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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110324

Dossier : IMM-3087-10

Référence : 2011 CF 366

Ottawa (Ontario), le 24 mars 2011

En présence de monsieur le juge Boivin 

 

ENTRE :

 

TRACEYANN ELIZABETH SAMUELS

 

 

Partie demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

Partie défenderesse

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi) à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (ci-après le Tribunal), datée du 28 avril 2010, selon laquelle la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

Contexte factuel

[2]               La demanderesse, madame Traceyann Elizabeth Samuels, est citoyenne de la Jamaïque. Elle a demandé l’asile au Canada en 2006 parce qu’elle dit craindre être persécutée en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social.

 

[3]               Madame Samuels est née à St-James en Jamaïque. Elle est comptable agréée et aurait été employée par les autorités fiscales de la Jamaïque de 1994 à 1999. En 1998, elle aurait découvert deux cas de fraude fiscale dans des compagnies ayant des liens avec l’ancien premier ministre de l’époque, monsieur Edward Seaga.

 

[4]               Lorsqu’elle aurait informé le chef comptable de l’entreprise, il lui aurait demandé si elle craignait pour sa vie. Avant qu’elle en informe ses supérieurs, elle aurait été attaquée par deux individus alors qu’elle se promenait avec une amie. Sa mère aurait appelé la police pour porter plainte. Entre-temps, la fraude fut rendue publique.

 

[5]               Madame Samuels a donc changé d’emploi. Elle a déménagé à Montego Bay pour travailler au Ritz Carlton. Elle aurait également eu une relation avec un homme lorsqu’elle était en visite au Canada et elle aurait donné naissance à sa fille. Madame Samuels aurait été victime d’attentats jusqu’en avril 2006.

 

[6]               Selon madame Samuel, l’agent persécuteur, pendant toutes ces années, serait un ancien gardien de sécurité d’une des compagnies qui auraient fraudé le fisc, gardien qui serait devenu policier.

[7]               Le 23 mai 2006, madame Samuels a décidé de quitter la Jamaïque. Après avoir passé près de trois mois aux États-Unis - sans y avoir présenté une demande d’asile - elle est arrivée au Canada le 13 août 2006, et a fait sa demande d’asile le jour même.

 

Décision contestée

[8]               Le tribunal a établi que madame Samuels n’était pas crédible et qu’elle n’avait pas démontré de preuve tangible et fiable pour soutenir ses allégations. Le tribunal a donc rejeté sa demande d’asile.

 

[9]               Devant le tribunal, madame Samuels alléguait que si elle retournait en Jamaïque, elle serait personnellement exposée à un risque de torture et serait persécutée en raison de la fraude fiscale qu’elle a découverte il y a onze (11) ans.

 

[10]           Le tribunal a noté que madame Samuels allègue craindre un ancien employé d’une des compagnies où elle a découvert la fraude fiscale. Le tribunal a également pris note du fait qu’elle décrit cet individu comme étant parfois un gardien de sécurité et d’autres fois comme étant un policier. Le tribunal a donc tiré une conclusion négative quant à sa crédibilité.

 

[11]           De plus, le tribunal a indiqué que madame Samuels était incapable d’expliquer pourquoi cet individu, dont elle ne connaît pas le nom et n’a pris aucune mesure pour s’enquérir de son identité, s’attarderait à la rechercher après tant d’années et après que la fraude fiscale ait été rendue publique. Le tribunal a jugé invraisemblable que madame Samuels soit ciblée alors que l’affaire de fraude fiscale est publique.  

[12]           Le tribunal a soulevé que madame Samuels n’a jamais recherché la protection de son état, et ce, pendant les onze (11) dernières années. Madame Samuels a soutenu que sa mère avait appelé la police, mais que cela s’était produit à une seule occasion et qu’elle n’a jamais porté plainte elle-même. Elle n’a pas non plus porté plainte auprès de ses supérieurs. Lorsque le tribunal l’a interrogé sur cette question, madame Samuels a répondu qu’elle n’a pas porté plainte puisqu’elle ne savait pas en qui elle pouvait avoir confiance parce qu’il y a beaucoup de corruption dans son pays.

 

[13]           Même si le tribunal a reconnu les problèmes de corruption en Jamaïque, il a conclu que la preuve documentaire démontre que la Jamaïque est une démocratie parlementaire munie d’un système judiciaire indépendant. Le tribunal a donc jugé qu’elle ne s’était pas déchargée de son fardeau de démontrer l’incapacité de son pays à la protéger.

 

[14]           Comme deuxième motif au soutien de sa demande d’asile, madame Samuels a allégué qu’elle craignait le père de sa fille née à Montréal en mai 2002 parce qu’elle lui a demandé et obtenu en 2003 une pension alimentaire. Toutefois, le tribunal n’a pas trouvé crédible le témoignage de madame Samuels puisqu’elle a admis qu’en 2006, elle a approché le père de son enfant pour lui demander de l’épouser. Le tribunal a donc conclu que le comportement de madame Samuels ne démontrait pas une véritable crainte.

 

[15]           Finalement, en s’appuyant sur la preuve documentaire, le tribunal a rejeté l’allégation de madame Samuels selon laquelle elle serait en danger en raison du fait qu’elle est une femme.

