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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20101216

Dossier : T-923-09

Référence : 2010 CF 1295

Montréal (Québec), le 16 décembre 2010

En présence de Me Richard Morneau, protonotaire

 

ENTRE :

 

LES UASHAUNNUAT (LES INNUS DE UASHAT ET DE MANI-UTENAM)

et

LE CHEF GEORGES-ERNEST GRÉGOIRE

et

LES CHEFS DE FAMILLES TRADITIONNELLES UASHAUNNUAT

ET LES FAMILLES TRADITIONNELLES UASHAUNNUAT ET LEURS MEMBRES

et

LA BANDE INNU TAKUAIKAN UASHAT MAK MANI-UTENAM

et

MIKE McKENZIE, RONALD FONTAINE, RAYMOND JOURDAIN,

JONATHAN McKENZIE,

TOMMY VOLLANT, JEAN-GUY PINETTE,

MARIE-MARTHE FONTAINE,

MARCELLE ST-ONGE

ET RÉJEAN AMBROISE

 

 

demandeurs

et

 

 

GAIL SHEA, EN SA QUALITÉ DE MINISTRE DES PÊCHES ET OCÉANS

et

JIM PRENTICE, EN SA QUALITÉ DE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT

 

 

défendeurs

 

et

HYDRO-QUÉBEC

et

LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

 

 

 

intervenantes

 

 

 

ET

 

 

 

Dossier : T-957-09

 

 

LES UASHAUNNUAT (LES INNUS DE UASHAT ET DE MANI-UTENAM)

et

LE CHEF GEORGES-ERNEST GRÉGOIRE

et

LES CHEFS DE FAMILLES TRADITIONNELLES UASHAUNNUAT

ET LES FAMILLES TRADITIONNELLES UASHAUNNUAT ET LEURS MEMBRES

et

LA BANDE INNU TAKUAIKAN UASHAT MAK MANI-UTENAM

et

MIKE McKENZIE, RONALD FONTAINE, RAYMOND JOURDAIN,

JONATHAN McKENZIE,

TOMMY VOLLANT, JEAN-GUY PINETTE,

MARIE-MARTHE FONTAINE,

MARCELLE ST-ONGE

ET RÉJEAN AMBROISE

 

 

demandeurs

et

 

 

JOHN BAIRD, EN SA QUALITÉ DE MINISTRE DES TRANSPORTS, DE L’INFRASTRUCTURE ET DES COLLECTIVITÉS

 

 

défendeur

 

et

 

 

HYDRO-QUÉBEC

 

 

 

intervenante

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               Il s’agit en l’espèce dans les dossiers T‑923‑09 et T‑957‑09 (qui se trouvent réunis de par une ordonnance datée du 2 septembre 2009) d’une requête des défendeurs en radiation partielle d’allégués que l’on retrouve aux avis de demande de contrôle judiciaire qui furent déposés par les demandeurs en juin 2009 dans chacun des dossiers (les Demandes).

[2]               Les défendeurs se trouvent être le ministre des Pêches et des Océans (le ministre des Pêches) ainsi que le ministre de l’Environnement dans le dossier T‑923‑09 et, dans le dossier T‑957‑09, le ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités (le ministre des Transports).

[3]               Pour les fins des présentes, les deux intervenantes, Hydro-Québec et la Procureure générale du Québec, épousent les vues des défendeurs.

[4]               Suivant les défendeurs, l’attaque portée dans les Demandes à l’encontre de décisions de mai 2009 des défendeurs d’approuver sous diverses lois fédérales le Projet hydroélectrique la Romaine (le Projet la Romaine) contient également une attaque indirecte, voire quelque peu plus directe dans le cas du dossier T‑923‑09, à l’encontre d’une décision d’août 2005 (la décision d’août 2005).

[5]               Par cette décision, il fut décidé aux termes de l’article 15 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37, telle qu’amendée (la LCÉE), que pour les fins d’évaluation environnementale, la portée du Projet la Romaine ne viserait pas les lignes de transport électrique.

