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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110406

Dossier : IMM-4731-10

Référence : 2011 CF 423

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 avril 2011

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

WALFORD URIAH STEER

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 13 août 2010 par laquelle la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a ordonné, en application du paragraphe 58(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la LIPR], que M. Walford Uriah Steer (le défendeur) soit mis en liberté sous réserve de certaines conditions.

 

I. Le contexte

[2]               Le défendeur, né le 6 mai 1972, est citoyen de la Jamaïque.

 

[3]               Le 15 janvier 1993, il est venu au Canada à titre de résident permanent après avoir été parrainé par un parent qui y habitait déjà. En février 1999, il a été renvoyé en Jamaïque après avoir été déclaré coupable de nombreuses infractions au Code criminel, LRC 1985, ch. C-46, y compris trois chefs de voies de fait.

 

[4]               Malgré ce renvoi, le défendeur est revenu au Canada en mars 2000, sans autorisation. Il a demandé l’asile en juillet de la même année, qu’il a obtenu en juin 2003. Cependant, le défendeur n’a jamais retrouvé son statut de résident permanent parce qu’il était visé par une interdiction de territoire en raison de son casier judiciaire.

 

[5]               Le défendeur a repris son comportement criminel à son retour au Canada. Une mesure d’expulsion a été prise contre lui le 17 mars 2006 et le défendeur a été détenu par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) peu de temps plus tard, en prévision de son expulsion. À ce moment, il était visé par plus de 70 déclarations de culpabilité pour des infractions au Code criminel. Le défendeur a interjeté appel de la mesure d’expulsion à la Section d’appel de l’immigration (SAI). Il a été mis en liberté le 15 juin 2006 moyennant un cautionnement de 5 000 $ sous condition qu’il se présente à l’ASFC une fois par semaine (l’ordonnance de mise en liberté de 2006).

 

[6]               En 2009, de nouvelles accusations ont été déposées contre le défendeur pour défaut de se conformer à une ordonnance et pour entrave à un agent de la paix. Ces accusations étaient toujours pendantes au moment où la décision faisant l’objet du présent contrôle a été rendue.

 

[7]               En janvier 2010, la SAI a rejeté l’appel du défendeur au sujet de la mesure d’expulsion de mars 2006 et, le 27 mai 2010, la Cour a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du défendeur au sujet de cette décision de la SAI.

 

[8]               Le 3 août 2010, le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada a rendu, au sens de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR, un avis selon lequel le défendeur constitue [traduction] « un danger présent et futur pour le public au Canada » (l’avis de danger). Le défendeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de l’avis de danger le 6 août 2010. Cette demande a été rejetée en novembre 2010.

 

[9]               Le 4 août 2010, le défendeur a été détenu par l’ASFC en vue de son expulsion pour deux motifs : a) parce qu’il représentait un danger pour le public et b) parce qu’il posait un risque de fuite. Le contrôle des motifs de détention des 48 heures du défendeur a eu lieu le 6 août 2010. La Commission a décidé de maintenir la détention du défendeur pendant sept jours supplémentaires. En ce qui a trait au motif du danger, elle a conclu que [traduction] « l’avis de danger [était] un nouvel élément important ». Quant au risque de fuite, la Commission a expliqué que [traduction] « la question du risque de fuite [avait] changé beaucoup depuis 2007 » en raison de l’expulsion imminente.

                       

 

II. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[10]           Le 13 août 2010, la Commission a de nouveau examiné la détention du défendeur et, cette fois-là, a rendu une ordonnance de mise en liberté. La Commission a examiné de façon distincte chacun des motifs de détention. En ce qui a trait au motif du danger, elle a déclaré « que peu de choses ont changé depuis 2006 » et que bien que le défendeur eût été « déclaré coupable à 76 reprises au Canada, dont 9 fois pour violence, [il n’avait] commis aucun crime depuis 2006 ». La Commission a reconnu que le défendeur était une personne qui représentait un danger pour la société canadienne, mais elle a conclu que les conditions de l’ordonnance de mise en liberté de 2006 étaient suffisantes pour contrebalancer ce danger.

 

[11]           La principale préoccupation de la Commission portait sur le risque de fuite. À ce sujet, la Commission a reconnu que, dans le cas du défendeur, « le risque de fuite s’est accru de façon radicale en raison de l’avis de danger ». Cependant, la Commission a finalement conclu qu’il n’y avait « aucune raison qui [faisait] en sorte que le risque de fuite ne [pouvait] être éliminé en imposant des conditions strictes ».

