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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110125

Dossier : IMM-628-10

Référence : 2011 CF 84

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2011

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

DONOVAN ANTHONY JONES

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) et de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 25 janvier 2010 par la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rejetant sa requête en réouverture de l’appel dont le désistement avait été prononcé le 14 août 2009.

 

I.          Les faits

[2]               Le demandeur a émigré de la Jamaïque avec sa mère et sa fratrie en 1988, alors qu’il était adolescent. Après avoir vécu quelques expériences traumatisantes – il a notamment vu son frère se faire tuer par balle et il a été menacé avec un pistolet –, il a commencé à tremper dans la criminalité. Son casier judiciaire couvre une période de 10 ans, soit d’octobre 1992 à octobre 2002. Il a été déclaré coupable de plusieurs infractions graves, dont un vol qualifié; en février 1993, il a aussi été déclaré coupable de conduite dangereuse d’un véhicule à moteur et de port d’une arme dissimulée. De plus, il compte à son dossier quelques infractions en matière d’inobservation : défaut de comparaître devant le tribunal, de respecter un engagement et de comparaître. Sa dernière infraction criminelle remonte à 2002 : il s’était vu imposer une amende de 300 $ pour possession de marihuana.

 

[3]               Le 28 octobre 2004, la Section de l’immigration a pris une mesure d’expulsion  contre lui parce que, en 1997, il avait été déclaré coupable de trafic de stupéfiants, ce qui lui avait valu une peine d’emprisonnement de huit mois. Il a fait appel de la mesure d’expulsion devant la SAI et, le 28 avril 2006, il a obtenu un sursis temporaire à l’exécution de cette mesure. Suivant l’ordonnance, il était tenu de signaler tout changement d’adresse domiciliaire à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et à la SAI. L’ordonnance de sursis précisait en outre que l’examen de son appel serait repris le 22 mars 2009 ou vers cette date.

 

[4]               Par la suite, le demandeur a déménagé sans informer la SAI de sa nouvelle adresse. Il a toutefois signalé le changement à l’ASFC. Il soutient avoir mal compris la teneur de son obligation : il pensait qu’il était suffisant d’informer uniquement l’ASFC, alors qu’en réalité, il était aussi tenu d’informer la SAI séparément. Par conséquent, l’avis que lui a fait parvenir la SAI le 10 mars 2009 pour l’informer que le réexamen de son appel aurait lieu le 25 juin 2009 ne s’est pas rendu jusqu’à lui, ayant été envoyé à son adresse précédente, c’est-à-dire la dernière en date figurant dans le dossier de la SAI. Il ne s’est donc pas présenté à l’audience relative au réexamen de son appel.

 

[5]               Par avis de convocation daté du 8 juillet 2009, la SAI a alors informé le demandeur qu’une audience sur le défaut de comparaître aurait lieu le 14 août 2009.  Le demandeur n’a pas non plus reçu cet avis parce lui aussi avait été envoyé à son ancienne adresse. Par conséquent, il ne s’est pas présenté à l’audience et ce jour même, le désistement de l’appel a été prononcé.

 

[6]               Le 9 décembre 2009, après avoir été informé par l’ASFC de son renvoi, le demandeur a communiqué avec la SAI dans le but d’obtenir la réouverture de son appel. Le 24 novembre 2009, il avait informé cette dernière de sa nouvelle adresse après avoir été convoqué au Centre d’Exécution de la Loi du Grand Toronto en lien avec son possible renvoi du Canada. Le 25 janvier 2010, la SAI a rejeté la requête en réouverture d’appel du demandeur.

 

[7]               Le demandeur est père de huit enfants et son emploi lui permet d’être le soutien de son épouse, qui souffre de dépression, et des enfants; présentement, la famille ne dépend pas de l’aide sociale. Le demandeur fait valoir que s’il était renvoyé du Canada, il est probable que le tissu familial se dégraderait et que la famille devrait compter sur l’aide sociale.