[6]               Suivant l’argument central des défendeurs, vu que cette décision d’août 2005 ne fut point attaquée par une demande de contrôle judiciaire entreprise dans le délai de trente (30) jours du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, telle que modifiée, cette décision doit être vue comme finale et valide. En conséquence, la portée du Projet la Romaine ne saurait plus de trois (3) années plus tard être remise en cause dans le cadre des Demandes. Ainsi, toutes les allégations et conclusions aux Demandes qui vont en sens contraire se devraient, dès à présent, d’êtres radiées.

[7]               Bien que les défendeurs puissent ultimement avoir gain de cause sur cet aspect lors de l’audition au mérite des Demandes, je n’entends toutefois pas accueillir la présente requête interlocutoire des défendeurs et me rendre aux radiations recherchées puisque, pour les motifs qui suivent, je ne considère pas qu’il s’agit ici aux yeux de la jurisprudence pertinente d’un cas exceptionnel.

Contexte

[8]               Pour les fins des présentes, je n’entends pas écarter la preuve soumise par les défendeurs et Hydro-Québec dans le cadre de la requête puisque la dynamique soulevée par les défendeurs se centre sur le respect du délai du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales et non sur une attaque impliquant de façon centrale une analyse, en tant que telle, du fondement ou caractère méritoire des allégués et motifs soulevés par les demandeurs. Partant, je n’entends pas retenir l’énoncé suivant émis par la Cour dans l’arrêt Amnesty International Canada c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1147 (CanLII), paragraphe 30 :

[30]      Par analogie avec le processus prescrit par les Règles des Cours fédérales à propos de la radiation des déclarations, en règle générale aucune preuve ne peut être produite dans le cadre d’une requête en radiation d’un avis de demande. En outre, il faut tenir pour avérés les faits allégués par le demandeur dans l’avis de demande : Addison & Leyen Ltd. et al, précité, au paragraphe 6.

[9]               Je n’entends pas également écarter cette preuve, en tout ou en partie, pour tout autre motif soulevé par les demandeurs.

[10]           Quant au contexte factuel du présent dossier, l’on sait que vers mars 2004, l’intervenante Hydro-Québec, qui se trouve être le promoteur, avise qu’elle entend procéder à la construction de quatre centrales hydroélectriques sur la rivière Romaine dans la province de Québec.

[11]           La réalisation de ce projet nécessitait l’octroi préalable de certaines approbations fédérales, soit, d’une part, la délivrance d’une autorisation aux termes du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F‑14 et, d’autre part, la délivrance d’approbations aux termes du paragraphe 5(2) de la Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. 1985, ch. N‑22 (ci-après collectivement les approbations fédérales).

[12]           Conformément à l’alinéa 5(1)d) de la LCÉE, une évaluation environnementale dudit projet devait être effectuée aux termes de cette loi avant l’octroi des approbations fédérales.

[13]           En août 2005, suite à diverses consultations, le ministre de l’Environnement prenait une décision aux termes de l’article 15 de la LCÉE. Plus précisément, le ministre déterminait la portée du projet à l’égard duquel l’évaluation environnementale devait être effectuée.

[14]           Il ressort que cette décision d’août 2005 fut rendue publique le ou vers le 14 septembre 2005 et indiquait que la portée du Projet la Romaine ne comprenait pas le projet de raccordement. En d’autres termes, l’évaluation environnementale dudit projet ne porterait pas également sur les lignes de transport électrique.

[15]           Par la suite, le Projet la Romaine, tel que circonscrit, fit l’objet d’une étude d’impact et cette étude fut par après l’objet d’un examen par une Commission d’examen conjoint.

[16]           Le 13 mai 2009, conformément à l’alinéa 37(1)a) de la LCÉE, et conformément à l’agrément du gouverneur en conseil, le ministre des Transports et le ministre des Pêches décidaient qu’ils pouvaient exercer leurs attributions à l’égard du Projet la Romaine parce qu’ils estimaient que la réalisation dudit projet n’était pas susceptible d’entraîner des effets négatifs importants sur l’environnement.

[17]           Le ministre des Pêches et le ministre des Transports ont par la suite délivré les approbations fédérales (la Cour croit comprendre que les demandeurs remettent partiellement en question cette chronologie. Toutefois, cet aspect ne présente pas de véritable pertinence pour les fins du présent débat et ne sera pas exploré ici davantage).

