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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110310

Dossier : IMM‑4381‑10

Référence : 2011 CF 293

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

 

IN HEE KANG

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]   La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 5 mai 2010 par laquelle l’agent d’immigration L. Harmon (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente de Mme Kang, fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[2]   Pour les motifs dont l’exposé suit, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

I.                    Le contexte

 

A.                 Récapitulation des faits

 

[3]   La demanderesse, Mme In Hee Kang, est citoyenne sud-coréenne. Elle est arrivée au Canada en juin 2004 à titre de visiteuse.

 

[4]   La demanderesse a formé une demande d’asile en mai 2005. Elle y affirmait qu’elle avait fui la Corée du Sud en 2003 parce que la harcelaient et la menaçaient des usuriers à qui elle avait été forcée d’emprunter de l’argent après son divorce. Elle fait valoir qu’elle s’était désespérément endettée dans sa recherche toujours contrariée de la sécurité pécuniaire. Elle avait commencé à craindre que ses créanciers ne vendent ses organes ou ne la vendent elle-même à un bordel pour se rembourser.

 

[5]   Sa demande d’asile a été rejetée en février 2007. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié a tiré une inférence défavorable, touchant sa crédibilité, du fait que son témoignage était entaché de plusieurs contradictions et enjolivements.

 

[6]   En mars 2007, la demanderesse a présenté depuis le Canada une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH).

 

[7]   En juillet 2007, la demanderesse a formé une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR).

 

[8]   En août 2007, la demanderesse a présenté une demande de parrainage conjugal au soutien de sa demande CH. Elle avait épousé son parrain, M. Hamid Reza Mohseni, le 1er juillet 2007. Elle a produit des observations supplémentaires relatives à sa demande CH en mai 2008.

 

[9]   La demande de parrainage conjugal de la demanderesse a été retirée en mars 2009. Les liens entre la demanderesse et son parrain ont commencé à se dénouer avec leur séparation en mai 2008. L’avocat de la demanderesse a déposé en mars 2009 de nouvelles observations relatives à la demande CH, concernant cette fois la rupture des liens susdits et le divorce qui avait suivi, prononcé en février 2009.

 

[10]           En juin 2009, la demanderesse a produit d’autres observations relatives à sa demande CH, où elle invitait expressément l’agent à prendre en compte le chapitre IP 5 du guide intitulé « Traitement des demandes au Canada ». Certaines sections de ce chapitre énumèrent les facteurs à prendre en considération dans l’évaluation du degré d’établissement au Canada et l’examen de la question de la violence familiale. La demanderesse affirmait que son ex‑mari lui avait extorqué de l’argent et que, durant la période en question, il lui avait fait peur et l’avait humiliée.

 

[11]           En décembre 2009, un agent d’ERAR a émis un avis sur les risques CH, selon lequel la demanderesse ne courrait pas de risques si on la renvoyait en Corée du Sud.

 

[12]           La demanderesse a produit des écritures tendant à réfuter cet avis sur les risques, mais l’agent d’ERAR a maintenu sa conclusion.

 

[13]           La demande CH de la demanderesse a été rejetée le 30 avril 2010, et cette décision lui a été communiquée par lettre en date du 5 mai 2010.

 

B.                 La décision attaquée

 

[14]           La demande CH de la demanderesse était fondée sur son établissement au Canada et les risques qu’elle courrait si elle retournait en Corée du Sud.

 

[15]           Après examen de l’avis sur les risques CH, l’agent a conclu qu’il ne contenait ni erreurs ni omissions et que tous les éléments de preuve produits y avaient été dûment pris en compte. L’agent a conclu que l’avis en question était raisonnable et s’est donc estimé convaincu que la demanderesse ne courrait pas de risques si elle retournait en Corée du Sud. Il n’était pas convaincu qu’elle avait produit des éléments suffisant à établir que les difficultés et les risques qu’entraînerait son retour en Corée du Sud étaient assimilables à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[16]           L’agent a ensuite examiné les éléments produits par la demanderesse pour démontrer son degré d’établissement au Canada. Il en a conclu qu’elle s’était intégrée à la collectivité. Cependant, il a aussi conclu qu’elle n’avait pas prouvé que la rupture de ses liens avec ladite collectivité lui causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[17]           L’agent a fait observer que la demanderesse avait vécu en Corée du Sud jusqu’à l’âge de 50 ans, et qu’elle connaissait donc bien la langue, les coutumes et la culture de ce pays. Étant donné son niveau d’instruction et son expérience, il n’y avait guère d’indications qu’elle serait incapable de s’y établir de nouveau ou qu’elle ne pourrait y bénéficier d’un réseau de soutien.

