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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110308

Dossier : IMM-3722-10

Référence : 2011 CF 269

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

 

SHAMIKA SHONETTE RYAN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision du 5 mai 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n’a qualité ni de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). La demande est présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR. Pour les motifs exposés ci‑après, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.  

 

[2]               La demanderesse s’est enfuie de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines en 2008 pour se rendre au Canada. Elle allègue avoir fui son pays en raison de la violence de son ancien petit ami, un policier, qui était jaloux de ses autres amis de sexe masculin. La demanderesse est arrivée au Canada le 8 juillet 2008 et elle a fait une demande d’asile le 29 juillet 2009, plus d’un an plus tard. En arrivant au Canada, la demanderesse ne s’est pas présentée comme une réfugiée; elle a simplement déclaré aux autorités portuaires qu’elle venait au Canada pour y passer des vacances.     

 

[3]               La demanderesse a affirmé qu’elle ne pouvait retourner à Saint‑Vincent, parce que son ancien petit ami demeurait une menace pour elle. Sa demande d’asile a été entendue le 29 avril 2010 et refusée le 5 mai 2010, la Commission ayant conclu qu’elle n’avait qualité ni de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger.

 

[4]               La Commission a rejeté la demande d’asile présentée par la demanderesse pour trois motifs : l’absence de crainte subjective, puisqu’elle avait attendu plus d’un an avant de demander l’asile; son allégation selon laquelle elle était toujours poursuivie par son ancien petit ami n’était pas crédible; l’État de Saint‑Vincent offre une protection adéquate aux victimes de violence familiale. Chacune de ces conclusions est contestée dans le cadre du contrôle judiciaire présenté à la Cour.

 

[5]               La Commission a accepté que la demanderesse a été victime de violence de la part de son ancien petit ami durant plusieurs mois en 2008 et que cette violence s’est traduite par des agressions sexuelles à trois occasions vers la fin de leur relation. Toutefois, la Commission n’a pas cru que l’ancien petit ami de la demanderesse continue à la poursuivre à ce jour.  

 

[6]               La Commission a fait remarquer que la demanderesse n’avait pas consigné, dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), plusieurs faits qu’elle a avancés pour expliquer la présentation tardive de sa demande d’asile. Le FRP était muet sur des aspects essentiels de son témoignage devant la Commission : la mère de la demanderesse lui avait téléphoné en juin 2009 pour lui dire que son ancien petit ami continuait de la traquer; que celui‑ci se rendait régulièrement chez elle pour exiger de l’argent et demander où se trouve la demanderesse; que lorsque la mère de la demanderesse refusait de payer durant ces visites mensuelles, elle se faisait battre par l’ancien petit ami. Enfin, bien que l’appel téléphonique ait été l’événement déclencheur qui a incité la demanderesse à présenter une demande d’asile, il n’est fait mention, dans l’exposé circonstancié des faits de son FRP, ni de l’appel téléphonique, ni des coups infligés à sa mère ni des demandes d’argent mensuelles de son ancien petit ami.

 

[7]               La Commission a prié la demanderesse d’expliquer ces omissions. Voici l’échange intervenu entre la Commission et la demanderesse :


[traduction]

LA COMMISSAIRE : Vous avez dit plus tôt que Curtis battait toujours votre mère. Pourquoi ce fait n’est‑il pas mentionné dans votre FRP?

LA DEMANDERESSE : Depuis que je suis venue au Canada, il battait ma mère parce qu’il croyait qu’elle mentait, mais pas tout le temps. Par exemple, une fois pas mois, il vient pour demander de l’argent, et parfois, elle ne lui donne pas et il commence à être violent avec elle.

LA COMMISSAIRE : Pourquoi n’est‑ce pas mentionné dans votre FRP?

LA DEMANDERESSE : Je voulais le dire – mais… je ne voulais pas tout écrire dans le FRP. Je voulais ---

LA COMMISSAIRE : Pourquoi pas?

LA DEMANDERESSE : Parce que je voulais m’expliquer en témoignant au lieu de l’écrire.

