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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110228

Dossier : T-1717-09

Référence : 2011 CF 232

Ottawa (Ontario), le 28 février 2011

En présence de madame la juge Bédard

 

ENTRE :

 

SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

 

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (le Syndicat), a entrepris des procédures visant à faire condamner la défenderesse, la Société canadienne des postes (la Société), pour outrage au tribunal en vertu des règles 466 à 469 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).

 

I. Le contexte

 

[2]               Les parties sont liées par une convention collective. En février 2004, le Syndicat a déposé un grief qui a été accueilli par l’arbitre André Bergeron. L’arbitre a rendu une première sentence arbitrale le 16 septembre 2008 et il en a rendu une seconde le 1er septembre 2009, après que le Syndicat l’eut saisi à nouveau pour qu’il complète sa première sentence.   

 

[3]               Le 21 octobre 2009, le Syndicat a déposé les deux sentences arbitrales en cause à la Cour conformément à l’article 66 du Code canadien du travail, L.R., 1985, ch. L-2, et à la règle 242 des Règles.

 

[4]               Estimant que la Société refusait de se conformer aux sentences arbitrales, le Syndicat a entamé les présentes procédures d’outrage au tribunal. Il a d’abord présenté une requête en vertu de la règle 467 des Règles pour l’obtention d’une ordonnance de justification visant la directrice des relations de travail de la Société. La Société a consenti à cette requête et le juge Beaudry a rendu une ordonnance enjoignant la directrice des relations de travail, Karen Casselman, à comparaître pour entendre la preuve à l’effet que la Société aurait désobéi aux sentences arbitrales de l’arbitre Bergeron et à être prête à présenter une défense.

 

[5]               Une première audition a eu lieu le 21 octobre 2010 à Ottawa. Il a été convenu dès le départ que le débat serait scindé en deux, que je trancherais d’abord la question de la culpabilité de la Société et qu’une seconde audition serait fixée pour traiter de la sanction si je concluais que la Société était coupable d’outrage au tribunal.

 

[6]               Après que le Syndicat eut terminé sa preuve, la Société a présenté une requête en non-lieu que j’ai rejetée dans l’ordonnance Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c Société canadienne des postes, 2011 CF 25. L’audition s’est poursuivie le 7 février 2011. La Société a choisi de présenter une défense et elle a fait entendre Mme Casselman.

 

[7]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Société n’est pas coupable d’outrage au tribunal.

 

II. Les sentences arbitrales fondant les procédures en outrage

 

[8]               Le Syndicat a déposé un grief dans lequel il alléguait que la Société avait contrevenu à la clause 37.01a) de la convention collective en modifiant la Politique relative aux indemnités payables aux fins de vacances annuelles aux employés travaillant dans des postes isolés (la Politique) sans obtenir son accord. Cette clause de la convention collective se lit comme suit :

37.01 Conditions non visées :

 

a) Les conditions de travail existantes concernant le paiement d’une prime, le paiement d’une indemnité ou le paiement d’un autre avantage financier qui ne sont pas prévues à la présente convention collective demeurent en vigueur jusqu’à ce que les parties en conviennent autrement.

 

b) Les parties à la présente convention collective tiennent des consultations significatives au sujet de tous changements envisagés dans les conditions d’emploi ou de travail qui ne sont pas traitées dans la présente convention collective.

 

 

[9]               Le Syndicat soutenait qu’avant 2004, la Politique était calquée sur la Directive du Conseil du Trésor sur les postes isolés (S-30) qui prévoyait notamment que les employés affectés à des postes isolés et les membres de leur famille bénéficiaient, à l’occasion de leurs vacances annuelles, d’une indemnité équivalente au prix d’un billet d’avion de classe économique sans restriction  (classe « Y ») pour une liaison aller-retour entre leur poste d’affectation et le grand centre urbain le plus près. Au terme de cette directive, les employés pouvaient appliquer l’indemnité au type de voyage de leur choix et ils recevaient le moins élevé des montants entre leurs dépenses réelles et le coût d’un billet de classe « Y ». Les employés pouvaient aussi bénéficier d’une avance de voyage.

