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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110329

Dossier : T-1236-10

Référence : 2011 CF 378

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa, Ontario, le 29 mars 2011

En présence de monsieur le juge Barnes

 

ENTRE :

 

CHARLES ROBERTSON

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

KYLE BEAUVAIS ET 

CONSEIL DES MOHAWKS DE KAHNAWAKE

 

 

 

défendeurs

 

 

et

 

 

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

 

 

tiers

 

  MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Il s’agit d’une requête en radiation déposée par le défendeur, Kyle Beauvais, de l’ensemble des allégations formulées à son endroit dans la déclaration de la présente procédure. M. Beauvais affirme que la Cour n’a tout simplement pas compétence pour instruire l’affaire, car elle porte sur un différend contractuel privé concernant l’appartenance des terres situées dans une réserve des Premières Nations qui doit être réglé en fonction des lois provinciales et non fédérales. M. Beauvais reconnaît que la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, contient des dispositions limitées concernant les questions foncières relatives aux Autochtones, mais il maintient qu’elles ne s’appliquent pas aux questions soulevées dans la déclaration. En effet, il affirme qu’il existe [traduction] « un manque complet de lois fédérales régissant le différend » entre le demandeur et lui-même et que l’affaire sera réglée en vertu du Code civil du Québec.

 

Contexte du litige

  • [2] Il n’y a nul doute que ce différend, tel que décrit dans la déclaration, porte sur le prétendu transfert de possession de terres situées dans la réserve des Mohawks Kahnawake à Kahnawake, au Québec (la terre en litige) du demandeur à M. Beauvais. Il est incontesté que le titre de la terre en litige est détenu par la Couronne au nom de la bande Kahnawake.

 

  • [3] Le demandeur allègue dans la déclaration que M. Beauvais avait occupé la terre en litige depuis 2007 aux termes d’une entente de location. Le demandeur maintient qu’il a conclu, en mars 2010, une entente verbale selon laquelle M. Beauvais acquerrait l’intérêt possessoire du demandeur dans la terre en litige pour 350 000 $. Il allègue que cette entente a été partiellement exécutée, mais par erreur ou fraude, lorsque les documents de transfert nécessaires ont été enregistrés par la bande. Toutefois, le demandeur allègue aussi que M. Beauvais a, depuis, manqué à ses obligations dans le cadre de l’entente en refusant de lui verser le solde du prix d’achat convenu et en refusant de continuer à payer le loyer. Le demandeur réclame, à titre de redressement, une série de déclarations annulant l’entente et le transfert de possession de la terre en litige, ainsi que des dommages-intérêts.

 

  • [4] Le tiers, représenté par le ministre des Affaires indiennes, semble avoir refusé de donner effet juridique au transfert de la terre en litige en vertu de l’article 24 de la Loi sur les Indiens dans l’attente d’une résolution judiciaire au différend sous-jacent.

 

Questions

  • [5] La Cour devrait-elle refuser d’accorder le redressement demandé dans la présente requête parce que le défendeur, Kyle Beauvais, a répondu aux allégations substantielles de la déclaration ou à cause du délai à déposer la présente requête?

 

  • [6] Les allégations à l’endroit du défendeur, Kyle Beauvais, contenues dans la déclaration devraient-elles être radiées en vertu de l’article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, au motif que la Cour n’a pas la compétence sur l’objet de la requête plaidée?

 

Discussion

  • [7] L’argument du demandeur, selon lequel le fait de plaider sa cause et le délai à déposer la présente requête empêchent le défendeur de contester la compétence de la Cour à entendre l’affaire, est non fondé. La Cour ne peut, au moyen d’une entente entre les parties ou par leurs comportements procéduraux, acquérir une compétence qu’elle n’a pas. Les affaires portant sur des requêtes en radiation où le pouvoir discrétionnaire de refuser un redressement a été reconnu ne comprenaient pas de requêtes contestant la compétence de la Cour comme celles-ci. La compétence est une question qui peut être soulevée à tout moment pendant une procédure, sous réserve du pouvoir de la Cour d’attribuer des dépens en cas d’abus ou de délais : voir Verdicchio c Canada, 2010 CF 117, [2010] 3 CTC 80.

 

  • [8] Le demandeur et le défendeur s’entendent pour dire, tout comme moi-même, que la question dont nous sommes saisis est celle de savoir s’il est évident et manifeste hors de tout doute que la Cour n’a pas compétence pour résoudre leur différend tel qu’il est plaidé : voir Hodgson c Ermineskin Band (2001), 267 NR 143 (CAF), 193 FTR 158.

 

  • [9] Pour fonder la compétence de la Cour fédérale sur une cause d’action ou une demande de redressement particulière a) il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement; b) il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige; et c) la loi invoquée doit être une loi du Canada : voir ITO - International Terminal Operators Ltd. c Miida Electronics Inc., [1986] 1 RCS 752, 28 DLR (4e) 641, à la page 766.

