur principal en l’espèce allègue avoir été la cible de divers actes criminels perpétrés par son ex-épouse et la famille de celle‑ci. Bien qu’ils soient regrettables, ces faits ne constituent pas un fondement pour présenter une demande d’asile, comme prévu par l’article 96 de la LIPR. La Commission a donc correctement conclu que, dans la situation des demandeurs, il n’y avait pas de lien avec un motif prévu par la Convention.

 

            La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas

            réfuté la présomption de la protection de l’État?

 

[9]               Il est présumé que l’État est en mesure d’offrir une protection adéquate à ses citoyens : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, au paragraphe 50. Le fardeau de réfuter cette présomption appartient au demandeur d’asile : Flores Carillo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636, aux paragraphes 17 à 19. Ce fardeau est directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l'État en cause : Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 143 D.LR. (4th) 532 (CAF), 206 N.R. 272, au paragraphe 5. Si on fait valoir que l’État est incapable d’assurer une telle protection, il faut alors fournir une preuve claire et convaincante de cette incapacité : Ward, précité, au paragraphe 50.

 

[10]           En l’espèce, la Commission a apprécié la preuve documentaire relative à la protection de l’État à Sainte-Lucie, tout en tenant compte du fait que des rapports signalaient une hausse du taux de criminalité et de la corruption au sein de la police. Néanmoins, la Commission a conclu que Sainte‑Lucie avait un système judiciaire fonctionnel et indépendant, et que l’État faisait des efforts pour renforcer son système de droit criminel, y compris la formation des forces policières. On a aussi rapporté que Sainte-Lucie était une démocratie parlementaire avec des élections libres et justes.

 

[11]           En l’espèce, la preuve du demandeur principal établissait un certain degré de protection de l’État. Après avoir été attaqué par le frère et le cousin de son ex-épouse, le demandeur principal est allé au poste de police pour rapporter l’incident. Les policiers sont immédiatement partis enquêter sur l’affaire. Bien qu’ils n’aient pas retrouvé les agresseurs, la Commission a raisonnablement conclu que les policiers avaient coopéré.

 

[12]           Une partie de la conclusion de la Commission, selon laquelle le demandeur principal n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État, était fondée sur le fait qu’aucune copie des rapports de police n’avait été produite avec sa demande. Lorsqu’on l’a interrogé à ce sujet lors de l’audience, le demandeur principal a expliqué qu’il avait payé un avocat à Sainte-Lucie afin qu’il puisse recevoir les rapports nécessaires. Il a déclaré qu’il avait envoyé l’argent par la voie de Western Union. Il y a bel et bien un reçu de Western Union au dossier, mais, comme l’a souligné à juste titre la Commission, celui-ci ne confirme ni la raison pour laquelle l’argent avait été envoyé, ni que la personne à laquelle on avait envoyé l’argent était un avocat. La Commission a raisonnablement conclu qu’il y avait d’autres moyens pour le demandeur principal de s’assurer d’obtenir la documentation nécessaire pour appuyer sa demande. Il était loisible à la Commission de tirer une inférence défavorable de l’omission du demandeur principal de produire des rapports de police.

 

[13]           J’estime que les conclusions de la Commission sont raisonnables et que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande sera rejetée. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée en vue de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

 

[14]           En conclusion, je souhaite souligner que, mis à part les erreurs de fait flagrantes mentionnées au tout début, la qualité de la représentation qu’ont reçue les demandeurs dans la présente affaire était inférieure à ce à quoi la Cour ou un client devrait s’attendre d’un membre du Barreau du Haut-Canada. La tentative de Me Ogunleye de justifier l’inadéquation du dossier produit auprès de la Cour, à savoir qu’il avait dû produire plusieurs demandes d’autorisation au moment où il préparait celle en l’espèce, est inacceptable. Il ne s’agissait pas ici d’un cas où un avocat étranger à l’historique de l’affaire aurait commis une légère erreur par inadvertance. Me Ogunleye était l’avocat des demandeurs lors de l’audience devant la Commission. Il avait un devoir face à ses clients et la Cour de s’assurer que les mémoires des faits et du droit qu’il avait produits étaient exacts.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3823-10

 

 

INTITULÉ :                                       ESTANIEL DESIR ET DESTROY DESIR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                                               

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 février 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Mosley

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 24 février 2011       

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sina Ogunleye                                                                          POUR LES DEMANDEURS

 

Mahan Keramati                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sina Ogunleye                                                                          POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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