Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110309

Dossier : T-1273-10

Référence : 2011 CF 280

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Montréal (Québec), le 9 mars 2011

En présence de  monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

LA FREIGHTLIFT PRIVATE LIMITED

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

ENTREPÔT DMS WAREHOUSE INC., TEXWELL GROUP

et

AGO TRANSPORTATION INC.

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] La défenderesse Entrepôt DMS Warehouse Inc. (DMS) en appelle de la décision rendue par le protonotaire Morneau en date du 25 janvier 2011, dans laquelle ce dernier a refusé la requête de DMS en radiation de la déclaration de la demanderesse LA Freightlift Private Limited (LA Freightlift) et a refusé toute autre réparation demandée par DMS. Pour les motifs énoncés ci-après, j’en suis venu à la conclusion que cet appel doit être rejeté.

 

 

 

I. Faits

  • [2] Selon la nouvelle déclaration modifiée déposée le 10 janvier 2011, le demandeur a été retenu par son client, Printech Fashion (Printech), afin de prendre des dispositions en vue du transport de quatre conteneurs de vêtements, de l’Inde jusqu’au Groupe Texwell (Texwell), son client de Montréal. Texwell a ensuite mandaté AGO Transportation Inc (AGO), un transitaire et courtier en douanes international, pour agir à titre de mandataire local dans une série de quatre envois, en mars et avril 2008.

 

  • [3] Au total, la cargaison comportait quatre conteneurs de vêtements, soit 2 504 emballages contenant 180 288 articles, pour un poids de 38 884 kg et une valeur facturée de 477 732 $US. On a prévu chacun des quatre envois au moyen de connaissements désignant la demanderesse à titre d’expéditeur et AGO à titre de consignataire, afin de s’assurer que la marchandise ne serait pas remise à l’importateur Texwell jusqu’au règlement du prix d’achat de la marchandise faisant partie de la cargaison.

 

  • [4] La cargaison est apparemment arrivée en bon état, tel que prévu, à Montréal, entre avril et juin 2008.

 

  • [5] Pour des raisons qui n’ont pas été communiquées au demandeur Texwell n’était pas en mesure ou a refusé de conclure les dispositions financières en vue de l’achat. Comme les paiements exigibles n’avaient pas été effectués, Texwell n’était pas autorisée à recevoir les originaux des connaissements, et elle n'a pas pris possession de la cargaison, ni n'a obtenu le droit de recevoir la livraison.

 

  • [6] En juin et juillet 2008, la cargaison a été entreposée pendant que Texwell cherchait à prendre des dispositions de paiement. Pendant ce temps, afin d’atténuer les pertes potentielles, l’expéditeur et propriétaire de la marchandise (Printech) a tenté de trouver d’autres acheteurs canadiens pour la cargaison. À un moment donné, une partie ou la totalité des défendeurs ont pris des dispositions en vue de l’entreposage de la cargaison dans un entrepôt appartenant à la défenderesse DMS. Le 5 août 2008, ou vers cette date, on a signalé la disparition et le vol présumé des quatre conteneurs de marchandise de cet entrepôt.

 

  • [7] La demanderesse allègue que les défendeurs (en partie ou en totalité) ont comploté afin de libérer la marchandise, en sachant fort bien que le prix d’achat n’avait pas été réglé et que les connaissements originaux n’avaient pas été présentés, et malgré les instructions du propriétaire de la marchandise, par l’intermédiaire de la demanderesse à titre de mandataire et d’expéditeur nommé sur le connaissement. La demanderesse déclare que ces défendeurs ont sciemment pris des dispositions en vue du détournement illégal de la marchandise au profit de Texwell ou d'une autre partie inconnue de la demanderesse. Un avis écrit de réclamation a été délivré à AGO et à DMS en septembre 2008.

 

  • [8] La demanderesse déclare également que le propriétaire de la cargaison a déposé contre lui une réclamation auprès de la Cour de l’Inde pour détournement illégal de cargaison. La demanderesse a nié sa responsabilité et a présenté une vigoureuse défense devant cette cour.

 

  • [9] On a signifié à tous les défendeurs la déclaration modifiée du 30 septembre 2010, et la nouvelle déclaration modifiée du 10 janvier 2011. La défenderesse Texwell n’a pas répondu et est en défaut en vertu del'article 204 des Règles des Cours fédérales. Les défenderesses DMS et AGO ont répondu en déposant des requêtes en radiation de l’action de la demanderesse, en vertu du paragraphe 221(1) des Règles, le 22 décembre et le 16 décembre 2010, respectivement.

