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Date : 20110310

Dossier : IMM-4267-10

Référence : 2011 CF 274

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

 

 

ENTRE :

 

LUIS ALFREDO RAMIREZ MEZA

MARIA IRMA VIZCAINO OROZCO

VICTOR ROMAN RAMIREZ VIZCAINO CESAR ALEJANDRO RAMIREZ VIZCAINO MARIA GUADALUPE PEREZ SILVA KASANDRA RAMIREZ-PEREZ

CESAR EDUCARDO RAMIREZ PEREZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LEMINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision en date du 9 juillet 2010 par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a statué que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en vertu du régime établi par les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Le juge Martineau a autorisé le recours le 1er décembre 2010.

 

[2]               Les demandeurs sont citoyens mexicains, et ils représentent trois générations de la même famille. Luis Alfredo a une formation de maçon, mais il a exploité deux entreprises. Des membres d’une organisation criminelle, les Zetas, l’auraient abordé pour lui demander de vendre des stupéfiants dans ses établissements, à défaut de quoi il devrait acquitter des frais mensuels. Il a refusé et a fait l’objet de menaces. Des hommes reconnus comme des membres des Zetas ont volé l’une de ses fourgonnettes. La famille a déménagé à Aguascalientes, où elle est restée sept mois, mais les menaces ont repris après son retour à Tabasco. César, le fils de Luis Alfredo, a été pris en filature par une auto, mais il a réussi à s’échapper sans qu’il lui arrive rien. Les appels et les menaces auraient continué. La famille a ensuite déménagé à Guadalajara, mais l’organisation des Zetas serait, semble‑t‑il, parvenue à les retracer et aurait renouvelé ses menaces. Ils auraient reçu des appels de menaces au Canada.

 

I.          La décision de la CISR

[3]               Après avoir exposé le droit applicable en matière de protection des réfugiés, la CISR a fait porter son examen sur la suffisance de la protection au Mexique. Elle a procédé à une analyse générale des conditions existant dans ce pays, pour conclure qu’elle n’était pas « convaincu[e] que la police n’enquêterait pas sur les allégations des demandeurs d’asile s’ils lui en faisaient part », conclusion qui, curieusement, suivait de quelques paragraphes l’indication que les demandeurs avaient dénoncé le vol de la fourgonnette à la police et au ministère public. La CISR a estimé que « les réponses de Luis concernant l’efficacité de la protection de l’État n’étaient pas convaincantes, puisqu’elles n’étaient pas crédibles ni compatibles avec les éléments de preuve documentaire et qu’elles étaient, en grande partie, non corroborées ».

 

[4]               La CISR a jugé qu’elle serait « négligent[e] » en ne reconnaissant pas que la protection étatique au Mexique se heurtait à des problèmes, notamment l’impunité, la corruption, etc. Prenant toutefois en considération le cadre législatif mis en place et les efforts déployés par le pays, elle a estimé que les efforts du Mexique étaient raisonnables et témoignaient de l’existence d’une protection étatique suffisante.

 

[5]               La CISR a donc jugé que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État et qu’ils n’avaient pas pris toutes les mesures raisonnables afin de se prévaloir de la protection offerte au Mexique.

 

II.        La norme de contrôle

[6]               La demande soulève deux questions : premièrement, le commissaire a‑t‑il failli à son devoir en n’examinant pas l’applicabilité des articles 96 et 97 de la LIPR et, deuxièmement, a‑t‑il fait défaut de prendre en compte des éléments de preuve testimoniale et documentaire pertinents?

 

[7]               La Cour estime que la question déterminante, en l’espèce, est celle de l’évaluation par la CISR de la preuve dont elle disposait, en particulier, au sujet de la protection offerte par l’État. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit qui exige un examen suivant la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9; Sanchez Rovirosa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 48).

 

III.       Analyse

A.        Appréciation de la preuve

[8]               La CISR n’a pas rendu une décision raisonnable, car elle a préféré s’en remettre à une analyse générique des conditions existant au Mexique, faisant en cela défaut d’examiner d’importants éléments de preuve. Il aurait à tout le moins fallu qu’elle indique pourquoi elle ne tenait pas compte de ces éléments (Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491). La simple mention de l’examen de la totalité de la preuve ne suffit pas lorsque les motifs ne rendent pas valablement compte de cet examen (Vigueras Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359).

