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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110406

Dossier : IMM-5184-10

Référence : 2011 CF 419

Montréal (Québec), le 6 avril 2011

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

ENTRE :

 

COLONIA FALCON DOMITLIA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue le 23 août 2010 par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), exigeant le paiement de 20 000 $ à titre de garantie pour le bris de condition de mise en liberté du frère de Colonia Falcon Domitlia (la demanderesse).

 

[2]               Pour les raisons élaborées ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[3]               La demanderesse est la sœur de Victor Hugo Colonia Falcon (M. Falcon), présentement visé par l’article 37 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

 

[4]               M. Falcon est arrivé au Canada au mois d’août 1991 et a revendiqué le statut de réfugié. Ce statut lui a été reconnu le 27 mai 1992.

 

[5]               En janvier 1993, M. Falcon a déposé une demande de résidence permanente qui a été rejetée en 1997 parce qu’il était inadmissible pour raison de criminalité. La preuve démontre qu’il a commis plusieurs vols dans son pays d’origine avant de venir au Canada.

 

[6]               La Cour reprend ici presque intégralement les paragraphes 5 à 19 du mémoire du défendeur relativement aux faits subséquents qui ne sont pas vraiment d'ailleurs contestés.

 

[7]               Avant cela, le 30 août 1995, un premier rapport d’inadmissibilité avait été rédigé par Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) parce que M. Falcon avait été trouvé coupable de vol le 21 juin 1995.

 

[8]                Le 12 mars 1997, un deuxième rapport d’inadmissibilité a été rédigé parce que M. Falcon avait été trouvé coupable, le 3 juin 1996, d’introduction par effraction et le 7 juin 1996, d’une accusation de vol et d’une accusation d’omission de se conformer à des conditions.

 

[9]               Par la suite, le 3 juin 1998 un nouveau rapport d’inadmissibilité a été émis par CIC parce que M. Falcon avait été trouvé coupable, le 7 juin 1996, de voies de fait causant des lésions corporelles.

 

[10]           Le 9 avril 1999, un nouveau rapport d’inadmissibilité a été rédigé parce que M. Falcon avait été trouvé coupable de vol, encore une fois, le 2 février 1999.

 

[11]           Le 16 novembre 2006, un rapport d’inadmissibilité en vertu de l’article 44(1) de la LIPR a été rédigé contre M. Falcon contenant des allégations selon lesquelles il ferait partie d’un groupe criminel organisé, tel que défini à l’article 37(1) de la LIPR, notamment une organisation criminelle sud-américaine spécialisée dans le vol. Ce rapport fut déféré à la Section d’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié (CISR).

 

[12]           Le 17 novembre 2006, M. Falcon a été arrêté et mis en détention par les autorités d’immigration.

 

[13]           Le 23 janvier 2007, la SI a visé M. Falcon, en vertu de l’article 37(1) de la LIPR, d’une mesure d’expulsion. Malgré les antécédents de M. Falcon, la SI l’a libéré mais avec plusieurs conditions très sévères, dont une garantie d’exécution de 20 000 $ à la condition de ne pas se trouver à l’intérieur de tout commerce ou centre commercial, à l’exception de commerces vendant strictement de la nourriture.

 

[14]           Le 12 mai 2010, M. Falcon a brisé une des conditions imposées en se trouvant dans un commerce de vêtements.

 

[15]           Le 30 juin 2010, M. Falcon s’est rapporté au bureau de l'Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), respectant ainsi les conditions de sa remise en liberté. Le même jour, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a arrêté M. Falcon relativement aux incidents du 12 mai 2010. M. Falcon devait comparaître au Palais de justice le 29 septembre 2010 relativement aux incidents du 12 mai 2010.