 

  • [10] La présente requête ne peut être accueillie, car il n’est ni évident ni manifeste que la Cour n’a pas compétence pour instruire et résoudre la requête du demandeur. Les allégations du demandeur comprennent certains aspects centraux qui pourraient bien porter sur l’application de la loi fédérale et, en particulier, la Loi sur les Indiens. Le soutien le plus clair de cette affirmation vient de la décision du juge Andrew MacKay dans Jones Estate c Louis et al (1996), 108 FTR 81, 3 CNLR 85. L’affaire Jones mettait en cause des intérêts divergents relatifs à la possession de terres sur la réserve indienne Okanagan selon une prétendue entente de transfert entre les parties. Le juge MacKay a noté que la Loi sur les Indiens [traduction] « jette les fondements législatifs liés aux intérêts fonciers sur une réserve » (voir le paragraphe 6), y compris les questions en matière de transfert et de possession (voir le paragraphe 8). Il a aussi noté l’effet de l’article 24 de la Loi sur les Indiens, qui confère au ministre le pouvoir absolu d’approuver un transfert de terres entre membres d’une bande. Selon le juge MacKay, en l’absence de l’approbation ministérielle pour un transfert, aucun transfert de titre ou entente privée entre membres d’une bande n’aurait d’effet juridique. Le juge MacKay en a conclu qu’une partie pouvait se retirer d’une entente à tout moment jusqu’à ce que le ministre approuve le transfert. Le juge MacKay a ensuite abordé la question particulière de la compétence de la Cour fédérale sur le différend. Il a statué que la Cour fédérale avait compétence concurrente en vertu du paragraphe 17(4) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch. F-7, pour instruire une affaire [traduction] « où la Couronne pourrait avoir une obligation susceptible de faire l’objet de demandes contradictoires » [soulignement ajouté à la citation]. L’obligation qui incombe au ministre en vertu de l’article 24 de la Loi sur les Indiens de considérer l’approbation d’un transfert de terres était suffisante pour fonder la compétence de la Cour.

 

  • [11] À mon avis, la décision dans Jones, précitée, ne se distingue pas des circonstances en l’espèce. L’article 24 de la Loi sur les Indiens pourrait aussi avoir un effet déterminant sur l’issue en l’espèce, peu importe la nature ou les détails de l’entente entre les parties. Dans une requête de radiation, mon rôle n’est pas de décider si la conclusion du juge MacKay était appropriée. Il suffit que la décision dans la présente affaire soulève une cause défendable en faveur de la compétence de la Cour (c.-à-d. il n’est ni manifeste ni établi que la Cour n’a pas compétence), et c’est clairement le cas.

 

  • [12] Dans Rhine c Canada, [1980] 2 RCS 442, 116 DLR (3e) 385, la Cour a reconnu que l’application d’une obligation contractuelle ordinaire peut toujours relever de la compétence de la Cour fédérale, pourvu qu’une loi fédérale valide régisse la transaction. Dans la présente affaire, il était nécessaire de faire appel à la loi fédérale sous-jacente pour faire respecter ce qui était, pour l’essentiel, un accord d’emprunt. On a conclu que cela était suffisant pour fonder la compétence de la Cour fédérale. Ce même genre de cadre législatif existe ici en vertu de la Loi sur les Indiens, car la loi porte sur le pouvoir de l’État fédéral de contrôler l’utilisation et la possession des terres dans les réserves. L’article 21 de la Loi sur les Indiens prévoit l’établissement d’un registre des terres de réserve et l’article 24 reconnaît la possibilité de transférer les intérêts possessoires dans des terres de réserve, sous réserve de l’approbation du ministre. Compte tenu de ces dispositions et eu égard à la conclusion de la Cour suprême du Canada dans Derrickson c Derrickson, [1986] 1 RCS 285, 26 DLR (4e) 175, selon laquelle « [l]e droit de posséder des terres sur une réserve indienne est de l’essence même de la compétence législative fédérale exclusive », il est défendable de dire que la loi provinciale ne s’applique pas à ce genre de différend. Il me semble que les coutumes de la bande et la common law fédérale (y compris le titre ancestral) constituent les sources les plus probables pour les principes à appliquer à ce différend que le Code civil du Québec : voir Roberts c Canada, [1989] 1 RCS 322, 25 FTR 161. Quoi qu’il en soit, l’application accessoire de lois provinciales à une affaire qui doit être tranchée principalement en fonction de lois fédérales n’a aucune incidence sur la compétence de la Cour : voir ITO - International Terminal Operators Ltd. c Miida Electronics Inc., précité, au paragraphe 781.

 

Conclusion

  • [13] Le défendeur ne répond pas au seuil élevé relatif au redressement demandé en vertu de l’article 221 des Règles et la présente requête est rejetée avec dépens en faveur du demandeur, quelle que soit l’issue de la cause.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente requête soit rejetée avec dépens payables au demandeur selon la colonne III, quelle que soit l’issue de la cause. 

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  T-1236-10

 

INTITULÉ :  ROBERTSON c BEAUVAIS ET AL c SMLQ

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 7 mars 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :   LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :  Le 29 mars 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Me John Glazer

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Frederick Pinto and

Me Marilana Bono

 

POUR LE DÉFENDEUR -

KYLE BEAUVAIS

Me Alexandre Janin

 

POUR LE DÉFENDEUR -

CONSEIL DES MOHAWKS DE KAHNAWAKE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Leithman & Glazer

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Elfassy Rose

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR -

KYLE BEAUVAIS

Gasco Goodhue St. Germain, LLP

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR -

CONSEIL DES MOHAWKS DE KAHNAWAKE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE TIERS

 

 

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