Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20110208

Dossier : IMM‑2675‑10

Référence : 2011 CF 144

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 8 février 2011

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

 

ENTRE :

ECVET SAYER

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Ecvet Sayer (le demandeur) demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 14 avril 2010 par l’agent des visas Daniel Vaughan (l’agent). Dans cette décision, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente présentée par le demandeur au titre de la catégorie des investisseurs, en application du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

 

[2]               Le demandeur avait été déclaré coupable en Turquie de voies de fait. L’agent a conclu que cette infraction en Turquie correspond à l’infraction de voies de fait prévue à l’article 266 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46. Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en n’effectuant pas une appréciation adéquate de l’équivalence des infractions, notamment une appréciation des moyens de défense possibles contre une accusation de voies de fait.

 

[3]               La première question à examiner concerne la norme de contrôle applicable. Par suite des arrêts Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, les normes de contrôle applicables aux décisions administratives sont celle de la décision raisonnable pour les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit et celle de la décision correcte pour les questions de droit et d’équité procédurale.

 

[4]               Je souscris à l’argument du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) selon lequel la norme de contrôle applicable à la question de l’équivalence est celle de la décision raisonnable. Tout d’abord, je signale qu’il faut prouver la loi générale étrangère grâce à des éléments de preuve. La cour de révision ne peut pas simplement prendre connaissance d’office de la loi étrangère. La preuve de la loi étrangère grâce à des éléments de preuve est suivie d’un examen des termes de la loi étrangère et d’une comparaison avec les termes de la loi canadienne « équivalente ».

 

[5]               L’alinéa 36(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 ( la Loi), commande l’appréciation de l’équivalence entre une infraction prévue par la loi étrangère et une infraction prévue par la loi canadienne, à savoir, en l’espèce, le Code criminel. L’alinéa 36(2)b) de la Loi prévoit ce qui suit :

(2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants :

[…]

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits et qui, commises au Canada, constitueraient des infractions à des lois fédérales;

(2) A foreign national is inadmissible on grounds of criminality for

 

(b) having been convicted outside Canada of an offence that, if committed in Canada, would constitute an indictable offence under an Act of Parliament, or of two offences not arising out of a single occurrence that, if committed in Canada, would constitute offences under an Act of Parliament;

 

Il s’agit donc d’une question mixte de fait et de droit puisque les faits pertinents doivent être appréciés au regard des dispositions de la loi étrangère applicable et comparés avec la loi canadienne applicable.

 

[6]               En l’espèce, le demandeur a été déclaré coupable en Turquie d’une infraction décrite à l’article 86 du Code pénal turc. Le demandeur a soumis à l’agent une traduction en anglais de l’article 86 du Code pénal turc, dont voici une traduction française :

[traduction]

Atteinte délictueuse à l’intégrité

 

(1)        Quiconque inflige intentionnellement une blessure ou une douleur à une autre personne ou commet un acte susceptible de détériorer la santé ou les facultés mentales d’une autre personne est condamné à une peine d’emprisonnement d’un à trois ans.

 

(2)        En cas de perpétration de l’infraction d’atteinte délictueuse à l’intégrité :

 

a)         contre un ascendant, un descendant, un époux, un frère ou une sœur;

b)         contre une personne qui ne peut se protéger en raison d’une incapacité physique ou mentale;

c)         dans le cadre de l’exercice d’une charge publique;

d)         par suite d’un abus d’influence lié à une charge publique;

e)         avec une arme,

le contrevenant est condamné à une peine d’emprisonnement de deux à cinq ans.

 

 

[7]               L’agent a pris en considération les faits connus, notamment la décision par laquelle la Cour turque a déclaré coupable le demandeur et a conclu que l’infraction turque équivalait à l’infraction de voies de fait au sens de l’article 265 du Code criminel, pour laquelle les peines sont prévues à l’article 266.

 

[8]               Les articles 265 et 266 du Code criminel sont libellés comme suit :

Voies de fait

 

265. (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

 

a) d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

 

b) tente ou menace, par un acte ou un geste, d’employer la force contre une autre personne, s’il est en mesure actuelle, ou s’il porte cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, qu’il est alors en mesure actuelle d’accomplir son dessein;

 

c) en portant ostensiblement une arme ou une imitation, aborde ou importune une autre personne ou mendie.

 

 

Application

 

(2) Le présent article s’applique à toutes les espèces de voies de fait, y compris les agressions sexuelles, les agressions sexuelles armées, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles et les agressions sexuelles graves.

 

Consentement

 

(3) Pour l’application du présent article, ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison :

 

a) soit de l’emploi de la force envers le plaignant ou une autre personne;

 

b) soit des menaces d’emploi de la force ou de la crainte de cet emploi envers le plaignant ou une autre personne;

 

c) soit de la fraude;

 

d) soit de l’exercice de l’autorité.

 

Croyance de l’accusé quant au consentement

 

(4) Lorsque l’accusé allègue qu’il croyait que le plaignant avait consenti aux actes sur lesquels l’accusation est fondée, le juge, s’il est convaincu qu’il y a une preuve suffisante et que cette preuve constituerait une défense si elle était acceptée par le jury, demande à ce dernier de prendre en considération, en évaluant l’ensemble de la preuve qui concerne la détermination de la sincérité de la croyance de l’accusé, la présence ou l’absence de motifs raisonnables pour celle‑ci.

 

Voies de fait

 

266. Quiconque commet des voies de fait est coupable :

a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;

 

 

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Assault

 

265. (1) A person commits an assault when

 

 

 

(a) without the consent of another person, he applies force intentionally to that other person, directly or indirectly;

 

 

 

(b) he attempts or threatens, by an act or a gesture, to apply force to another person, if he has, or causes that other person to believe on reasonable grounds that he has, present ability to effect his purpose; or

 

 

 

(c) while openly wearing or carrying a weapon or an imitation thereof, he accosts or impedes another person or begs.

