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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110301

Dossier : IMM-913-10

Référence : 2011 CF 242

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2010

 

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

ENTRE :

 

 

LUIS FERNANDO MURILLO GUEVARA MARIA DE JESUS SÁNCHEZ RODRIGUEZ CONSUELO ALAGUNA SANCHEZ

MARIA FERNANDA MURILLO DE ORO LAURA CATALINA ALAGUNA SÁNCHEZ GLORIA ESPERANZA ALAGUNA SANCHEZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

          MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 24 décembre 2009 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a estimé que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi. Cette décision reposait sur la conclusion de la Commission suivant laquelle les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l’État.

 

Les demandeurs souhaitent que la décision de la Commission soit annulée et que la demande soit renvoyée à une formation différemment constituée de la Commission pour qu’elle rende une nouvelle décision.

 

Contexte

 

[2]               Consuelo Alaguna Sanchez est la demanderesse principale dans la présente demande. Les autres demandeurs sont parents avec elle à divers degrés :

  • Luis Fernando Murillo Guevara est son conjoint
  • Maria de Jesus Sánchez Rodriguez est sa mère
  • Gloria Esperanza Alaguna Sanzhez est sa sœur
  • Laura Catalina Alaguna Sánchez est sa fille (et la belle-fille de Luis Guevara)
  • Maria Fernanda Murillo De Oro est sa belle-fille (et la fille de Luis Guevara).

 

[3]               En 1992, la demanderesse principale et les membres de sa famille ont commencé à recevoir des lettres dans lesquelles on menaçait de tuer ou d’enlever la jeune nièce de la demanderesse principale. Ces lettres provenaient principalement des Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC), mais aussi à l’occasion de l’Armée de libération nationale (l’ELN). Les auteurs de ces lettres réclamaient toujours de l’argent. La demanderesse principale et sa famille ont communiqué avec la police de Bogotá mais, après une brève enquête, on leur a dit que la police ne pouvait rien faire pour les aider.

 

[4]               En 1992, le beau-frère de la demanderesse a été sauvagement battu et poignardé. Par crainte des représailles, il a dit à la police qu’il s’agissait d’un vol qualifié. La famille de la demanderesse principale a reçu un appel qui était censé provenir des FARC, qui revendiquaient l’agression et réclamaient cinq millions de pesos pour éviter qu’une autre agression ne soit commise. Des appels de ce genre se sont poursuivis jusqu’à ce que la demanderesse principale contracte un emprunt et dépose la somme de quatre millions de pesos à l’endroit précisé par l’auteur des appels téléphoniques.

 

[5]               La demanderesse principale et les membres de sa famille ont déménagé dans un autre quartier de Bogotá et se sont trouvé un nouvel emploi.

 

[6]               En 1998, la demanderesse principale, sa famille et son conjoint, Luis Guevara, ont commencé à recevoir de nouveau des appels de menaces des FARC. On leur réclamait 30 millions de pesos. La demanderesse principale et son conjoint ont commencé à recevoir des appels au travail. Ils ont changé de numéro de téléphone, mais ont continué à recevoir des appels. Leurs voitures ont été vandalisées. Les demandeurs ont communiqué avec la police, mais on leur a dit que la police ne disposait pas des ressources nécessaires pour protéger chaque citoyen.

 

[7]               La demanderesse principale, son mari Luis Guevara et la fille de ce dernier ont quitté la Colombie pour les États‑Unis en novembre 1999.  

 

[8]               La demanderesse principale est retournée en Colombie en décembre 1999 pour obtenir des documents et de l’argent afin de demander l’asile aux États-Unis et d’obtenir des visas pour sa fille, sa mère et ses frères et sœurs. La demanderesse principale est demeurée en Colombie et a commencé à travailler comme comptable.   

 

[9]               En mai 2000, la demanderesse principale a reçu chez elle un autre appel dans lequel les FARC lui réclamaient 30 millions de pesos. Elle a également été relancée au travail. La demanderesse principale a payé une partie de l’argent réclamé, mais les menaces se sont poursuivies.

 

[10]           En juillet 2000, le beau-frère de la demanderesse principale a été assassiné. La demanderesse principale a reçu une lettre dans laquelle les FARC revendiquaient ce meurtre. L’auteur du crime a toutefois été arrêté puis condamné pour ce crime.