 

II.                 Les questions en litige

 

[18]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

a)         Le défendeur a‑t‑il suffisamment motivé sa décision?

b)         Le défendeur a‑t‑il commis une erreur en ce qu’il n’aurait pas pris le guide applicable en        considération?

c)         Le défendeur a‑t‑il commis une erreur dans l’appréciation de la preuve?

 

III.               La norme de contrôle

 

[19]           S’agissant des décisions CH, la norme de contrôle judiciaire applicable aux conclusions de fait et à l’appréciation de la preuve est celle du caractère raisonnable. Le caractère raisonnable, qui commande la retenue judiciaire, tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 97).

 

[20]           Quant au point de savoir si les motifs sont suffisants ou non, c’est là une question d’équité procédurale, à laquelle s’applique normalement la norme de la décision correcte [Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565, 139 ACWS (3d) 164, par. 9]. Cependant, il existe une jurisprudence selon laquelle, la fonction principale des motifs étant de garantir la justification de la décision administrative, ainsi que la transparence et l’intelligibilité du processus qui y a conduit, la question du caractère suffisant des motifs commanderait en fait l’application d’une norme de contrôle plus proche de celle de la raisonnabilité [Nicolas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2010 CF 452, 367 FTR 223, par. 11]. Quoi qu’il en soit, le cadre d’analyse est le même dans les deux cas.

 

IV.              Récapitulation et analyse des thèses des parties

 

A.                 Le défendeur a‑t‑il suffisamment motivé sa décision?

 

[21]           La demanderesse soutient que les motifs de la décision de l’agent sont insuffisants. On n’y trouve pas d’analyse digne de ce nom, fait-elle valoir, mais rien de plus qu’un exposé des faits suivi d’une conclusion. Le processus ayant conduit à cette décision n’est donc ni transparent ni intelligible. Selon la demanderesse, les motifs de la décision attaquée sont des justifications passe-partout destinées à mettre celle‑ci à l’abri d’un examen judiciaire. La demanderesse étaye cet argument d’une comparaison détaillée entre les motifs de la décision qu’elle conteste et ceux d’une autre décision rendue par le même agent à une autre date et sur un autre cas, soit la décision Csaba. Il en ressort à l’évidence selon elle que l’agent a suivi un modèle.

 

[22]           Le défendeur soutient que les motifs de l’agent sont suffisants et fait valoir qu’ils ne sont pas identiques à ceux de la décision Csaba. L’examen de la décision de l’agent, poursuit‑il, montre qu’il a pris en considération les facteurs CH invoqués par la demanderesse et qu’il a expliqué pourquoi ils ne justifient pas l’octroi d’une dispense.

 

[23]           La demanderesse a invoqué deux moyens à l'appui de sa demande CH : la crainte de retourner en Corée du Sud et le degré d’établissement. Pour ce qui concerne la première, il est évident que l’agent a accordé un grand poids au rapport de l’agent d’ERAR. En l’absence de preuves probantes propres à contrebalancer la conclusion raisonnable du rapport sur les risques, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas produit d’éléments suffisants pour établir que les risques qu’elle courrait en retournant en Corée du Sud étaient assimilables à des difficultés inhabituelles ou injustifiées.

 

[24]           Pour ce qui concerne le second fondement de la demande CH, à savoir le degré d’établissement, l’agent a pris en compte la totalité de la preuve et a conclu que la demanderesse n’avait pas prouvé qu’elle devrait faire face à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. La demanderesse invoque la décision Adu, précitée, au soutien de sa thèse que les motifs de l’agent sont insuffisants en ce qu’ils ne donnent qu’un simple exposé des faits suivi d’une conclusion. Or l’examen de la décision Adu, précitée, me convainc que la présente espèce s’en distingue sous le rapport des faits. Dans Adu, la juge Anne Mactavish a fait observer que les affaires citées par le défendeur étaient à distinguer de celle dont elle était saisie parce qu’elles mettaient en jeu des motifs considérablement plus détaillés. Elle expliquait cette conclusion dans les termes suivants aux paragraphes 17 et 18 :

[17]        À titre d’exemple, dans Irimie, l’agente a souligné que les demandeurs avaient soutenu que leur fils aurait de la difficulté à s’adapter à une nouvelle école s’il était forcé de retourner dans son pays d’origine. Elle a ensuite expliqué pourquoi cette prétention ne la convainquait pas, faisant observer que l’enfant s’était déjà bien adapté lorsqu’il avait déménagé au Canada et qu’il allait retourner dans un pays où il avait passé la majeure partie de sa vie.