 

[12]           La nouvelle ordonnance de mise en liberté de la Commission maintenait le cautionnement de 5 000 $ et exigeait que le défendeur :

a)      se présente à la demande de l’ASFC ou de la Commission pour satisfaire à toute obligation prévue par la LIPR;

b)      fournisse son adresse à l’ASFC avant sa mise en liberté et avise l’ASFC en personne de tout changement d’adresse avant que le changement ne soit effectué;

c)      se présente devant un agent de l’ASFC une fois par semaine;

d)      confirme son départ à un agent de l’ASFC avant de quitter le Canada;

e)      coopère pleinement avec l’ASFC (à la satisfaction de celle-ci) pour l’obtention de documents de voyage;

f)        ne participe à aucune activité susceptible de le conduire à une condamnation aux termes d’une des lois du Parlement suite à sa libération;

g)      avise l’ASFC, dans les 72 heures, de toute arrestation, accusation ou déclaration de culpabilité;

h)      respecte toute ordonnance de la cour ou ordonnance de probation.

 

[13]           Sur requête du demandeur, il a été sursis de façon temporaire à la mise en liberté du défendeur. Le demandeur a déposé une autre requête en sursis de la mise en liberté du défendeur en attendant l’issue de la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. La Cour a rejeté cette requête le 19 août 2010 et le défendeur a été mis en liberté ((Canada (Minister of Public Safety and Emergency Preparedness) c. Steer, 2010 FC 830, 91 Imm LR (3d) 7).

 

III. Analyse

[14]           Le demandeur conteste la décision de la Commission à deux égards. Premièrement, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’avis de danger dans son analyse, comme l’exige l’alinéa 58(1)a). Deuxièmement, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en appliquant des conditions de mise en liberté déraisonnablement souples.

 

[15]           En ce qui a trait à la première question, celle de savoir si la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’avis de danger comme l’exige le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], il s’agit d’une question de droit et la décision correcte est la norme de contrôle applicable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. B188, 2011 CF 94, au paragraphe 19).

 

[16]           Le paragraphe 58(1) de la LIPR précise que la Commission doit ordonner la mise en liberté d’un étranger, sauf sur preuve, « compte tenu des critères réglementaires », de l’existence d’un des quatre motifs justifiant la détention :

Mise en liberté par la Section de l’immigration

 

58. (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :

 

a) le résident permanent ou l’étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

 

b) le résident permanent ou l’étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

 

c) le ministre prend les mesures voulues pour enquêter sur les motifs raisonnables de soupçonner que le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux;

 

d) dans le cas où le ministre estime que l’identité de l’étranger n’a pas été prouvée mais peut l’être, soit l’étranger n’a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l’identité de l’étranger.

Release — Immigration Division

 

58. (1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or a foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that

 

(a) they are a danger to the public;

 

 

(b) they are unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2);

 

 

(c) the Minister is taking necessary steps to inquire into a reasonable suspicion that they are inadmissible on grounds of security or for violating human or international rights; or

 

 

 

 

(d) the Minister is of the opinion that the identity of the foreign national has not been, but may be, established and they have not reasonably cooperated with the Minister by providing relevant information for the purpose of establishing their identity or the Minister is making reasonable efforts to establish their identity.

 

Le motif de détention en litige est celui du « danger pour la sécurité publique », énoncé à l’alinéa 58(1)a) de la LIPR.

 

[17]           L’alinéa 244b) du Règlement indique que les critères prévus à la Partie 14 du Règlement « doivent être pris en compte » lors de l’appréciation du danger que constitue l’intéressé pour la sécurité publique. En particulier, l’alinéa 246a), à la Partie 14 du Règlement, prévoit :

Danger pour le public

 

246. Pour l’application de l’alinéa 244b), les critères sont les suivants :

 

a) le fait que l’intéressé constitue, de l’avis du ministre aux termes de l’alinéa 101(2)b), des sous-alinéas 113d)(i) ou (ii) ou des alinéas 115(2)a) ou b) de la Loi, un danger pour le public au Canada ou pour la sécurité du Canada;

 

[...]

Danger to the public

 

246. For the purposes of paragraph 244(b), the factors are the following:

 

(a) the fact that the person constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada or a danger to the security of Canada under paragraph 101(2)(b), subparagraph 113(d)(i) or (ii) or paragraph 115(2)(a) or (b) of the Act;

[...]

