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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20110310

Dossier : IMM-3025-10

Référence : 2011 CF 294

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2011

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

ENTRE :

 

LUCIA RIVERA MESINAS

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse est une citoyenne du Mexique qui demande à être protégée contre son père, son ex-petit ami ainsi que les associés de son ex-petit ami. Sa demande a été refusée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR), dans une décision écrite datée du 4 mai 2010. Dans cette décision, la demanderesse a été présumée bénéficier d’une protection suffisante de l’État au Mexique, de sorte qu’elle n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch.27 (la LIPR). L’autorisation a été accordée le 3 décembre 2010.

 

[2]               Dans sa décision, la CISR s’est concentrée surtout sur la suffisance de la protection de l’État au Mexique contre la violence fondée sur le sexe dirigée contre les femmes et sur la protection de l’État en général. La CISR a signalé qu’elle avait tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe pour rendre sa décision. Essentiellement, en dépit des éléments de preuve documentaire contraires, la CISR a estimé que la demanderesse pourrait obtenir relativement facilement une protection si elle la réclamait. De plus, la CISR a expliqué que le fait que l’ex-petit ami de la demanderesse avait été arrêté pour des affaires de drogue indiquait la volonté de l’État de donner suite à l’affaire. Après avoir énoncé les règles de droit applicables en matière de protection de l’État, la CISR a fait remarquer que la demanderesse ne s’était adressée aux autorités qu’une seule fois pour dénoncer celui qui était alors son petit ami et qu’elle n’avait jamais dénoncé son père aux autorités. La demanderesse n’avait donc pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants. 

 

[3]               La demanderesse affirme que la CISR a mal interprété la preuve dont elle disposait et qu’elle a ignoré des éléments de preuve clés pour arriver à ses conclusions. Elle soutient en outre que la CISR n’a pas examiné le bon critère en ce qui concerne la protection de l’État. Plus précisément, la demanderesse affirme que, si la CISR avait correctement tenu compte de la preuve dont elle disposait, elle serait arrivée à la conclusion que sa répugnance à faire intervenir les autorités la dispensait de les approcher pour obtenir leur protection avant de demander l’asile.

 

[4]               Le défendeur soutient que la décision était raisonnable et que la CISR a tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents. La demanderesse n’a tout simplement pas réfuté la présomption de la protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants.

 

[5]               La question cruciale dans la présente affaire porte sur l’appréciation que la CISR a faite de la suffisance de la protection de l’État. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit qui doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491; Vigueras Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359). La Cour ne peut donc pas substituer sa décision à celle de la CISR. Elle doit plutôt se demander si la décision appartient aux issues pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[6]               Dans le cas qui nous occupe, l’appréciation que la CISR a faite de la suffisance de la protection de l’État au Mexique était adéquate. Les éléments clés de la présomption de la protection de l’État ont été abordés, notamment en ce qui a trait aux conditions qui, selon la jurisprudence, doivent être respectées pour pouvoir réfuter la présomption de la protection de l’État (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; Hinzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171). La CISR n’a commis aucune erreur de droit.

 

[7]               La Cour ne souscrit pas aux arguments de la demanderesse suivant lesquels la CISR a commis une erreur fatale en omettant de mentionner et d’examiner le fait que la sœur de la demanderesse avait été assassinée. Ce meurtre aurait influencé l’attitude de la demanderesse envers la police. La Cour relève que le meurtre de la sœur de la demanderesse est effectivement relaté en détail dans le FRP. Aucun argument n’a toutefois été formulé au sujet des répercussions que ce meurtre avait pu avoir. De plus, malgré le fait qu’on lui a accordé amplement l’occasion de commenter ce fait, l’avocat ne l’a jamais signalé (et ce, bien que l’audience ait été ajournée à deux reprises). Si la demanderesse n’aborde pas des faits qui sont importants pour la cause au cours de son témoignage ou des plaidoiries, on ne peut s’attendre à ce que la CISR accorde beaucoup d’importance, voire aucune, à ces faits, et une telle omission ne saurait justifier un contrôle judiciaire.

