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Date : 20110214

Dossier : T-2180-09

Référence : 2011 CF 179

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 février 2011

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

SALAHUDIN CHAUDHRY

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi) de la décision, en date du 6 novembre 2009, par laquelle le juge de la citoyenneté Normand Allaire a rejeté la demande de citoyenneté du demandeur.

 

[2]               Salahudin Chaudhry (le demandeur) est devenu un immigrant admis le 18 novembre 2003. Sa femme et ses deux (2) fils l’ont par la suite rejoint au Canada.

 

[3]               Le demandeur a présenté une demande de citoyenneté le 13 mars 2008. Les obligations en matière de résidence devaient par conséquent être respectées entre le 13 mars 2004 et le 13 mars 2008. Dans sa demande de citoyenneté, le demandeur a déclaré qu’il avait été à l’étranger pendant 332 jours au cours de cette période. Sa femme et ses fils ont présenté des demandes de citoyenneté distinctes et sont maintenant des citoyens canadiens.

 

[4]               Le 3 juin 2009, après l’audience, le juge de la citoyenneté a demandé que les documents suivants soient produits dans un délai de 30 jours : preuve d’arrivée au Canada pour absence déclarée; relevés des systèmes e-gate relativement aux déplacements entre le Pakistan et les Émirats arabes unis entre le 13 novembre 2003 et maintenant; avis de cotisations d’impôt sur le revenu entre 2003 et 2008; tout autre genre de preuve de présence effective au Canada; copies claires et lisibles de son autre passeport; preuve de résidence et preuve de paiement mensuel de loyer (c.-à-d. chèques ou retraits d’argent).

 

Décision contrôlée

[5]               D’entrée de jeu, le juge de la citoyenneté a expliqué que la question à trancher était de savoir si le demandeur avait, dans les quatre (4) ans ayant précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois (3) ans (c.-à-d. pendant 1 095 jours) au sens de l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

[6]               Pour calculer la période de résidence du demandeur au Canada, le juge de la citoyenneté a cité la décision Pourghasemi dans laquelle le juge Muldoon a statué que le demandeur doit être effectivement présent au Canada pendant 1 095 jours, et il a appliqué ce critère à la situation du demandeur. Le juge de la citoyenneté a déclaré que le demandeur n’avait pas soumis des preuves suffisantes pour confirmer qu’il avait effectivement été présent au Canada comme il le prétendait. Il a ajouté que c’était au demandeur qu’il incombait de démontrer qu’il avait été présent pendant au moins trois (3) ans comme l’exige la Loi. Qui plus est, le demandeur ne s’était pas conformé à la demande du 3 juin 2009 : il n’a pas fourni les renseignements réclamés dans le délai convenu de 30 jours.

 

[7]               Le juge de la citoyenneté a conclu que les renseignements contenus dans la demande n’étaient pas crédibles et que la période pendant laquelle le demandeur avait été effectivement présent au Canada équivalait à 161 jours. Il a par conséquent rejeté la demande. Il n’a pas recommandé l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par les paragraphes 5(3) et 5(4) de la Loi.

 

Arguments des parties

A.        Prétentions du demandeur

[8]               Le demandeur a soumis un document de deux pages expliquant sa situation ainsi qu’un affidavit et d’autres documents. Parmi ces documents, il y a lieu de mentionner des relevés de sortie et d’entrée des Émirats arabes unis, un nouveau passeport contenant un timbre d’entrée au Pakistan, un timbre de retour au Canada et des timbres concernant six courts voyages aux États-Unis, de même qu’une lettre de son locateur. Le demandeur affirme que les autres timbres qui se trouvent dans ce passeport ne concernent que des transits. Il soutient également que les autres documents réclamés, comme ceux se rapportant à ses antécédents médicaux, à ses relevés bancaires et à son dossier de conduite faisaient tous partie de sa demande originale.

