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Date : 20110321

Dossier : IMM‑2333‑10

Référence : 2011 CF 346

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 mars 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

 

JAGDESH SOORUJBHAN SINGH

RAMIZA SINGH

HEMWANTIE SINGH

SATROHAN SINGH

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 4 mars 2010 par laquelle l’agent d’examen des risques avant renvoi N. Case (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire que le demandeur a présentée depuis le Canada en application de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.R. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, la présente demande est rejetée.

 

I.          Contexte

 

A.        Le contexte factuel

 

[3]               Jagdesh Soorujbhan Singh (le demandeur principal), Ramiza Singh, Hemwantie Singh et Satrohan Singh (collectivement les demandeurs) sont des citoyens du Guyana. Les demandeurs ont quitté le Guyana pour s’établir au Canada en septembre 2005. Avant leur départ, ils ont été victimes de vols qualifiés et d’agressions au Guyana.

 

[4]               À leur arrivée au Canada, les demandeurs ont demandé l’asile. Ils ont allégué qu’ils risquaient d’être blessés et persécutés parce que le demandeur principal est membre du Parti populaire progressiste (People’s Progressive Party) (le PPP), parce qu’ils sont Indo‑Guyaniens et parce que le Guyana connaît un taux élevé de criminalité. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a tenu une audience en février 2006 et a rejeté la demande d’asile des demandeurs en mars 2006.

 

[5]               Les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire depuis le Canada en avril 2006 (la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire). Dans cette demande, les demandeurs invoquent les mêmes risques que dans leur demande d’asile et se fondent également sur leur établissement au Canada. Les demandeurs ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi, laquelle a été rejetée en mars 2010. Leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été rejetée le 4 mars 2010.

 

B.         Décision contestée

 

[6]               L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que les demandeurs seraient personnellement exposés à un risque à un point où leur renvoi au Guyana constituerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées. L’agent a également conclu que les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils étaient véritablement établis au Canada de sorte que leur renvoi au Guyana équivaudrait à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées. Les demandeurs n’ont pas contesté les conclusions de l’agent en ce qui concerne l’établissement.

 

II.         Question en litige

 

[7]               Les demandeurs ont soulevé trois questions dans leurs observations, dont les deux premières sont qualifiées d’erreurs de fait et la troisième d’erreur de droit. En toute déférence pour leur point de vue, j’estime que toutes les questions soulevées se rapportent à la question de savoir si les conclusions de l’agent peuvent être étayées par la preuve versée au dossier, ce qui constitue une question de fait. J’estime qu’il vaut mieux considérer les arguments soulevés par les demandeurs comme une seule question :

a)         L’agent a‑t‑il rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments versés au dossier?

 

III.       Norme de contrôle

 

[8]               La question dont la Cour est saisie doit être examinée selon la norme de contrôle qui commande la déférence, car elle porte sur les conclusions de fait de l’agent et sur son appréciation de la preuve.

 

[9]               Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, la Cour suprême a conclu au paragraphe 46 que les questions de fait sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. De façon plus générale, la norme de contrôle des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire est également celle de la raisonnabilité : Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 307, 2008 CarswellNat 671, conf. par. 2009 CAF 189. Les parties ont cité plusieurs autres décisions, qui sont toutes en faveur d’un contrôle selon la norme de la raisonnabilité.

 

[10]           Comme l’indiquent Khosa et Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la raisonnabilité tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

IV.       Argumentation et analyse

 

A.        Les conclusions de l’agent ne sont pas abusives, arbitraires ou sans égard aux éléments versés au dossier

 

[11]           Les demandeurs prétendent que l’agent a ignoré la preuve concernant la criminalité et la protection de la police, a tiré une conclusion abusive en concluant que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils étaient personnellement exposés à un risque et n’a pas accordé le poids qu’il convenait aux rapports médicaux. Tous ces arguments se rapportent à la question de savoir si les conclusions de l’agent sont étayées par les faits de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire; ils seront donc traités comme une seule et même question. Les demandeurs contestent essentiellement la façon dont l’agent a apprécié les éléments de preuve concernant la criminalité et les services de police au Guyana ainsi que les éléments de preuve médicale produits à l’appui de leur demande.

 

[12]           Les demandeurs ont présenté un nombre important d’éléments de preuve à l’égard du taux élevé de criminalité au Guyana, dont la plupart sont des articles de journaux concernant des incidents précis qui ne les concernent pas; ils ont également produit les Conseils aux voyageurs concernant le Guyana du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ainsi qu’un rapport de 2007 du Département d’État des États‑Unis (le rapport du USDOS). Ces rapports gouvernementaux soulignent le taux élevé de criminalité au Guyana.