[18]           Dans les Demandes, les demandeurs soutiennent que les approbations fédérales de mai 2009 ne sont pas valides en raison, entre autres motifs, que de telles approbations ne pouvaient être ultimement données en l’absence d’une évaluation environnementale effectuée conformément à la LCÉE.

[19]           Or soutiennent les demandeurs, l’évaluation environnementale effectuée en l’espèce n’est pas conforme à la LCÉE puisque la scission entre la production d’énergie et le transport d’énergie est contraire aux exigences de la LCÉE. Suivant les demandeurs, la production et le transport d’énergie sont deux composantes indissociables d’un même et unique projet. Ils soutiennent donc que les défendeurs n’ont pas fait l’évaluation environnementale d’une composante intégrale et cruciale de l’ensemble du Projet la Romaine.

Analyse

[20]           Bien que l’on ait écarté ci-avant au paragraphe [8] un certain énoncé de l’arrêt Amnesty International, la Cour néanmoins dans cet arrêt cite la décision de la Cour d’appel fédérale dans David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1994] A.C.F. no 1629, 176 N.R. 48, pour rappeler les grands principes régissant les requêtes en radiation logées à l’encontre de demandes de contrôle judiciaire.

[21]           Aux paragraphes [22] à [29] de l’arrêt Amnesty International, la Cour indique ce suit :

Les principes juridiques régissant les requêtes en radiation

[22]      Les demandes de contrôle judiciaire sont censées être des procédures sommaires et les requêtes en radiation d’un avis de demande ajoutent considérablement au coût et au temps que requiert l’examen de telles questions.

[23]      En outre, comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1994] A.C.F no 1629, le processus de radiation est plus facile à exécuter dans le cadre d’une action que dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, car il existe de nombreuses règles régissant les actions qui requièrent des actes de procédure précis quant à la nature de la demande ou de la défense et aux faits sur lesquels la demande est fondée. Il n’y a pas de règle comparable qui régisse les avis de demande de contrôle judiciaire.

[24]      En conséquence, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer qu’il est nettement plus risqué pour un tribunal de radier un avis de demande de contrôle judiciaire qu’un acte de procédure classique. Par ailleurs, dans le cas d’une demande de contrôle judiciaire, par opposition à une action, des questions d’ordre économique différentes entrent en jeu. C’est-à-dire que les demandes de contrôle judiciaire ne comportent pas d’enquête préalable ni d’instruction – mesures qu’une radiation permet d’éviter dans les actions : David Bull, au paragraphe 10.

[25]      Par contraste, l’audition complète d’une demande de contrôle judiciaire se déroule en grande partie de la même façon qu’une requête en radiation de l’avis de demande, c’est-à-dire sur la foi des preuves par affidavit produites et des arguments invoqués devant un juge de la Cour.

[26]      C’est la raison pour laquelle la Cour d’appel fédérale a statué qu’il n’y a pas lieu de radier une demande de contrôle judiciaire avant la tenue de l’audience sur le fond, à moins que la demande soit « manifestement irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie ».

[27]      La Cour d’appel fédérale indique de plus que « [c]es cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations […], où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l’avis de requête » : David Bull, au paragraphe 15.

[28]      À moins qu’une partie requérante puisse satisfaire à cette norme fort stricte, « le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d’instance qu’elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l’audition de la requête même » : David Bull, au paragraphe 10. Voir aussi Addison & Leyen Ltd. c. Canada, 2006 CAF 107 (CanLII), [2006] A.C.F no 489, 2006 CAF 107, au paragraphe 5, inf. pour d’autres motifs par 2007 CSC 33 (CanLII), [2007] A.C.S. no 33, 2007 CSC 33.

[29]      Si le critère est aussi strict, c’est qu’il est habituellement plus efficace pour la Cour de traiter d’un argument préliminaire à l’audition de la demande de contrôle judiciaire elle-même, plutôt que sous la forme d’une requête préliminaire : voir les commentaires de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Addison & Leyen, au paragraphe 5.

[Je souligne.]

[22]           Les mêmes principes de l’arrêt David Bull Laboratories avaient également été rappelés en avril 2000 par la juge Dawson, alors membre de notre Cour, en début d’analyse aux paragraphes [33] à [37] de l’arrêt La Municipalité régionale de Hamilton-Wentworth c. Le ministre de l’Environnement et al. 187 F.T.R. 287, (l’arrêt Hamilton-Wentworth).