 

[8]               Le 15 février 2010, mon collègue, le juge James J. Russell, a accordé au demandeur un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à l’instruction de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

II.         La décision contestée

[9]               Avant de rejeter la requête du demandeur, la SAI a fait état de l’historique des procédures et du contexte factuel de l’affaire. Le tribunal a souligné que selon l’article 71 de la LIPR, la réouverture d’un appel n’était autorisée que s’il concluait que la SAI avait ignoré un principe de justice naturelle; à l’appui de cette thèse, il a invoqué Nazifpour c. Canada (M.C.I.), 2007 CAF 35.  Or, le tribunal a jugé qu’il n’y avait pas eu de manquement de ce genre en l’espèce. Selon lui, le demandeur aurait dû savoir qu’il devait tenir la SAI informée de son adresse courante, puisque cela était indiqué à la fois dans les documents habituels remis par la SAI à tous les appelants ainsi que dans les conditions particulières énumérées dans l’ordonnance de sursis de 2006. Il a donc conclu que la SAI avait donné tous les avis selon la procédure régulière et que le demandeur avait omis de se prévaloir de la deuxième possibilité qui lui avait été offerte en ne se présentant pas à l’audience sur le défaut de comparaître. Étant donné qu’il n’y avait pas de preuve d’un déni de justice naturelle ou d’un manquement à l’équité procédurale de la part de la SAI et que le tribunal n’avait pas compétence pour examiner la question des redressements disponibles en equity dans le cadre d’une demande ce de type, il a rejeté la demande de réouverture d’appel.

 

III.       Les questions en litige

[10]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les trois questions suivantes :

a)      Quelle est la norme de contrôle applicable?

b)      La SAI a-t-elle commis une erreur d’interprétation de l’article 71 de la LIPR en limitant son examen à la question de savoir si elle avait omis d’observer un principe de justice naturelle?

c)      La SAI a-t-elle commis une erreur d’appréciation des faits en concluant à l’absence de manquement à la justice naturelle?

 

 

IV.       L’analyse

 

A.  La norme de contrôle

 

[11]           Selon le demandeur, puisqu’il s’agit de l’interprétation de l’article 71 de la LIPR, une question de droit, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Le défendeur ne souscrit pas à cette opinion : il affirme que l’instance vise non pas à dégager un critère juridique, puisque ce critère est établi sans équivoque à l’article 71, mais plutôt à décider si la SAI a commis une erreur susceptible de révision en concluant qu’elle n’avait pas manqué à la justice naturelle en prononçant le désistement de l’appel. Par conséquent, selon lui, la demande soulève des questions mixtes de faits et de droit et commande l’application de la norme de la décision raisonnable.

 

[12]           Il me semble que le demandeur soulève à la fois une question de droit et une question de faits dans sa demande. Il remet certes en question l’interprétation qu’il convient de faire de l’article 71 de la LIPR, ce qui constitue clairement une question de droit assujettie à la norme de la décision correcte.  Toutefois, la question de savoir si le tribunal a commis une erreur en concluant à l’absence de manquement à la justice naturelle est une question mixte de faits et de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

B.   La SAI a-t-elle commis une erreur d’interprétation de l’article 71 de la LIPR?

[13]           L’avocat du demandeur prétend que la SAI a commis une erreur de droit en concluant que la compétence dont elle est investie en vertu de l’article 71 de la LIPR se limite aux situations où la SAI est elle-même l’auteure d’un manquement à la justice naturelle. Le demandeur ajoute qu’au lieu d’aborder les dispositions de cet article d’un point de vue si étroit, la SAI aurait dû s’intéresser à des considérations plus générales afin de déterminer, par exemple, si l’affaire a déjà été instruite au fond, si le demandeur a eu la possibilité de se faire entendre et s’il avait explicitement signifié son intention de se désister de sa demande.

 

[14]           Malheureusement pour le demandeur, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont systématiquement rejeté cette lecture de l’article 71. Pour des raisons de commodité, il vaut la peine d’en reproduire le libellé :

Droit d’appel

 

Réouverture de l’appel

 

71. L’étranger qui n’a pas quitté le Canada à la suite de la mesure de renvoi peut demander la réouverture de l’appel sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle.

Right of Appeal

 

Reopening appeal

 

71. The Immigration Appeal Division, on application by a foreign national who has not left Canada under a removal order, may reopen an appeal if it is satisfied that it failed to observe a principle of natural justice.

 

[15]           Il est vrai que sous le régime de l’ancienne loi, la SAI jouissait d’une compétence continue en equity qui l’autorisait à accepter de nouveaux éléments de preuve et à se prononcer à leur sujet. Mais la Cour a toujours dit qu’en édictant l’article 71 de la LIPR, le législateur avait limité le pouvoir de la SAI de rouvrir un appel aux affaires mettant en cause un manquement aux règles de justice naturelle : voir, par exemple, Ye c. Canada (M.C.I.), 2004 CF 964; Griffiths c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 971; Baldeo c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 79.

