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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110405

Dossier : ITA-14795-09

Référence : 2011 CF 413

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa, Ontario, le 5 avril 2011

En présence de l’honorable juge Mandamin

 

 

DANS L’AFFAIRE DE LA Loi de l’impôt sur le revenu et

DANS L’AFFAIRE DES cotisations établies par le 

ministre du Revenu national en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu :

 

ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE

représentée par le 

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

 

créancier judiciaire

 

et

 

 

 

MARCEL MALACHOWSKI (alias MARCEL OWEN JOSEPH MALACHOWSKI, MARCEL OWEN MALACHOWSKI, MARCEL WUNSCK, M. WENLOCK, MEMO WENLOCK, MEMO ET MARCEL WENLOCK)

 

 

 

débiteur judiciaire

 

 

 

 

  MOTIFS POUR L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] La partie requérante, Mme Suzanne Fishwick, a présenté une requête en vertu des articles 462 et 399 de la Loi des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles) pour annuler l’ordonnance provisoire de constitution de charge rendue le 18 décembre 2009.

 

  • [2] Le débiteur judiciaire, M. Marcel Malachowski, devait la somme de 803 931,95 $ plus intérêts en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, 1985 ch. 1 (5e suppl.) (la LIR) au créancier judiciaire, le ministre du Revenu national (le ministre) pour les années d’imposition 2004 à 2008. Cette créance a été confirmée par un certificat enregistré auprès de la Cour fédérale le 11 décembre 2009, ayant force exécutoire en vertu de l’article 223 de la LIR.

 

  • [3] Le ministre a déterminé que M. Malachowski avait un intérêt bénéficiaire dans deux parcelles avoisinantes de bien réel à Nun’s Point, situé au 19650, chemin de comté 2, Summerstown, en Ontario, (collectivement appelées Nun’s Point) et a demandé, ex parte, une ordonnance provisoire de constitution de charge dans le but d’assurer le paiement de l’impôt impayé dû au ministre.

 

  • [4] Dans sa requête ex parte, le ministre présente la preuve de sa préoccupation selon laquelle sans l’ordonnance provisoire de constitution de charge, il ne serait pas en mesure de percevoir les impôts de M. Malachowski, car :

i   son intérêt dans Nun’s Point semble être son seul élément d’actif;

ii   il n’était pas susceptible de revenir au Canada, car :

  1. il est maintenant incarcéré aux États-Unis pour une longue période;

  2. sa conjointe de fait est retournée aux États-Unis;

iii   Nun’s Point est à vendre.

  • [5] Par conséquent, le 18 décembre 2009, le juge Richard J. Mosley a accordé une ordonnance intérimaire de constitution de charge pour Nun’s Point et ordonné que la question soit davantage examinée par la Cour le 15 avril 2010. L’audience subséquente déterminerait si l’ordonnance provisoire de constitution de charge serait maintenue.

 

  • [6] L’ordonnance du juge Mosley prévoyait ce qui suit :

[traduction]

 

IL EST ORDONNÉ qu’à moins que des raisons suffisantes pour justifier une décision contraire ne soient présentées avant le 15 avril 2010, à 9 h 30, lorsque la Cour examinera en détail la présente question à Ottawa, l’intérêt de M. Malachowski dans le bien réel sera, et entre temps il est ordonné qu’il le soit, grevé d’une charge pour le paiement de la somme de 803 931 $ avec les intérêts, ainsi que pour le paiement des dépens afférents à la présente requête.

 

et appliqué à Nun’s Point, le bien décrit officiellement comme étant :

LOT PARTIEL 4, CONCESSION 1, FRONT CHARLOTTENBURGH, SOIT AR95007; S/T AR 95007;

SOUTH GLENGARRY

(PIN 67131-0098)

 

et

 

LOT PARTIEL 4, CONCESSION 1, FRONT CHARLOTTENBURGH, SOIT AR98003; T/W AR 95003;

SOUTH GLENGARRY

(PIN 67131-0084)

 

  • [7] Mme Fishwick (la partie requérante) affirme que Nun’s Point lui appartient et que M. Malachowski était simplement un locataire qui y habitait. Elle a présenté la présente requête en annulation de l’ordonnance provisoire de constitution de charge du 18 décembre 2008.

 

  • [8] Le 19 juillet 2010, la protonotaire Mireille Tabib a rendu une directive formulée de vive voix selon laquelle l’audience visant à déterminer si l’ordonnance de constitution de charge serait maintenue aurait lieu après l’audience de la requête de Mme Fishwick en annulation de l’ordonnance provisoire de constitution de charge.

  • [9] J’ai moi-même instruit la requête le 30 août 2010. J’ai conclu que la requête en annulation de l’ordonnance provisoire de constitution de charge pour le motif que M. Malachowski n’a aucun intérêt bénéficiaire dans Nun’s Point n’est pas accueillie. Par conséquent, la requête est rejetée. Mes motifs se trouvent ci-dessous.

 

Contexte

  • [10] Mme Fishwick et son conjoint de fait, M. Patrick Donihee, ont acheté une propriété riveraine de onze acres, connue sous le nom de Nun’s Point, le 25 juillet 1994, aux religieuses hospitalières de Saint-Joseph de Cornwall. Le 31 août 1994, les deux ont acheté la propriété de 43 acres avoisinante. Mme Fishwick et M. Donihee ont habité à Nun’s Point de 1994 à 2005.

 

  • [11] En janvier 2005, Mme Fishwick et M. Donihee ont mis Nun’s Point en vente, mais n’ont reçu aucune offre sérieuse. En octobre 2005, M. Malachowski est arrivé, à l’improviste, et a manifesté un intérêt pour Nun’s Point. Ni Mme Fishwick ni M. Donihee ne l’avaient rencontré ou ne lui avaient parlé auparavant. M. Malachowski leur a dit qu’il avait vu Nun’s Point à plusieurs reprises de son bateau sur l’eau. Il leur a dit qu’il était copropriétaire d’une usine de cigarettes dans une réserve indienne avoisinante. Il dit avoir voulu acheter Nun’s Point, mais ne pas avoir pu, à l’époque, faute de fonds. Il a dit qu’il souhaitait louer avec option d’achat à l’avenir.

 

  • [12] Mme Fishwick et M. Donihee ont conclu une entente verbale avec M. Malachowski pour une location mensuelle de Nun’s Point avec option d’achat. Le prix d’achat de Nun’s Point serait de 1 000 000 $. M. Malachowski pouvait louer la propriété pendant un maximum de 5 ans et, s’il ne l’achetait pas alors, ils pouvaient la vendre. Le loyer mensuel convenu était de 1 200 $, en plus du coût des services, des taxes foncières et de l’entretien. Il pouvait s’installer à compter du 1er novembre 2005.