 

[8]               La Commission pouvait raisonnablement rejeter cette explication. Le tribunal a apprécié la preuve dont il était saisi et le témoignage entendu lui permettait, vu le dossier, de tirer cette conclusion. 

 

[9]               La demanderesse prétend également que la Commission a mal interprété la preuve qu’elle a présentée. Bien qu’elle ait proposé plusieurs exemples pour étayer son allégation, je ne retiendrai que trois des exemples les plus sérieux avancés à cet égard. La demanderesse affirme n’avoir jamais déclaré dans son témoignage qu’elle avait agi prudemment pour ne pas éveiller l’attention de la police ou des autorités de l’immigration. Pourtant, la transcription confirme que la demanderesse a bien fait une telle déclaration et que la Commission n’a pas fait erreur en évoquant le témoignage de la demanderesse. La Commission a aussi estimé que la demanderesse n’avait pas clairement expliqué pourquoi elle avait attendu plus d’un an, après son arrivée au Canada, pour régulariser son statut. La demanderesse conteste les conclusions énoncées par la Commission au paragraphe 11 de sa décision; elle plaide : [traduction] « dans son évaluation de la crainte subjective, le tribunal a déclaré, au paragraphe 11 de sa décision, que la demanderesse avait affirmé avoir agi prudemment pour éviter d’attirer l’attention de la police ou des autorités de l’immigration ». Son conseil soutient que la demanderesse n’a jamais fait cette déclaration et que la mention de ce fait par le tribunal constitue une inexactitude importante quant aux faits. Or, Mme Ryan a très clairement fait cette affirmation, comme en fait foi la transcription de l’audience :


[traduction]

LA COMMISSAIRE : D’abord, quand vous êtes‑vous rendu compte de l’illégalité de votre situation?

LA DEMANDERESSE : Après que j’ai su que j’irais à l’école, que j’étais acceptée, et ensuite, au conseil scolaire, ils m’ont donné quelque chose et c’est alors que j’ai su que ce n’était pas légal.

LA COMMISSAIRE : C’était votre quoi?

LA DEMANDERESSE : Quand je suis allée à l’école.

LA COMMISSAIRE : Oui.

LA DEMANDERESSE : ---ils vous donnent un formulaire, comme---

LA COMMISSAIRE: Oui.

LA DEMANDERESSE : ---et c’est alors que j’ai su que ma situation était illégale.

LA COMMISSAIRE: Et qui a noté ce fait?

LA DEMANDERESSE : L’école, parce que —

LA COMMISSAIRE : L’école?

LA DEMANDERESSE : Oui.

LA COMMISSAIRE : Alors ils savaient que vous étiez en situation illégale?

LA DEMANDERESSE : Oui.

LA COMMISSAIRE : L’école a‑t‑elle pris des mesures?

LA DEMANDERESSE : Non.

LA COMMISSAIRE : Les autorités de l’immigration ont-elles eu vent de votre cas?

LE REPRÉSENTANT DÉSIGNÉ : Non.

LA DEMANDERESSE : Non.

LA COMMISSAIRE : Saviez-vous que vous risquiez d’être expulsée?

LA DEMANDERESSE : Je sais que je risquais d’être expulsée, mais j’ai essayé de me faire discrète.

LA COMMISSAIRE : Essayé de vous faire quoi?

LA DEMANDERESSE : J’ai essayé de me faire discrète, par exemple de ne pas être impliquée dans un incident violent et des choses comme ça, parce que c’est ainsi que, si la police vous trouve, vous pouvez être expulsée.

LA COMMISSAIRE : Donc, vous avez essayé de rester...

LE REPRÉSENTANT DÉSIGNÉ : De se conduire comme il faut.

LA DEMANDERESSE : De me conduire comme il faut.

LA COMMISSAIRE : Vous avez… pardon?

LA DEMANDERESSE : J’ai essayé de bien me comporter et comme ça, je n’ai rien.

LA COMMISSAIRE : Vous n’avez pas de problèmes?