 

[11]           La demanderesse principale a de nouveau quitté la Colombie en compagnie de sa fille et de sa sœur et est retournée aux États-Unis. Elle n’a pas réussi à obtenir un visa américain pour sa mère et elle a fait le nécessaire pour faire entrer celle-ci illégalement aux États-Unis.

 

[12]           Aux États-Unis, les demandeurs ont payé un technicien juridique pour qu’il présente une demande d’asile. Cette personne est disparue avec les documents et l’argent des demandeurs en 2003. Les demandeurs ont par la suite contacté un avocat qui leur a toutefois appris qu’ils ne pouvaient plus demander l’asile parce que le délai de prescription d’un an était expiré. L’avocat a recommandé aux demandeurs d’attendre la réforme de l’immigration aux États-Unis pour régulariser leur situation.   

 

[13]           Les demandeurs sont arrivés au Canada et ont demandé l’asile en mars 2008.

 

Décision de la Commission

 

[14]           La Commission a rejeté des demandes d’asile des demandeurs en concluant qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État en Colombie.

 

[15]           La Commission a conclu que la dernière fois que les demandeurs avaient demandé l’aide de la police remontait à 1998.

 

[16]           La Commission a conclu que Colombie est une démocratie constitutionnelle qui fait des efforts sérieux pour assurer une protection adéquate à ses citoyens.

 

[17]           La Commission s’est longuement attardée sur deux rapports récents publiés en 2008 et 2009 par l’International Crisis Group. La Commission a consacré plus de quatre pages de sa décision à l’examen de ces rapports. Elle a conclu de façon générale que la structure interne de commandement et de communications des FARC s’était disloquée et que les FARC étaient maintenant surtout actifs dans les régions montagneuses et dans la jungle. La Commission a conclu que les efforts déployés par le gouvernement colombien pour offrir une protection à ses citoyens qui craignaient les FARC avaient été couronnés de succès surtout dans les zones urbaines comme Bogotá.

 

[18]           La Commission consacre ensuite huit pages à examiner la preuve documentaire soumise par les demandeurs. La Commission a conclu que, selon les demandeurs, les FARC cherchaient à exercer leurs activités à Bogotá, mais que ces tentatives se limitaient à trois fronts : des attentats terroristes contre les forces de sécurité et des politiques, l’extorsion de commerçants et d’entreprises et le recrutement dans les milieux universitaires et les milieux défavorisés des quartiers sud de la ville. La Commission a également conclu que ces actions avaient été commises en toute impunité. Des terroristes des FARC ont été capturés et arrêtés et l’armée a été déployée dans des zones où les FARC ciblent des politiques. La Commission a conclu que rien ne permettait de penser que les victimes des attentats commis par les FARC étaient des personnes qui avaient été retracées à Bogotá.

 

[19]           La Commission a conclu que l’intérêt que les FARC avaient pu avoir relativement aux demandeurs dans le passé n’existait plus et que les demandeurs n’avaient pas soumis d’éléments de preuve fiables pour démontrer que la protection de l’État serait insuffisante dans leur cas s’ils devaient retourner présentement en Colombie.   

          

Questions en litige

 

[20]           Les demandeurs ont soumis les questions suivantes à trancher :

            1.         Le commissaire a-t-il commis une erreur de droit en concluant que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger?

            2.         La Commission a-t-elle agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer?

            3.         La Commission a-t-elle fait défaut d’observer un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu'elle était légalement tenue de respecter?

            4.         La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en rendant une décision entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier?

            5.         La Commission a-t-elle rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

            6.         La Commission a-t-elle agi de toute autre façon contraire à la loi?

 

[21]           Je reformulerais comme suit les questions en litige :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         La Commission a-t-elle exposé les faits d’une manière inexacte?

            3.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l’État en Colombie?

 

Observations écrites des demandeurs

 

[22]           Les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État. La Commission était tenue d’évaluer la qualité des mesures prises par l’État pour assurer une protection. Les lois ne constituent pas à elles seules une protection adéquate si les mesures prises par le gouvernement colombien n’offrent pas le degré de sécurité requis pour protéger effectivement les demandeurs.