 

[16]           Loin d’infirmer ces cas de jurisprudence, la Cour d’appel fédérale les a au contraire expressément confirmés dans l’arrêt Nazifpour, précité. Après avoir soigneusement examiné le libellé de l’article 71, son historique et les objectifs d’ensemble poursuivis par la LIPR – l’un d’eux consistant à accorder plus d’importance à la sécurité nationale et à favoriser le renvoi expéditif des personnes dont l’expulsion a été ordonnée pour cause de grande criminalité –, la Cour d’appel a jugé qu’il était compatible avec cet objectif législatif d’interpréter l’article d’une manière qui retire à la SAI le droit de rouvrir ses décisions pour des motifs autres qu’un manquement à un principe de justice naturelle. Puis elle a conclu, en termes non équivoques :

78. Malgré l’absence d’éléments établissant que la compétence de la SAI de rouvrir une décision pour cause de nouveaux éléments de preuve avait effectivement été exploité par des appelants, il est probable, à mon avis, que, si le législateur a adopté l’article 71, c’est pour éviter que des appelants déboutés ne tirent parti de nouveaux éléments de preuve pour introduire une nouvelle procédure devant la SAI.

 

79. Les objets de la LIPR ne se limitent pas au renvoi expéditif de criminels, mais les individus frappés d’expulsion qui sont en possession de nouveaux éléments de preuve montrant qu’ils seraient exposés à un risque sérieux en cas de renvoi peuvent porter ces éléments en question à l’attention d’un agent d’ERAR, en vertu de l’article 112. Des nouveaux éléments de preuve se rapportant par exemple à la réhabilitation de l’appelant ou à sa situation familiale (notamment l’intérêt supérieur des enfants touchés) peuvent constituer le fondement d’une demande selon l’article 25 de la LIPR, en vue d’obtenir l’autorisation de rester au Canada en raison de l’existence de motifs d’ordre humanitaire.

 

80. Il est vrai que le rédacteur aurait pu facilement dissiper toute ambiguïté en ajoutant le mot « uniquement » dans le texte de l’article 71. Cependant, à mon avis, l’interprétation qui est la mieux à même de donner effet à l’objet général de la LIPR, et d’attribuer une fonction plausible à l’article 71 lui‑même, est celle selon laquelle l’article 71 enlève implicitement à la SAI la compétence de rouvrir des appels sur le fondement de nouveaux éléments de preuve, une compétence qui serait par ailleurs judiciairement déduite de la nature du pouvoir discrétionnaire, conféré par la loi, de suspendre ou d’annuler une mesure d’expulsion. L’article 12 de la Loi d’interprétation ne vient donc pas en aide à l’appelant.

 

 

[17]            Il n’y a aucune ambiguïté dans les paragraphes qui précèdent. Et si quelque doute subsistait, celui-ci est dissipé par le dernier paragraphe des motifs rédigés par la Cour d’appel dans cette affaire :

83. Pour les motifs énoncés, je rejetterais l’appel et répondrais par l’affirmative à la version suivante légèrement modifiée de la question certifiée :

 

L’article 71 de la LIPR a-t-il pour effet d’éliminer la compétence continue en equity de la SAI de rouvrir un appel formé contre une mesure d’expulsion, sauf lorsque la SAI a manqué à un principe de justice naturelle?

 

 

[18]           L’interprétation arrêtée dans cette décision de la Cour d’appel fédérale a en effet été systématiquement suivie par la Cour : voir, par exemple, Canada (M.C.I.) c. Kang, 2009 CF 941; Wilks c. Canada (M.C.I.), 2009 CF 306. Par conséquent, je ne puis accepter l’interprétation avancée par le demandeur, malgré les arguments intéressants présentés par son avocat, car cela reviendrait à renverser un arrêt de jurisprudence qui semble faire l’unanimité au sein de la Cour et de la Cour d’appel fédérale.

 

C.  La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant à l’absence de manquement à la justice naturelle?

[19]           Aux dires du demandeur, si un manquement à la justice fondamentale est effectivement nécessaire pour rouvrir l’appel, cette condition a été satisfaite et la SAI a commis une erreur de fait en concluant qu’il n’y avait eu aucun manquement de cet ordre. Il soutient que la SAI a eu tort de ne pas s’adresser aux autres ministères pour tenter d’obtenir son adresse après que la poste lui eût retourné la lettre qu’elle avait envoyée à sa dernière adresse connue.