 

  • [13] De novembre 2005 à avril 2006, Beau Malachowski, le frère cadet de M. Malachowski, et un de ses amis ont habité Nun’s Point. Mme Fishwick et M. Donihee ont dit qu’ils étaient mal à l’aise de n’avoir que les deux jeunes gens sur les lieux et qu’ils ont demandé à Beau Malachowski et à son ami de signer une entente de location pour 3 000 $ par mois.

 

  • [14] M. Malachowski est revenu sur place en mai 2006. Il a rassuré Mme Fishwick et M. Donihee de son intention d’acheter et ils ont maintenu l’entente originale de location à 1 200 $ par mois, en plus des dépenses, avec option d’achat. Il s’est éventuellement installé à Nun’s Point où sa copine, Mme Selena Hopper, des États-Unis d’Amérique (É.-U.), ainsi que sa fille l’ont rejoint à l’été de 2007.

 

  • [15] Mme Fishwick et M. Donihee affirment avoir clairement dit à M. Malachowski que toute amélioration apportée à Nun’s Point deviendrait un bien immeuble et devrait y rester une fois la location terminée. On ne lui rembourserait pas le coût des améliorations s’il n’achetait pas Nun’s Point.

 

  • [16] Outre l’entente verbale concernant Nun’s Point, Mme Fishwick et M. Donihee ont eu plusieurs autres transactions d’affaires avec M Malachowski. Selon eux, c’était toujours parce qu’il leur demandait des faveurs. Voici les détails de leur participation supplémentaire aux transactions immobilières de M. Malachowski :

    • i) En 2007, M. Malachowski a acheté la ferme Viau; le jour de la conclusion de la vente, il a demandé à Mme Fishwick et M. Donihee de lui prêter 50 000 $. Ils lui ont prêté cette somme et M. Malachowski les a remboursés à l’aide d’une série de chèques de son entreprise, Wenlock Inc. Trois de ceux-ci ont été retournés pour provisions insuffisantes et Mme Fishwick a demandé à M. Malachowski un chèque de remplacement de 20 000 $ qu’elle a fait certifier avant de le déposer;

    • ii) En 2008, M. Malachowski a entrepris des démarches pour acheter un terrain connu sous le nom de Pilon’s Point; il a demandé s’il pouvait leur emprunter 143 000 $. Mme Fishwick a dit qu’elle savait que les 143 000 $ seraient remboursés rapidement, car autrement il y aurait une charge grevant la propriété. M. Malachowski a remboursé 79 529,96 $ à partir d’une hypothèque sur la propriété Pilon et un autre montant de 81 990,74 $ à l’aide d’un chèque de sa sœur.

 

  • [17] Mme Fishwick reconnaît que M. Donihee avait acheté une remorque et des plaques d’immatriculation à l’aide de fonds fournis par M. Malachowski. Elle a dit que M. Donihee avait donné la remorque et les plaques à M. Malachowski.

 

  • [18] Mme Fishwick et M. Donihee ont aussi signé une procuration pour M. Malachowski en juillet 2007. Mme Fishwick dit qu’elle a signé la procuration à la demande de M. Malachowski et qu’elle a exercé ce pouvoir en 2009, lorsque les paiements hypothécaires de M. Malachowski pour la ferme Viau accusaient un arriéré. Elle a aidé M. Malachowski à mettre la ferme en vente, a personnellement payé pour faire rétablir l’électricité à la ferme et a recouvré le paiement de la facture d’électricité du produit de la vente.

 

  • [19] MmeFishwick et M. Donihee disent ne jamais avoir accepté d’argent de M. Malachowski, de son frère ou de Mme Hopper, autre que le loyer et les remboursements pour les transactions précitées. Elle a cependant participé à deux autres transactions financières après l’arrestation de M. Malachowski aux États-Unis.

 

  • [20] Mme Fishwick indique que M. Donihee et elle-même ont appris que M. Malachowski avait été arrêté en novembre 2008. Mme Hopper a dit à Mme Fishwick qu’elle souhaitait retenir les services d’un avocat américain pour aider M. Malachowski. Mme Hooper avait recueilli des fonds de la part d’amis pour payer l’avocat, mais elle n’avait pas de compte bancaire canadien. Elle a demandé à Mme Fishwick si elle pourrait envoyer un virement télégraphique pour couvrir la provision de l’avocat. Le 21 novembre 2008, Mme Fishwick a transféré 58 629 $ CAN à l’avocat de M. Malachowski aux É.-U. Mme Fishwick dit avoir été remboursée par Mme Hopper en argent comptant.

 

  • [21] Mme Fishwick a aussi dit que Mme Hooper lui avait demandé un prêt en vue de l’audience sur le cautionnement de M. Malachowski. Le 18 décembre 2008, Mme Fishwick a transféré 24 380 $ à l’avocat américain. M. Malachowski n’a pas réussi à obtenir sa libération et l’avocat américain a renvoyé 30 000 $ US. Rien n’explique le retour de cette somme supérieure.

 

  • [22] Mme Fishwick indique que M. Donihee et elle-même ont permis à Mme Hooper de demeurer à Nun’s Point de décembre 2008 à août 2009, car la jeune femme était enceinte. Mme Hooper est rentrée aux États-Unis une fois l’enfant né. Mme Fishwick dit qu’elle a accepté que les meubles de M. Malachowski demeurent dans la maison de Nun’s Point après le départ de Mme Hooper.

 

  • [23] La maison à Nun’s Point est demeurée inoccupée et Mme Fishwick a remis la propriété en vente après août 2009. Elle a éventuellement accepté une offre de 1 100 000 $ pour Nun’s Point au printemps de 2010.

 

  • [24] Le ministre indique que M. Malachowski purge actuellement une longue peine d’emprisonnement aux États-Unis pour possession de mitrailleuses et de silencieux.

 

  • [25] Le ministre a présenté des éléments de preuve sur les résultats d’une fouille de Nun’s Point par la GRC lorsque M. Malachowski y habitait. Lors de la fouille de Nun’s Point en avril 2006, on avait découvert un registre dans un coffre-fort situé dans une grange sur la propriété. Ce registre, intitulé « NUNSPOINT PROPERTY », indiquait un prix d’achat de 1 000 000 $ et des paiements en fonction de ce montant totalisant 222 234 $ du 19 octobre 2005 au 22 février 2006. Ce registre n’indique pas qui a fait les paiements ou à qui ils ont été versés.

 

  • [26] Le ministre a aussi présenté des éléments de preuve selon lesquels M. Malachowski avait apporté des améliorations totalisant 65 000 $ à Nun’s Point. Il avait fait installer des armoires de cuisine sur mesure dans la maison sur la première parcelle de terre et avait fait faire 30 000 $ en aménagement paysager sur la seconde parcelle de Nun’s Point.