[23]           Cet arrêt est des plus instructif puisqu’il présente une dynamique se rapprochant de la situation dans le présent dossier. En effet, cet arrêt implique la LCÉE ainsi que l’interrelation qui peut exister entre diverses décisions prises sous son égide, et ce, dans le cadre également d’une requête en radiation logée par les défendeurs au motif que la demande de contrôle judiciaire soulevait alors – tout comme ici – des moyens et des réparations se rapportant à des décisions qui n’avaient pas été attaquées dans le délai de trente (30) jours du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales. Au paragraphe [38] de sa décision, la Cour indique :

[38]      La requête en radiation des défendeurs était fondée sur le fait que les parties contestées de la demande soulevaient des moyens et visaient à l'obtention de réparations se rapportant à des questions qui n'étaient pas visées par la décision du 5 juillet 1999, mais qui étaient visées par des décisions antérieures prises plus de 30 jours avant la date à laquelle la demande a été présentée dans l'instance initiale.

[24]           Cet extrait se comprend davantage lorsque l’on prend connaissance des paragraphes [20] à [22] où la juge Dawson rappelle la décision arrêtée par le protonotaire; décision qu’elle renversera :

[20]      L'ordonnance du protonotaire avait pour effet de limiter la portée de l'instance initiale à l'examen de la décision par laquelle le ministre de l'Environnement avait nommé les membres de la commission d'évaluation et avait fixé le mandat de la commission. Ce faisant, le protonotaire a dit que la Cour a compétence pour rejeter en totalité ou en partie dans des circonstances exceptionnelles une demande de contrôle judiciaire dans le cadre d'une requête préliminaire.

[21]      Le protonotaire a retenu la prétention des défendeurs qui étaient d'avis que la décision par laquelle le ministre des Pêches et des Océans avait demandé au ministre de l'Environnement, le 4 mai 1999, de soumettre le projet à une commission d'évaluation et la décision par laquelle le ministre de l'Environnement avait soumis le projet à une commission d'évaluation le 6 mai 1999, étaient des décisions distinctes de la décision qui avait été prise le 5 juillet 1999 en vue de nommer les membres de la commission d'évaluation et de fixer le mandat de cette commission. Il a convenu que chaque décision pouvait faire l'objet d'un contrôle judiciaire.

[22]      Le protonotaire a statué que seule la décision du 5 juillet 1999 avait été contestée dans le délai de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, dans sa forme modifiée. En l'absence d'une ordonnance accordant une prorogation de délai, le contrôle judiciaire de décisions antérieures n'était plus possible.

[25]           Le cœur de l’analyse de la Cour débute aux paragraphes [39] et [40]. La Cour note alors qu’une attaque fondée sur le non respect du délai imparti, ici le délai du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, ne sera accueillie en radiation qu’exceptionnellement. La Cour s’exprime comme suit :

[39]      Je tiens à faire remarquer que même dans les actions où, comme la Cour d'appel l'a dit dans l'arrêt David Bull Laboratories, supra, il est beaucoup plus facile de procéder à la radiation, un moyen de défense fondé sur la prescription n'est pas suffisant pour permettre la radiation d'une déclaration, mais qu'il convient plutôt d'invoquer ce moyen dans une défense. Par analogue [sic], lorsqu'une instance est engagée au moyen d'une demande, toute question d'application d'un délai de prescription devrait habituellement être débattue à l'audition de la demande plutôt que dans le cadre d'une requête en radiation.

[40]      Cela ne veut pas dire qu'une demande qui a été présentée en dehors du délai imparti ne pourrait jamais être radiée, mais à mon avis, pareille radiation ne serait effectuée qu'exceptionnellement.

[Je souligne.]

[26]           Il est à noter au passage que ce dernier extrait de l’arrêt Hamilton-Wentworth sera repris par après à au moins deux autres occasions, soit en 2006 et 2007, alors que la Cour était appelée à évaluer le respect du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales dans le cadre d’une requête en radiation (voir John McKellar Charitable Foundation v. Canada (Canada Revenue Agency), 2006 FC 733 et Jazz Air LP c. Administration portuaire de Toronto, 2007 CF 624).

