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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110329

Dossier : IMM-4757-10

Référence : 2011 CF 387

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 29 mars 2011

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

CHARM LEANA JOHN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande conteste une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), par laquelle on a rejeté la demande d’asile de la demanderesse, en grande partie sur le fondement d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité. À mon avis, la décision est entachée d’une erreur fondamentale et doit être annulée.

 

[2]               La demande de la demanderesse est fondée sur le sexe, en raison de la violence physique, sexuelle et psychologique dont elle a été victime de la part de son conjoint à Sainte-Lucie.

 

[3]               En ce qui a trait à l’audience devant la SPR, le conseil de la demanderesse s’était basé sur un rapport psychologique récent qui indiquait que la demanderesse souffrait d’un trouble de stress post‑traumatique et qui, relativement à la capacité de témoigner de la demanderesse durant l’audience devant la SPR, contenait le paragraphe clé suivant :

[traduction]

 

Mme John a souffert de maux de tête par le passé, mais ceux-ci ne surviennent plus de façon régulière. D’autres symptômes reliés au stress comprennent des épisodes de faiblesse, une susceptibilité à la fatigue et des problèmes de concentration et de mémoire. L’idéation intrusive (c.-à-d. l’éruption spontanée d’inquiétudes et de souvenirs d’événements traumatiques) survient fréquemment et nuit à la lecture et à la conversation. Parfois, elle a tout simplement la tête vide. Mme John est devenue distraite, avec une mauvaise mémoire (p. ex. elle mêle des dates et des détails relatifs à des événements passés; elle oublie qu’elle a laissé quelque chose sur la cuisinière pour refroidir ou elle égare ses clés). Les problèmes de concentration et de mémoire sont fréquents chez les personnes exposées à des événements traumatiques. Ces difficultés sont exacerbées sous la pression, comme celle qui découle du contexte de l’audition d’une demande d’asile, où l’enjeu est important. Les symptômes peuvent survenir lors de l’audience sous la forme d’une difficulté à saisir les questions posées, de demandes de répétition ou de reformulation de questions, d’une incapacité à se souvenir de détails précis du passé ou d’une incapacité apparente à formuler une réponse cohérente. Si de tels problèmes deviennent évidents, il sera important de comprendre qu’ils reflètent probablement les effets désorganisants du stress traumatique plutôt qu’un effort pour éviter ou dissimuler.

 

(Dossier de demande de la demanderesse, pages 43 et 44)

 

 

Comme je l’ai auparavant conclu dans la décision Kuta c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2009 CF 687, il est capital pour la SPR, lorsqu’elle est saisie de demandes d’asile fondées sur le sexe, de porter une attention particulière aux Directives no 4 – Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe, des directives données par la présidente (les Directives no 4), pour parvenir à une décision. Les Directives no 4 prévoient ce qui suit :

 

Les revendicatrices du statut de réfugié victimes de violence sexuelle peuvent présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome consécutif au traumatisme provoqué par le viol et peuvent avoir besoin qu’on leur témoigne une attitude extrêmement compréhensive. […]

 

[Renvoi omis.]

 

 

[4]               Dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, la SPR a fait les déclarations clés suivantes :

Pour évaluer la présente affaire, le tribunal a examiné les directives du président concernant la persécution fondée sur le sexe afin de s’assurer que les mesures d’adaptation requises ont été prises pour ce qui est des questions posées à la demandeure d’asile et de l’ensemble du processus d’audience.

Avant de rendre ma décision, j’ai pris connaissance du rapport psychologique. À la lumière de ce rapport, je constate que, en raison du traumatisme que la demandeure d’asile a vécu, celle-ci souffre d’un syndrome de stress post‑traumatique et de dépression mineure, se trouve dans un état dépressif chronique, est susceptible de subir des dommages psychologiques si elle retourne à Sainte-Lucie et a besoin de services de counseling. J’estime que la demandeure d’asile n’a pas prouvé que de tels services ne lui seraient pas offerts si elle retournait à Sainte-Lucie. En fait, la preuve documentaire montre que des services de counseling sont offerts aux femmes victimes d’agressions à Sainte-Lucie. Qui plus est, étant donné que le diagnostic repose sur les allégations d’agression de la demandeure d’asile ainsi que sur une entrevue, et, puisque j’ai conclu que la demandeure d’asile n’est pas crédible en ce qui concerne certains aspects de sa demande d’asile, j’accorde peu de valeur probante à ce rapport. La demandeure d’asile pourrait, par exemple, être stressée pour d’autres raisons, y compris les agressions sexuelles qu’elle a subies antérieurement et les mauvaises relations qu’elle a eues au Canada. […]

[Non souligné dans l’original; renvois omis.]