 

Faits nouveaux

  • [27] Comme il a été indiqué précédemment, le juge Mosley avait accordé une ordonnance de constitution de charge le 18 décembre 2009. Environ un an plus tard, soit le 2 décembre 2010, la protonotaire Tabib a émis une ordonnance supplémentaire dont voici les détails :

1.   L’ordonnance provisoire de constitution de charge du 18 décembre 2009, enregistrée sur le titre du lot partiel 4, concession 1 Front Charlottenburgh, soit AR95007; S/T AR95007, South Glengarry, arborant le NIP no 67131-00998 (LT), et enregistrée le 23 décembre 2009 en tant qu’instrument no GL787, est annulée.

   

2.   L’ordonnance provisoire de constitution de charge du 18 décembre 2009, enregistrée sur le titre du lot partiel 4, concession 1 Front Charlottenburgh, soit AR98003; S/T AR98003, South Glengarry, arborant le NIP no 67131-0084 (LT), et enregistrée le 23 décembre 2009 en tant qu’instrument no GL787, est annulée.

 

3.   Le produit complet de la vente des terrains précités sera transféré en fiducie à M. Paul D’Angelo, avocat de Mme Fishwick, en vue de la distribution suivante :

 

-  la somme de 843 875,06 $ à conserver dans le compte en fiducie de la société d’avocats de M. Paul D’Angelo en attente d’une décision définitive et exécutoire dans le dossier ITA-14795-09;

-  le reste à Mme Suzanne Fishwick.

 

  • [28] Cette ordonnance tient compte de la vente subséquente de Nun’s Point. L’affaire ne porte plus sur la question de savoir si l’ordonnance provisoire de constitution de charge devrait être maintenue, mais plutôt de savoir si le produit de la vente, soit 843 875,06 $ en date du 2 décembre 2010, était visé, en tout, en partie ou pas du tout, par l’ordonnance provisoire de constitution de charge.

 

  • [29] Étant donné que la partie requérante affirme que l’ordonnance provisoire de constitution de charge n’aurait jamais dû être accordée, mettant ainsi en question la preuve de la requête ex parte du ministre, et qu’elle a présenté cette requête avant une audience visant à déterminer si l’ordonnance provisoire de constitution de charge devait être maintenue, il me semble que la directive verbale de la protonotaire s’harmonise avec les enjeux dont je suis saisi.

 

  • [30] Par conséquent, j’aborderai les contestations de la partie requérante concernant l’ordonnance provisoire de constitution de charge et laisserai à plus tard la question de savoir dans quelle mesure le produit de la vente est visé par l’ordonnance provisoire de constitution de charge.

 

Législation

 

[31]  La Loi de l’impôt sur le revenu (1985, ch. 1 (5e suppl.)) (LIR) prévoit ce qui suit :

 

223. (2) Le ministre peut, par certificat, attester qu’un montant ou une partie de montant payable par une personne — appelée « débiteur » au présent article — mais qui est impayé est un montant payable par elle.

 

 (3) Sur production à la Cour fédérale, un certificat fait en application du paragraphe (2) à l’égard d’un débiteur est enregistré à cette cour. Il a alors le même effet que s’il s’agissait d’un jugement rendu par cette cour contre le débiteur pour une dette du montant attesté dans le certificat, augmenté des intérêts courus jusqu’à la date du paiement comme le prévoit les lois visées au paragraphe (1) en application desquelles le montant est payable, et toutes les procédures peuvent être engagées à la faveur du certificat comme s’il s’agissait d’un tel jugement. Dans le cadre de ces procédures, le certificat est réputé être un jugement exécutoire rendu par cette cour contre le débiteur pour une dette envers Sa Majesté du montant attesté dans le certificat, augmenté des intérêts courus jusqu’à la date du paiement comme le prévoit ces lois.

223. (2) An amount payable by a person (in this section referred to as a “debtor”) that has not been paid or any part of an amount payable by the debtor that has not been paid may be certified by the Minister as an amount payable by the debtor.

 

 

(3) On production to the Federal Court, a certificate made under subsection 223(2) in respect of a debtor shall be registered in the Court and when so registered has the same effect, and all proceedings may be taken thereon, as if the certificate were a judgment obtained in the Court against the debtor for a debt in the amount certified plus interest thereon to the day of payment as provided by the statute or statutes referred to in subsection 223(1) under which the amount is payable and, for the purpose of any such proceedings, the certificate shall be deemed to be a judgment of the Court against the debtor for a debt due to Her Majesty, enforceable in the amount certified plus interest thereon to the day of payment as provided by that statute or statutes.

 

225.2 (2) Malgré l’article 225.1, sur requête ex parte du ministre, le juge saisi autorise le ministre à prendre immédiatement des mesures visées aux alinéas 225.1(1)a) à g) à l’égard du montant d’une cotisation établie relativement à un contribuable, aux conditions qu’il estime raisonnables dans les circonstances, s’il est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’octroi à ce contribuable d’un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant.

 

(Soulignement ajouté)

 

225.2 (2) Notwithstanding section 225.1, where, on ex parte application by the Minister, a judge is satisfied that there are reasonable grounds to believe that the collection of all or any part of an amount assessed in respect of a taxpayer would be jeopardized by a delay in the collection of that amount, the judge shall, on such terms as the judge considers reasonable in the circumstances, authorize the Minister to take forthwith any of the actions described in paragraphs 225.1(1)(a) to 225.1(1)(g) with respect to the amount.

 

  • [32] Les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, prévoient ce qui suit :

 

399. (1) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier l’une des ordonnances suivantes, si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n’aurait pas dû être rendue :

a) toute ordonnance rendue sur requête ex parte;

b) toute ordonnance rendue en l’absence d’une partie qui n’a pas comparu par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur ou à cause d’un avis insuffisant de l’instance.

 

 

399. (1) On motion, the Court may set aside or vary an order that was made

(a) ex parte; or

(b) in the absence of a party who failed to appear by accident or mistake or by reason of insufficient notice of the proceeding, if the party against whom the order is made discloses a prima facie case why the order should not have been made.

 

458. (1) Aux fins de l’exécution d’une ordonnance exigeant le paiement d’une somme déterminée, la Cour peut, sur requête ex parte du créancier judiciaire, rendre une ordonnance :

a) constituant une charge à titre provisoire en vue de garantir le paiement de la somme et des intérêts y afférents :

(i) soit sur un immeuble, un bien réel ou un droit immobilier du débiteur judiciaire, laquelle ordonnance est établie selon la formule 458A,

(ii) soit sur tout droit que le débiteur judiciaire possède sur des actions, des obligations ou autres valeurs mobilières précisées dans l’ordonnance, laquelle est établie selon la formule 458B;

b) précisant les date, heure et lieu de l’audience à laquelle le débiteur judiciaire peut faire valoir les raisons pour lesquelles la charge ne devrait pas être maintenue.