 

[13]           En plus d’invoquer le taux élevé de criminalité en général au Guyana, les demandeurs ont déclaré qu’ils sont exposés à un risque parce qu’ils sont Indo‑Guyaniens. Certains articles de journaux fournis par les demandeurs portent sur les tensions raciales au Guyana.

 

[14]           Après avoir examiné la preuve présentée par les demandeurs, l’agent a conclu qu’ils n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’ils seraient ciblés s’ils retournaient au Guyana. L’agent a également affirmé ce qui suit : [traduction] « Bien que je reconnaisse que la criminalité et la corruption sont omniprésentes au Guyana et que les tensions raciales existent, la preuve présentée ne me convainc pas que les risques allégués par les demandeurs sont personnels. » (décision, dossier certifié du tribunal, p. 5) L’agent a indiqué que le Guyana offre un service de police fonctionnel et que le gouvernement tente de lutter contre le crime et la corruption.

 

[15]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a ignoré les éléments de preuve concernant l’efficacité du service de police guyanien. Ils prétendent que les éléments de preuve qu’ils ont présentés, notamment le rapport du USDOS, démontrent que la police guyanienne fait face à une pénurie de ressources et qu’elle est inefficace et corrompue. La section du rapport du USDOS soulignée par les demandeurs n’indique pas que le service de police n’est pas en mesure de fournir de l’aide aux personnes dans le besoin. L’agent a tenu compte des éléments de preuve présentés par les demandeurs et a conclu que ces derniers n’ont pas démontré que l’absence de services policiers constituerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées. L’agent a indiqué que le gouvernement guyanien a mis en œuvre des politiques pour tenter de réduire le taux de criminalité et a créé une unité ministérielle de police communautaire. Il a également pris acte de la taille et de la structure du service de police guyanien et a conclu que les demandeurs pouvaient bénéficier au besoin de l’aide de la police au Guyana.

 

[16]           Les demandeurs contestent la conclusion de l’agent selon laquelle ils auraient pu bénéficier de l’aide de la police lorsqu’ils ont été victimes d’actes criminels au Guyana. L’agent a indiqué que plusieurs policiers ont été témoins de la scène, ont rédigé un rapport de police et ont ouvert une enquête. Les demandeurs prétendent que l’enquête policière ne démontre pas que les policiers sont efficaces. Cependant, ils ont quitté le Guyana un mois après que les actes criminels aient été perpétrés; on ne sait donc pas si l’enquête a progressé après leur départ.

 

[17]           Selon le défendeur, notre Cour a conclu que la protection de l’État offerte à un demandeur ne doit pas être évaluée selon le seuil de l’« efficacité de la protection de l’État », une observation que les demandeurs contestent dans leur réponse. Toutefois, les décisions citées par les parties portent toutes sur des demandeurs d’asile et ne sont donc pas très utiles en l’espèce. L’accessibilité des services de police au Guyana n’est qu’un des facteurs dont l’agent a tenu compte conjointement avec la preuve du taux élevé de criminalité avant de conclure que les demandeurs n’avaient pas démontré que leur retour au Guyana leur causerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées. La suffisance de la protection de l’État n’était pas en cause dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, et la décision de l’agent est raisonnable.

 

[18]           L’agent a tenu compte de la preuve selon laquelle les demandeurs avaient déjà été victimes d’actes criminels au Guyana et a estimé qu’un incident du passé ayant fait l’objet d’une enquête policière ne permettait pas de conclure que les demandeurs seront la cible d’autres actes criminels advenant leur renvoi au Guyana. Les demandeurs font valoir que cette conclusion est abusive à la lumière des conclusions de l’agent selon lesquelles il y a des tensions raciales au Guyana. Le défendeur soutient que la preuve à l’appui de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire laisse supposer qu’il y a des tensions raciales tant du côté des Indo‑Guyaniens que du côté des Afro‑Guyaniens, et que rien ne permet de conclure que les crimes dont les demandeurs ont été victimes dans le passé étaient fondés sur la race.

 

[19]           La conclusion de l’agent selon laquelle rien ne permettait de conclure que les demandeurs seraient ciblés à leur retour au Guyana est raisonnable. Bien que des éléments de preuve démontrent la présence de tensions raciales au Guyana, ces tensions ne semblent pas être unilatérales à un point où elles cibleraient précisément les Indo‑Guyaniens. On ne sait pas précisément pourquoi les demandeurs ont été victimes d’actes criminels. Selon leur propre aveu, ces actes pourraient être liés à la participation du demandeur principal au PPP plutôt qu’à leur race; ces actes pourraient aussi découler du taux élevé de criminalité au Guyana. En outre, les demandeurs n’ont présenté que des éléments de preuve généraux concernant la criminalité au Guyana, et rien n’indique qu’ils seront ciblés s’ils retournent au Guyana.