 

[18]        De même, dans Nazim, l’agente a examiné les facteurs d’établissement proposés par le demandeur. Elle a cependant fait remarquer qu’aucun membre de la famille de celui‑ci ne vivait au Canada, mais qu’il y en avait toujours qui vivaient au Pakistan, deux facteurs allant à l’encontre de l’acceptation de la demande.

 

[25]           De la même façon, dans la présente espèce, l’agent ne s’est pas contenté de conclure, sans analyse critique, que la demanderesse ne l’avait pas convaincu qu’elle subirait des difficultés excessives. Il a pris acte du fait que la demanderesse possède et exploite sa propre entreprise, qu’elle a travaillé très fort, qu’elle a acheté une maison, qu’elle a réalisé son établissement économique et que son dossier civil est sans tache. Il a aussi reconnu qu’elle avait démontré l’importance qu’elle attache à son perfectionnement professionnel en obtenant de nombreux certificats, et qu’elle avait noué des liens avec sa collectivité.

 

[26]           Cependant, l’agent a aussi noté les éléments suivants :

•           La demanderesse a bénéficié des formes régulières afférentes au programme de protection des réfugiés, de sorte qu’il y avait lieu de s’attendre à ce qu’elle eût atteint un certain degré d’établissement en six années qu’elle avait passées au Canada. Son intégration à la collectivité était certes louable, mais elle n’a pas prouvé que la rupture de ces liens aurait des effets suffisamment défavorables pour être assimilés à des difficultés excessives.

•           On attend de tous les résidents temporaires et permanents du Canada, comme de tous les citoyens canadiens, qu’ils aient un bon dossier civil.

•           Avant de venir au Canada, la demanderesse était établie en Corée du Sud, où elle avait fait des études et était travailleuse autonome. Aucun élément de preuve n’indiquait qu’elle serait incapable de s’établir de nouveau dans son pays d’origine.

•           Il était vrai que la demanderesse avait passé six ans au Canada et que la reconstruction de sa vie en Corée du Sud n’irait pas sans difficultés, mais toute sa famille élargie habitait dans ce dernier pays et elle y avait elle-même vécu jusqu’à l’âge de 50 ans.

•           La demanderesse avait acquis au cours de sa vie professionnelle des compétences et une expérience transférables qui l’aideraient à trouver un emploi.

 

[27]           Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Adu, précitée, l’agent n’avait relevé que les facteurs favorables à l’accueil de la demande CH. Dans la présente espèce, l’agent a aussi attiré l’attention sur les facteurs qui militaient contre l’octroi d’une dispense. Les motifs contestés par la demanderesse sont tels qu’ils lui permettent de comprendre quels facteurs l’agent a pris en considération et comment leur appréciation l’a mené à sa conclusion. Il est évident que l’agent en est arrivé à une décision défavorable parce que la preuve produite ne suffisait pas à le convaincre de décider autrement. Le demandeur CH supporte la charge de produire une preuve suffisante pour convaincre l’agent compétent que se justifie dans son cas l’octroi d’une dispense sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.R. 2001, ch. 27 (la LIPR). J’estime que les motifs exposés par l’agent sont suffisants.

 

[28]           Quant à la comparaison détaillée des motifs de l’agent avec ceux de la décision Csaba, je remarque que les deux décisions, dans leurs parties d’application générale, sont formulées de manière identique ou semblable, mais qu’elles contiennent aussi, exposant les faits pertinents et leur analyse, des développements importants qui sont particuliers à chacune. Il semble qu’on puisse en déduire que, comme l’affirme la demanderesse, l’agent s’est servi de quelque chose comme un modèle pour rédiger sa décision. Cependant, j’accueille l’argument du défendeur selon lequel il n’y a rien d’irrégulier dans le fait qu’un agent utilise comme modèle un précédent traitant des principes applicables aux demandes CH. En fait, le rappel des mêmes principes dans chaque cas assure la cohérence, la prévisibilité et la transparence du processus décisionnel. Tant qu’il est évident que l’agent a pris en compte les facteurs pertinents et a expliqué ses conclusions de manière satisfaisante, la qualité littéraire ou l’originalité de l’exposé des ses motifs n’a pas grande importance [Vajda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 917, 150 ACWS (3d) 691, par. 8]. J’estime que l’agent a pris en considération dans ses motifs tous les facteurs mis de l’avant par la demanderesse.

 

B.                 Le défendeur a‑t‑il commis une erreur en ce qu’il n’aurait pas pris le guide applicable en considération?