 

[18]           Le demandeur soutient que la Commission [traduction] « a complètement omis de tenir compte » du critère établi à l’alinéa 246a) du Règlement.

 

[19]           Je suis d’accord. Bien qu’il soit évident que la Commission était au courant de l’avis de danger (parce qu’elle en a tenu compte dans son analyse du risque de fuite), il n’est pas clair qu’elle en a tenu compte dans son analyse prévue à l’alinéa 58(1)a) de la LIPR. Bien que la Commission eût reconnu que le défendeur représentait bien un danger à la sécurité publique, les motifs montrent clairement que la Commission croyait qu’il s’agissait essentiellement du même danger qui avait été évalué et traité en 2006. La Commission a déclaré « que peu de choses ont changé depuis 2006 ». Au contraire, un avis de danger avait été rendu par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada le 3 août 2010, en application de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR, dans lequel le ministre déclarait que le défendeur était [traduction] « un danger actuel et futur pour le public du Canada ». Comme la Commission l’a correctement déclaré à la conclusion du contrôle des motifs de détention des 48 heures du défendeur, [traduction] « l’avis de danger est un nouvel élément important » qui doit compter dans l’analyse du danger. Les alinéas 244b) et 246a) du Règlement l’exigent.

 

[20]           Comme je ne suis pas convaincue que la Commission a tenu compte de l’avis de danger dans son analyse prévue à l’alinéa 58(1)a), la décision de la Commission de mettre le défendeur en liberté ne peut pas être maintenue.

 

[21]           De plus, comme la Cour d’appel fédérale l’a précisé dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, 236 DLR (4th) 329, au paragraphe 24, lorsqu’il existe une décision antérieure visant la détention d’une personne en application des articles 57 et 58 de la LIPR, la Commission doit énoncer des motifs « clairs et convaincants » pour pouvoir aller à l’encontre de la décision antérieure :

Lors de tout contrôle des motifs de la détention effectué suivant les articles 57 et 58 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, la Section de l’immigration doit rendre une nouvelle décision quant à la question de savoir si une personne détenue devrait être maintenue en détention. Bien que le fardeau de preuve puisse être déplacé pour incomber au détenu une fois que le ministre a établi prima facie qu’il y a lieu de maintenir la détention, il incombe en fin de compte toujours au ministre, lors de tels contrôles des motifs de la détention, d’établir que la personne détenue constitue un danger pour la sécurité publique au Canada ou qu’elle risque de se soustraire à la justice. Cependant, les décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne doivent être prises en compte lors de contrôles subséquents et la Section de l’immigration doit énoncer des motifs clairs et convaincants pour pouvoir aller à l’encontre des décisions antérieures.

[Non souligné dans l’original.]

 

En l’espèce, je note que la Commission n’a pas fourni d’explication quant à la raison pour laquelle la mise en liberté du défendeur était justifiée après le contrôle de la détention du 13 août, alors qu’il avait été conclu au contrôle de la détention du 6 août qu’elle n’était pas justifiée.

 

[22]           Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas nécessaire d’examiner la raisonnabilité des conditions de la mise en liberté du défendeur. La demande est accueillie et la décision de mettre le défendeur en liberté est annulée.

 

[23]           Le demandeur a présenté la question suivante aux fins de la certification :

La Section de l’immigration commet-elle une erreur de droit lorsqu’elle ordonne la mise en liberté d’une personne qui fait l’objet d’un avis de danger qui a récemment été rendu en application de l’alinéa 115(2)a) de la Loi si la Section de l’immigration :

·        réexamine l’avis de danger sans que de nouveaux éléments de preuve ne lui aient été présentés;

·        omet d’examiner la totalité de l’avis du ministre, alors qu’un tel avis fait partie des critères obligatoires d’examen de la Section de l’immigration, en vertu de l’alinéa 246a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés;

·        omet de préciser les distinctions entre sa décision et la décision de la Section de l’immigration, rendue la semaine précédente, de ne pas mettre la personne en liberté précisément parce que, de l’avis du ministre, le défendeur constitue un danger pour le public?

 

Compte tenu de ma décision, cette question ne satisfait pas aux exigences de la certification – il ne s’agit pas d’une question grave de portée générale qui permettrait de régler un appel.


 

 

JUGEMENT

 

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la décision de mettre le défendeur en liberté soit annulée.

 

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

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