 

[16]           Le même jour, le 30 juin 2010, le chef des opérations de l’ASFC-Investigations Montréal (ASFC) a signé une lettre et l’a envoyée à la demanderesse. Cette lettre spécifiait que son frère avait brisé certaines conditions à sa remise en liberté, notamment le fait de ne pas se trouver dans un commerce autre qu’un commerce vendant strictement de la nourriture. La lettre indiquait également que l’ASFC était maintenant en droit de réclamer les 20 000 $ offerts en bon de garantie pour la remise en liberté de son frère par la Section de l’immigration en janvier 2007. La lettre spécifiait clairement que si la demanderesse était d’avis que le bon de garantie d’exécution ne devrait pas être exécuté et réalisé, elle devait faire parvenir dans les trente jours suivants la mise à la poste de la lettre en question, des explications à ce sujet et qu’à défaut, elle recevrait une lettre confirmant la décision finale de l’ASFC l’enjoignant de payer.

 

[17]           L’ASFC n’a rien reçu de la demanderesse durant les trente jours.

 

[18]           Entre-temps, M. Falcon a été arrêté par les autorités le 8 juillet 2010.

[19]           Le 9 juillet 2010, la SI a révisé les motifs de détention pour M. Falcon. Lors de cette audience, un rapport détaillé du SPVM a été déposé en preuve (pièce M-3). Ce rapport démontrait que le 12 mai 2010, une surveillance policière avait eu lieu au 5824-A, de la rue Saint-Zotique, à Montréal, et qu'à 14h56, un agent du SPVM, Marc Houle, a vu deux hommes et deux femmes inconnus s’immobiliser dans un véhicule devant ladite résidence. Après enquête, il a été démontré qu’il s’agissait, entre autres, de M. Falcon. Par la suite, ce même agent du SPVM a vu M. Falcon et deux autres personnes entrer au 6200, Henri-Bourassa Est, à Montréal. Il s'agissait d’un magasin entrepôt Le Château, magasin de vêtements. Selon le rapport complémentaire daté du 25 mai 2010, l’équipe de surveillance avait assisté à plusieurs vols à l’étalage à Montréal ce même jour. Le 19 mai 2010, Sergio Olivera, spécialiste de la prévention des pertes, a remis un DVD de photos aux agents du SPVM qui ont rédigé le rapport complémentaire du 25 mai 2010. Les photos montraient deux personnes entrer dans le magasin Le Château et y voler des vêtements. Par la suite, des perquisitions ont été effectuées aux résidences des diverses personnes impliquées. Le 25 mai 2010, suite à la perquisition des lieux, l'agente du SPVM, Caroline Dupuis, qui était une autre policière de la Section du renseignement du SPVM, a identifié M. Falcon comme l’une des personnes qui auraient participé au vol à l'étalage commis à la boutique Le Château le 12 mai 2010. Le 25 mai 2010, il y avait arrestation des personnes en question, dont M. Falcon.

 

[20]           Le 23 août 2010, le chef des opérations de l’ASFC a signé une deuxième lettre et l’a envoyé à la demanderesse. La lettre confirmait qu’à défaut d’explications de la part de la demanderesse, l’ASFC exigeait le paiement du montant de 20 000 $.

 

[21]           C'est cette décision que la demanderesse conteste par la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[22]           Dans la cause qui nous occupe, il s'agit dans un premier temps de déterminer s'il y a eu contravention aux conditions de mise en liberté du frère de la demanderesse.

 

[23]           Je suis d'avis qu'il s'agit d'une question de fait dont la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

[24]           Dans un deuxième temps, il faut déterminer si l'agent a commis une erreur en omettant de considérer s'il pouvait oui ou non réduire la somme à confisquer.

 

[25]           Cette question a déjà fait l'objet d'une analyse dans Hussain c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 234, para 2, où la Cour a affirmé que la norme applicable est celle de la décision raisonnable :

2. La norme de contrôle qui s'applique aux affaires portant sur la restitution ou la confiscation de garanties de ce genre a été examinée par le juge Mosley, de la Cour fédérale, dans la décision Kang c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 652. Il a considéré d'autres décisions de la Cour, pour conclure que la jurisprudence en la matière est complexe et encore fluctuante. Selon au moins un précédent (Tsang c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 474), la norme est la décision correcte, mais selon un autre (Khalife c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 221), c'est la norme de décision raisonnable. Le juge Mosley a conclu qu'il examinerait l'affaire selon la norme de décision raisonnable et j'appliquerai la même norme, sauf pour les questions de droit, qui sont revues selon la norme de décision correcte.