 

[29]           La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en ce qu’il n’a pas pris en considération les passages applicables du chapitre IP 5, relatif aux demandes CH, du guide « Traitement des demandes au Canada ». Elle avait expressément prié l’agent de se référer, pour l’examen de sa demande, aux sections de ce chapitre concernant la détermination du degré d’établissement au Canada et la violence familiale. Or, affirme‑t‑elle, rien n’indique dans ses motifs qu’il l’ait fait.

 

[30]           La section 11.3 du chapitre IP 5 énumère dans les termes suivants les facteurs dont les agents devraient tenir compte pour déterminer le degré d’établissement des demandeurs :

•     Le demandeur a‑t‑il des antécédents d’emploi stable?

 

•     Y a‑t‑il une saine gestion financière constante?

 

•     Le demandeur s’est‑il intégré à la collectivité en s’impliquant auprès d’organismes communautaires, en faisant du bénévolat ou par d’autres activités?

 

•     Le demandeur a‑t‑il entrepris des études professionnelles, linguistiques ou autres qui montrent une intégration à la société canadienne?

 

•     Le demandeur et les membres de sa famille ont‑ils un bon dossier civil au Canada (p. ex. aucune accusation au pénal ou intervention de la part d’agents d’exécution de la loi ou d’autres autorités pour de la violence familiale ou de la violence faite aux enfants)?

 

[31]           Les instructions sur les facteurs à prendre en considération à propos de la violence familiale sont exposées à la section 12.7 du chapitre IP 5, rédigée comme suit :

12.7. Violence familiale

 

Les membres de la famille au Canada, particulièrement les époux, qui sont dans une relation de violence et qui ne sont pas des résidents permanents ni des citoyens canadiens, peuvent se sentir obligés de demeurer dans la relation ou dans une situation de violence pour rester au Canada; cela pourrait les placer dans une situation de difficultés.

 

L’agent doit être sensible aux situations où l’époux (ou un autre membre de la famille) d’un citoyen canadien ou d’un résident permanent quitte une situation de violence et par conséquent ne bénéficie pas d’une demande de parrainage approuvée.

 

L’agent doit tenir compte des facteurs suivants :

 

• les renseignements indiquant qu’il y a eu violence (comptes rendus d’incident de la police, accusations ou déclarations de culpabilité, rapports de refuges pour femmes battues, rapports médicaux, etc.);

 

• s’il y a un degré d’établissement au Canada (voir la section 11.3);

 

• les difficultés qui en résulteraient si le demandeur devait quitter le Canada;

 

• les lois, les coutumes et la culture dans le pays d’origine du demandeur;

 

• le soutien des parents et des amis dans le pays d’origine du demandeur;

 

• si le demandeur a un enfant au Canada ou, dans le cas d’une femme, si elle est enceinte.

 

[32]           Selon le défendeur, l’examen des motifs de l’agent montre qu’il a pris en compte l’ensemble des cinq éléments énumérés dans le guide aux fins d’évaluer le degré d’établissement de la demanderesse. Je conclus de mon propre examen que tel est effectivement le cas. L’agent a manifestement recherché si la demanderesse avait des antécédents d’emploi stable, si elle avait pour habitude avérée de bien gérer ses ressources pécuniaires, si elle s’était intégrée à la collectivité, si elle avait fait des études professionnelles et si elle avait un dossier civil satisfaisant au Canada.

 

[33]           Pour ce qui concerne la violence familiale, on ne trouve trace dans les motifs de l’agent d’aucun des éléments énumérés dans la section applicable du guide. La raison en est, soutient le défendeur, qu’il n’est pas question de violence dans les allégations de la demanderesse touchant la dissolution de son mariage. La demanderesse a affirmé que son mari l’avait forcée à subvenir à ses besoins. Quand elle en a eu assez, elle s’est séparée de lui puis a demandé le divorce, même si elle savait qu’il retirerait son parrainage en conséquence. Je trouve effectivement étrange que l’agent ne fasse pas mention dans ses motifs des observations de la demanderesse concernant ses rapports avec son ex‑mari. Cependant, les arguments du défendeur sur ce point emportent ma conviction. Le défendeur fait valoir que l’agent n’était pas tenu de prendre en compte des facteurs non étayés par les allégations ou la preuve de la demanderesse. Celle‑ci, en effet, n’a pas produit d’éléments établissant qu’elle avait été victime d’une violence effective, qui auraient pu être, pour reprendre les exemples du guide, des déclarations de culpabilité, des rapports de police ou des témoignages provenant de foyers pour femmes maltraitées. L’agent ne pouvait donc tenir compte d’informations qui n’avaient pas été présentées. Il a manifestement pris en considération le degré d’établissement de la demanderesse, les difficultés qui l’attendaient si elle devait partir et le soutien dont elle pourrait disposer en Corée du Sud. Il a aussi fait observer que, comme elle avait vécu dans ce pays jusqu’à l’âge de 50 ans, elle en connaissait bien la langue, les coutumes et la culture.