[27]           Revenant à son analyse dans Hamilton-Wentworth, la Cour résume par après les arguments de la demanderesse et établit que la possibilité que ces arguments soient fondés font que la requête en radiation se devait d’échouer.

[28]           Les paragraphes [41] à [46] illustrent l’approche de la Cour :

[41]      En l'espèce, afin de déterminer que les parties contestées de la demande ont été invoquées en dehors du délai, la Cour devrait rejeter l'argument de la demanderesse selon lequel la lettre que le MPO lui a envoyée le 25 juillet 1998, la lettre que le ministre des Pêches a envoyée au ministre de l'Environnement le 4 mai 1999 et le communiqué de presse du 6 mai 1999 (et j'ajouterais la décision dont fait état le communiqué de presse) sont des mesures préalables à la constitution d'une commission et à l'octroi de la compétence nécessaire au moyen d'un mandat. La demanderesse affirme que pareil argument est fondé sur l'arrêt Krause c. Canada, supra, de la Cour d'appel fédérale et applique le raisonnement qui y est fait, à savoir que, dans des circonstances comme celles-ci, les mesures visant à assurer l'exécution de décisions antérieures peuvent faire l'objet d'un examen. La demanderesse se fonde également sur la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Alberta Wilderness Association et al. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (1998), 238 N.R. 88 (C.A.F.).

[42]      La Cour devrait également rejeter l'argument concernant la continuité du processus dont la demanderesse cherche à saisir la Cour. La demanderesse soutient que la lettre par laquelle le ministre des Pêches recommandait la constitution d'une commission d'évaluation, l'annonce du ministre de l'Environnement selon laquelle le projet serait soumis à une commission et la décision du ministre de constituer une commission et de lui conférer la compétence nécessaire forment ensemble [TRADUCTION] « un processus continu » , par lequel on applique la LCEE au projet. Étant donné que la LCEE prévoit une série de mesures à prendre à l'égard d'un projet, les mesures prises par les divers ministres sont [TRADUCTION] « davantage de la nature d'un processus continu » influant sur les droits légaux de la demanderesse. Par conséquent, le raisonnement que cette cour a fait dans la décision Puccini c. Canada (directeur général, Services de l'administration corporative, Agriculture Canada), 1993 CanLII 2973 (C.F.), [1993] 3 C.F. 557 (1re inst.) s'applique. Autrement dit, la demanderesse affirme que tant qu'elle ne savait pas quel genre d'organisme examinerait le projet, qui serait nommé et ce qui serait examiné, le renvoi à la commission n'était pas légalement complet.

[43]      Aux fins de la présente requête, il n'est pas nécessaire, ou il n'est pas approprié, de tirer une conclusion au sujet du bien-fondé final de ces arguments.

[44]      Dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, il suffit que je conclue qu'il est possible que la demanderesse ait gain de cause, et c'est ce que je conclus. Il ne s'agit pas d'un cas exceptionnel justifiant la radiation de certaines parties de l'avis de demande. De plus, je remarque que la radiation de certaines parties de la demande n'aiderait pas la Cour à régler les questions constitutionnelles qui se poseraient encore, après la radiation de certaines parties de la demande.

[45]      Puisque j'ai conclu qu'il ne s'agit pas ici d'un cas exceptionnel, j'accueillerai l'appel interjeté contre l'ordonnance radiant certaines parties de la demande initiale et je rejetterai en outre l'appel incident.

[46]      Pour plus de certitude, je tiens également à faire remarquer que cette décision ne limite ou ne restreint aucunement le droit des défendeurs de soutenir devant le juge qui entendra la demande que certaines parties de la demande ont été présentées en dehors du délai imparti et qu'elles devraient être rejetées par ce seul motif, ou d'invoquer la renonciation et le retard, arguments qui ont ici été avancés au cours de la présente audience.

[Je souligne.]

[29]           Le dossier dont était saisie la juge Dawson s’est retrouvé à être entendu au mérite conjointement avec d’autres dossiers. C’est toutefois également la juge Dawson qui fut chargée de cette étude.