 

[26]           La demanderesse cite Tsang c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 474, plaidant qu'il s'agit plutôt d'une question de droit et invoque la norme de contrôle de la décision correcte.

 

[27]           Je crois qu'il s'agit d'une question mixte de fait et de droit, j'appliquerai donc la norme de la décision raisonnable.

 

[28]           Relativement aux allégations de bris de condition de la part du frère de la demanderesse, cette dernière souligne que la cause de son frère (accusation de bris de condition) n'a pas encore été entendue et que son frère doit bénéficier de la présomption d'innocence.

 

[29]           Cependant, l'article 49(4) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés DORS/2002-227 (Règlement) prévoit ceci :

(4) En cas de non-respect, par la personne ou tout membre du groupe de personnes visé par la garantie, d’une condition imposée à son égard, la somme d’argent donnée en garantie est confisquée ou la garantie d’exécution devient exécutoire.

 

(4) A sum of money deposited is forfeited, or a guarantee posted becomes enforceable, on the failure of the person or any member of the group of persons in respect of whom the deposit or guarantee was required to comply with a condition imposed.

 

[30]           Rien dans la loi n'oblige l'agent à attendre que la personne qui est accusée de bris de condition soit trouvée coupable ou plaide coupable avant de déterminer s'il y a eu non-respect d'une des conditions imposée à son égard.

 

[31]           C'est pourquoi la section 7.8 du Guide ENF 8 (pièce « S », le Guide, Mémoire du défendeur page 135) mentionne « Les gestionnaires et agents de CIC et de l’ASFC possèdent le pouvoir discrétionnaire de décider si le non-respect des conditions est suffisamment grave pour justifier la confiscation du dépôt de garantie ou la réalisation de la garantie d’exécution…. ». Cette directive sans avoir force de loi, s'inscrit très bien dans l’interprétation de l'article 49(4) du Règlement que doit appliquer les agents confrontés à des situations similaires.

 

[32]           Dans la cause qui nous occupe, l'agent avait en main des éléments probants que le frère de la demanderesse avait contrevenu à une des conditions de sa mise en liberté. D'ailleurs, M. Falcon a admis lui-même qu'il se trouvait à l'entrepôt Le Château le 12 mai 2010 (Pièce « A », Procès-verbal de l'audience du 9 juillet 2010, page 29, deuxième paragraphe).

 

[33]           L'agent n'avait donc pas l'obligation d'attendre un verdict de culpabilité avant d'écrire à la demanderesse pour l’aviser que la garantie serait exigée.

 

[34]           Quant au pouvoir discrétionnaire de l'agent d'exiger une partie ou la totalité de la garantie, la demanderesse invoque une brèche à l'équité procédurale (Cardinal c Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643).

 

[35]           Le défendeur s'en remet au Guide et précise qu'avant le 1er février 2007 il existait une certaine discrétion pour les agents, ces derniers pouvant confisquer un montant moindre que la garantie conférée.

[36]           Étant donné que le bris de condition est daté du 12 mai 2010, ce sont les nouvelles directives qui doivent s'appliquer. En effet, depuis le 1er février 2007, les agents n’ont plus la discrétion de confisquer un montant moindre que la garantie donnée. De toute évidence, il n'y a pas eu d’erreur commise par l'agent.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« Michel Beaudry »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5148-10

 

INTITULÉ :                                       Colonia Falcon Domitlia

                                                            c Le Ministre de la sécurité publique et de la protection civile

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 5 avril 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                        LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 6 avril 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony Karkar

 

Lynne Lazaroff

POUR LA DEMANDERESSE

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Anthony Karkar

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur general du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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