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Date : 20110318

Dossier : T-16-11

Référence : 2011 CF 334

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2011

En présence de monsieur le juge Scott

 

ENTRE :

 

DENIS LANDRY, GAÉTAN LANDRY, CHRISTIAN TROTTIER, LUCIEN MILLETTE, DAVE LEFEBVRE

 

 

 

Demandeurs

Requérants

 

et

 

 

 

YVON SAVARD, LOUISE BERNARD, DIANE M'SADOQUES ET RAYMOND BERNARD, NAYAN BERNARD, KEVEN BERNARD, JACQUES BERNARD, RÉJEAN BONNEVILLE, JULES BERNARD CATHERINE BERNARD ET NELSON LEFEBVRE

 

 

 

Défendeurs

Intimés

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.          LA DEMANDE ET LES FAITS

[1]               Il s’agit d’une demande d’injonction provisoire présentée  par les demandeurs Denis Landry, Gaétan Landry, Christian Trottier, Lucien Millette et Dave Lefebvre, ci-après les demandeurs, tous membres du Conseil de bande des Abénakis de Wôlinak qui ont déposé également  une demande de contrôle judiciaire le 6 janvier 2011 à l’encontre de la décision du Comité d’appel désigné pour l’élection générale du14 novembre 2010. La décision du Comité d’appel rendue le 21 décembre 2010 accueillait les appels logés par  les candidats défaits Raymond Bernard, Nayan Bernard, Keven Bernard, Réjean Bonneville, Jacques Bernard, Jules Bernard, Catherine Bernard, et Nelson Lefebvre, elle annulait l’élection du 14 novembre 2010 et ordonnait la tenue de nouvelles élections dans les plus brefs délais.

 

[2]               Compte tenu des dispositions du Code électoral des Abénakis de Wôlinak, plus précisément de son article 8.8, 3e alinéa, la décision du Comité d’appel a dans les faits remis en poste de façon intérimaire le conseil sortant composé des personnes suivantes : Raymond Bernard, chef, et les conseillers suivants : Nayan Bernard, Keven Bernard, Christian Trottier et Lucien Millette pour traiter des questions de gestion et d’administration courante.

 

[3]               Les demandeurs se sont présentés devant cette Cour à de nombreuses reprises depuis le 6 janvier dernier. Le 1er mars dernier Madame la juge Johanne Gauthier rendait des directives afin d’entendre une requête des défendeurs et ordonnait l’établissement d’un échéancier pour que la demande de contrôle soit entendue le 20 avril 2011 à Montréal.

 

[4]               Le 7 mars, Madame la juge Gauthier  rendait une première Ordonnance par laquelle elle disposait de requêtes incidentes déposées par les défendeurs, remettait une première demande de mesures provisoires sine die, compte tenu des discussions entre les parties, et établissait un échéancier définitif devant mener à l’audition de la demande de contrôle judiciaire au 20 avril 2011 à Montréal.

 

[5]               Le 11 mars, les demandeurs déposaient à la Cour une nouvelle requête pour mesures provisoires afin, entre autres, d’empêcher la tenue d’une réunion du Conseil de bande prévue pour le lundi 14 mars au motif que l’ordre du jour comportait l’adoption de résolutions autre que des résolutions de simple administration.

 

[6]               Monsieur le juge François Lemieux, après audition des parties, rendait une Ordonnance intérimaire suspendant la tenue de la  réunion du Conseil de bande prévue pour le mardi 14 mars jusqu’à dépôt des résolutions contestées et audition de la requête en mesures provisoires maintenant devant cette Cour.

 

II.        L’ORDONNANCE RECHERCHÉE

[7]               Au moyen de la requête provisoire déposée aux termes des articles 8, 54, 55, 359 et 373 et les ss des Règles des Cours Fédérales, les demandeurs recherchent une Ordonnance qui vise à :

(a)        INTERDIRE aux intimés Raymond Bernard, Nayan Bernard et Keven Bernard, à titre de membre du Conseil de bande sortant encore en exercice suivant la décision de Comité d’Appel du 21 décembre 2010, d’adopter toute résolution autre que de simple administration, jusqu’à ce que la Cour se prononce sur le fond de la requête en contrôle judicaire ou le cas échéant, jusqu’à ce que de nouvelles élections soient tenues et qu’un nouveau Conseil de bande entre en fonction;

(b)        DISPENSER les requérants de tout cautionnement;

(c)                ORDONNER l’exécution nonobstant appel;

(d)               TOUTE autre ordonnance que la Cour jugera opportune ou équitable; et

(e)                les FRAIS de la requête.