Signification de l’ordonnance

 

(2) Sauf directives contraires de la Cour, l’ordonnance rendue en vertu du paragraphe (1) est signifiée au débiteur judiciaire et, si elle porte sur les biens visés au sous-alinéa (1)a)(ii), à la personne morale, au gouvernement ou à toute autre personne ou entité qui a émis les valeurs mobilières, au moins sept jours avant la date fixée pour l’audience.

458. (1) On the ex parte motion of a judgment creditor, the Court may, for the purpose of enforcing an order for the payment of an ascertained sum of money,

(a) make an order imposing an interim charge for securing payment of that sum and any interest thereon

(i) on real property or immoveables, or on an interest in real property or immoveables, of a judgment debtor, in Form 458A, or

(ii) on any interest to which the judgment debtor is beneficially entitled in any shares, bonds or other securities specified in the order, in Form 458B; and

(b) order the judgment debtor to show cause, at a specified time and place, why the charge should not be made absolute.

Service of show cause order.

 

(2) Unless the Court directs otherwise, an order made under subsection (1) shall be served on the judgment debtor and, where the order relates to property referred to in subparagraph (1)(a)(ii), on the corporation, government or other person or entity by whom the securities were issued, at least seven days before the time appointed for the hearing.

 

462. La Cour peut, sur requête du débiteur judiciaire ou de toute autre personne ayant un droit sur les biens grevés par une charge provisoire ou définitive, annuler ou modifier l’ordonnance constituant la charge, aux conditions qu’elle estime équitables quant aux dépens.

 

 

(Soulignement ajouté)

462. The Court may, on the motion of a judgment debtor or any other person with an interest in property subject to an interim or absolute charge under rule 458 or 459, at any time, discharge or vary the charging order on such terms as to costs as it considers just.

 

Questions

  • [33] La partie requérante demande une ordonnance pour annuler l’ordonnance provisoire de constitution de charge pour les motifs suivants :

1.  Suzanne Fishwick est la propriétaire des biens immobiliers décrits dans l’ordonnance de constitution de charge;

2.  M. Malachowski, le débiteur judiciaire, n’a aucun intérêt dans la propriété;

3.  Il était déraisonnable pour le ministre de demander l’ordonnance de constitution de charge alors que ses représentants savaient, à la lumière de la preuve dont ils étaient saisis, que le débiteur judiciaire n’avait aucun intérêt dans la propriété;

4.  Article 462 des Règles.

 

[34]  Selon moi, voici les questions appropriées faisant l’objet de la procédure :

  1. À qui revient le fardeau de la preuve dans le cadre d’une requête en annulation d’une ordonnance provisoire de constitution de charge prise en vertu de l’article 458 des Règles?

  2. L’article 458 des Règles s’applique-t-il à un droit de bénéficiaire dans des biens réels?

  3. M. Malachowski avait-il un droit de bénéficiaire dans Nun’s Point?

 

Discussion

Questions préliminaires

  • [35] La présente requête soulève deux questions préliminaires.

 

  • [36] La première est une demande de la partie requérante d’accepter le témoignage par affidavit joignant à la preuve les testaments de Mme Fishwick et M. Donihee. Leurs testaments ne mentionnent aucunement M. Malachowski. Ces éléments de preuve n’avaient pas été présentés et l’auteur de l’affidavit n’avait pas fait l’objet d’un contre-interrogatoire. Le ministre ne fait valoir aucune position en ce qui concerne cette demande. Étant donné le ministre a présenté une preuve semblable selon laquelle la partie requérante et M. Donihee avaient traité M. Malachowski [traduction] « comme un fils », ainsi qu’une preuve de leur rôle d’exécuteurs testamentaires de M. Malachowski, j’accepte ces éléments de preuve.

 

  • [37] Deuxièmement, M. Malachowski a envoyé une lettre à la Cour fédérale dans laquelle il fait un certain nombre de déclarations. Évidemment, M. Malachowski n’était pas présent en raison de son incarcération. Cependant, la preuve présentée indique qu’il n’est pas sans ressources. L’ordonnance provisoire de constitution de charge lui a été signifiée, mais il n’a pas fait le nécessaire pour être représenté en tant que partie aux présentes procédures. De plus, les déclarations de M. Malachowski dans la lettre n’ont pas été présentées par affidavit ou déclaration solennelle, étape qui serait faisable même s’il se retrouve maintenant dans une situation financière plus restreinte. Le fait d’accepter la lettre telle quelle serait injuste pour les parties aux intérêts opposés. Je n’admets pas la lettre de M. Malachowski, ni comme observation ni comme preuve, et je n’y accorderai plus d’importance.

 

Fardeau de la preuve concernant la requête

  • [38] La partie requérante affirme qu’il incombe, en fin de compte, au ministre de démontrer selon la prépondérance des probabilités que l’ordonnance provisoire de constitution de charge devrait être maintenue et maintient que l’ordonnance provisoire de constitution de charge n’aurait jamais dû être accordée.

 

  • [39] La partie requérante a souligné que le ministre a une obligation de franchise complète à l’endroit de la Cour lorsqu’elle présente une demande ex parte pour une ordonnance provisoire de constitution de charge. Elle indique que le ministre a manqué à cette obligation en omettant d’obtenir, en premier lieu, les éléments de preuve de la partie requérante quant à l’appartenance de Nun's Point ou en omettant de divulguer à la Cour qu’elle avait titre légal à la propriété.

 

  • [40] Même si l’article 399 des Règles précise qu’une requête ex parte sera annulée si la partie contre laquelle l’ordonnance est prise présente une prétention établie prima facie selon laquelle l’ordonnance n’aurait pas dû être accordée, je considère que l’article 399 des Règles ne s’applique pas à l’ordonnance provisoire de constitution de charge prise en vertu de l’article 458 des Règles. En l’espèce, les articles 458 à 465 des Règles l’emportent.

 

  • [41] Les articles 458 à 465 des Règles établissent une procédure pour l’obtention d’une ordonnance de constitution de charge. Lorsqu’une charge est imposée au terrain du débiteur judiciaire par la requête ex parte du créancier judiciaire, le propriétaire a le droit de s’opposer à l’octroi de l’ordonnance de constitution de charge. En particulier, l’article 462 des Règles prévoit ce qui suit :

462.  La Cour peut, sur requête du débiteur judiciaire ou de toute autre personne ayant un droit sur les biens grevés par une charge provisoire ou définitive, annuler ou modifier l’ordonnance constituant la charge, aux conditions qu’elle estime équitables quant aux dépens.