 

[23]           Les demandeurs affirment que la Commission a ignoré des éléments de preuve documentaires qui contredisaient ses conclusions et qu’elle s’est fondée sélectivement sur certains éléments de preuve documentaires pour justifier sa conclusion. La Commission a ignoré les éléments de preuve portant sur les meurtres et les prises d’otages commis par les FARC. Elle a également ignoré les éléments de preuve portant sur la présumée impunité.

 

[24]           La Commission a ignoré les renseignements portant sur l’intimidation à laquelle les membres de la magistrature sont exposés ainsi que sur l’inefficacité de ces derniers. La Commission n’a par ailleurs pas tenu compte des éléments de preuve documentaires suivant lesquels le gouvernement colombien n’est pas en mesure d’assurer une protection et elle a ignoré des éléments de preuve portant sur la faculté d’adaptation des FARC.

 

[25]           Les demandeurs ajoutent que la Commission a commis une erreur en accordant une faible valeur probante au rapport du docteur Chernick. Le docteur Chernick a de nombreuses compétences et a fait beaucoup de recherches sur la Colombie. La Commission a d’ailleurs cité ce rapport dans une décision convaincante de 2004 qui est toujours valable.

 

[26]           Les demandeurs soutiennent que la Commission n’a pas tenu compte de leur situation particulière. De plus, la Commission n’a cité aucun élément de preuve pour justifier son affirmation que les FARC ne s’intéressent plus aux demandeurs.

 

[27]           Les demandeurs affirment que la Commission a mal exposé les faits en affirmant qu'ils avaient communiqué avec les autorités pour la dernière fois en 1998.

 

Observations écrites du défendeur

 

[28]           Le défendeur affirme que les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait de présenter des éléments de preuve clairs et convaincants au sujet de l’incapacité ou du refus de l’État de les protéger. Il incombait aux demandeurs de réfuter la présomption que l’État est en mesure de protéger ses citoyens. Les demandeurs ont demandé de l’aide aux autorités pour la dernière fois il y a plus d’une dizaine d’années. Ils n’ont pas démontré qu’ils avaient continué à l’époque à demander de l’aide, qu’ils se sont adressés à d’autres autorités colombiennes ou qu’ils disposaient d’autres moyens pour obtenir la protection de l’État. De plus, au cours de l’audience, la Commission a interrogé les demandeurs pour savoir s’ils avaient encore des proches qui vivaient à Bogotá. Ils ont répondu par l’affirmative. Il était loisible à la Commission de conclure qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État.

 

[29]           La Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que les demandeurs pouvaient compter sur une protection suffisante de l’État. La Commission a reconnu que les FARC étaient toujours présents en Colombie, même à Bogotá, mais elle a conclu que la Colombie déployait des efforts sérieux pour réprimer les crimes commis par les FARC pour protéger ses citoyens, ajoutant que ces efforts avaient été surtout couronnés de succès à Bogotá. Il est de jurisprudence constante que l’État n’a pas à offrir une protection parfaite ou efficace étant donné que le critère applicable est maintenant celui de savoir si la protection de l’État est suffisante.

 

[30]           Suivant le défendeur, la Commission n’a pas ignoré d’éléments de preuve documentaires. La Commission est présumée avoir examiné et apprécié la preuve. Elle n’a pas à citer chacun des éléments de preuve documentaires dans sa décision, sauf si ses conclusions contredisent l’ensemble de la preuve documentaire. En l’espèce, la Commission a examiné à fond la preuve documentaire des demandeurs et elle l’a résumée.

 

[31]           Le défendeur affirme que la Commission a tenu compte du profil des demandeurs dans son analyse. La Commission était consciente du fait que les demandeurs affirmaient qu’ils avaient été la cible de persécutions des FARC à cause des extorsions dont ils avaient fait l’objet dans le passé. La Commission a interrogé la demanderesse principale à l’audience pour lui faire préciser quand elle s’était adressée pour la dernière fois à la police. Elle a répondu que c’était en 1998. La Commission n’a pas exposé les faits d’une manière inexacte.

 

[32]           Le défendeur affirme qu’il était loisible à la Commission de n’accorder qu’une faible valeur probante au rapport du docteur Chernick. La Commission a examiné le rapport et a conclu que le professeur n’avait pas cité d’éléments de preuve pour appuyer sa conclusion. Il était raisonnable de la part de la Commission d’accorder peu de poids à ce rapport.