 

[10]           Le Syndicat soutenait qu’en 2004, la Société avait modifié la Politique de sorte que les conditions qui y étaient maintenant prévues étaient moins avantageuses pour les employés, entre autres parce qu’elle ne prévoyait plus le versement d’une indemnité de voyage, mais plutôt le versement d’une allocation annuelle forfaitaire et que le montant de l’allocation était moins élevé que les indemnités que les employés recevaient jusqu’alors. À cet égard, le Syndicat prétendait que l’allocation était calculée sur la base du coût du billet d’avion le moins cher pour une liaison aller‑retour entre leur poste isolé et le centre urbain le plus près et non plus sur le coût d’un billet de classe « Y ». Comme la Société avait modifié la Politique sans son consentement, elle contrevenait à la clause 37.01a) de la convention collective.

 

[11]           La Société prétendait pour sa part que la Politique, telle qu’elle s’était toujours appliquée, correspondait non pas à la directive sur les postes isolés du Conseil du trésor (S-30), mais plutôt à la politique de la Société sur les déplacements des employés syndiqués (E-1) et qu’elle n’avait pas modifié la Politique, mais seulement simplifié son application.

 

[12]           Dans la sentence arbitrale du 16 septembre 2008, l’arbitre a accueilli le grief et rejeté les prétentions de la Société. Il a en outre déterminé que la Politique, dans sa version d’avant 2004, correspondait à la directive sur les postes isolés du Conseil du Trésor (S-30) et non à la politique sur les déplacements pour les employés syndiqués (E-1) et qu’en modifiant la Politique sans obtenir l’accord du Syndicat, la Société avait contrevenu à la clause 37.01a) de la convention collective.

 

[13]           Dans ses motifs, l’arbitre a reconnu que la Société avait le pouvoir de modifier la Politique au plan strictement administratif en passant d’un système de versement d’indemnités à un versement d’allocation forfaitaire, mais il a indiqué que cette « simplification » ne pouvait se traduire par une diminution des avantages financiers qui avaient jusqu’alors été accordés aux employés. Il a conclu que la Société avait modifié les conditions de travail prévues à la Politique de façon unilatérale, et ce, en contravention à la clause 37.01a) de la convention collective.

 

[14]           Dans le dispositif de la sentence, l’arbitre a ordonné à la Société de modifier sa politique pour tenir compte des deux éléments suivants : le droit des employés de recevoir pour eux-mêmes et leurs personnes à charge une indemnité correspondant au coût d’un billet d’avion de classe « Y » entre leur poste isolé et le centre urbain le plus près et le droit pour eux d’utiliser cette indemnité pour effectuer le voyage de leur choix, y compris un voyage tout compris. L’arbitre a également ordonné à la Société de rembourser aux employés les sommes qu’ils auraient dû recevoir si la Politique leur avait reconnu ces deux droits et il a réservé sa compétence sur les sommes dues en cas de mésentente.

 

[15]           La mise en œuvre de la sentence arbitrale a engendré un désaccord entre les parties. D’abord, les parties ne se sont pas entendues sur les sommes dues aux employés, mais ce désaccord n’est pas pertinent aux fins des procédures d’outrage puisque le débat se fait actuellement devant l’arbitre.

 

[16]           Un désaccord est également survenu relativement aux volets suivants de la Politique. Après que la sentence arbitrale eut été rendue, la Société a décidé de retourner à un processus de remboursement des dépenses selon un régime qui prévoyait que les employés auraient droit à une indemnité équivalente à la somme la moins élevée entre le coût d’un billet d’avion de classe « Y » et les dépenses réelles des employés calculées conformément à la politique de la Société sur les déplacements des employés syndiqués (E-1). Le Syndicat était en désaccord avec toute référence à la politique sur les déplacements des employés syndiqués (E-1). Il prétendait qu’avant 2004, les employés recevaient le moindre du coût du billet de classe « Y » ou de leurs dépenses réelles et que les dépenses réelles admissibles n’étaient ni assujetties, ni limitées par la politique sur les déplacements des employés de la Société (E-1). Le Syndicat reprochait également à la Société de ne plus permettre aux employés de recevoir des avances de voyage, alors que cette pratique était permise avant les modifications de 2004. Le Syndicat a demandé à la Société de modifier ces deux volets de la Politique, mais la Société a refusé.