 

[9]               Des éléments indiquent que la décision de la CISR procédait de ce que la juge Snider a qualifié d’analyse « confinée aux normes » dans Alvandi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 790. Par exemple, la CISR a déclaré qu’elle n’était pas « convaincu[e] que la police n’enquêterait pas sur les allégations des demandeurs d’asile s’ils lui en faisaient part », alors qu’elle disposait de déclarations assermentées affirmant que le vol de la fourgonnette et l’implication des Zetas avaient été signalés à la police, laquelle avait dirigé les demandeurs au ministère public où Luis Alfredo avait été menacé d’incarcération s’il ne retirait pas sa plainte. Il est difficile de concilier un tel élément de preuve avec l’affirmation suivante de la décision de la CISR : « [p]ersonne ne connaît la raison pour laquelle l’agent a réagi de cette façon, et Luis n’a pas pu offrir d’explication raisonnable. Il a seulement allégué que les Zetas avaient de l’influence sur la police. Je rejette cette explication et j’estime que l’affirmation de Luis selon laquelle la police n’a pas pu enquêter sur ses allégations parce qu’elle était corrompue par les Zetas relève de l’hypothèse ». En outre, la CISR a indiqué que, selon elle, « la police a pris des mesures pour régler le problème de Luis, mais qu’elle a été incapable de le faire en raison d’un facteur inconnu ». Si la CISR ne va pas plus loin dans son analyse, ce facteur inconnu va le demeurer. Pour statuer validement sur la demande d’asile en cause, il faut plus que simplement s’en remettre à un « facteur inconnu ». Peut‑être ce « facteur inconnu » aurait‑il pu fonder la conclusion que les Zetas avaient infiltré la police.

 

[10]           Il s’ensuit que cette conclusion en matière de plausibilité est clairement déraisonnable. On dirait que la CISR a veillé avec zèle à tirer des conclusions ne tenant pas compte des déclarations des demandeurs et d’une bonne partie des éléments de preuve documentaire qui pouvaient permettre d’inférer que la police n’avait pas effectué de véritable enquête à cause de la corruption.

 

[11]           La décision de la CISR de ne pas tenir compte des démarches des demandeurs auprès des autorités aurait pu être jugée raisonnable, mais elle ne l’est pas en l’espèce car la CISR a fait abstraction d’éléments de preuve documentaire qui étayaient les allégations et les faits jugés non crédibles. Sa conclusion selon laquelle les affirmations n’étaient pas « compatibles avec les éléments de preuve documentaire et [...] en grande partie non corroborées » était donc déraisonnable.

 

[12]           Il est clair, en outre, que la décision ne tient aucun compte d’éléments de preuve pouvant receler de l’importance. La Cour doit certes présumer que la CISR a analysé la totalité de la preuve qui lui a été soumise, mais elle n’est clairement pas tenue à cette déférence lorsque la CISR a omis de tenir compte d’importants éléments de preuve (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998) 157 FTR 35; Vigueras Avila, précité).

 

[13]           Il est suffisant de relever que la CISR n’a pas considéré l’allégation que les menaces s’étaient poursuivies après l’arrivée des demandeurs au Canada ni la question de l’influence des Zetas. Une telle analyse aurait pu empêcher la CISR d’écarter le récit et les arguments de demandeurs au motif qu’ils relevaient « de l’hypothèse ». Il existe des éléments de preuve documentaire, dont aucun n’a été mentionné ni, semble‑t‑il, examiné par la CISR, qui se rapportent aux Zetas (voir, par exemple, les pages 454, 458, 469 et 473-475 du dossier certifié du tribunal).

 

[14]           Il fallait procéder à une analyse sérieuse de la preuve documentaire et, à cet égard, le juge Martineau a indiqué dans Vigueras Avila, précité, au paragraphe 32 :

le principal vice de la décision sous étude résulte du manque total d’analyse de la situation personnelle du demandeur. Il ne suffit pas non plus que la Commission fasse état, dans sa décision, du fait qu’elle a considéré toute la preuve documentaire. Un simple renvoi dans la décision au Cartable national de documentation sur le Mexique, lequel comprend un nombre impressionnant de documents, n’est pas suffisant dans les circonstances. Or, les conclusions hâtives de la Commission et les nombreuses omissions au niveau de la preuve rendent sa décision déraisonnable dans les circonstances. De plus, à cause du caractère laconique des motifs de rejet que l’on retrouve dans la décision, ceux-ci ne peuvent résister à un examen assez poussé.