 

[9]               Le demandeur affirme que sa demande a été refusée pour deux (2) raisons : en premier lieu, parce qu’il avait été absent du Canada pendant 1 299 jours suivant ses dossiers de passeport et, en second lieu, parce qu’il n’avait pas réussi à se procurer dans les 30 jours exigés les documents demandés, y compris son passeport expiré.

 

[10]           Il mentionne également que le juge de la citoyenneté a calculé ses absences en se fiant sur ses antécédents médicaux et les timbres de son passeport. Il ajoute que l’hypothèse suivant laquelle il exerce encore un emploi aux Émirats arabes unis est sans fondement comme l’indiquent les relevés d’entrée et de sortie qui ont été soumis ainsi que le fait qu’un visa de résidence aux Émirats arabes unis est valide pour trois (3) ans, indépendamment du temps passé à l’étranger.

 

B.         Prétentions du défendeur

[11]           Le défendeur s’oppose tout d’abord à l’inclusion des pièces déposées après le 6 novembre 2009. Il soutient que la Cour ne peut tenir compte de ces pièces parce qu’elles ne faisaient pas partie du dossier original. Le défendeur cite trois (3) décisions (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chan (1998), 150 FTR 68, 44 Imm LR (2d) 23, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Cheung (1998), 148 FTR 237, 46 Imm LR (2d) 89, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tsang (1999), 90 ACWS (3d) 348, [1999] A.C.F. no 1210 (QL)) à l’appui de son argument qu’il ne s’agit pas d’un appel de novo.

 

[12]           Quant à la norme de contrôle, le défendeur affirme que la question du respect des conditions de résidence par le demandeur est assujettie à la norme de la décision raisonnable (El Falah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 736, [2009] A.C.F. no 1402 (QL), au paragraphe 14).

 

[13]           Le premier argument du défendeur est que le demandeur n’a pas réussi à démontrer qu’il respectait les conditions en matière de résidence. À cet égard, le défendeur affirme qu’il incombe au demandeur de convaincre le juge de la citoyenneté que ces conditions ont été respectées. En l’espèce, le défendeur affirme que le demandeur n’a pas réussi à établir son droit à la citoyenneté et qu’il n’a pas soumis des éléments de preuve suffisants pour prouver sa résidence au Canada. De plus, la jurisprudence de la Cour insiste sur la nécessité de la présence du demandeur au Canada. Le demandeur doit démontrer par des faits objectifs, en premier lieu, qu’il a établi sa propre résidence pendant trois (3) ans et, en second lieu, qu’il a conservé cette résidence. Le défendeur affirme enfin que le juge de la citoyenneté a fourni des motifs solides pour expliquer pourquoi le demandeur ne respectait pas les conditions de résidence. Ainsi qu’il l’a déclaré à l’audience, la présente affaire repose surtout sur le défaut du demandeur de présenter des éléments de preuve convaincants.

 

[14]           Comme deuxième argument, le défendeur affirme que le juge de la citoyenneté a appliqué le critère de la présence effective, un des trois (3) critères élaborés pour établir la présence d’une personne au Canada. Suivant le défendeur, si un juge applique correctement un de ces critères, notre Cour ne peut intervenir. En l’espèce, le juge de la citoyenneté a appliqué le critère de la présence effective, que certains juges de la Cour fédérale ont déclaré être le critère approprié que l’on doit privilégier pour établir la résidence. Le juge de la citoyenneté a conclu de façon raisonnable que le demandeur ne respectait pas les conditions de résidence en se fondant sur les facteurs mentionnés dans sa décision. De plus, le demandeur n’a pas fourni dans le délai prévu les renseignements complémentaires réclamés par le juge de la citoyenneté, il ne s’est jamais plaint auprès du juge de la citoyenneté du délai trop serré qui lui était imparti pour présenter la documentation complémentaire et il n’a pas demandé de prolongation de ce délai.