 

[17]           Devant l’impasse, le Syndicat a de nouveau saisi l’arbitre et lui a demandé de compléter le dispositif de sa sentence du 16 septembre 2008 afin d’y ajouter une ordonnance qui enjoindrait la Société à modifier la Politique pour prévoir le droit des employés de recevoir une avance de voyage et pour éliminer la référence à la politique sur les déplacements des employés syndiqués (E‑1) dans le calcul des dépenses réelles. Au soutien de sa demande, le Syndicat invoquait que l’arbitre avait omis de se prononcer sur certaines questions soulevées par le grief et qu’il avait compétence pour compléter sa sentence. La Société s’est opposée à la demande en invoquant que l’arbitre était functus officio.

 

[18]            Dans la sentence arbitrale rendue le 1er septembre 2009, l’arbitre a accueilli l’objection de la Société et rejeté la demande du Syndicat. Il a par ailleurs pris soin de préciser qu’il n’avait pas à répondre aux questions soulevées par le Syndicat parce qu’il s’était déjà prononcé sur ces questions de façon implicite dans sa sentence du 16 septembre 2008. 

 

III. Analyse

 

[19]           Le Syndicat reconnaît qu’il doit prouver hors de tout doute raisonnable les trois éléments constitutifs de l’outrage soit : (1) l’existence de l’ordonnance, (2) la connaissance de l’ordonnance par la partie défenderesse et (3) le défaut délibéré de la partie défenderesse de se conformer à la sentence. Il admet aussi que la jurisprudence exige que l’ordonnance en cause soit claire, exécutoire et non ambiguë.

 

[20]           Il soutient par ailleurs que les principes suivants doivent guider la Cour dans son examen de l’ordonnance :

a.                   L’ordonnance doit être lue et interprétée comme un tout;

b.                  La Cour ne doit pas donner une interprétation restrictive à l’ordonnance;

c.                   La Cour doit tenir compte du contexte;

d.                  La partie visée par une ordonnance doit obéir à l’ordonnance et à son esprit.

 

[21]           Le syndicat appuie sa proposition sur Dursol-Fabrik Otto Durst GmbH Co. KG c Dursol North America Inc., 2006 FC 1115, 297 FTR 301 et Nadeau Ferme Avicole Ltée c Groupe Westco Inc., [2010] DTCC no 2 (disponible sur Quicklaw).

 

[22]           Il soutient que la sentence arbitrale du 16 septembre 2008 doit être interprétée en tenant compte de la sentence arbitrale du 1er septembre 2009 et qu’elle possède toutes les caractéristiques requises pour être l’objet d’un outrage au tribunal. Il soutient en outre que la sentence du 1er septembre 2009 a clarifié la portée de la sentence du 16 septembre 2008 et que la Société doit, pour s’y conformer, calculer le montant des indemnités en fonction des dépenses réelles encourues par les employés et leur permettre de bénéficier d’une avance.

 

[23]           Selon le Syndicat, comme la Société refuse délibérément de se conformer à la sentence arbitrale, elle doit être reconnue coupable d’outrage au tribunal. Le syndicat insiste qu’il n’a pas à prouver l’intention au sens où on l’entend en droit criminel et qu’en matière d’outrage, la preuve d’une désobéissance consciente, délibérée et qui ne doit pas être accidentelle suffit, ce qui, à son avis, est largement démontré en l’espèce. Il appuie ses prétentions sur Merck & Co. c Apotex Inc., 2003 CAF 234, 227 DLR (4th) 106, Louis Vuitton Malletier, S.A. c Bags O’Fun Inc., 2003 CF 1335, 242 FTR 75, Canadian Private Copying Collective v Z.E.I. Media Plus Inc., 2007 FC 858, 160 ACWS (3d) 267 et Canadian Private Copying Collective v Fuzion Technology Corp., 2009 FC 800, 349 FTR 303. 