 

[20]           Les demandeurs contestent également la façon dont l’agent a apprécié la preuve médicale. Ils ont fourni des éléments de preuve démontrant que Ramiza et Meleniee Singh, cette dernière n’étant pas partie à la présente demande, ont été victimes d’agressions sexuelles et que le demandeur principal a été victime d’une agression physique, lesquelles ont eu lieu au Guyana.

 

[21]           L’agent a pris acte des rapports médicaux, mais a refusé d’examiner le rapport concernant Meleniee puisqu’elle n’était pas partie à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les demandeurs soutiennent que par son refus d’examiner le rapport concernant les blessures de Meleniee, l’agent a mal évalué le risque qu’ils invoquaient. Les demandeurs font valoir que les rapports médicaux du Guyana indiquent que Ramiza et Meleniee ont toutes deux été violées et qu’en raison de son refus d’examiner le rapport médical de Meleniee, l’agent ne pouvait comprendre totalement que le risque visait la famille au complet. L’agent a tenu compte des rapports médicaux concernant le demandeur principal et Ramiza et les a acceptés comme preuve que les demandeurs avaient été victimes de criminalité au Guyana. Comme Meleniee n’était pas partie à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agent a eu raison de ne pas tenir compte de son rapport médical.

 

[22]           De plus, le rapport de Meleniee n’a pas ajouté de renseignements dont l’agent ne disposait pas déjà; le rapport du USDOS indique que la violence faite aux femmes, y compris les agressions sexuelles, est courante au Guyana, et l’agent a examiné le rapport médical de Ramiza. Le refus de l’agent d’examiner le rapport médical de Meleniee ne rend pas la décision déraisonnable. L’agent a tenu compte des risques pour tous les demandeurs et a conclu qu’ils n’ont pas démontré qu’ils seraient ciblés à leur retour au Guyana.

 

[23]           Bien que l’agent ait indiqué que les rapports médicaux étaient fondés sur des renseignements transmis au médecin et que le médecin n’a pas été témoin de l’infliction des blessures, il n’a finalement pas remis en cause le fait que le demandeur principal et Ramiza ont été agressés. Les demandeurs prétendent que l’agent a indûment écarté les rapports médicaux en raison de l’affirmation selon laquelle ceux‑ci étaient fondés sur des renseignements qu’ils avaient transmis au médecin. Toutefois, l’agent n’a pas remis en cause la demande des demandeurs selon laquelle ils ont été agressés au Guyana.

 

[24]           Les demandeurs s’appuient sur la décision Gunes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 664, 168 ACWS (3d) 602, dans laquelle la Cour a annulé une décision au motif que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié avait indûment écarté la preuve d’expertise médicale étayant la torture. On peut établir une distinction entre la présente demande et la décision Gunes parce que cette dernière visait des rapports de témoins experts qui avaient été sommairement écartés sur le fondement d’une conclusion défavorable en matière de crédibilité. Dans la présente demande, l’agent a tenu compte des rapports médicaux. Il n’a pas remis en cause les blessures dont ont souffert les demandeurs, mais a simplement indiqué que la cause de ces blessures a été transmise au médecin et que personne n’a été témoin de ces blessures directement. L’agent a finalement reconnu que les demandeurs ont été agressés au Guyana, et rien ne me permet de modifier ces conclusions.

 

[25]           Les demandeurs ont contesté la façon dont l’agent a apprécié la preuve médicale et la preuve de criminalité au Guyana, mais n’ont invoqué aucun motif justifiant l’intervention de la Cour. Bien que les conditions au Canada soient certainement favorables à celles du Guyana, la conclusion de l’agent selon laquelle les demandeurs ne seraient pas exposés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées s’ils étaient renvoyés au Guyana est raisonnable. La décision est étayée par les éléments versés au dossier, et les demandeurs n’ont pas établi un motif justifiant de l’annuler.

 

V.        Conclusion

 

[26]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et aucune ne se pose.

 

[27]           Compte tenu des conclusions précédentes, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

«  D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                                    IMM‑2333‑10

 

INTITULÉ :                                                   SINGH ET AL. c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 1er février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 21 mars 2011

 

 

 

Comparutions :

 

David Orman

 

POUR LES DEMANDEURS

Ladan Shahrooz

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Orman

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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