LA DEMANDERESSE : Oui.
[Non souligné dans l’original]

 

[10]           Il est évident, ainsi qu’a conclu la Commission, que la demanderesse « a reconnu qu’elle devait être prudente pour ne pas attirer l’attention de la police ou des autorités de l’immigration ».

 

[11]           Il est bien établi que la Commission peut, pour évaluer la crainte subjective de persécution, tenir compte du comportement du demandeur d’asile, le retard étant un facteur important. Ce facteur, s’il n’est pas déterminant, peut néanmoins jouer un rôle décisif si aucune explication crédible n’est fournie. La preuve dont disposait la Commission indique que la demanderesse savait qu’elle risquait l’expulsion mais n’a pris aucune mesure pour présenter une demande d’asile. Il ressort aussi clairement du dossier que même après l’important appel téléphonique qu’elle a relaté, elle a attendu un mois avant de déposer une demande. Les conclusions tirées par la Commission relativement à l’explication fournie par la demanderesse ne comportent aucune erreur susceptible de révision.

 

[12]           J’aborderai maintenant le deuxième élément important du témoignage que la Commission aurait exposé erronément. Selon le conseil de la demanderesse, la Commission a commis une erreur au paragraphe 16 de sa décision, en déclarant que « la demandeure d’asile a demandé à ses parents de ne pas communiquer avec les autorités de l’État ». Madame Ryan a bien témoigné en ce sens, mais en faisant référence uniquement à sa mère :

[traduction]

LA DEMANDERESSE : Oui, je l’ai dit à ma famille. Et ma mère voulait dénoncer cela à son patron [le patron de son ancien petit ami], mais je lui ai dit – j’ai supplié ma mère : « Je t’en prie, n’en fais rien, parce que la situation serait encore plus dangereuse pour moi que ce qu’il me fait actuellement ». Parce que ma mère voulait aller voir son patron et lui dire : « Oh, vous devez le congédier du service de police parce qu’il ne vaut rien, des choses comme ça », mais j’ai supplié ma mère : « Je t’en prie, n’y vas pas ».

 

[13]           La demanderesse déclare clairement qu’elle a supplié sa mère de ne pas dénoncer son ancien ami de cœur au patron de ce dernier, vraisemblablement un policier de rang supérieur. Cependant, elle n’a pas parlé de ses « parents »; elle a parlé de sa mère. Madame Ryan a expliqué dans son témoignage qu’elle ne parlait pas à son père et que celui‑ci était un vagabond qui n’avait jamais fait partie de sa vie. L’emploi du mot « parents » semble donc être une erreur, mais cette erreur, peu importe comment on interprète la décision en cause, est sans importance.  

 

[14]           Enfin, le conseil de la demanderesse conteste la conclusion énoncée par la Commission au paragraphe 20 de la décision :

Il n’existe aucune preuve corroborante fournie par la mère de la demandeure d’asile ni aucune preuve à l’appui présentée par la demandeure d’asile selon laquelle cette dernière envoyait de l’argent à son agresseur par l’intermédiaire de sa mère. Par conséquent, le tribunal estime que cette partie du témoignage de la demandeure d’asile n’est pas crédible.

 

[15]           Le conseil soutient que la demanderesse n’a jamais mentionné qu’elle envoyait de l’argent à sa mère pour que celle‑ci le remette à l’agresseur. Dans son témoignage, la demanderesse a plutôt déclaré que son agresseur continuait à la chercher, sous prétexte de recouvrer tout l’argent qu’il lui avait donné à l’époque où elle était sa compagne. Toutefois, la demanderesse a versé en preuve une lettre dont voici un extrait :

 

[traduction]

Maman m’a demandé de te prier de nous envoyer ce que tu peux avant la fin de septembre. Curtis a dit qu’il viendrait chercher de l’argent à la fin de septembre, et si nous n’avons rien pour lui, il nous causera des problèmes.  

 

 

[16]           La Commission pouvait raisonnablement tirer de cette lettre la conclusion à laquelle elle est parvenue, et sa conclusion ne peut être remise en question même si l’on peut concevoir une interprétation différente de la lettre.

