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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110307

Dossier : IMM-3083-10

Référence : 2011 CF 268

Toronto (Ontario), le 7 mars 2011

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

ZINASH GETAHUN DESALEGN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET  DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse cherche à faire annuler une décision en date du 8 avril 2010 par laquelle le Premier secrétaire du Haut-commissariat du Canada au Kenya a refusé la demande de résidence permanente présentée par Mme Desalegn pour des raisons d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, 2001, ch. 27 (la LIPR). La demande est présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[2]               Le 9 juin 2009, le répondant de la demanderesse, son mari, a obtenu un visa d’immigrant canadien dans le cadre du programme de réinstallation des réfugiés. Le répondant avait été admis au Canada le 11 août 2009, date à laquelle il avait acquis la résidence permanente. Il n’a révélé l’existence du mariage qu’il avait contracté le 9 avril 2009 avec la demanderesse ni au moment de la réception de son visa au Kenya ni au point d’entrée au Canada. Ce n’est qu’en novembre 2009,  lorsqu’il a voulu parrainer la demande de résidence permanente au Canada de la demanderesse, qu’il a fini par révéler son mariage.

 

[3]               Le Haut-commissariat du Canada au Kenya a rejeté la demande de parrainage en vertu de l’alinéa 117(9)d) of Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) (le Règlement), qui prévoit que l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier n’est pas considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial. L’alinéa 117(9)d) est ainsi libellé :

117. […]

 

Restrictions

 

(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

[…]

 

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

117.

 

Excluded relationships

 

(9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

 

[…]

 

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

 

 

[4]               Ainsi que le juge Martineau le reconnaît dans le jugement David c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2007 CF 546, l’exclusion prévue à l’alinéa 117(9)d) du Règlement est très stricte. Le ministre peut toutefois, en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 25 de la LIPR, qui permet d’accorder une exception pour des raisons d’ordre humanitaire, alléger les conséquences de l’application de l’article 117 dans le cas des auteurs de demandes de résidence permanente. De fait, l’existence du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 25 de la LIPR est indissociable de la constitutionnalité de l’alinéa 117(9)d) du Règlement (De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655). 

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

 

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

 

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

 

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

[5]               Quatre principes régissent le contrôle judiciaire de la décision en l’espèce. Premièrement, la décision d’accorder une exception pour des raisons d’ordre humanitaire est une décision très discrétionnaire, que la Cour ne peut revoir que si elle conclut que ce pouvoir discrétionnaire a été exercé de manière déraisonnable. Deuxièmement, bien qu’elle soit discrétionnaire, la décision de rejeter une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire doit être suffisamment motivée par son auteur. Troisièmement, c’est au demandeur qu’il incombe d’invoquer des facteurs ou des considérations qui justifient l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire en sa faveur. Enfin, pour que l’article 25 de la LIPR ait un sens, l’auteur de la décision ne peut se contenter de citer l’article 117 du Règlement et d’évoquer les objectifs de principe qu’il sous-tend; il doit tenir dûment compte des considérations d’ordre humanitaire avancées par le demandeur. 

 

[6]               En conséquence, la Cour doit répondre aux quatre questions suivantes : La décision du Premier secrétaire était-elle raisonnable? Le Premier secrétaire a-t-il motivé suffisamment son rejet de la demande? La demanderesse a-t-elle invoqué des facteurs ou des considérations qui auraient fait en sorte que l’exercice du pouvoir discrétionnaire en sa faveur n’aurait pas été déraisonnable? Le Premier secrétaire a-t-il examiné les conséquences de l’application de l’article 117 du Règlement?