 

[24]           La Société ne fait pas la même lecture de la portée de la sentence arbitrale. Elle soutient que la sentence du 1er septembre 2009 n’a rien ajouté à la sentence du 16 septembre 2008 et maintient qu’elle s’est conformée aux ordonnances émises dans la sentence du 16 septembre 2008. La Société soutient au surplus que la sentence arbitrale du 16 septembre 2008 est plutôt de nature déclaratoire qu’exécutoire et qu’elle est ambiguë. La Société invoque également que le Syndicat a utilisé la procédure d’outrage au tribunal pour exercer sur elle de la pression en vue d’accélérer le dénouement du litige relatif au quantum des dommages. J’écarte d’emblée cette accusation sérieuse que la preuve n’appuie pas.

 

[25]           La procédure d’outrage au tribunal est régie par les règles 466 à 469 des Règles. Les paramètres applicables à l’outrage civil sont bien établis par la jurisprudence. La procédure en outrage au tribunal est un processus très sérieux qui possède un caractère quasi pénal (Bhatnager c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 RCS 217, 71 DLR (4th) 84, ProSwing Inc. c Elta Golf Inc., 2006 CSC 52, [2006] 2 RCS 612). La partie qui invoque qu’une autre partie s’est rendue coupable d’outrage doit démontrer hors de tout doute raisonnable l’existence d’une ordonnance, la connaissance de l’ordonnance par la partie défenderesse et le défaut délibéré de la défenderesse de respecter l’ordonnance. La jurisprudence exige que la décision dont on invoque le non-respect ne soit ni ambiguë, ni purement déclaratoire (Telus Mobilité c Syndicat des travailleurs des télécommunications, 2004 CAF 59, 129 ACWS (3d) 76) [Telus Mobilité]).

 

[26]           Je considère que les sentences arbitrales n’ont ni la portée, ni le caractère exécutoire que leur prête le Syndicat, et ce, même si je les analyse en tenant compte du contexte, de la lettre et de l’esprit des sentences. Il est utile de reproduire le passage suivant de la sentence arbitrale du 16 septembre 2008 dans lequel l’arbitre résume sa pensée et discute de la preuve qui a été présentée :

[…]

[652]    En résumé, j’en viens donc à la conclusion que la Société avait droit, sur le plan strictement administratif, de simplifier la gestion des indemnités de voyage pour fins de vacances annuelles accordées aux employés travaillant dans un poste isolé, en remplaçant le processus jusque là utilisé par le versement d’une indemnité forfaitaire annuelle. En revanche, cette « simplification » ne devait pas, en vertu du paragraphe 37.01a) de la convention collective, se traduire par une diminution des avantages financiers accordés jusque là à ces employés. En l’espèce, la preuve a révélé que pour maintenir ces avantages, l’indemnité devait être équivalente au coût d’un billet d’avion de classe « Y », pour chaque employé et ses personnes à charge, pour un aller-retour entre son poste isolé et le grand centre urbain le plus près, à la date de son choix, et que l’employé devait avoir le droit d’appliquer cette indemnité au type de voyage de son choix, incluant les voyages tout compris, à partir du point de départ de son choix.

 

[…]

[27]           Dans ce paragraphe, l’arbitre énonce les deux principes suivants : (1) la Société pouvait modifier sa Politique au plan administratif, mais (2) cette modification ne pouvait avoir pour effet de réduire les avantages financiers dont les employés bénéficiaient jusqu’alors. Cet énoncé a une portée suffisamment large pour couvrir toute modification apportée à la Politique ayant entraîné une réduction des avantages financiers. L’arbitre a toutefois limité la portée de son énoncé en indiquant que la preuve avait révélé que deux éléments manquaient à la Politique pour préserver les avantages financiers dont bénéficiaient les employés : le droit à une indemnité équivalente au coût d’un billet de classe « Y » et le droit pour les employés d’appliquer l’indemnité sur le type de voyage de leur choix.  

 

[28]           Le dispositif de la sentence se lit comme suit :   

[653]    Pour tous ces motifs,

 

-           J’accueille le grief national n° N00-03-00005;

 

-           J’ordonne à la Société de modifier sa politique en matière d’indemnité de voyage pour fins de vacances annuelles afin de tenir compte :

 

·           du droit des employés travaillant dans les postes isolés de recevoir, pour eux-mêmes et leurs personnes à charge, une indemnité équivalant au coût d’un billet d’avion de classe « Y » (("Full Fare Economy Ticket") pour un aller-retour entre leur poste isolé et le grand centre urbain le plus près, à la date de leur choix;

 

·           du droit de ces employés d’utiliser cette indemnité pour effectuer le voyage de leur choix, incluant un voyage tout compris.