 

Analyse et décision

 

[33]           Première question

            Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            Si la jurisprudence établit déjà la norme de contrôle applicable à une question précise soumise à la Cour, la juridiction de révision peut adopter cette norme (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 57).   

 

[34]           Il est de jurisprudence constante que les questions concernant le caractère adéquat de la protection de l’État sont des questions mixtes de fait et de droit habituellement susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Hinzman, 2007 CAF 171, au paragraphe 38).

 

[35]           Lorsqu’elle procède au contrôle de la décision de la Commission en appliquant la norme de la décision raisonnable, la Cour ne doit intervenir que si la Commission est arrivée à une conclusion qui n’est pas justifiable, transparente et intelligible et qui n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit vu l’ensemble de la preuve dont elle disposait (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47. Ainsi que la Cour suprême l’a jugé dans l’arrêt Khosa, « […] [l]es cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue » et il ne rentre pas « dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve » (Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, aux paragraphes 59 et 61).

 

[36]           Deuxième question

            La Commission a-t-elle exposé les faits d’une manière inexacte?

            Le défendeur a démontré que la Commission n’avait pas exposé d’une manière inexacte le fait que les demandeurs avaient réclamé l’aide de la police pour la dernière fois en 1998. La demanderesse principale a répété plusieurs fois dans le témoignage qu’elle a donné devant la Commission qu’elle ne s’était pas adressée aux autorités après 1998.

 

[37]      Troisième question

            La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l’État en Colombie?

            La Commission a conclu que les demandeurs pourraient compter sur une protection de l’État suffisante à Bogotá. L'asile est une forme de protection auxiliaire qui ne doit être invoquée que dans les cas où le demandeur d'asile ne peut compter sur une protection nulle part sur le territoire de son État d'origine (Ward c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74 (QL), au paragraphe 18).

 

[38]           Sauf en cas d’effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer que l’État est en mesure de protéger ses citoyens (Ward, précité, au paragraphe 50). Il incombe au demandeur de réfuter cette présomption en présentant des éléments de preuve confirmant, selon la prépondérance des probabilités et « d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection » (Ward, précité, au paragraphe 50).

 

[39]           Les demandeurs doivent démontrer que l’État ne leur assure pas une protection suffisante. Il n’est pas nécessaire que l’État ait toujours réussi à protéger ses citoyens pour que la protection soit jugée suffisante (Gomez Espinoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 806, au paragraphe 30). De même, comme c’est la protection à venir dont on tient compte dans le cas des réfugiés, les éléments de preuve tendant à démontrer que, par le passé, l’État n’a pas assuré une protection suffisante à ses ressortissants ne sont pas toujours suffisants pour permettre aux demandeurs de s’acquitter du fardeau qui leur incombe.

 

[40]           Les demandeurs affirment que la Commission n’a pas tenu compte de leur situation particulière pour analyser la protection de l’État. Une absence complète d’analyse de la situation personnelle du demandeur peut rendre une décision déraisonnable (Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, 295 F.T.R. 35, au paragraphe 32). Cependant, la Commission a signalé en l’espèce que les agents de persécution des demandeurs étaient les FARC, qui les avaient ciblés en vue de leur extorquer de l’argent, et que les demandeurs avaient refusé de verser de l’argent aux FARC. Dans son examen de la preuve documentaire, la Commission s’est concentrée sur la détérioration de la structure de commandement et de communication des FARC et sur les mesures prises par le gouvernement colombien pour protéger les citoyens qui craignaient les FARC. La Commission a tenu suffisamment compte de la réalité des demandeurs.

 

[41]           Les demandeurs ajoutent que la Commission a ignoré des éléments de preuve documentaires ou qu’elle s’est fondée sur ceux qu’elle a retenus. Les commissaires sont présumés avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve dont ils disposaient (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1re inst.) (QL)). Il n’est pas nécessaire que la Commission résume tous les éléments de preuve dans sa décision dès lors qu’elle tient compte de ceux qui sont susceptibles de contredire sa conclusion et que sa décision appartient aux issues raisonnables (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.).