 

(Soulignement ajouté)

 

  • [42] La partie requérante maintient que la Cour fédérale a confirmé, lors d’une analyse de l’article 2400 des Règles, texte de l’article précédant l’article 458 des Règles, qu’une telle demande doit reconnaître les droits du débiteur judiciaire et du tiers propriétaire du terrain en cause : R c. Couillard Enterprises Inc, [1978] C.F. 181. Elle affirme que la Cour doit tenir compte du fondement de l’opposition d’un tiers avant de rendre définitive une ordonnance provisoire.

 

  • [43] La partie requérante tire une analogie aux règles de « recouvrement compromis » en vertu de la LIR. Les règles générales établies au paragraphe 225.1(1) de la LIR interdisent normalement au ministre de recouvrer des sommes auprès d’un contribuable au cours des 90 jours suivant l’envoi de l’avis de cotisation, mais, en vertu de l’article 225.2 de la LIR, si un tribunal est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le recouvrement de l’ensemble ou d’une partie de la somme cotisée serait compromis par un délai de recouvrement, il autorisera le ministre à procéder au recouvrement avant la fin des 90 jours.

 

  • [44] La partie requérante affirme que la Cour peut annuler une ordonnance si elle considère que le dossier de requête militant en faveur de l’autorisation ex parte contenait des lacunes. Elle mentionne la décision du juge Lemieux dans Re Gravel, 2005 CF 1252 (Re Gravel), au paragraphe 7, où il cite les principes applicables au « recouvrement de protection » résumés dans Canada (Ministre du Revenu national) c. Services M.L. Marengère Inc, [2000] 176 F.T.R. 1 (MRN c. Marengère Inc) et s’y fie pour conclure comme suit :

En ce qui concerne le fardeau de la preuve, la personne qui présente une requête en vertu du paragraphe 225.2(8) a le fardeau initial de prouver qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le critère prévu au paragraphe 225.2(2) n’a pas été respecté, c’est-à-dire que l’octroi d’un délai pour payer le montant de la cotisation compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant. Toutefois, la Couronne a le fardeau ultime de justifier l’ordonnance de recouvrement de protection accordée sur une base ex parte. Toutefois, le simple soupçon ou la simple crainte que l’octroi d’un délai puisse compromettre le recouvrement n’est pas suffisant en soi.

[…]

Une ordonnance de recouvrement ex parte est un recours exceptionnel. Revenu Canada doit faire preuve d’une extrême bonne foi et faire une divulgation franche et complète.

 

 

  • [45] La partie requérante se fie aussi à Ministre du Revenu national c. Landru, [1993] 1 CTC 93 (SKQB) (Landru) comme source d’autorité pour la proposition selon laquelle il doit y avoir une preuve convaincante allant au-delà du simple soupçon ou des conjectures susceptibles de compromettre le recouvrement de la somme due.

 

  • [46] La position du ministre est que le fardeau de la preuve revient à la partie requérante.

 

  • [47] La difficulté qu’éprouve l’analogie de la partie requérante à la « disposition de protection » dans la LIR comprend deux volets.

 

  • [48] Premièrement, le paragraphe 225.2(2) de la LIR établit une condition préalable selon laquelle il doit y avoir des motifs raisonnables de croire que le recouvrement des biens serait compromis par un délai en attente de la cotisation. Les articles 458 à 465 des Règles des Cours fédérales ne contiennent pas de condition préalable analogue selon laquelle le recouvrement des biens doit être compromis par le délai.

 

  • [49] Deuxièmement, dans Re Gravel, l’avocat du ministre reconnaît les lacunes dans le dossier de requête présenté dans le cadre de la demande ex parte au sujet de la compromission alléguée.Aucune telle admission n’est faite ici.

 

  • [50] De plus, dans Landru, le contribuable a présenté un affidavit attestant qu’il disposait d’un revenu suffisant pour s’acquitter de ses obligations et exprimant une intention authentique d’acquitter la dette fiscale. En l’espèce, M. Malachowski n’a fait aucune déclaration concernant son revenu ou son intention de payer la dette fiscale en souffrance.

 

  • [51] Par conséquent, ni les dispositions législatives ni la preuve du dossier de requête ne correspondent à l’analogie de compromission à l’article 225.1 de la LIR proposée par la partie requérante.

 

  • [52] Ainsi, je ne suis pas d’accord que le fardeau de la partie requérante pour faire annuler l’ordonnance provisoire de constitution de charge est tout simplement de démontrer qu’il y a des motifs raisonnables de douter de la validité de l’ordonnance. Le fardeau qui incombe à la partie requérante pour faire annuler l’ordonnance provisoire de constitution de charge avant de déterminer si l’ordonnance devrait être rendue définitive est le même que pour toute requête, c’est-à-dire la prépondérance des probabilités.

 

Intérêt foncier en equity

[53]  Le ministre affirme que certains éléments de preuve appuient sa position selon laquelle M. Malachowski avait un intérêt bénéficiaire dans Nun’s Point :

  • i) Le registre trouvé lors de la perquisition de la GRC en 2006 indique un prix de vente de 1 000 000 $ pour le bien et des paiements totalisant 222 234 $ du 19 octobre 2005 au 22 février 2006;

  • ii) Au moment de la perquisition de la GRC, Mme Hooper, la conjointe de fait de M. Malachowski, décrivait Mme Fishwick et M. Malachowski comme étant les anciens propriétaires de Nun’s Point;

  • iii) Alors qu’il était à Nun’s Point, M. Malachowski a commandé et fait installer des armoires sur mesure d’une valeur de 30 000 $ dans la résidence, et

  • iv) M. Malachowski a aussi commandé d’importants travaux de paysagement d’une valeur d’au moins 35 000 $.

 

  • [54] La partie requérante maintient qu’il incombe premièrement à la ministre de prouver que M. Malachowski avait un intérêt juridique dans Nun’s Point. Elle affirme que, pour qu’un intérêt foncier existe ou soit prouvé, il doit y avoir un document écrit. Elle cite la Loi relative aux preuves littérales L.R.O. 1990, ch.S.19, mod. par L.O. 1994, ch. 27, art. 55 :


1. (1) Les domaines ou les intérêts francs et les intérêts incertains sur des maisons d’habitation, des biens-fonds, des tènements ou des héritages sont constitués par un écrit, signé par les parties qui les constituent, ou par leurs mandataires licitement autorisés par écrit à cette fin. S’ils ne sont pas ainsi constitués, ils n’ont que la force obligatoire et l’effet d’un domaine à discrétion et ne sont pas réputés avoir une force ou un effet différents ou plus grands.


2. Sous réserve de l’article 9 de la Loi sur les actes translatifs de propriété et le droit des biens, un bail, un domaine ou un intérêt, tant franc qu’à terme d’années, ou un intérêt incertain sur une maison d’habitation, un bien-fonds, un tènement ou un héritage ne doit être cédé, concédé ou rétrocédé, sauf par acte scellé ou par billet écrit signé par la partie qui le cède, le concède ou le rétrocède ou par son mandataire licitement autorisé à cette fin par un écrit, par un acte ou par l’effet de la loi.