 

[15]           Quant à son troisième argument, le défendeur affirme que les explications que le demandeur a fournies après-coup ne permettent pas de conclure que la décision du juge de la citoyenneté est erronée. Le demandeur invoque maintenant des éléments dont ne disposait pas le juge de la citoyenneté et il demande à la Cour de réévaluer la preuve. Le défendeur ajoute qu’aucun des documents soumis ne démontre de façon catégorique la présence du demandeur au Canada.

 

[16]           Le défendeur soutient enfin que la décision est raisonnable. Le juge de la citoyenneté a appliqué le critère de la présence effective au Canada et a conclu que le demandeur avait été effectivement présent au Canada pendant 161 jours. Le demandeur n’a pas démontré que ce n’était pas le cas. Il ajoute que le demandeur peut présenter une nouvelle demande de citoyenneté dès lorsqu’il remplit les conditions.

 

Analyse juridique

[17]           La présente affaire soulève les questions de droit suivantes :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable dans le cas d’une décision d’un juge de la citoyenneté?

            2.         Peut-on présenter de nouveaux éléments de preuve devant notre Cour dans le cadre d’un appel en matière de citoyenneté?

            3.         Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur ne remplissait pas les conditions prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi?

 

A.        La norme de contrôle

[18]           La question de la norme de contrôle d’une décision d’un juge de la citoyenneté a été examinée à fond dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Takla, 2009 CF 1120, 359 FTR 248, dans laquelle le juge Mainville a brossé un tableau historique de la norme de contrôle dans les appels en matière de citoyenneté. Voici ce qu’il écrit aux paragraphes 19 et 20 :

Depuis la décision Dunsmuir, précitée, les décisions de la Cour fédérale favorisent pour la plupart l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable lors d’un appel d’une décision d’un juge de la citoyenneté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tarfi, 2009 CF 188, [2009] A.C.F. no 244 (QL), au par. 8; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zhou, 2008 CF 939, [2008] A.C.F. no 1170 (QL), au par. 7; et Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 483, 167 A.C.W.S. (3d) 38, au par. 8.

 

Quoique je sois également d’avis que la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce, au regard des enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir, l’application de cette norme n’est pas uniforme et varie selon l’analyse que doit faire la Cour en vertu de cette décision. En raison de l’analyse qui suit, je suis d’avis que la norme de contrôle de la décision raisonnable appelle ici une déférence restreinte lorsque la cour est saisie d’un appel d’une décision d’un juge de la citoyenneté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté.

 

 

[19]           Au paragraphe 39, il conclut ce qui suit :

Dans ce contexte, je suis d’avis que la norme de contrôle de la décision raisonnable doit s’appliquer avec flexibilité et s’adapter au contexte particulier en cause. La cour doit ainsi faire preuve de déférence, mais d’une déférence restreinte, lorsqu’elle est saisie d’un appel de la décision d’un juge de la citoyenneté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté concernant la détermination du respect de l’obligation de résidence. Les questions de compétence, d’équité procédurale et de justice naturelle que posent de tels appels demeurent néanmoins soumises à la norme de la décision correcte, selon les principes exposés dans Dunsmuir. Il s’agit là d’une approche qui concorde à la fois avec la volonté expresse du législateur d’assujettir ces décisions à un droit d’appel et avec les enseignements de la Cour suprême du Canada concernant le devoir de réserve des tribunaux judiciaires siégeant en appel des décisions des tribunaux administratifs.

 

[20]           Suivant la jurisprudence de notre Cour, la norme de contrôle applicable dans le cas d’une décision d’un juge de la citoyenneté est celle de la décision raisonnable.