 

  • [10] DMS et AGO font toutes deux valoir que l’action de la demanderesse est prématurée, car elle n’a encore subi aucune perte, et que la responsabilité n’a pas encore été établie par la Cour de l’Inde. En effet, DMS et AGO soutiennent que la demanderesse a nié sa responsabilité relativement à la réclamation de Printech et que, selon les mots de la demanderesse, elle a présenté [traduction] « une défense vigoureuse » dans la poursuite indienne. Par conséquent, il est bien possible que la poursuite de Printech entamée là-bas soit rejetée. Si c’est le cas, LA Freightlift n’aurait aucun droit d’action contre les défendeurs dans l’action canadienne présentée devant la Cour. À ce titre, DMS et AGO soutiennent que la déclaration de la demanderesse devrait être radiée au motif qu'elle est prématurée.

 

II. La décision contestée

  • [11] Le protonotaire a rejeté la requête en radiation des défendeurs en se fondant essentiellement sur les observations écrites de la demanderesse. Les paragraphes des observations de la demanderesse auxquels fait explicitement référence le protonotaire dans son approbation se lisent comme suit :

[traduction]
9. Les faits, tels qu’ils sont rapportés, soulèvent non seulement une cause justiciable, mais aussi une forte apparence de droit contre les deux défendeurs. La cargaison a été détournée de manière illégale, sans présentation des connaissements. Ce détournement illégal a été effectué alors que la cargaison était en la possession de la défenderesse DMS, à l’encontre de ses obligations législatives ou contractuelles à titre d’exploitant d’entrepôt, et/ou de ses obligations prévues par la common law de dépositaire rétribué, et/ou de ses obligations en equity ou en vertu du droit de l’amirauté.

 

10. Ce détournement illégal a été effectué sous la direction ou avec la complicité d’AGO Transportation, qui apparaît à titre de consignataire sur les connaissements et qui savait que la cargaison ne devait pas être livrée sans les connaissements originaux, mais qui a pris des dispositions en vue d’une telle livraison, à l’encontre de ses obligations contractuelles en vertu des documents de transport, de ses obligations à titre de mandataire et/ou de ses obligations en equity ou en vertu du droit de l’amirauté.

 

11. Selon le paragraphe 22(2) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour a la compétence d’entendre cette revendication, car elle découle d’une entente liée au transport de marchandises sous connaissements.

 

12. Bien que la demanderesse ne soit pas propriétaire de la cargaison, elle est habilitée à déposer une réclamation en droit, de nature contractuelle et en vertu du droit de l'amirauté, en raison du fait qu’elle est désignée à titre d’expéditeur sur les connaissements pertinents. À titre subsidiaire et complémentaire, la demanderesse porte cette affaire en justice, en sa qualité de mandataire de son client, l’exportateur et propriétaire de la cargaison, Printech Fashions. Ces deux aspects constituent à première vue des bases légitimes de réclamation et soulèvent des questions sérieuses à juger.

 

13. En outre, il est bien établi en droit qu’un demandeur peut introduire une demande d’indemnisation, et la demanderesse a fait valoir qu'elle est confrontée en Inde à une demande d’indemnisation découlant de la responsabilité première des défendeurs ou d’une partie de ces derniers, et à l'égard de la quelle elle cherche à faire reconnaître la responsabilité des défendeurs à titre de principaux auteurs du délit. Cela constitue une base légitime de réclamation et soulève une question sérieuse à juger.

 

14. La demanderesse a mis de l'avant les faits requis pour justifier sa demande d’indemnisation décrite dans la déclaration du 5 août 2010 et dans la déclaration modifiée qui a été signifiée aux défendeurs en novembre 2010. Bien que la nouvelle déclaration modifiée comprenne une nouvelle mention de l’indemnisation décrite dans la demande de réparation, au paragraphe 1, et qu’elle ait été signifiée et déposée ultérieurement à la présentation des requêtes actuelles, l'ajout a pour effet d’éclaircir les faits déjà allégués et n’a pas pour but d’introduire une nouvelle cause d'action.