 

-           Je reconnais le droit de la Société d’effectuer sur ces indemnités les retenues imposées par la loi;

 

-          J’ordonne à la Société de rembourser aux employés travaillant dans les postes isolés, dans les quinze jours ouvrables suivant la date de la présente décision, toute somme à laquelle ces derniers auraient eu droit si la politique mise en place par la Société leur avait reconnu les droits susmentionnés, le tout portant intérêt au taux prévu par la loi;

 

-          Je conserve ma compétence sur les sommes dues, en cas de mésentente entre les parties.  

 

[29]           Le dispositif de la sentence est clairement limité aux deux volets mentionnés au paragraphe 652 de la sentence. L’arbitre a enjoint à la Société de modifier sa politique à deux égards précis : le droit à une indemnité équivalente au prix d’un billet de classe « Y » et le droit pour les employés d’utiliser cette indemnité pour faire le type de voyage de leur choix. Le dispositif ne contient aucune ordonnance de portée plus générale qui aurait, par exemple, ordonné à la Société de maintenir tous les avantages financiers qui découlaient de la Politique telle qu’elle s’appliquait avant 2004, ou encore, de restaurer la Politique dans sa version de 2004.

 

[30]           C’est précisément parce que la sentence arbitrale du 16 septembre 2008 ne prévoyait aucune conclusion à l’égard de ces deux volets que le Syndicat a demandé à l’arbitre de compléter sa première sentence.

 

[31]           Il est utile de reproduire le passage de la sentence arbitrale dans lequel l’arbitre énonce qu’il a déjà répondu implicitement aux questions soulevées par le Syndicat :

[…]

[32]      Si, comme le reconnaît la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Contrôle technique appliquée [sic] en citant le commentaire de M. le juge Paré, « les motifs sont considérés au même titre que le dispositif d’un jugement lorsqu’ils font corps avec le dispositif et qu’ils sont nécessaires à son soutien », je ne pourrais- si je faisais droit à la requête syndicale- que répéter ce que j’ai déjà dit dans ma décision.  

 

[33]      Avant les modifications qu’elle a apportées au régime d’indemnité de poste isolé en 2003, la Société – comme en fait foi le communiqué S-14 émis par M. Glen Driedger, gestionnaire responsable de la politique sur la rémunération – appliquait la « Directive sur les postes isolés » émise par le Conseil du trésor, si bien qu’en vertu du paragraphe 37.01a) de la convention collective, elle ne pouvait modifier les avantages financiers que procurait cette directive aux employés travaillant dans les postes isolés.

 

[…]

 

[Je souligne]

 

[32]           Avec respect, je considère qu’en refusant d’ajouter au dispositif de sa sentence du 16 septembre 2008, l’arbitre n’a pas apporté une solution complète au litige et il n’a pas étendu la portée exécutoire de sa sentence initiale. Il a bien indiqué qu’il estimait avoir répondu implicitement aux demandes du Syndicat et il a réitéré le principe qu’il avait déjà énoncé dans la sentence du 16 septembre 2008 à l’effet que les modifications apportées à la Politique ne pouvaient avoir pour conséquence de réduire les avantages financiers dont bénéficiaient les employés avant 2004. À mon avis, cette conclusion est essentiellement de nature déclaratoire et non exécutoire.

 

[33]           Je reconnais le principe énoncé par la Cour d’appel du Québec dans Contrôle Technique Appliqué ltée c Québec (Procureur général), [1994] RJQ 939, 47 ACWS (3d) 621, et sur lequel l’arbitre dit s’appuyer. Ce principe veut que les motifs d’un jugement puissent servir d’appui à un dispositif pour en comprendre la portée. Ces motifs peuvent servir d’appui à un dispositif, mais ils ne peuvent pas pour autant remplacer ou tenir lieu de dispositif.