 

B.         Présentation de nouveaux éléments de preuve

[21]           Dans ses observations, le demandeur a présenté de nouveaux éléments de preuve documentaire à la Cour. Le défendeur soutient que la Cour ne devrait pas tenir compte de ces éléments de preuve. La question de l’appel de novo dans les affaires de citoyenneté a été abordée dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Wang, 2009 CF 1290, 360 FTR 1, dans laquelle le juge Mandamin déclare, aux paragraphes 23 et 24 :

Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hung, [1998] A.C.F. no 1927, au paragraphe 8, le juge Rouleau écrivait ce qui suit : « En vertu des nouvelles Règles, les appels en matière de citoyenneté ne sont plus de nouveaux procès, mais doivent plutôt être interjetés au moyen d’une demande fondée sur le dossier soumis au juge de la citoyenneté : il n’est plus possible de présenter de nouveaux éléments de preuve à la Cour. »

 

Par conséquent, je ne tiendrai pas compte des nouveaux éléments de preuve présentés par le déclarant du ministre relatifs à la première demande de citoyenneté de Mme Wang.

 

 

[22]           J’abonde dans le sens du défendeur lorsqu’il affirme que la Cour ne doit pas tenir compte des éléments de preuve qui ont été soumis à la Cour par le demandeur.

 

C.        Caractère raisonnable de la décision du juge de la citoyenneté

[23]           Le juge de la citoyenneté a le choix entre trois (3) critères différents pour déterminer si un demandeur peut devenir un citoyen canadien. Dans la décision Pourzand c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 395, 71 Imm LR (3d) 289, le juge Russel discute du paragraphe 5(1) de la Loi et explique, au paragraphe 16 :

Le paragraphe 5(1) de la Loi énonce les critères qui doivent être respectés pour se voir attribuer la citoyenneté. L’alinéa 5(1)c) exige que, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, l’intéressé ait résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout. La Loi ne définit pas le terme « résider ». La jurisprudence de notre Cour est partagée au sujet du critère à appliquer pour déterminer si celui qui demande la citoyenneté remplit les conditions de résidence. En résumé, ces critères sont énoncés dans les affaires Koo, [[1993] 1 CF 286], Pourghasemi (1993), 62 F.T.R. 122 (C.F. 1re inst.), et Papadogiorgakis [1978] 2 C.F. 208 (C.F. 1re inst.). Le juge de la citoyenneté peut adopter l’un ou l’autre des trois critères de résidence proposés sans qu’aucune erreur ne lui soit reprochée pour cette raison.

 

[24]           La juge Tremblay-Lamer définit comme suit ces trois (3) critères dans la décision Mizani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 698, 158 ACWS (3d) 879, aux paragraphes 10 à 13 :

 

La Cour a interprété le terme « résidence » de trois façons différentes. Premièrement, il peut s’agir de la présence réelle et physique au Canada pendant un total de trois ans, selon un comptage strict des jours (Pourghasemi (Re), [1993] A.C.F. no 232 (QL) (1re inst.)). Selon une interprétation moins rigoureuse, une personne peut résider au Canada même si elle en est temporairement absente, pour autant qu’elle conserve de solides attaches avec le Canada (Antonios E. Papadogiorgakis (Re), [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.)). Une troisième interprétation, très semblable à la deuxième, définit la résidence comme l’endroit où l’on « vit régulièrement, normalement ou habituellement » ou l’endroit où l’on a « centralisé son mode d’existence » (Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), au paragraphe 10).

 

Je suis d’accord pour l’essentiel avec le juge James O’Reilly lorsqu’il écrit, au paragraphe 11 de la décision [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nandre, 2003 CFPI 650, 234 FTR 245], que le premier critère exige la présence physique, alors que les deux autres nécessitent un examen plus qualitatif :

 

Manifestement, la Loi peut être interprétée de deux manières, l’une exigeant une présence physique au Canada pendant trois ans sur un total de quatre, et l’autre exigeant moins que cela, pour autant que le demandeur de citoyenneté puisse justifier d’attaches étroites avec le Canada. Le premier critère est un critère physique et le deuxième un critère qualitatif.