 

[42]           La Commission a reconnu qu’il existait des éléments de preuve contradictoires au sujet de la force des FARC en Colombie. Elle a conclu que les FARC posaient toujours problème en Colombie et qu’elles étaient présentes à Bogotá. Elle a relevé que les FARC avaient utilisé des mines terrestres et des explosifs, qu’elles avaient réussi à infiltrer les forces armées, qu’elles renforçaient leurs milices urbaines et qu’elles continuaient à se livrer à des extorsions et à procéder à des assassinats politiques et à intimider les juges. Toutefois, après avoir examiné la preuve documentaire, la Commission a conclu que la Colombie faisait des efforts sérieux pour assurer une protection suffisante à ceux de ses citoyens qui craignent les FARC et que ces efforts avaient été couronnés de succès surtout à Bogotá. La Commission a conclu que les FARC n’étaient actives à Bogotá que sur trois principaux fronts : attentats terroristes contre les forces de sécurité et des politiques, extorsion de commerçants et d’entreprises et recrutement dans les milieux universitaires et les milieux défavorisés des quartiers sud de la ville. La Commission a également conclu qu'aucune de ces actions n'était restée impunie.

 

[43]           Par ailleurs, les éléments de preuve que, selon les demandeurs, la Commission aurait ignorés font ressortir que le gouvernement colombien n’est pas en mesure d’offrir une protection suffisante sur l’ensemble de son territoire. Toutefois, comme nous l’avons déjà signalé, il incombait aux demandeurs de démontrer que l’État colombien ne peut fournir une protection suffisante nulle part dans le pays. À mon avis, la Commission n’a pas ignoré de preuves probantes.

 

[44]           De même, il était loisible à la Commission d’accorder une valeur probante limitée au rapport du docteur Chernick. Les commissaires jouissent d’une grande latitude pour décider de la valeur à accorder à la preuve (Velychko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 264, au paragraphe 26). La Commission a accordé peu de poids au rapport du docteur Chernick parce qu’elle avait conclu que le professeur n’avait pas cité d’éléments de preuve pour appuyer son avis et qu’il n’avait pas précisé si les personnes ciblées par les FARC dont il parlait dans son rapport avaient cherché à obtenir la protection de l’État. La Commission a rendu une décision transparente et justifiée et il lui était loisible d’arriver à cette conclusion. Il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau la preuve.  

 

[45]           La Commission a examiné la preuve documentaire, y compris celle fournie par les demandeurs, et elle a pris acte des prétentions et des moyens des demandeurs, mais elle a conclu que, vu l’ensemble de la preuve, les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer que la protection de l’État ne serait pas suffisante dans leur cas, en particulier à Bogotá. La conclusion de la Commission était transparente et intelligible et elle appartenait aux issues possibles.

 

[46]           Enfin, bien que la Commission n’ait pas cité d’éléments de preuve pour justifier son affirmation que les FARC ne s’intéressaient pas aux demandeurs, les demandeurs ont expliqué qu’ils avaient encore de proches parents qui vivaient à Bogotá qui n’avaient pas été harcelés par les FARC. À la lumière de ce fait, j’estime que l’affirmation de la Commission ne constitue pas une erreur qui minerait une décision par ailleurs raisonnable.

 

[47]           En résumé, il m’est impossible de conclure que la décision de la Commission était déraisonnable. La conclusion qu’elle a tirée au sujet de la suffisance de la protection de l’État appartenait largement aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[48]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[49]           Aucune des parties n’a exprimé le souhait de proposer une question grave de portée générale pour que je la certifie.

 


JUGEMENT

 

 

[50]           LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.
ANNEXE

 

Dispositions législatives applicables

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

72.(1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72.(1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-913-10

 

INTITULÉ :                                       LUIS FERNANDO MURILLO GUEVARA

                                                            MARIA DE JESUS SÁNCHEZ RODRIGUEZ

                                                            CONSUELO ALAGUNA SANCHEZ

                                                            MARIA FERNANDA MURILLO DE ORO

                                                            LAURA CATALINA ALAGUNA SÁNCHEZ

                                                            GLORIA ESPERANZA ALAGUNA SANCHEZ

 

                                                            - et -

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 12 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 1er mars 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Alla Kikinova

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Melissa Mathieu

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Loebach

London (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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