 

[16]           Le tribunal a donc rejeté la demande d’asile de la demanderesse aux motifs qu’elle ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve d’établir une possibilité qu’elle soit persécutée en vertu d’un des motifs de la Convention. Selon le tribunal, elle n’aurait pas non plus démontré qu’advenant un retour en Jamaïque, elle serait personnellement exposée à un risque de torture, à une menace à la vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités.

 

Dispositions législatives pertinentes

[17]           Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés sont pertinentes en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

Question en litige

[18]           La question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est la suivante :

Le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que la demanderesse pouvait obtenir la protection de l’État en Jamaïque?

 

Norme de contrôle

[19]           Selon la Cour suprême du Canada au paragraphe 53 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick  2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, lorsque le tribunal entreprend un examen de questions de droit et de faits qui ne peuvent être dissociées aisément, la cour de révision fera preuve de déférence à l’égard du tribunal.

 

[20]           En matière de protection d’état, il est bien établi que les questions concernant le caractère adéquat de la protection étatique sont des questions mixtes de fait et de droit (Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CAF 171, [2007] ACF no 584. Par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la norme raisonnable. 

 

Analyse

[21]           Madame Samuels soumet que le tribunal a erré en concluant à la possibilité de protection des autorités dans son cas. Elle allègue qu’elle craint des personnes influentes en Jamaïque en raison de son travail au sein du département des impôts et que ses allégations au sujet de la corruption en Jamaïque sont bien démontrées par la preuve documentaire.

 

[22]           La Cour prend note que madame Samuels ne conteste pas les conclusions du tribunal au sujet de la crédibilité de son récit. L’analyse de la Cour portera donc sur les conclusions du tribunal quant à la disponibilité de la protection de l’État en Jamaïque.

 

[23]           Le ministre soumet que c’est à la demanderesse de démontrer par une preuve claire et convaincante que son pays est incapable de la protéger (voir Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, 103 DLR (4th) 1, Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 RCF 636).

 

[24]           Le ministre allègue que madame Samuels ne s’est pas déchargée de son fardeau, puisqu’elle n’a pas tenté d’obtenir la protection de son pays. Au soutien de ses prétentions, le ministre cite la décision Kadenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1376, 206 NR 272, au para 5 :

[5] Lorsque l'État en cause est un état démocratique comme en l'espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l'État en cause: plus les institutions de l'État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s'offrent à lui.

 

[25]           Madame Samuels n’a jamais porté plainte à la police ni dénoncé quoi que ce soit à ses supérieurs, et ce, pendant une période de onze (11) ans où elle allègue qu’on aurait essayé de l’attaquer à plusieurs reprises pour avoir découvert une fraude fiscale. De plus, elle a séjourné dans plusieurs autres pays pendant cette période - entre autres en Espagne en 2000, aux États-Unis jusqu’en 2002 et au Canada en 1997, 2001 et 2002 - et n’a jamais présenté de demande d’asile. 

 

[26]           En fait, elle dit craindre un individu qu’elle n’a pas identifié. La Cour est d'avis que le tribunal a conclu avec raison que l'inaction de madame Samuels de se prévaloir de la protection de son pays démontre qu’elle n’a pas renversé le fardeau de preuve de l’absence d’une protection de l’État en Jamaïque (Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 1050, [2005] ACF no 1297). En l’espèce, cet aspect est décisif. 

 

[27]           Madame Samuels plaide que si elle retournait en Jamaïque, elle serait persécutée et sa vie serait en danger parce qu’elle est une femme. Au soutien de ses prétentions, madame Samuels soumet de la preuve documentaire. La Cour conçoit que la situation de la femme en Jamaïque n’est pas parfaite. Le tribunal l’a d’ailleurs également admis (Dossier certifié de la Cour, décision du tribunal au para 8). La Cour note toutefois que le tribunal a fait référence à la preuve documentaire et a notamment souligné que la Jamaïque est dotée d’un système judiciaire indépendant. Des enquêtes sur la corruption ont été menées et des accusations ont été portées (Dossier certifié de la Cour, décision du tribunal au para 7). Il convient également d’ajouter qu’une preuve documentaire de nature générale ne peut servir à elle seule à établir le bien-fondé d’une demande d’asile (Alexibich c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 FCT 53, [2002] ACF no 57) d’autant plus, qu’en l’espèce, le tribunal a douté de la crédibilité du récit de la demanderesse en raison de son comportement. 

 

[28]           Ainsi, l’argument de la demanderesse concernant la violence généralisée à l’égard des femmes en Jamaïque doit être rejeté, car la preuve au dossier n’établit aucun lien entre la preuve documentaire de nature générale et la situation particulière de la demanderesse (Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331, [2008] ACF no 415).

 

[29]           Tout bien considéré, la décision du tribunal est raisonnable et l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. 

 

[30]           La présente demande ne soulève pas de question de portée générale.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

Aucune question n’est certifiée. 

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3087-10

 

INTITULÉ :                                       Traceyann Elizabeth Samuels c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 mars 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stéphanie Valois

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Michèle Joubert

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet d'avocat

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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