 

[…]

 

4. Aucune action ne doit être intentée contre un exécuteur testamentaire ou un administrateur successoral sur la base d’une promesse particulière de répondre de dommages sur son propre patrimoine, contre une personne sur la base d’une promesse particulière de répondre des dettes, des manquements ou des actes dommageables d’un tiers, ou contre une personne sur la base d’un contrat ou d’une vente de biens-fonds, de tènements, d’héritages ou de tout intérêt sur ceux-ci ou s’y rapportant, à moins que la convention sur laquelle l’action se base, ou une note ou un billet de cette convention, ne soit constaté par écrit et ne porte la signature de la partie devant être liée par la convention, la note ou le billet ou la signature d’une autre personne licitement autorisée par la partie à cette fin.

1994, ch. 27, art. 55

 

[…]

 

9. Sous réserve de l’article 10, la déclaration ou la constitution d’une fiducie visant des biens-fonds, des tènements ou des héritages doit, sous peine de nullité, être exprimée et établie soit par un écrit signé par la partie qui est, en droit, habilitée à déclarer la fiducie, soit par son testament écrit.

 

  (Accents de la partie requérante)

 

  • [55] La partie requérante affirme qu’il incombe au ministre de prouver que M. Malachowski avait un intérêt juridique dans Nun’s Point et qu’il peut uniquement le faire si la preuve répond aux exigences de la Loi relative aux preuves littérales. Elle maintient qu’aucun élément de preuve ne permet de conclure que Nun’s Point ait été vendu ou transféré à M. Malachowski et, dans l’alternative, la partie requérante affirme qu’elle s’est acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver qu’elle est la propriétaire en common law de Nun's Point.

 

  • [56] La partie requérante cite R c. Mullins, [1985] 2 CTC 128 (C.F.1re inst.), où la Cour fédérale a statué qu’un des copropriétaires du terrain avait le droit de s’opposer à une ordonnance de constitution de charge et qu’il a réussi à faire annuler une telle charge.

 

  • [57] Ces observations esquivent le réel enjeu. Selon moi, la question appropriée est premièrement de savoir s’il est possible d’avoir un intérêt foncier en équité et deuxièmement si l’article 458 des Règles s’applique à un tel intérêt.

 

  • [58] La Loi relative aux preuves littérales reconnaît elle-même un intérêt foncier. Le paragraphe 1(1) de cette loi précise que tout intérêt foncier doit être rendu par écrit, mais que « [s]’ils ne sont pas ainsi constitués, ils n’ont que la force obligatoire et l’effet d’un domaine à discrétion ». Par conséquent, il peut exister un intérêt foncier même s’il n’est pas rendu par écrit, mais la législation y donne une application limitée.

 

  • [59] Qui plus est, la doctrine de l’exécution partielle pourrait accepter une entente verbale pour l’achat d’un terrain qui n’est pas assujetti à la Loi relative aux preuves littérales.

 

  • [60] Dans Erie Sand and Gravel Limited c. Seres' Farms Limited et al., (2009) 97 L.O. (3e) 241, la Cour d’appel de l’Ontario était saisie d’une situation où Erie Sand and Gravel Limited (Erie) souhaitait acheter une parcelle de terrain de Seres’ Farms Limited (Seres’ Farms). Erie savait qu’un tiers, soit Tri-B Acres Inc. (Tri-B), avait un droit de premier refus. Erie et Seres’ Farms se sont rencontrés pour discuter de l’achat. Lors de cette rencontre, Seres’ Farms avait insisté pour une offre écrite qu’elle aurait ensuite pu présenter à Tri-B. Erie avait clairement dit qu’une offre écrite serait fournie uniquement lorsque tous les termes de la vente et de l’achat avaient été finalisés. Selon Erie, l’entente verbale stipulait qu’à moins que l’offre de Tri-B était égale ou supérieure à la sienne, elle obtiendrait le terrain. Erie a ensuite présenté une offre écrite accompagnée d’un chèque pour le plein prix. Seres' Farms a présenté cette offre écrite à Tri-B, qui a répondu en offrant d’égaliser le prix de vente, mais avec un acompte partiel plutôt que le plein prix d’achat. Seres' Farms a alors vendu le terrain à Tri-B.

 

  • [61] La Cour d’appel de l’Ontario a déterminé que la raison d’être de l’article 4 de la Loi relative aux preuves littérales est de prévenir les transactions foncières frauduleuses fondées sur de faux témoignages. Toutefois, elle a ajouté que l’equity avait créé la doctrine de l’exécution partielle pour empêcher qu’on utilise la Loi relative aux preuves littérales comme une sorte d’opération inique. Comme Tri-B n’avait pas fait d’offre égale ou supérieure à celle d’Erie, soit le transfert du plein prix de l’achat avec son offre, Seres’ Farms n’avait pas le droit d’accepter l’offre de Tri-B. L’exécution partielle d’Erie, en remettant une offre écrite avec le chèque pour le plein prix, a sorti l’entente du champ d’application de l’article 4 de la Loi relative aux preuves littérales.

 

  • [62] J’en conclus qu’un intérêt foncier en équité peut exister lorsque l’exécution partielle exclut une entente verbale de la portée d’application de la Loi relative aux preuves littérales.

 

Article 458 des Règles et intérêt foncier en équité

  • [63] Dans Re Laquerre, 2008 CF 460 (Laquerre), le juge Martineau était saisi d’une opposition à la transformation d’une ordonnance provisoire de constitution de charge en ordonnance de constitution de charge définitive. En rendant définitive l’ordonnance de constitution de charge, il a examiné l’incidence d’une telle ordonnance sur des actifs immobiliers, indiquant ce qui suit :

« Je note que selon les articles 458 et 459 des Règles, le créancier judiciaire ne procède pas immédiatement à la saisie de l’immeuble (il pourra le faire éventuellement), mais il veut le grever de l’équivalent d’une hypothèque judiciaire pour assurer la protection de ses droits : R. v. Mullin, [1985] 2 C.T.C. 128. Plus précisément, ces Règles ont pour objet et pour effet la création d’une charge sur l’immeuble du débiteur judiciaire en vertu d’un jugement, affectant ledit immeuble à l’exécution éventuelle de ce jugement : Re Beaudry, [1979] 2 C.F. 138.

 

  • [64] Dans Canada (Ministre du Revenu national) c. McDonald, 2010 CF 340 (MRN c. MacDonald), le défendeur cherchait à faire anjnuler une ordonnance provisoire de constitution de charge à l’endroit de son intérêt dans une succession en affirmant qu’il n’avait aucun intérêt dans les biens en vertu de l’alinéa 458(1)a) des Règles. Les biens en question se composaient du droit à un terrain légué dans le testament de son père. Le défendeur a admis avoir « un intérêt bénéficiaire indirect éventuel », mais a maintenu que l’article 458 des Règles ne s’étend pas à ce type d’intérêt.