 

[20]           Je ne trouve pas cet argument convaincant. Le demandeur lui-même a admis que la SAI n’était pas tenue, au vu de la jurisprudence, de faire quoi que ce soit d’autre après avoir transmis les avis d’audience à la dernière adresse fournie. Ce point de vue est bien accepté, si on en juge, entre autres, par la décision Dubrézil c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 142, dans laquelle le juge Simon Noël tenait les propos suivants :

[12] S'il fallait suivre le raisonnement du demandeur, cela impliquerait qu'à chaque fois qu'une personne omettrait de se présenter, manquerait de diligence ou aurait un comportement pouvant clairement laisser croire à un désistement d'appel, la SAI serait tenue de faire enquête pour retrouver cette personne, de lui rappeler ses obligations et de la convoquer pour tenir une nouvelle audience avant de prononcer le désistement. Je ne peux retenir pareille interprétation, d'autant plus qu'en l'espèce, le demandeur n'a pas communiqué ses changements d'adresse à la SAI, de sorte que celle-ci n'aurait de toute façon pas pu le joindre pour convoquer une nouvelle audience si elle avait eu pareille obligation. La SAI n'était pas tenue d'agir comme conseiller juridique pour le demandeur, ni de lui rappeler le sérieux des procédures auxquelles il est partie, ni de s'assurer que celui-ci avait bien compris qu'il devait se présenter à sa conférence de mise au rôle ou encore qu'il était tenu d'aviser la SAI de ses changements d'adresse. Le demandeur a eu l'occasion de faire valoir ses motifs au cours d'une audience en bonne et due forme devant la SAI, mais ces motifs n'ont pas été jugés suffisants par la SAI pour justifier la réouverture d’appel.

 

 

[21]           Il peut certes arriver que, dans certains cas, la SAI fasse plus que le nécessaire et se renseigne, soit en communiquant avec l’ASFC, soit en composant les numéros de téléphone mentionnés dans les avis d’appel ou les avis consécutifs de changement de coordonnées, afin d’entrer directement en contact avec l’appelant. Mais on ne peut lui reprocher de ne pas l’avoir fait en l’espèce, surtout que rien dans le dossier n’indique qu’un changement d’adresse a été fait auprès de l’ASFC.  La SAI a tout à fait le droit de prononcer le désistement d’un appel lorsque son courrier lui est retourné, et elle n’est pas tenue d’investiguer dans le but d’établir si un changement d’adresse a été signifié à l’ASFC ou à d’autres ministères.

 

[22]           Par ailleurs,  il semble que cet argument soumis à la Cour n’a pas été présenté à la SAI dans le cadre de la requête en réouverture. En effet, dans les documents joints à sa requête, le demandeur expose divers faits qui, selon lui, justifiaient la réouverture de l’appel, mais il a reconnu qu’il était lui-même en faute puisqu’il n’avait pas informé la SAI de son changement d’adresse. Il tente maintenant de présenter les choses sous un autre angle en reprochant à la SAI d’être responsable de la situation fâcheuse dans laquelle il se trouve. En soulevant ce nouvel argument, qui repose sur les exigences relevant de la justice naturelle, dans le cadre de la présente affaire, le demandeur se trouve à ajouter au dossier dont était saisie la SAI et il tente ainsi de remplacer l’objet sous-jacent de sa contestation (le refus de rouvrir l’appel) par une contestation de la décision originale sur le désistement. Il n’est pas permis de procéder ainsi dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire de la décision de ne pas rouvrir l’appel. Il est bien établi que le caractère raisonnable de la décision d’un tribunal doit être apprécié en fonction des arguments qui lui ont été présentés. On ne peut pas reprocher au commissaire d’avoir omis de conclure à l’existence d’un manquement à la justice naturelle pour les motifs avancés par le demandeur alors que l’argument susceptible d’étayer cette conclusion n’a pas été présenté à la SAI.

 

[23]           Quoi qu’il en soit, l’argument du demandeur ne tient pas la route. Premièrement, on ne sait pas exactement si le courrier a été retourné à la SAI avec la mention « non distribuable » et le dossier est silencieux à ce sujet. Deuxièmement, je ne vois pas comment il est possible d’argumenter que le ministre, qui connaissait la bonne adresse, aurait dû en faire part au tribunal, de sa propre initiative ou à la demande de la SAI. En ce qui concerne la première possibilité, je ne conçois pas qu’on puisse renverser la décision du tribunal dans le cadre d’un contrôle judiciaire parce que la partie adverse a omis d’agir, puisqu’aucun manquement du genre de la part d’une partie ne correspond d’une façon ou d’une autre à une décision déraisonnable que le tribunal aurait rendue et qui serait susceptible de contrôle. Subsidiairement, le fait d’obliger le tribunal à obtenir les coordonnées d’une personne en s’adressant au ministre semble aller à l’encontre des conditions et des règles imposées au demandeur dans la mesure de renvoi conditionnelle prise par la SAI en 2006, l’une d’elles étant justement de tenir à la fois le ministre et le tribunal au courant de son adresse. Il faut distinguer le libellé de cette condition de celui des conditions figurant dans la mesure de renvoi conditionnelle où seul le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration est mentionné, plutôt que le ministère et la SAI (voir, par exemple, les conditions 2, 9 et 10).