 

[15]           Un article de journal signalant que deux personnes qui vivaient dans la dernière maison qu’avaient habitée les demandeurs à Tabasco et portaient le même nom de famille qu’eux avaient été assassinées constitue un autre exemple d’élément de preuve documentaire que la CISR n’a pas pris en considération ou dont elle n’a pas dûment expliqué l’exclusion dans ses motifs.

 

[16]           Il est tout aussi clair, en outre, que la CISR aurait dû examiner la preuve documentaire relative aux Zetas ou justifier adéquatement pourquoi elle ne l’avait pas fait. Tout ce que mentionnent les motifs à ce sujet se rapporte uniquement à la preuve anecdotique indiquant que la police aurait arrêté « sans le savoir » l’un des dirigeants des Zetas en 2006, laquelle ne peut guère étayer l’affirmation de la CISR qu’elle a « examiné l’ensemble de la preuve ». Il est tout à fait possible que les demandeurs n’aient pas fait de démarches suffisantes pour se réclamer de la protection de l’État. En l’espèce, toutefois, on ne peut dire que la CISR a analysé comme il se doit la suffisance de la protection étatique et le rôle des Zetas.

 

IV.       Analyse de l’article 96

[17]           La CIRS a mentionné en termes généraux qu’elle avait procédé à l’examen de la demande au regard des articles 96 et 97 de la LIPR, mais sa décision ne rend compte d’aucune analyse à cet égard. À la suite des observations de l’avocat, le commissaire avait indiqué qu’il y avait lieu d’analyser les motifs énoncés à l’article 96 en fonction de la question des Zetas. La décision est silencieuse sur ce point.

 

[18]           Comme l’a signalé la décision Anthonimuthu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 141, les articles 96 et 97 prévoient des motifs distincts qui doivent, en conséquence, faire l’objet d’une analyse distincte bien qu’il soit fort possible que la matrice factuelle soit la même.  En l’espèce, la décision ne fait aucunement état de liens avec les motifs énoncés à la Convention en dépit de l’affirmation du commissaire qu’il effectuerait un tel examen.

 

[19]           Encore une fois, il n’y a pas eu d’examen en fonction des motifs énoncés à la Convention ni d’examen des moyens et de l’influence des Zetas ou d’autres renseignements de même nature mentionnés dans la documentation. Ces omissions sont fatales. Il y a lieu d’accueillir la demande.

 

V.        Autres questions

[20]           La Cour ne remet pas en question la mention tardive par Luis Alfredo que son beau‑frère avait des liens avec les Zetas. Cette conclusion pourrait être considérée comme raisonnable, car ce fait a effectivement été omis dans le FRP des demandeurs. Quoi qu’il en soit, cette question n’est pas déterminante au vu des motifs exposés ci‑dessus, et l’avocat du défendeur l’a reconnu dans ses observations écrites. La Cour ne se prononce pas non plus sur l’allégation d’insuffisance des efforts déployés par les demandeurs pour obtenir la protection de l’État : ces questions seront examinées par un nouveau tribunal de la CISR.

 

[21]           La demande est accueillie, et l’affaire est renvoyée pour réexamen devant un tribunal différemment constitué. Aucune question n’a été proposée pour certification et il n’y a pas lieu d’en certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie et l’affaire est renvoyée pour réexamen devant un tribunal différemment constitué. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4267-10

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                        LUIS ALFREDO RAMIREZ MEZA

                                                                        MARIA IRMA VIZAINO OROZCO

                                                                        VICTOR ROMAN RAMIREZ VIZCAINO

                                                                        CESAR ALEJANDRO RAMIREZ VIZCAINO

                                                                        MARIA GUADALUPE PEREZ SILVA

                                                                        KASANDRA RAMIREZ-PEREZ

                                                                        CESAR EDUCARDO RAMIREZ PEREZ

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 1er mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 10 mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mario Bellissimo

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jane Stewart

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mario Bellissimo

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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