 

  • [65] Le juge Russell a conclu que les paroles du juge Martineau dans Laquerre s’appliquaient également à un intérêt dans un bien réel. Le juge Russell a déclaré ce qui suit :

10 Pour ce qui concerne la portée de l’expression « droit immobilier » au paragraphe 458(1), la loi habilitante et les Règles ne comportent tout simplement aucune disposition qui indique qu’un tel droit devrait être limité de quelque façon. M. McDonald soutient qu’il n’y a aucune disposition qui indique que le législateur a voulu que l’expression en question s’étende à l’intérêt qu’il possède dans les biens réels de la succession de son père. À mon avis, cependant, c’est M. McDonald qui cherche à restreindre le sens ordinaire et évident de l’expression « droit immobilier » alors que la loi habilitante, les Règles et la jurisprudence ne comportent aucune disposition ni aucune règle indiquant qu’une telle restriction devrait s’appliquer. Un intérêt foncier est un intérêt foncier, même s’il s’agit d’un intérêt foncier bénéficiaire et éventuel. J’estime que tenter d’exclure certains intérêts fonciers qui ne devraient pas être assujettis à l’article 458 serait une tâche extrêmement difficile et entraînerait le genre de confusion auquel je ne puis trouver aucune justification, ni en principe ni en droit.

11 Le Jowitt’s Dictionary of English Law (2e éd. (1977) (tel que cité dans Words & Phrases, volume 4, à la page 1178) énonce, à la page 995, qu’une personne est titulaire d’un intérêt (interest) dans une chose lorsqu’« elle est titulaire de droits, d’avantages, d’obligations, de dettes ou d’autres choses semblables, actuel ou futurs, déterminés ou éventuels, qui y sont reliés [...] »

12   Compte tenu de cette large définition, je crois qu’il fait peu de doute que les intérêts fonciers que détient actuellement le défendeur sont visés par l’article 458.

13  Le Black’s Law Dictionary comporte aussi une interprétation large du mot « interest ». Black’s considère un intérêt comme « une participation légale à l’égard d’une chose; tout ou partie d’une revendication ou d’un droit en common law ou en equity dans un bien ». (Black’s, 7e édition, à la page 816.).

14    En outre, dans Williams c. Papworth
, [1900] A.C. 563 (P.C. de Nouvelle-Galles du Sud), 69 LJPC (telle que citée dans Rystephaniuk c. Prosken (1951), 59 Man.  R. 142 (Man. K.B.) et dans Words and Phrases, précité), Lord Macnagten a affirmé ce qui suit, au sujet de l’expression « interest in land » (intérêt foncier) :

Il ne saurait évidemment être contesté que l’expression « intérêt foncier », à moins que quelque chose n’en restreigne le sens, doit inclure les intérêts en equity ainsi que les intérêts en common law.

15  Compte tenu des définitions larges du mot « intérêt » [interest] et de l’expression « intérêt foncier », je suis d’avis que l’intérêt du défendeur est visé par l’article 458. En outre, contrairement à ce que soutient le défendeur, le libellé de l’article 458 ne restreint nullement le sens de l’expression « un droit immobilier ». Ainsi, selon mon interprétation, l’intérêt du défendeur est visé à l’article 458.

 

  • [66] Le juge Russell a ensuite conclu que l’ordonnance provisoire de constitution de charge devrait être rendue définitive.

 

  • [67] J’ajoute à la discussion précédente le libellé souligné de l’article 458 des Règles :

458. (1) Aux fins de l’exécution d’une ordonnance exigeant le paiement d’une somme déterminée, la Cour peut, sur requête ex parte du créancier judiciaire, rendre une ordonnance :

 

a) constituant une charge à titre provisoire en vue de garantir le paiement de la somme et des intérêts y afférents :

 

(i) soit sur un immeuble, un bien réel ou un droit immobilier du débiteur judiciaire, laquelle ordonnance est établie selon la formule 458A,

  (Soulignement ajouté)

 

  [...] et

 

 b) précisant les date, heure et lieu de l’audience à laquelle le débiteur judiciaire peut faire valoir les raisons pour lesquelles la charge ne devrait pas être maintenue.

 

  • [68] L’article 458 des Règles prévoit non seulement une charge provisoire sur les biens réels ou immeubles d’un débiteur judiciaire, mais aussi sur « un droit immobilier ». [traduction] « Le libellé d’une loi ne doit pas être ignoré. On doit plutôt y attribuer une signification et une interprétation qui ne le rendraient pas inutile ou redondant, autrement il est de trop » : Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd.(Toronto : Butterworths, 1994), au paragraphe 88; R c. Proulx, 2000 CSC 5, au paragraphe 28; Morguard Properties c. Winnipeg, [1983] 2 RCS 493.

 

  • [69] La deuxième partie, soit « [...] ou un droit immobilier », serait redondante compte tenu de la première, « [...] un immeuble, un bien réel [...] » si on envisageait uniquement les intérêts fonciers en common law. Selon moi, l’ajout de ces mots démontre que le législateur prévoyait clairement qu’une ordonnance provisoire de constitution de charge puisse aussi s’appliquer à un intérêt foncier en equity.

 

  • [70] Je conclus que l’article 458 des Règles s’applique à l’intérêt foncier en equity.

 

M. Malachowski a-t-il un intérêt en equity dans Nun’s Point?

  • [71] La partie requérante insiste qu’il n’y a pas de preuve selon laquelle M. Malachowski aurait acheté Nun’s Point ou fait des versement en vue de son acquisition. En l’absence de preuve pour toute contrepartie à l’entente verbale alléguée, la partie requérante maintient que la demande pour un intérêt dans la propriété devrait être rejetée : Palkowski et al c. Ivancic, 2008 ONCA 419.

 

  • [72] Contrairement aux assertions de la partie requérante, il existe des éléments de preuve pour l’exécution partielle, par M. Malachowski, de l’achat de Nun’s Point suite à l’entente verbale.

 

  • [73] Premièrement, la partie requérante ne conteste pas qu’il y ait eu entente verbale de location avec option d’achat de Nun’s Point.

 

  • [74] Ensuite, il est incontestable que M. Malachowski a déménagé à Nun’s Point pour s’y installer. Il avait contrôle effectif de la propriété, car rien n’indique que les autres locataires, son frère cadet et son ami, sa conjointe de fait et sa fille, s’y seraient trouvés autrement qu’avec son consentement.