 

[17]           Le deuxième argument de la demanderesse repose essentiellement sur l’erreur importante qu’aurait commise la Commission dans son appréciation de la preuve. De l’avis de la demanderesse, cette erreur entache la conclusion de la Commission tant en ce qui concerne le retard qu’en ce qui concerne la crainte subjective. Cette erreur fondamentale se trouve au paragraphe 10, où la Commission déclare :


Toutefois, d’après la demandeure d’asile, en juin 2008, elle a reçu un appel de sa mère, qui lui a dit que l’agresseur était toujours à sa recherche, car il avait entendu dire qu’elle était retournée à Saint‑Vincent. C’est à la suite de cet appel que la demandeure d’asile a pris la décision de présenter une demande d’asile.

 

[18]           La demanderesse n’était pas au Canada en juin 2008. Elle a quitté pour le Canada en juillet 2009. La Commission a manifestement commis une erreur. Cela dit, si, comme il se doit, on lit la décision dans son ensemble, il est évident que la Commission n’a pas mal apprécié la preuve dont elle était saisie et que l’erreur n’a pas eu d’incidence sur la décision prise par la Commission en l’espèce. En divers endroits tout au long des motifs, la Commission montre qu’elle a clairement compris que l’appel en question aurait été fait en juin 2009. Voir, par exemple, les paragraphes 3, 4, 9 et 16 des motifs de la décision. Bien qu’il y ait une erreur dans la date, il n’y a aucune erreur dans la chronologie des événements exposés et compris par la Commission.  

 

[19]           La Commission a ensuite examiné la question de la protection de l’État et a conclu :

De même, dans l’affaire qui nous occupe, le tribunal ne croit pas que les systèmes judiciaire et policier de Saint‑Vincent sont inefficaces au point d’être inadéquats et que, pour cette raison, il devrait conclure que la protection de l’État n’est pas offerte. En outre, la Cour fédérale a confirmé à de nombreuses reprises les décisions de la Commission au sujet de la protection de l’État offerte aux victimes de violence fondée sur le sexe à Saint‑Vincent. [Dean, Gilda Oustrid c. M.C.I. (C.F., no IMM‑155‑09), Lagacé, 31 juillet 2009, 2009 CF 772; Samuel, Roxie Mulassa c. M.C.I. (C.F., no IMM‑3505-08), Barnes, 24 février 2009; 2009 CF 198; Young, Cecile c. M.C.I., (C.F. no IMM‑4933‑07), Lagacé, 21 mai 2008; 2008 CF 637; Adams, Joan c. M.C.I. (C.F., no IMM‑3820‑06), Barnes, 17 mai 2007; 2007 CF 529.] Il est observé dans la décision Samuel que des éléments de preuve ont été présentés concernant le fait que les autorités ont pris en réalité des mesures appropriées, malgré la présence des membres de la famille du persécuteur au sein des forces policières, et que la violence familiale reste un problème important. La prépondérance des éléments de preuve objectifs concernant les conditions actuelles dans le pays laisse entendre que, même si elle n’est pas parfaite, la protection de l’État est adéquate à Saint‑Vincent pour les victimes de violence familiale.

 

 

[20]           En l’espèce, la Commission a estimé que la protection offerte par l’État n’était pas inefficace au point d’être inadéquate. La Commission est parvenue à cette conclusion au terme d’un examen approfondi et pondéré de la preuve, reconnaissant la gravité de la violence familiale à Saint‑Vincent et les limites de l’aide que peut offrir l’État. Quoi qu’il en soit, compte tenu des faits constatés par la Commission, la preuve soumise ne permet de réfuter la présomption relative à la protection de l’État. Vu la norme de contrôle applicable, la décision de la Commission sur cette question ne peut être attaquée.  

 

[21]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[22]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire. Aucune question à certifier n’a été proposée et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

 « Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 


Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3722-10

 

INTITIULÉ :                                      SHAMIKA SHONETTE RYAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Adetayo G. Akinyemi

POUR LA DEMANDERESSE

 

Melissa Mathieu

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Adetayo G. Akinyemi
Avocat

North York (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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