[30]           Elle se saisit alors vraisemblablement à nouveau des mêmes arguments des défendeurs qu’elle avait rejetés en 2000 et formule les principes suivants :

[62]      Ce qui est fondamentalement contesté, à titre préliminaire, c'est la question de savoir si les dispositions du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale empêchent de contester les décisions des 4 et 6 mai 1999 et s'il est possible, compte tenu du retard, de soulever les questions invoquées par la Région au sujet de l'applicabilité de la LCEE.

[…]

[66]      Le fait que les exigences légales doivent être satisfaites et que l'omission de contester une mesure antérieure ne change rien à ces exigences a été reconnu par la Cour d'appel dans l'arrêt Alberta Wilderness Association c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1999] 1 C.F. 483 (C.A.F.).

[67]      Je conclus en outre que, comme l'a soutenu la Région, la réparation primordiale qui est sollicitée vise à empêcher la commission d'effectuer l'examen. Les demandes se rapportent à des actes accomplis et envisagés visant à donner effet à la décision antérieure de faire procéder à un examen par la commission. Conformément au principe que la Cour d'appel a énoncé dans l'arrêt Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.F.), les mesures de mise à exécution sont susceptibles de révision.

(Hamilton and District Chamber of Commerce c. Canada (Ministre de l’environnement), T‑1400‑99, 24 avril 2001, 2001 CFPI 381 (CanLII) (ci-après l’arrêt Hamilton)

[Je souligne.]

[31]           C’est fort de ce qui est exprimé dans les arrêts Hamilton-Wentworth et Hamilton que les demandeurs soutiennent dans leurs représentations écrites en opposition à la requête en radiation à l’étude que :

107.     Par conséquent, suivant ce raisonnement en l’espèce, la continuation du processus d’évaluation environnementale du Projet et les autres étapes qui ont eu lieu depuis la scission illégale du Projet n’ont pas eu l’effet de remédier à cette illégalité. La scission du Projet en violation de la LCEE ne peut donc pas être présumée valide.

108.     De plus, les demandeurs peuvent utiliser la scission illégale du Projet comme motif, entre autres, de contestation des décisions fédérales autorisant le Projet compte tenu que toutes les exigences de la LCEE n’ont pas été respectées. Le fait que les demandeurs n’auraient pas contesté antérieurement la scission illégale du Projet ne change rien à la nécessité de procéder à une évaluation environnementale conforme à la LCEE comme condition essentielle de la délivrance d’autorisations par les défendeurs.

[…]

114.     Ainsi, en l’espèce, les demandeurs peuvent invoquer la scission illégale du Projet comme motif de contestation dans le cadre de leurs demandes de contrôle judiciaire des décisions fédérales autorisant le Projet considérant que ces autorisations mettent en exécution la scission illégale du Projet.

[Soulignement des demandeurs.]

[32]           Même si l’on reconnaît que la décision d’août 2005 est éloignée non pas de quelques mois mais bien de plus de trois (3) années des approbations fédérales de mai 2009, que tous les joueurs impliqués connaissaient dès lors, soit en août ou septembre 2005, cette décision, que bon nombre des participants favorables au Projet la Romaine ont progressé en fonction de la portée du Projet telle qu’alors circonscrite et que ce ne serait que vers novembre 2008 que les demandeurs auraient laissé connaître leur désaccord quant à la portée du Projet la Romaine, je ne puis néanmoins écarter à ce stade-ci qu’il soit possible que les arguments des demandeurs puissent prévaloir au mérite. Partant, il ne n’agit pas ici d’un cas exceptionnel. En rejetant la requête des défendeurs, j’adopte mutatis mutandis l’approche et la réserve de droits énoncées par la juge Dawson aux paragraphes [43] à [46] de sa décision dans Hamilton-Wentworth  (voir supra le paragraphe [28] pour le texte de ces paragraphes).

[33]           Cette conclusion à mon avis demeure inchangée malgré la décision de cette Cour dans l’arrêt Citizens’ Mining Council of Newfoundland and Labrador Inc. c. Canada (Minister of The Environment), 1999 CanLII 7759 à laquelle les défendeurs ont fait référence à l’audition de la requête. Ils ont alors plus particulièrement attiré l’attention de la Cour aux paragraphes [46] à [50] de cette décision.

[34]           Toutefois, à mon avis, la Cour à ces paragraphes ne fait qu’édicter qu’une décision touchant la portée d’un projet peut – et non pas doit – faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire et que l’on n’agit pas de façon prématurée si une telle attaque est logée.