 

[34]         Dans Telus Mobilité, la Cour d’appel fédérale a indiqué, au paragraphe 4, « [qu’]un constat d'outrage au tribunal ne peut s'appuyer sur une ordonnance judiciaire qui est ambiguë, ou sur une ordonnance qui est simplement déclaratoire. La conduite dictée doit être énoncée clairement dans l'ordonnance » (voir également : L.C.U.C. v Canada (Canada Post Corp.), 8 FTR 93, 2 ACWS (3d) 279, Syndicat canadien de la Fonction publique, local 4004 c Air Canada, 157 FTR 186, 84 ACWS (3d) 696, S.P.C. c Société Canadienne des Postes, 16 FTR 4, 8 ACWS (3d) 319).

 

[35]           En l’espèce, la sentence arbitrale du 16 septembre 2008 comportait un dispositif très clair qui ordonnait à la Société de modifier la Politique de façon très spécifique. Ce dispositif ne prévoyait rien quant à la façon de calculer les dépenses réelles ni quant au droit à une avance. Ce dernier élément aurait d’ailleurs été complètement incongru puisque l’arbitre a clairement reconnu le droit pour la Société de remplacer le régime de versement d’une indemnité par celui du paiement d’une allocation forfaitaire annuelle et que le concept d’avance est inapplicable dans le cadre d’un régime forfaitaire. 

 

[36]           En l’absence d’une ordonnance générale enjoignant à la Société de modifier sa politique de façon à préserver tous les avantages financiers découlant de la politique S-30, j’estime qu’il est impossible, même à la lecture de la sentence additionnelle du 1er septembre 2009, d’étendre la portée de la sentence arbitrale du 16 septembre 2008 pour en inférer que l’arbitre ordonnait aussi à la Société de modifier la Politique pour prévoir le droit des employés de recevoir une avance et de se faire rembourser leurs dépenses réelles. Ce serait à mon avis indûment ajouter à la sentence du 16 septembre 2008, ce que l’arbitre a lui-même refusé de faire en se déclarant functus officio.

 

[37]           L’arbitre a d’ailleurs reconnu la portée limitée de sa sentence du 16 septembre 2008 lorsqu’il a invité le Syndicat à déposer un grief :

[…]

[34]      Ces motifs sont ceux qui m’ont amené aux conclusions contenues dans ma décision du 16 septembre 2008 et si, comme le prétend le syndicat, l’employeur ne respecte pas cette directive et « les conditions de travail existantes concernant le paiement d’une prime, le paiement d’une indemnité ou le paiement d’un autre avantage financier qui ne sont pas prévues à la présente convention collective » [par. 37.01a)] qui s’y trouvent, il doit déposer un grief et non pas me demander chaque fois de compléter ma décision pour y inclure un nouvel aspect de la politique que, selon lui, l’employeur n’aurait pas respecté.

 

[…]

 

[Je souligne]

 

[38]         Les propos du juge Cattanach dans Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 529 c Central Broadcasting Co., [1977] 2 FC 78 (disponible sur Quicklaw), m’apparaissent tout à fait applicables en l’espèce :

[…]

58        […] Le fait de déposer et d'enregistrer devant cette Cour une ordonnance du Conseil vise à en assurer l'exécution par les brefs de cette Cour. Si on examine la question de façon réaliste, l'ordonnance, même après son dépôt devant cette Cour, reste l'ordonnance du Conseil. Or, l'ordonnance du Conseil est définitive et ne peut pas être mise en question ni révisée par un tribunal, si ce n'est conformément à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale; il n'entre donc pas dans les attributions d'un juge de la Division de première instance de la modifier pour la rendre exécutable. L'ordonnance du Conseil, même lorsqu'elle est déposée et enregistrée aux termes de l'article 123, reste intacte. […] Le tribunal compétent pour modifier une ordonnance du Conseil, c'est le Conseil lui-même. J'ai exprimé ce point de vue (auquel j'adhère toujours) à l'avocat de la requérante, à plusieurs reprises au cours de l'audition de la requête. Il n'appartient pas à la Division de première instance de deviner ce qui se cache sous le libellé de l'ordonnance, et de la modifier de façon à dire ce que le Conseil voulait dire, mais n'a pas dit. Un tel procédé équivaudrait à usurper les fonctions du Conseil.