 

[8]               En début d’audience, le demandeur a demandé la permission d’amender les conclusions recherchées dans son Ordonnance afin d’ajouter Christine Trottier et Lucien Millette à titre de personnes visées, par l’interdiction recherchée. Le procureur du défendeur ne s’est pas objecté et la Cour a autorisé l’amendement.

 

[9]               Le procureur du défendeur, sur permission de la Cour, a amendé le paragraphe 6 de ses prétentions écrites afin de substituer le mot « entité » en lieu et place de « personne morale ».

 

[10]           En cours d’audition, le procureur des demandeurs a demandé la permission d’apporter un deuxième amendement aux conclusions de son Ordonnance afin d’y inclure une référence précise aux résolutions 46 à 78 à l’exception de la résolution 69. Le procureur du défendeur s’est objecté et la Cour a pris le tout sous réserve.

 

[11]           Afin de réussir dans leur requête, les demandeurs doivent établir qu’il existe une question sérieuse à trancher dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente, qu’ils subiront un préjudice irréparable si la demande de mesures provisoires n’est pas accordée et que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de l’émission de l’ordonnance recherchée. Voir RJR-MacDonald Inc. v Canada (Procureur général), [1994]  1 RCS 3. Le test de l’arrêt MacDonald a été appliqué à de nombreuses reprises par cette Cour dans des conflits en matières électorales chez les peuples autochtones.

 

[12]           Le procureur des défendeurs a longuement fait valoir que le demandeur a fait défaut d’assigner un des défendeurs visés par son ordonnance soit le Conseil de bande. Il soutient à cet effet que les résolutions contestées ne peuvent être adoptées que par le Conseil et non par les défendeurs, même s’il reconnaît qu’ils constituent la majorité au Conseil de bande, que les défendeurs ont un devoir de quasi-fiduciaire à titre de membre du Conseil de bande et que leur responsabilité et leur intérêt personnel peut aisément différer de l’intérêt du Conseil comme entité.

 

[13]           Le procureur du défendeur a rappelé à la Cour que dans la plupart des décisions on retrouve comme partie aux instances tant les individus siégeants au conseil que le Conseil de bande lui-même, et que le demandeur erre dans sa démarche puisqu’il recherche l’émission d’une ordonnance contre une entité qui n’est pas partie à l’instance.

 

III.       EXISTENCE D’UNE QUESTION SÉRIEUSE

[14]           La Cour est convaincue que les demandeurs ont soulevé des questions sérieuses dans la demande de contrôle sous-jacente, plus particulièrement en ce qui a trait à des allégués d’irrégularités. Dans la présente demande de mesures provisoires, il s’agit d’assurer la bonne gouvernance temporairement, soit jusqu’à ce que la Cour dispose de la demande de contrôle judiciaire et ce, dans les meilleurs intérêts d’une collectivité au-delà de querelles intestines. L’affidavit de Christian Trottier fait état d’avis de convocation émis à la demande du chef, et de projets de résolutions qui pêchent par leur absence de transparence et qui déborderaient le simple mandat de gestion et d’administration courante. La Cour est satisfaite qu’il existe une question sérieuse.

 

IV.       LA PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS

[15]           Il ne fait aucun doute que l’article 8.8 alinéa 3 du Code électoral de la Bande des Abénakis de Wôlinak vise à maintenir le statut quo suite à la contestation d’une élection et confine les membres du conseil sortant qui siègent exceptionnellement à nouveau, à de simples actes d’administration et de gestion courante. Un survol des résolutions que se proposent d’adopter les membres défendeurs en l’instance nous amène à conclure qu’il pourrait en effet s’en suivre un tort irréparable tel que l’a définie la jurisprudence de cette Cour en pareil conflit. La décision du Juge Noël rendue le  8 février dans l’affaire Lower Nicola Indian Band v Joe [2011 ] FC 147 est fort à propos dans les circonstances particulièrement lorsqu’il traite du tort irréparable où il écrit au para 20 : «  Irreparable harm is not qualified as « irreparable » because of the scope or importance of the harm caused. Rather, what must be shown is that, but for the injunctive relief sought, the harm caused could not be compensated through damages (White v E.B.F. Manufacturing Ltd., 2001 FCT 1133 (FC) at para 13).