 

[24]           En outre, les conditions 5 et 6 indiquent très clairement qu’il ne faut pas confondre le ministère et la SAI. La condition 5 enjoint au demandeur de signaler par écrit au ministère toute accusation criminelle portée contre lui et la condition 6, de signaler au ministère et à la SAI toute condamnation au pénal prononcée contre lui. Peut-être aurait-on pu énoncer en termes encore plus clairs le fait qu’il fallait informer séparément le ministère et la SAI de tout changement d’adresse, mais je ne pense pas qu’on puisse dire que, eu égard à l’ensemble des conditions énoncées dans la mesure de renvoi conditionnelle, la consigne est ambiguë.

 

[25]           À l’appui de son argument, le demandeur ne cite qu’un seul arrêt (Sabet c. Canada (M.C.I.), [1998] ACF No 926), lequel est loin d’être convaincant. Dans cette affaire, la décision de la Commission avait été annulée parce qu’il avait été jugé que cette dernière aurait dû être plus attentive au motif du défaut de comparaître du demandeur, attribuable au fait qu’il avait été enlevé. Nul besoin de préciser qu’aucune analogie n’est possible entre cette affaire et le défaut du demandeur de signaler son changement d’adresse comme il se devait de le faire.

 

[26]           Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, je ne crois pas qu’il était déraisonnable pour la SAI de conclure à l’absence de manquement à la justice naturelle.

 

[27]           Cela dit, je suis aussi d’avis qu’il s’agit d’un cas où il serait indiqué que le ministre s’abstienne d’expulser le demandeur avant que ne soit étudiée une demande d’autorisation de rester au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire fondées sur l’article 25 de la LIPR. Il est évident que le demandeur a respecté toutes les autres conditions de la mesure de renvoi conditionnelle : il n’a été accusé d’aucune infraction criminelle depuis 2002, il est le père de huit enfants et son renvoi du Canada risque fort d’avoir des conséquences désastreuses pour sa femme et ses enfants. Bien qu’il ait manifestement fait preuve de négligence en ne signalant pas son changement d’adresse à la SAI et que rien au dossier ne justifie de renverser la décision de la SAI de ne pas rouvrir son appel, il semble qu’il pourrait être fort à-propos de rendre à son égard une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[28]           L’avocat du demandeur a proposé deux questions à certifier :

1. L’article 71 de la LIPR envisage-t-il, en termes généraux, la possibilité qu’il y ait violation des principes de justice naturelle lorsqu’une affaire n’a pas été entendue au fond? En d’autres termes, l’article 71 de la LIPR exige-t-il qu’il y ait violation de la part de la SAI à l’audience même ou l’enjeu consiste-t-il plutôt à décider si le demandeur s’est vu refuser une audience sans motifs raisonnables?

 

2. Sachant qu’il existe chez les appelants une certaine confusion quant à l’importance, sur le plan administratif, de veiller à signifier un changement d’adresse à la fois à la SAI et à l’ASFC/CIC et que, selon toute vraisemblance, la plupart des appelants signalent ce changement d’adresse à l’ASFC/CIC, le défaut de la SAI de s’enquérir auprès de l’ASFC/CIC afin de savoir si un changement d’adresse avait été signalé constitue-t-il un manquement à la justice naturelle? De plus, puisque la SAI sait que les appelants sont parfois confus, son défaut de bien préciser que l’ASFC et elle sont des entités distinctes aux fins de la signification du changement d’adresse constitue-t-il un manquement à la justice naturelle?

 

 

[29]           À mon sens, aucune de ces deux questions ne satisfait aux critères de certification prévus à l’alinéa 74d) de la Loi – autrement dit, aucune n’est une question grave de portée générale qui soit déterminante quant à l’issue de l’appel. Ainsi que je l’ai indiqué précédemment dans les présents motifs, ces deux questions ont été examinées et tranchées à maintes reprises par la Cour et la Cour d’appel fédérale. En outre, la seconde question n’a pas été soulevée au préalable devant la SAI et la Cour d’appel ne peut à juste titre en être saisie.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE QUE la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-628-10

 

INTITULÉ :                                       Donavan Anthony Jones c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 25 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Osborne G. Barnwell

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lorne McClenaghan

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osborne G. Barnwell

Avocats

North York (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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