[35]           Il faut noter de plus que cette conclusion fut tirée lors de l’audition au mérite de l’affaire – et non lors d’une requête interlocutoire.

[36]           Somme toute, cet arrêt ne répond pas carrément à l’approche et aux arguments soulevés par les demandeurs ici. Dans cet ordre d’idées et afin d’accorder à l’arrêt Citizens’ Mining la place qui lui revient (et ce, sans vouloir toutefois faire place à la règle 221 des Règles des Cours fédérales (les règles) qui s’applique aux actions,) on peut reprendre une image retenue récemment par le juge Hughes de notre Cour dans l’arrêt Apotex v. Pfizer Ireland Pharmaceuticals, 2010 FC 968, au paragraphe [18] :

[18]      I find, as Sharlow J. did, that the matters raised in the Statement of Defence at issue here have not been squarely raised previously and that the matter is not sufficiently “plain and obvious” as would warrant that they be struck out. (…)

[Je souligne.]

[37]           D’autre part, le fait que la présence de la décision d’août 2005 ou la façon dont elle est identifiée contreviendraient, entre autres, aux règles 301 ou 302 ne sont pas dans le cas particulier qui nous occupe des circonstances militant en faveur d’une radiation ou la prise de quelques autres mesures interlocutoires. Toute inobservation de ces règles est forcément le corollaire de l’inclusion dans le débat par les demandeurs de la décision d’août 2005. Encore ici, la situation devra, s’il y a lieu, être portée à l’attention du juge au mérite.

[38]           De même, la Cour ne saurait ici accorder aux défendeurs les remèdes subsidiaires qu’ils réclament aux paragraphes a) à d) se retrouvant au bas de la page 4 et haut de la page 5 de leur avis de requête puisque les octroyer reviendrait dans une très large mesure à faire droit à la radiation recherchée en remède principal.

            AINSI, IL Y A LIEU D’ÉMETTRE L’ORDONNANCE SUIVANTE :

1.                  La requête en radiation partielle des défendeurs ainsi que tout remède subsidiaire y inclus sont rejetés, le tout frais à suivre.

2.                  Quant à la poursuite du dossier, les parties verront à se conformer à ce qui est prévu à l’ordonnance du 28 mai 2010 à cet égard, à moins, et cela pourrait très bien se comprendre, que les parties de façon consensuelle en arrive à soumettre à la Cour le ou avant le 15 janvier 2011 un projet d’ordonnance conjoint contenant en termes de date(s) pour les toutes prochaines étapes un échéancier moins contraignant.

 

 

« Richard Morneau »

Protonotaire

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑923‑09

 

INTITULÉ :                                       LES UASHAUNNUAT (LES INNUS DE UASHAT ET DE MANI-UTENAM) ET AL.

                                                            et

                                                            GAIL SHEA, EN SA QUALITÉ DE MINISTRE

                                                            DES PÊCHES ET OCÉANS ET AL.

 

 

DOSSIER :                                       T-957-09

 

INTITULÉ :                                       LES UASHAUNNUAT (LES INNUS DE UASHAT ET DE MANI-UTENAM) ET AL.

                                                            et

                                                           JOHN BAIRD, EN SA QUALITÉ DE MINISTRE

                                                           DES TRANSPORTS, DE L’INFRASTRUCTURE

                                                           ET DES COLLECTIVITÉS ET AL.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               8 décembre 2010

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE PROTONOTAIRE MORNEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      16 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

James O'Reilly

Gary Carot

Morgan Kendall

Franklin Gertler

 

POUR LES DEMANDEURS

Éric Gingras

Stéphanie Dépeault

Ilfrid Raymond

Adrian Vockeroth

 

POUR LES DÉFENDEURS

Julie Cousineau

Sophie Prégent

 

POUR L’INERVENANTE

HYDRO-QUÉBEC

Stéphanie Lisa Roberts

 

POUR L’INTERVENANTE

LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

O’Reilly & Associés

Franklin Gertler Étude légale

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

Lavery

Montréal (Québec)

POUR L’INTERVENANTE

HYDRO-QUÉBEC

 

Bernard, Roy

Montréal (Québec)

POUR L’INTERVENANTE

LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

 

 

 

 

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