 

[8]               La demanderesse a raison de dire qu’il était déraisonnable de sa part de ne pas signaler aux autorités les violences dont elle avait été victime de la part de son père au cours de son adolescence. D’ailleurs, les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe — et le bon sens — appuient l’argument que la demanderesse se fiait aux rapports que sa mère entretenaient avec les autorités pour aborder cette question. La Cour estime toutefois que cette conclusion ne scelle pas le sort de la présente affaire. Le débat ne porte pas sur la façon dont la demanderesse a réagi aux violences dont elle a été victime durant sa jeunesse, mais bien sur la façon dont elle a réagi lorsque son père a refait surface dans sa vie. Dans cette optique, il est évident qu’elle n’a pas signalé aux autorités la note laissée par son père et le fait que ce dernier avait mis sa résidence à sac.

 

[9]               La CISR a analysé en détail la question de la protection de l’État au Mexique. Rien n’indique que cette appréciation était générale ou qu’elle a omis des éléments importants. D’ailleurs, la CISR a reconnu que, malgré les contradictions de la preuve, elle n’avait pas l’obligation de formuler des observations au sujet de chaque élément de preuve, dès lors que son raisonnement était clair et qu’aucun élément important n’avait été omis (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998) 157 FTR 35; Flores Campos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 842). Dans le cas qui nous occupe, la Cour ne peut rien reprocher aux motifs et au raisonnement de la CISR.

 

[10]           La CISR a bel et bien analysé les éléments de preuve factuels pertinents en ce qui concerne la demanderesse. Elle a effectivement tenu compte du fait que la demanderesse avait porté plainte contre celui qui était à l’époque son petit ami, et du fait que cette plainte avait été rejetée sommairement. Il existait toutefois d’autres recours et les manquements d’un agent d’exécution de la loi local ne permettaient pas de conclure que la protection de l’État était insuffisante (Kadenko et autre c. Canada (Procureur général), (1996) 206 NR 272 (CAF); Sanchez Rovirosa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 48). Même si elle craignait plusieurs persécuteurs, la demanderesse n’a pris de mesures que contre un seul et, même alors, elle n’a pas soumis sa plainte à un autre agent ou à une autre autorité. Cette façon d’agir n’est pas conforme aux conditions de la jurisprudence, qui exige que l’intéressé cherche activement la protection avant de réclamer le substitut de protection que représente le droit d’asile, ainsi que l’illustre l’arrêt Ward, précité.

 

[11]           De plus, la CISR a correctement apprécié les éléments factuels de l’affaire, dont l’arrestation de l’ex-petit ami de la demanderesse n’était pas le moindre. La CISR a fait observer à juste titre que l’on pouvait en conclure que la protection de l’État était suffisante. L’article de journal qui a été déposé relate l’arrestation d’Ivan à la fin de septembre 2008. On y apprend également que la police était à la recherche de la demanderesse, qui était partie au début d’octobre 2008. En ce qui concerne les menaces proférées par les présumés associés d’Ivan, la CISR a correctement apprécié ces éléments de preuve et a indiqué qu’il s’agissait de menaces très sérieuses et que la demanderesse n’avait rien fait pour les signaler aux autorités.

 

[12]           Il était donc raisonnable de la part de la CISR de conclure que les éléments de preuve qui lui avaient été soumis ne constituaient pas des éléments de preuve « clairs et convaincants » permettant de réfuter la présomption de protection de l’État.

 

[13]           En conséquence, la décision de la CISR appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Elle a apprécié la preuve documentaire, a expliqué ses conclusions et n’a pas ignoré des faits qui avaient été valablement portés à sa connaissance. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[14]           Aucune question n’a été proposée et aucune ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3025-10

 

INTITULÉ :                                       LUCIA RIVERA MESINAS

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 3 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                      le 10 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Adela Crossley

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Khatidja Moloo

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Adela Crossley

Cabinet juridique

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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