 

Il a aussi été reconnu que le juge de la citoyenneté est libre d’appliquer l’un ou l’autre de ces trois critères (Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 410 (1re inst.) (QL)). Par exemple, dans la décision Hsu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 579, [2001] A.C.F. no 862 (QL), la juge Elizabeth Heneghan conclut, au paragraphe 4, que l’un ou l’autre de ces critères peut être appliqué pour rendre une décision sur la question de la résidence :

 

La jurisprudence sur les appels en matière de citoyenneté a clairement établi qu’il existe trois critères juridiques permettant de déterminer si un demandeur a démontré qu’il était un résident selon les exigences de la Loi sur la citoyenneté […] le juge de la citoyenneté peut soit calculer de façon stricte le nombre de jours de présence physique, soit examiner la qualité de la résidence, soit analyser la centralisation au Canada du mode de vie du demandeur.

 

[Renvois omis.]

 

Si le juge de la citoyenneté peut choisir d’appliquer l’un ou l’autre des trois critères, il ne lui est pas permis de les « fusionner » ([Tulupnikov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1439, 153 ACWS (3d) 1037], au paragraphe 16).

 

[25]           Il ressort d’ailleurs clairement de la jurisprudence de notre Cour que c’est au demandeur qu’il incombe de fournir des renseignements suffisants pour démontrer sa présence au Canada. Comme la juge Tremblay-Lamer l’explique, au paragraphe 19 de la décision Mizani :

En l’espèce, il incombait au demandeur de produire une preuve suffisante démontrant qu’il satisfaisait aux critères de résidence de la Loi (Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1641, [2005] A.C.F. no 2029 (QL), au paragraphe 21). Par conséquent, il devait, selon le critère de la « présence physique », démontrer qu’il avait été présent au Canada pendant au moins 1 095 jours au cours de la période pertinente, à défaut de quoi sa demande serait rejetée. En l’espèce, la juge n’a pas été en mesure de confirmer les allégations du demandeur concernant le nombre de jours pendant lesquels il avait été présent au Canada, et ce, à cause de l’insuffisance de sa preuve.

 

[26]           La dernière année a été marquée par un revirement de la jurisprudence traduisant la volonté de notre Cour de concilier les divers critères qui peuvent être appliqués pour déterminer la résidence au Canada. Dans la décision Takla, précitée, après avoir cité les critères énoncés dans les décisions Pourghasemi et Papadogiorgakis, le juge Mainville déclare, aux paragraphes 42 et 43 :

La troisième école jurisprudentielle est devenue dominante avec le temps et elle s’appuie sur l’analyse du juge Reed dans Koo, précité. Cette école jurisprudentielle soutient que le critère applicable est celui de la centralisation du mode de vie au Canada. Pour déterminer si ce critère est satisfait, six questions doivent être posées (Koo, aux pages 293 et 294) :

 

1)         la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2)         où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3)         la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu’elle n’est qu’en visite?

4)         quelle est l’étendue des absences physiques (lorsqu’il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

5)         l’absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger)?

6)         quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont‑elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

 

Le critère de la décision Koo a été repris par la jurisprudence de cette Cour au point qu’il constitue aujourd’hui, et de loin, le critère dominant, « peut‑être en partie en raison des six questions qui ont été énoncées spécifiquement dans le formulaire utilisé par les juges de la citoyenneté », comme le note d’ailleurs le juge Martineau dans la décision récente Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zhou, précitée, au par. 9.

 

[27]           Récemment, dans la décision Abou-Zahra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1073, [2010] A.C.F. no 1326 (QL), le juge Boivin a déclaré, aux paragraphes 19 et 20 :

Il convient toutefois de noter que récemment la jurisprudence de cette Cour sur cette question s’est précisée à la suite de la décision du juge Mainville dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Takla, 2009 CF 1120, 2009 A.C.F. no 1371 et la décision du juge Zinn dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Elzubair, 2010 CF 298, 2010 A.C.F. no 330. Décisions auxquelles je souscris.  