 

  • [12] Il faut souligner que DMS est la seule défenderesse qui porte en appel la décision du protonotaire. De plus, l’avocat de la défenderesse DMS a déclaré clairement lors de la séance que son client conteste uniquement la décision du protonotaire dans la mesure où elle concerne le rejet de sa requête en radiation de la demande de la demanderesse. Par conséquent, la défenderesse ne conteste pas les autres décisions du protonotaire; autrement dit, elle ne conteste pas les décisions du protonotaire d’accepter l’affidavit assermenté par l’avocat de la demanderesse, de rejeter le droit au contre-interrogatoire de DMS et de reconnaître que la nouvelle déclaration modifiée a été dûment émise et signifiée.

 

III. La question à trancher

  • [13] La seule question à trancher en l’espèce consiste à savoir si le protonotaire a commis une erreur en rejetant la requête de la défenderesse visant à faire radier la déclaration de la demanderesse.

 

IV. Analyse

  • [14] La norme de contrôle à appliquer dans l’appel de décisions de protonotaires est bien établie. Dans la décision Merck & Co. Inc. c Apotex Inc., 2003 CAF 488, au paragraphe 19, la Cour d’appel fédérale a dit ceci :

Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants : a) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, b) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

 

 

  • [15] Je ne crois pas que l’on puisse contester le fait qu’une requête en radiation soulève une question ayant une influence déterminante sur l’issue du principal. Par conséquent, la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire de novo dans son examen de l’ordonnance rendue par le protonotaire dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

 

  • [16] En outre, il est bien établi en droit que, dans une requête en radiation d’actes de procédure, tous les faits allégués doivent être considérés comme étant établis et tenus pour avérés. La réclamation doit être interprétée de manière généreuse et être rejetée seulement s’il est évident et manifeste qu’elle sera rejetée. Comme l’a affirmé la Cour suprême dans Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, p. 980 :

[…] dans l’hypothèse où les faits mentionnés dans la déclaration peuvent être prouvés, est-il « évident et manifeste » que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d’action raisonnable? Comme en Angleterre, s'il y a une chance que la demanderesse ait gain de cause, alors elle ne devrait pas être « privé[e] d'un jugement ». La longueur et la complexité des questions, la nouveauté de la cause d'action ou la possibilité que les défendeurs présentent une défense solide ne devraient pas empêcher la demanderesse d'intenter son action.

 

Voir aussi : Daniels c Canada (ministre des Affaires indiennes et du Développement du Nord), [2002] 4 CF 550, par. 3 et 15.

 

 

  • [17] Je conviens avec la demanderesse que DMS n’a pas su atteindre ce seuil élevé, et que le protonotaire n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a établi qu’il y avait une question sérieuse à juger. Peu importe si la demanderesse a gain de cause dans sa défense liée à l’action déposée à son encontre en Inde par Printech, sa déclaration à la Cour ne repose pas exclusivement sur l'indemnisation à l'égard de toute somme que la Cour de l’Inde pourrait ordonner à la demanderesse de verser à Printech. L’action de la demanderesse repose aussi sur son allégation que les défendeurs, ou une partie de ces derniers, ont illégalement pris des dispositions en vue de la livraison de la cargaison sans les connaissements originaux, à l’encontre de leurs obligations contractuelles en vertu des documents de transport, de leurs obligations à titre de mandataires et/ou de ses obligations en equity ou en vertu du droit de l’amirauté. Par conséquent, cette réclamation n'est pas prématurée et peut se poursuivre, sans égard à ce qui se produira en Inde entre Printech et la demanderesse.

 

  • [18] L’avocat de la demanderesse a demandé les dépens associés à la présente requête, alléguant qu’elle était vouée à l’échec et que les actes de procédure avaient causé des retards et occasionné des dépenses. Toutefois, on ne m’a pas convaincu que la requête en radiation présentée par la défenderesse justifie que la Cour use de son pouvoir discrétionnaire pour adjuger les dépens immédiatement, quelle que soit l’issue de la cause. Par conséquent, les dépens suivront l’issue de la cause.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l’appel soit rejeté, avec dépens à suivre l’issue de la cause.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge


 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  T-1273-10

 

INTITULÉ :  LA FREIGHTLIFT PRIVATE LIMITED c ENTREPÔT DMS WAREHOUSE INC. et al.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 7 MARS 2011

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS ET DE L’ORDONNANCE :  LE 9 MARS 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gavin Magrath

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Yves Brisson

POUR LES DÉFENDEURS

 

Jean Doyle

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Magrath O'Connor LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Mercier Leduc s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

Lamarre, Linteau & Montcalm

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.