 

[…]

 

82        Si cette Cour doit punir une personne pour ne pas avoir exécuté une ordonnance du Conseil qui, en vertu de l'article 123 du Code canadien du travail est devenue, après son dépôt et son enregistrement, une ordonnance de cette Cour aux fins d'exécution, cette ordonnance doit prescrire les actes à accomplir en termes clairs et non ambigus, ce que, pour les raisons que j'ai données, le Conseil a négligé de faire.

 

[…]

 

[39]           Le syndicat a soutenu que dans sa sentence du 1er septembre 2009, l’arbitre avait confirmé le caractère exécutoire de la sentence du 16 septembre 2008. Cela s’avère exact, mais le caractère exécutoire de la décision ne peut s’étendre au-delà de sa portée même. Le commentaire de l’arbitre était lui-même lié aux conclusions de la sentence du 16 septembre 2008 et à la compétence qu’il s’était réservé quant au quantum des dommages :

[…]

[35]      Quant à la décision que j’ai rendue le 16 septembre 2008, j’estime, à la lumière de la Directive sur les postes isolés (S-30) utilisée par la Société par le passé, qu’elle est parfaitement exécutoire et que si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur son application, elles n’ont qu’à me demander d’intervenir pour établir les sommes dues.

 

[…]

 

[40]           Pour l’ensemble de ces motifs, je considère qu’eu égard au droit des employés de bénéficier d’une avance et de se faire rembourser leurs dépenses de voyage sur la base de leurs dépenses réelles, les sentences rendues par l’arbitre Bergeron ne revêtent pas le caractère exécutoire requis pour donner lieu à un constat d’outrage au tribunal. Le caractère exécutoire de la sentence est limité aux ordonnances précises que l’on retrouve dans le dispositif de la sentence du 16 septembre 2008. Or, la preuve révèle que la Société s’est conformée aux ordonnances comprises dans ce dispositif.

 

[41]           Le dispositif de l’ordonnance n’incluait pas le droit à une avance et au remboursement des dépenses de voyage sur la base des dépenses réelles. L’arbitre a déclaré que la Société ne pouvait pas modifier les avantages financiers découlant de la Politique (dans sa version d’avant 2004), mais ce volet de la sentence est de nature déclaratoire. Je considère également que la sentence arbitrale du 1er septembre 2009 est ambiguë. L’arbitre renvoie à certains passages de la sentence du 16 septembre 2008 et il indique qu’il a déjà répondu implicitement aux questions soulevées par le Syndicat, mais il n’indique absolument pas s’il considère que la preuve a démontré qu’avant 2004, les employés avaient droit à une avance et que leurs dépenses réelles n’étaient assujetties à aucune limite. Il n’indique pas non plus s’il considère que ces deux éléments constituent des avantages financiers au sens de la clause 37.01a) de la convention collective. Tel qu’indiqué précédemment, il n’appartient pas à la Cour de compléter la sentence arbitrale ou de chercher ce que l’arbitre a voulu dire.

 

[42]           Le Syndicat n’a donc pas réussi à démontrer hors de tout doute raisonnable que les trois éléments constitutifs de l’outrage au tribunal avaient été remplis de manière à ce que la Société doive être condamnée.

 

[43]           La meilleure voie à suivre par le Syndicat pour faire déterminer si la Société contrevient toujours à la clause 37.01a) de la convention collective m’apparaît être l’arbitrage de grief, comme l’arbitre l’a d’ailleurs lui-même suggéré.

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la procédure en outrage au tribunal soit rejetée.

            Le tout avec dépens à la défenderesse.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

                                                                                                                   


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1717-09

 

INTITULÉ :                                       SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES

                                                            c.

                                                            SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 février 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       La juge Bédard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 28 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean-Marc Eddie

 

POUR LE DEMANDEUR

Nicola Di Iorio

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

PERLEY-ROBERTSON, HILL & McDOUGALL LLP/s.r.l.

Ottawa, Ontario

 

POUR LE DEMANDEUR

HEENAN BLAIKIE

Montréal, Québec

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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