(Décision, paragraphes 6 et 7)

 

En ce qui concerne la conclusion selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible, la SPR a, en partie, déclaré ce qui suit :

 

Qui plus est, je tire une conclusion défavorable du fait que la demandeure d’asile a indiqué que [son conjoint] Marcus avait 18 ans, au lieu de 17, lorsqu’elle est allée vivre avec lui. Il serait raisonnable de s’attendre à ce que la demandeure d’asile ne se trompe pas sur ce fait étant donné qu’il s’agit de l’âge d’une personne mineure. La demandeure d’asile a affirmé être tombée amoureuse de Marcus lorsqu’elle avait 18 ans et être allée vivre chez lui en 2002. Priée de préciser l’âge qu’elle avait en 2002, elle a indiqué qu’elle avait 18 ans. Il a été souligné à la demandeure d’asile qu’elle n’avait pas 18 ans en 2002, mais bien 17. La demandeure d’asile n’a rien répondu. Je tire une conclusion défavorable de l’incapacité de la demandeure d’asile d’expliquer cette incohérence.

Lorsque la demandeure d’asile a dû préciser la date de naissance de Marcus, elle a tout d’abord affirmé qu’il s’agissait du 4 juillet 1985. Elle a ensuite jeté un regard interrogateur à son conseil, s’est excusée et a affirmé qu’il s’agissait plutôt de 1984, précisant qu’il aurait donc 25 ans en juillet. Il a été indiqué à la demandeure d’asile que, si Marcus était né en 1984, il aurait donc 26 ans en juillet et non pas 25. La demandeure d’asile n’a rien répondu. Puisque la demandeure d’asile est elle-même née en 1985, il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’elle sache si Marcus est né la même année qu’elle et qu’elle ne se trompe pas quant à l’année de naissance de Marcus. Je tire donc une conclusion défavorable à cet égard.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Décision, paragraphes 14 et 15)

 

 

[5]               Je conviens avec l’avocat de la demanderesse que les passages cités révèlent des erreurs fondamentales, ce qui rend déraisonnable la décision faisant l’objet du présent contrôle.

 

[6]               Tout d’abord, il s’agit d’une erreur susceptible de contrôle de conclure en premier lieu qu’un demandeur n’est pas crédible, pour ensuite utiliser ce manque de crédibilité comme fondement au rejet d’une preuve déposée en corroboration au témoignage du demandeur ou au peu de poids qu’on accorde à cette preuve. En l’espèce, le rapport psychologique n’est pas présenté afin de prouver la véracité des déclarations que la demanderesse a faites au psychologue, mais pour établir son état d’esprit du moment. On peut conclure que l’état d’esprit perturbé de la demanderesse corrobore la véracité de son témoignage relatif à la violence dont elle a été victime.

 

[7]               Deuxièmement, l’état d’esprit de la demanderesse était un facteur important dont la SPR devait tenir compte en examinant le témoignage de la demanderesse : agir ainsi constitue une application pratique des Directives no 4. Il incombait donc à la SPR d’être prudente lors de l’appréciation du témoignage de la demanderesse, au vu de sa constitution psychologique; il me semble évident qu’on n’a pas satisfait à cette exigence. Je conclus que l’état d’esprit de la demanderesse n’a pas été examiné de manière juste et réaliste pour en arriver aux conclusions précitées défavorables quant à la crédibilité.


ORDONNANCE

 

Par conséquent, la décision faisant l’objet du présent contrôle est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire.

 

Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4757-10

 

INTITULÉ :                                       CHARM LEANA JOHN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 28 MARS 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             LE 28 MARS 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Odeleye

POUR LA DEMANDERESSE

 

Leeta Logsetty

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richard Odeleye

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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