 

[34]           Quoi qu’il en soit, il convient d’appliquer ici le principe qu’a rappelé le juge Yves de Montigny au paragraphe 29 de Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1152 :

[29]        […] De plus, il a été déclaré de nombreuses fois que les guides ne sont pas des lois, ne contraignent pas le ministre ou ses délégués et que, juridiquement, ils ne créent pas de droit pour les demandeurs qui croient satisfaire aux critères qui s’y trouvent (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125). Bien que les guides puissent être utiles à la Cour, ils ne peuvent pas entraver le pouvoir discrétionnaire d’un agent.

 

[35]           J’estime que la Cour ne devrait pas remettre en cause pour ce motif une décision qui se révèle manifestement raisonnable à la lecture.

 

C.        Le défendeur a‑t‑il commis une erreur dans l’appréciation de la preuve?

 

[36]           La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en attribuant peu de poids aux lettres de références et de soutien provenant d’amis, [TRADUCTION] « parce qu’elles [avaient] été écrites par des personnes non nécessairement impartiales ou détachées de tout intérêt dans l’issue de la [...] demande » [dossier certifié du tribunal (DCT), p. 5]. La demanderesse fait valoir que l’agent a eu tort d’attribuer une moindre force probante à ces lettres pour la seule raison qu’elles avaient été écrites par des amis et connaissances.

 

[37]           Le défendeur soutient que, s’il est vrai que la jurisprudence donne effectivement à penser que ce peut être une erreur d’écarter d’emblée de tels éléments parce qu’ils proviennent de personnes intéressées, elle pose aussi que l’agent peut, sans qu’on le lui impute à erreur, prendre à tout le moins ce facteur en considération dans l’appréciation globale de la force probante de la preuve (Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 794, 180 ACWS (3d) 8, par. 15 à 17; Sayed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 796, par. 21; Obeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 61, par. 31 à 33; et Mikhno c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 386].

 

[38]           L’agent a pris en considération les documents en question : il ne les a pas écartés catégoriquement. Ce fait ressort à l’évidence du passage suivant de sa décision (page 5 du DCT) :

[TRADUCTION] J’admets que la demandeuse s’est intégrée à la collectivité, et on ne peut que la féliciter d’avoir atteint un certain degré d’établissement. Je prends acte aussi de ce qu’elle a noué des liens avec sa collectivité locale au Canada.

 

[39]           Cependant, l’agent a décidé d’attribuer peu de poids aux lettres en question. Je fais miennes à ce sujet les observations formulées par le juge Russel Zinn au paragraphe 21 de la décision Sayed, précitée :

[21]        Dans Augusto c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 673, au paragraphe 9, la juge Layden‑Stevenson (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a jugé que « [à] moins qu’il ait omis de prendre en considération des facteurs pertinents ou ait tenu compte de facteurs non pertinents, l’appréciation de la preuve relève de l’agent chargé de l’examen et n’est normalement pas sujette à un contrôle judiciaire ». En d’autres termes, l’appréciation des preuves est une question de fait, un aspect qui doit faire l’objet d’une grande retenue de la part de la Cour et qui est susceptible d’être examiné selon la norme de raisonnabilité.

 

[40]           Je conclus que l’agent n’a pas commis d’erreur en attribuant peu de poids aux lettres provenant d’amis de la demanderesse. Il les a prises en compte, mais a conclu que leur valeur probante ne suffisait pas à établir que la demanderesse devrait faire face à des difficultés excessives si elle était obligée de quitter le Canada. À moins qu’on ne démontre ce qui n’a pas été fait ici que l’agent a agi de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont il disposait, l’intervention judiciaire ne se justifie pas à cet égard.

 

V.        Conclusion

 

[41]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et la présente espèce n’en soulève aucune.

 

[42]           Au vu des conclusions qui précèdent, la Cour rejette la présente demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D.G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4381‑10

 

INTITULÉ :                                       IN HEE KANG c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee

 

POUR LA DEMANDERESSE

Leila Jawando

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Wennie Lee

Lee & Company

North York (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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