 

  • [75] Il y a le registre trouvé à Nun’s Point pendant la période où M. Malachowski y demeurait et indiquant deux paiements contre le prix d’achat convenu pour Nun’s Point. Ce registre a été trouvé dans un coffre-fort dans la grange, ce qui est un endroit étranger où mettre un coffre-fort, mais cela correspond à la pratique de M. Malachowski de tenir ses activités financières secrètes. La partie requérante nie être propriétaire du coffre-fort et rien d’autre n’en explique la présence. Comme la propriété était sous le contrôle de M. Malachowski, je conclus que le coffre-fort et, par conséquent le registre, était le sien.

 

  • [76] Il y a aussi la preuve des investissements de M. Malachowski de quelque 65 000 $ en améliorations à Nun’s Point, les armoires de cuisine et le paysagement. Ces deux dépenses portent clairement sur des améliorations à un bien réel. Compte tenu de la preuve de la partie requérante selon laquelle elle aurait indiqué que toute amélioration serait considérée comme un bien immeuble, les actions de M. Malachowski sont conformes à celles d’une personne qui considère que le terrain est ou devient sa propriété.

 

  • [77] Revenons à la question du registre. Le prix d’achat de « NUNSPOINT PROPERTY » qui y était indiqué, soit 1 000 000 $, est le même que celui stipulé dans l’entente verbale que la partie requérante admet avoir conclue avec M. Malachowski. Je conclus que le registre est un compte rendu des paiements qu’il a versés à la partie requérante dans le cadre de l’entente verbale pour la vente et l’achat de Nun’s Point.

 

  • [78] La preuve me convainc que M. Malachowski avait partiellement exécuté l’entente verbale avec la partie requérante, de sorte qu’il avait un intérêt en equity dans Nun’s Point. L’exécution partielle est telle que son intérêt serait exclu de la portée de la Loi relative aux preuves littérales. Ce type d’intérêt bénéficiaire est en effet considéré à l’article 258 des Règles des Cours fédérales.

 

Fardeau de la preuve du demandeur dans le cadre de la requête

  • [79] Je me tourne maintenant vers la question de savoir si la partie requérante s’est acquittée de sa charge de démontrer que l’ordonnance provisoire devrait être annulée.

 

  • [80] La partie requérante affirme que la preuve du ministre ne constitue qu’un soupçon selon lequel M. Malachowski aurait acquis un intérêt bénéficiaire dans Nun’s Point. Elle a produit des éléments de preuve selon lesquelles elle serait la propriétaire en common law de Nun’s Point.

 

  • [81] Je note que la partie requérante et M. Donihee ont, à deux reprises, prêté des sommes importantes à M. Malachowski pour le préfinancement de ses transactions immobilières sans garantir ces prêts par écrit. La partie requérante a aussi fourni des fonds pour payer l’avocat américain de M. Malachowski et sa demande de libération sous caution subséquente, sommes qui, selon elle, avaient été recueillies ou repayées par la conjointe de fait de M. Malachowski, tout cela en argent comptant et sans documentation.

 

  • [82] Je conclus que ces dispositions financières sont conformes à l’achat de Nun’s Point, par M. Malachowski, de la partie requérante, selon les termes d’une entente verbale. Toutes ces transactions reposent sur des ententes verbales sans documentation écrite. J’ai déjà conclu que M. Malachowski avait partiellement exécuté l’entente verbale d’achat de Nun’s Point. La partie requérante n’a pas prouvé le contraire.

 

  • [83] Enfin, pour aborder un dernier point, la partie requérante a présenté des éléments de preuve pour étayer son affirmation selon laquelle elle et son conjoint n’ont aucune relation avec M. Malachowski, autre que celle de propriétaire et locataire. Elle a présenté des éléments de preuve pour démontrer que M. Donihee et elle-même avaient un revenu suffisant pour couvrir leurs dépenses et maintenir leur mode de vie sans paiements de M. Malachowski pour Nun’s Point.

 

  • [84] Le ministre met en question l’affirmation de Mme Fishwick selon laquelle M. Malachowski était simplement locataire de Nun’s Point. La preuve du ministre visait en grande partie à démontrer que Mme Fishwick et M. Donihee ne disposaient pas du revenu ou des fonds nécessaires pour couvrir leurs dépenses sans un apport qui ne s’explique que par des paiements comptant de M. Malachowski. La preuve de Mme Fishwick, elle, visait en grande partie à démontrer que M. Donihee et elle-même disposaient du revenu et des fonds nécessaires pour couvrir leurs dépenses pendant cette période.

 

  • [85] J’en conclus que la preuve présentée pour appuyer l’affirmation de la partie requérante selon laquelle elle disposait de ses propres ressources monétaires n’est pas plus concluante que la preuve du ministre qu’elle conteste. La preuve présentée par la partie requérante n’annule pas la preuve du ministre.

 

  • [86] Je conclus que la partie requérante ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve pour appuyer l’annulation de l’ordonnance provisoire de constitution de charge avant l’audience pour déterminer si cette ordonnance devrait être maintenue.

 

Conclusion

  • [87] La requête en annulation de l’ordonnance provisoire de constitution de charge de la partie requérante est rejetée avec dépens en faveur de la partie défenderesse.

 

  • [88] La preuve dont je suis saisi ne démontre pas que l’exécution partielle de M. Malanchowski lui conférerait droit au transfert du titre de Nun’s Point conformément aux termes de l’entente verbale entre lui et la partie requérante. Selon son libellé, l’ordonnance provisoire de constitution de charge ne s’appliquait qu’à [traduction] « l’intérêt de M. Malachowski dans le bien réel ». La question de savoir si cet intérêt, s’il en était, était visé par l’ordonnance provisoire de constitution de charge reste à déterminer.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

  1. La requête en annulation de l’ordonnance provisoire de constitution de charge soit rejetée.

  2. Les dépens de la requête sont en faveur de la partie défenderesse.

  3. Une requête en justification sur le fait de rendre irrévocable l’ordonnance provisoire de constitution de charge ou de déterminer le degré selon lequel le produit de la vente de la propriété est visé par l’ordonnance provisoire de constitution de charge soit inscrite au rôle pour audition à une date devant être déterminée par le protonotaire de gestion de l’instance.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  ITA-14795-09

 

 

INTITULÉ :   SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA représentée par le ministre du Revenu national et MARCEL MALACHOWSKI (alias MARCEL OWEN JOSEPH MALACHOWSKI, MARCEL OWEN MALACHOWSKI, MARCEL WUNSCK, M. WENLCOK, MEMO WENLOCK, MEMO ET MARCEL WENLOCK)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :   OTTAWA (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :   LE 30 AOÛT 2010

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :   JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :  LE 5 AVRIL 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Pierre-Paul Trottier

Me Luc Vaillancourt

 

POUR LE CRÉANCIER JUDICIAIRE

Me Paul D’Angelo

POUR LA PARTIE REQUÉRANTE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE CRÉANCIER JUDICIAIRE

Nelligan O’Brien Payne LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LA PARTIE REQUÉRANTE

 

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