 

[16]           Les éléments de preuve présentés par les demandeurs au sujet du préjudice irréparable me semblent tout à fait convaincants particulièrement en ce qu’ils portent sur les résolutions 059, 060 070 qui vise à permettre de modifier le code d’appartenance de la bande et donc le statut quo.

 

[17]           Dans son appréciation de la prépondérance des inconvénients, la Cour doit tenir compte de l’intérêt public qui, en l’espèce, doit être évalué compte tenu des besoins et de l’intérêt supérieur des Abénakis de Wôlinak. La prépondérance des inconvénients nous amène donc à établir laquelle des parties à l’instance subira le plus grand préjudice.

 

[18]           Présentement il existe au sein de la communauté des factions différentes qui s’opposent depuis un certain temps. Cette situation ne peut être qu’envenimée par des décisions qui auront un impact majeur sur les intérêts de la communauté à court et moyen terme, c’est pourquoi les résolutions qui pourront être adoptées devront se limiter à des actes d’administration courantes sans modifier les signataires autorisés, ni effectués quelques changements administratifs d’importance.

 

[19]           En accordant une ordonnance pour mesures provisoires, la Cour s’assure à tout le moins qu’il n’y aura pas de décisions prises par le Conseil de bande qui modifie irrémédiablement le statut quo. Rejeter la demande permettrait au Conseil de détruire ce statut quo d’ici à ce que la Cour se penche sur le fond du litige. La prépondérance des inconvénients favorise donc l’émission d’une ordonnance.

 

[20]           La Cour, au terme de l’article 104 de ses règles de pratique, est habilitée à ordonner à tout moment « que soit constituée comme partie è une instance toute personne qui aurait dû l’être ou dont la présence est nécessaire pour assurer une instruction complète du litige … ».

 

[21]           Dans le présent dossier, la Cour entend ordonner que soit constituée comme partie à la présente instance en mesures provisoires le Conseil de bande des Abénakis de Wöjinak  un office fédéral aux termes de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R. 1985, ch. F-7 en vertu duquel est considéré comme un office fédérale tout « Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par un loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale (…) » . La requête du demandeur pour mesures provisoires est donc amendée en ce sens. Puisque les défendeurs dans le cadre de cette présente requête constituent la majorité effective au Conseil de bande, je ne vois pas en quoi cela pourrait leur porter préjudice. La Cour assure aussi que les intérêts de toutes les parties visées par l’Ordonnance pourront être adéquatement protégés. Par ailleurs la requête pour amendement présentée par le procureur des demandeurs pour amender les conclusions de l’Ordonnance est rejetée.

 

V.        CONCLUSION

[22]           Étant convaincu que les demandeurs ont satisfaits aux critères énoncés dans l’arrêt MacDonald, précité, la Cour accueille la requête pour mesures provisoires et rend l’Ordonnance qui suit.

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

 

1.         QUE soit amendée la requête pour mesures provisoires afin d’inclure le Conseil de bande des Abénakis de Wöjinak comme partie à cette présente requête;

2.         QUE soit interdit au Conseil de bande sortant des Abénakis de Wôlinak encore en exercice suivant la décision du 21 décembre 2010 d’adopter toute résolution autre que de simple administration, jusqu’à ce que la Cour se prononce sur le fond de la demande de contrôle judiciaire ou le cas échéant, jusqu’à ce que de nouvelles élections soient tenues et qu’un nouveau Conseil de bande entre en fonction;

 

3.         Que les demandeurs soient dispensés de tout cautionnement; et

 

4.         Que cette Ordonnance soit exécutée nonobstant appel.

 

Le tout avec frais à suivre l’issue de la demande de contrôle judiciaire.

 

 

                                                                                                            « André F.J. Scott »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-16-11

 

INTITULÉ :                                       DENIS LANDRY, GAÉTAN LANDRY, CHRISTIAN TROTTIER, LUCIEN MILLETTE, DAVE LEFEBVRE

                                                            c

YVON SAVARD, LOUISE BERNARD, DIANE M'SADOQUES ET RAYMOND BERNARD, NAYAN BERNARD, KEVEN BERNARD, JACQUES BERNARD, RÉJEAN BONNEVILLE, JULES BERNARD CATHERINE BERNARD ET NELSON LEFEBVRE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               18 mars 2011

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      18 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul-Yvan Martin et

Marie-Paule Boucher

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Eric Oliver

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Martin, Camirand, Pelletier senc.

Procureurs

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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