 

Ainsi, comme l’explique le juge Zinn dans Elzubair, lorsqu’un juge de la citoyenneté arrive à la conclusion qu’un demandeur a été physiquement présent au Canada pendant une période d’au moins 1 095 jours - c’est-à-dire la période minimale requise - la résidence est dans ce cas prouvée et il est inutile de recourir au critère plus contextuel dont il est question dans Koo (Re) (1re inst.) [1992] A.C.F. n1107, [1993] 1 C.F. 286. Il n’y a pas lieu de se fonder sur ce deuxième critère que dans les cas où le demandeur a bel et bien résidé au Canada, mais y a été physiquement présent pendant moins de 1 095 jours. Dans ce cas, les juges de la citoyenneté doivent appliquer le critère énoncé dans Koo pour déterminer si le demandeur était résident au Canada, même s’il n’y était pas physiquement présent (voir également Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Salim, 2010 CF 975, [2010] A.C.F. no 1219 (le juge Harrington).

 

 

[28]           Le juge Martineau a différencié la décision Takla de la décision Dachlan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 538, [2010] A.C.F. no 643 (QL), dans laquelle la situation factuelle ressemblait à celle de la présente espèce. Au paragraphe 19, le juge Martineau mentionne ce qui suit :

Le critère à trois volets a fait l’objet de nombreuses critiques. Récemment, la Cour, dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Takla, 2009 CF 1120 (Takla), décision qui a été approuvée dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Elzubair, 2010 CF 298, au paragraphe 13, s’est prononcée en faveur de l’utilisation d’une approche contextuelle unifiée pour statuer sur la résidence. Dans le cas qui nous occupe, ni la demanderesse ni le défendeur ne prétendent qu’une approche contextuelle aurait dû être adoptée. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de décider si cette nouvelle approche devrait être appliquée. La Cour cherchera seulement à établir s’il était raisonnable que le juge de la citoyenneté conclue, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse n’a pas prouvé sa présence au Canada durant au moins 1 095 jours.

 

 

[29]           Lorsque j’analyse la décision rendue par le juge de la citoyenneté dans l’affaire qui nous occupe, je constate qu’il est évident que le juge a appliqué seulement le critère que l’on trouve dans la décision Pourghasemi et qu’il n’a pas examiné plus à fond les éléments de preuve présentés pour vérifier si le demandeur respectait les autres critères qualitatifs. Aucune des parties n’a laissé entendre qu’il aurait dû appliquer un autre critère. Lorsque le juge de la citoyenneté a rendu sa décision, cela ne faisait que quatre (4) jours que la décision Takla avait été rendue. Je ne crois pas que, dans ces conditions, on puisse reprocher au juge de la citoyenneté d’avoir décidé d’appliquer seulement le critère de la présence effective. Cette décision était tout à fait raisonnable dans les circonstances.

 

[30]           Lorsque la Cour est saisie d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi, son rôle ne consiste pas à remplacer les conclusions du juge de la citoyenneté par les siennes, mais bien à s’assurer que le juge de la citoyenneté a appliqué le bon critère eu égard aux circonstances, compte tenu de la jurisprudence applicable de notre Cour à l’époque. En l’espèce, le juge de la citoyenneté a correctement apprécié les renseignements et les documents dont il disposait. De plus, il a fourni au demandeur l’occasion de compléter son dossier dans un délai de 30 jours. Le demandeur n’a pas soumis les documents convenus dans ce délai imparti et il n’a pas demandé de prorogation de délai pour le faire. Bien que j’estime que l’école jurisprudentielle représentée par la décision Takla devrait prévaloir, je ne puis déceler d’erreur dans la décision que le juge de la citoyenneté a rendue, au moment où il l’a rendue. Dans ces conditions, je n’ai d’autre choix que de rejeter l’appel et de condamner le demandeur à payer la somme de 500 $ à titre de dépens.

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE l’appel et condamne le demandeur à payer 500 $ à titre de dépens.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-2180-09

 

INTITULÉ :                                                   SALAHUDIN CHAUDHRY

                                                                        c.

                                                                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 31 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 14 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Salahudin Chaudhry

 

LE DEMANDEUR,

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Alex Kam

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Salahudin Chaudhry

Toronto (Ontario)

 

LE DEMANDEUR,

POUR SON PROPRE COMPTE

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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