 

[7]               En l’espèce, le répondant de la demanderesse a invoqué deux facteurs qui étaient censés justifier un exercice favorable du pouvoir discrétionnaire : en premier lieu, le répondant ne comprenait pas l’anglais et, en second lieu, il n’était pas au courant de son obligation de révéler l’existence de son mariage et il n’avait pas l’intention de manquer à cette obligation. Le Premier secrétaire a estimé que ces deux facteurs ou considérations n’étaient pas suffisants pour justifier l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder une exception sur le fondement de raisons d’ordre humanitaire prévu à l’article 25. Devant notre Cour, les débats ont porté principalement sur ce dernier aspect.

 

[8]               Ainsi que le juge Pelletier le fait observer dans le jugement Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1906, au paragraphe 26, la procédure applicable aux demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire qui est prévue à l’article 25 de la LIPR « n'est pas destinée à éliminer les difficultés; elle est destinée à accorder une réparation en cas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives ». Or, dans le cas qui nous occupe, si l’on fait abstraction des deux explications avancées par le répondant de la demanderesse, aucune autre raison n’a été invoquée par le répondant qui aurait forcé le Premier secrétaire à tenir compte des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » que la demanderesse ou son répondant pourraient subir en raison de l’application de l’article 117 du Règlement.

 

[9]               Les motifs exposés par le Premier secrétaire constituaient une réponse aux facteurs et aux considérations soulevés par la demanderesse et cette réponse était suffisante pour qu’on puisse considérer comme raisonnable sa décision de refuser la demande présentée par la demanderesse sur le fondement de raisons d’ordre humanitaire. Les notes versées au Système de traitement informatisé des dossiers de l’immigration (STIDI) font elles-mêmes état de la pénurie de renseignements communiqués au sujet du lieu où se trouvait la demanderesse, de sa situation économique, des circonstances qui l’avaient amenée à habiter avec quelqu’un, de l’identité de cette personne et de la question de savoir si elle était à charge de son répondant. Bref, la demanderesse souhaite que le pouvoir discrétionnaire soit exercé en sa faveur en faisant valoir que son répondant n’avait pas l’intention de violer l’article 117 du Règlement. Le Premier secrétaire relève par ailleurs qu’à au moins deux reprises, le répondant aurait pu révéler l’existence de son mariage mais ne l’a pas fait. La présente espèce se distingue d’autres affaires comme l’affaire Hurtado c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2007 CF 552, dans laquelle l’agent n’avait pas examiné les facteurs invoqués par le demandeur pour justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire en sa faveur, ou l’affaire Odicho c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1039, dans laquelle l’agent s’était contenté de répéter l’objet visé par le paragraphe 117(9) du Règlement et n’avait pas tenu compte des conséquences de la séparation sur les enfants.

 

[10]           Dans le cas qui nous occupe, il y avait peu de considérations – voire aucune ‑ dont on pouvait tenir compte pour justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire et pour déterminer si la demanderesse ou son répondant étaient susceptibles de faire face à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Bien que l’ignorance de la loi par le répondant et le fait qu’il n’avait pas l’intention de la violer constituent des facteurs dont on peut tenir compte, ils ne peuvent, à eux seuls et sans autres motifs complémentaires, constituer des raisons qui commandent l’exercice du pouvoir discrétionnaire en faveur de la demanderesse comme cette dernière le souhaite. La demanderesse soutient essentiellement que son répondant n’était pas au courant de son obligation de révéler son mariage, ajoutant qu’il n’avait pas l’intention de violer la loi. Le Premier secrétaire a tenu compte de ce facteur mais ne l’a pas retenu. L’ignorance de la loi et l’absence d’intention de la violer ne sont jamais considérés comme des arguments convaincants dans la jurisprudence anglo-canadienne.

 

[11]           La présente demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

 

[12]           La présente affaire ne soulève pas de question à certifier.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire. Aucune question à certifier n’a été proposée et la présente affaire n’en soulève aucune.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 


Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                         IMM-3083-10

 

INTITULÉ :                                        ZINASH GETAHUN DESALEGN c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                le 14 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 7 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul VanderVennen

POUR LA DEMANDERESSE

 

Margherita Braccio

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VanderVennen Lehrer

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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