 

Application

 

(2) This section applies to all forms of assault, including sexual assault, sexual assault with a weapon, threats to a third party or causing bodily harm and aggravated sexual assault.

 

 

 

Consent

 

(3) For the purposes of this section, no consent is obtained where the complainant submits or does not resist by reason of

 

 

(a) the application of force to the complainant or to a person other than the complainant;

 

(b) threats or fear of the application of force to the complainant or to a person other than the complainant;

 

(c) fraud; or

 

(d) the exercise of authority.

 

 

Accused’s belief as to consent

 

 

(4) Where an accused alleges that he believed that the complainant consented to the conduct that is the subject‑matter of the charge, a judge, if satisfied that there is sufficient evidence and that, if believed by the jury, the evidence would constitute a defence, shall instruct the jury, when reviewing all the evidence relating to the determination of the honesty of the accused’s belief, to consider the presence or absence of reasonable grounds for that belief.

 

 

Assault

 

266. Every one who commits an assault is guilty of

(a) an indictable offence and is liable to imprisonment for a term not exceeding five years; or

 

(b) an offence punishable on summary conviction.

 

 

[9]               Le demandeur prétend maintenant que l’agent a commis une erreur dans son appréciation de l’équivalence en omettant de prendre en compte la possibilité d’invoquer un moyen de défense contre une accusation de voies de fait au Canada, et mentionne la légitime défense comme moyen de défense possible au Canada. Il prétend également que l’agent a commis une erreur en écrivant, dans sa décision, que le demandeur n’avait pas fait valoir de [traduction] « facteurs atténuants » devant la Cour turque. Le demandeur soutient que cette conclusion va clairement à l’encontre du texte de la décision turque dans laquelle il est question de [traduction] « la défense du défendeur ».

 

[10]           Deux arrêts de la Cour d’appel fédérale sont pertinents en l’espèce. Dans Hill c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1987), 1 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a énoncé les trois critères suivants pour établir l’équivalence des infractions :

Il me semble que, étant donné la présence des termes « qui constitue ... une infraction ... au Canada », l’équivalence peut être établie de trois manières : tout d’abord, en comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s’il s’en trouve de disponible, par le témoignage d’un expert ou d’experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives; en second lieu, par l’examen de la preuve présentée devant l’arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d’établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes introductifs d’instance ou dans les dispositions légales; en troisième lieu, au moyen d’une combinaison de cette première et de cette seconde démarches.

 

 

[11]           Dans Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 1 C.F. 235 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a conclu que lorsque les éléments essentiels d’une infraction donnée à l’étranger sont comparés avec ceux des infractions au Canada, le défendeur est tenu de prendre en considération les moyens de défense qui sont propres à cette infraction, mais non les principes généraux de droit pénal dans les deux pays ni la possibilité de condamnation dans chacun des pays. À cet égard, la Cour d’appel fédérale a affirmé ce qui suit à la page 252 :

À mon avis, la définition d’une infraction embrasse les éléments constitutifs et les moyens de défense propres à cette infraction, voire à cette catégorie d’infractions. Dans l’application du sous‑alinéa 19(2)a.1)(i) de la Loi sur l’immigration, il n’est pas nécessaire de comparer tous les principes généraux de responsabilité pénale dans les deux systèmes : ce qu’il faut examiner, c’est la comparabilité des infractions, et non la comparabilité des possibilités de condamnation dans les deux pays.

 

 

[12]           En l’espèce, le demandeur allègue que l’agent n’a pas reconnu que la Cour turque a pris en considération le facteur atténuant équivalant à une provocation. Le demandeur allègue également que l’agent n’a pas comparé la possibilité d’invoquer la légitime défense en Turquie, où, selon le demandeur, elle ne constitue qu’un facteur atténuant, avec la possibilité d’invoquer la légitime défense au Canada, où, si elle est établie, elle peut constituer un moyen de défense pleinement disculpatoire afin d’écarter une déclaration de culpabilité.

 

[13]           Je ne suis pas persuadée que l’agent a commis une erreur dans son appréciation de l’équivalence. Il a adopté l’un des critères énoncés dans l’arrêt Hill, à savoir il a comparé les éléments essentiels de l’infraction turque avec ceux de l’infraction prévue par le Code criminel. Il a conclu que les éléments essentiels étaient identiques.

 

[14]           L’agent a commis une erreur lorsqu’il a écrit que le demandeur n’avait présenté [traduction] « aucun facteur atténuant » devant la Cour turque; toutefois, cette erreur est sans importance puisqu’elle n’affecte pas l’issue de l’affaire. Tant en Turquie qu’au Canada, la provocation n’est pertinente que pour la sanction ultime et non pour l’inscription d’une déclaration de culpabilité.

 

[15]           Je suis également convaincue que l’agent n’a pas commis d’erreur en ne prenant pas en considération les moyens de défense qu’il est possible d’invoquer au Canada contre une accusation de voies de fait. Il ressort clairement du dossier que la Cour turque n’a pas été persuadée par les arguments du demandeur concernant la légitime défense. À cet égard, l’alinéa 36(2)b) de la Loi et l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Li révèlent que le rôle de l’agent consistait à déterminer si l’infraction dont le demandeur été déclaré coupable a un équivalent en droit criminel canadien et non à déterminer s’il est probable qu’il aurait été déclaré coupable s’il avait été jugé au Canada.

 

[16]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y aucune question à certifier.

 

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jenny Kourakos, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2675‑10

 

INTITULÉ :                                                   ECVET SAYER c.
LE MINISTRE DE
LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 7 février 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 8 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ali Amini

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Manuel Mendelzon

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ali Amini

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.