Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Cour fédérale

Federal Court


 

Date : 20110418

Dossier : IMM-2432-10

Référence : 2011 CF 472

Toronto (Ontario), le 18 avril 2011

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

YVES FABIEN

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.        Aperçu

[1]               M. Yves Fabien, citoyen canadien, a voulu parrainer son épouse, Mme Feta Delima, pour qu’elle obtienne la résidence permanente au Canada. Le couple s’est marié en Haïti en décembre 2006 après quelques mois de fréquentations. Un agent des visas a rejeté la demande de M. Fabien au motif que le mariage n’était pas authentique. M. Fabien a interjeté appel de cette décision à la Section d’appel de l’immigration (SAI) et a obtenu gain de cause.

[2]               Le ministre cherche ici à faire annuler la décision de la SAI parce qu’elle aurait été rendue de façon inéquitable et qu’elle était déraisonnable. Il fait valoir que la SAI a commis une erreur en refusant à l’avocat de convoquer Mme Delima comme témoin et en omettant de tenir compte des éléments de preuve sur lesquels s’était fondé l’agent des visas pour conclure que le mariage n’était pas authentique.

 

[3]               Je ne peux conclure que la SAI a agi de façon inéquitable. L’avocat du ministre a simplement omis de donner suite à son souhait d’interroger Mme Delima durant l’audience. Toutefois, je suis d’avis que la décision de la SAI était déraisonnable vu les éléments de preuve vagues et contradictoires qui lui avaient été présentés relativement au mariage. Je devrai donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[4]               Les questions à trancher sont les suivantes :

 

1.                  La SAI a-t-elle agi de façon inéquitable?

2.                  La décision de la SAI était-elle déraisonnable?

 

II.     La décision de l’agent des visas

 

[5]               L’agent des visas a constaté que plusieurs éléments ne semblaient pas corroborer l’existence d’un mariage authentique entre M. Fabien et Mme Delima :

 

            •           le peu de communications régulières entre eux;

•           le fait que Mme Delima connaissait peu de choses sur la vie de M. Fabien – son emploi, son salaire, ses activités sociales, ses arrangements financiers, ses mariages antérieurs, les autres membres de sa famille, etc.;

•           les descriptions contradictoires de la réception de mariage et des visites subséquentes de M. Fabien en Haïti;

•           le fait que la preuve documentaire (lettres et cartes échangées entre eux) semblait avoir été fabriquée pour étayer la demande.

 

[6]               En s’appuyant sur ces éléments de preuve, l’agent des visas a conclu que le mariage n’était pas authentique.

 

III.   La décision de la SAI

 

[7]               La SAI énumère certains des facteurs qui doivent être examinés quand il faut statuer sur l’authenticité d’un mariage :

 

•           les circonstances de la rencontre du couple et l’évolution de leur relation;

            •           les circonstances entourant leurs fiançailles et le mariage;

•           les actes avant et après le mariage, y compris les communications entre les conjoints;

•           la participation des familles aux fiançailles et au mariage;

•           les projets d’avenir.

 

[8]               La SAI a jugé que le témoignage de M. Fabien était sincère et crédible. M. Fabien a décrit les circonstances dans lesquelles il a fait la connaissance de Mme Delima. Ils ont eu tous deux le coup de foudre et Mme Delima a emménagé avec lui. Elle a vécu dans la maison dont il était propriétaire en Haïti jusqu’au tremblement de terre de janvier 2010.

 

[9]               La SAI a accepté le témoignage de M. Fabien au sujet des 3 000 $ qu’il dit avoir dépensés pour le mariage, lequel avait été suivi d’une réception réunissant 45 personnes. Elle a souligné aussi que M. Fabien envoyait régulièrement de l’argent à Mme Fabien et que les conjoints se parlaient fréquemment au téléphone.

 

[10]           La SAI a estimé que M. Fabien avait expliqué les contradictions relevées par l’agent des visas et connaissait de nombreux détails de la vie de son épouse en Haïti. Elle a été convaincue de l’authenticité du mariage et a accueilli l’appel de M. Fabien.

 

(1)      La SAI a-t-elle agi de façon inéquitable?

 

[11]           À l’audience devant la SAI, l’avocat du ministre a exprimé son intention de convoquer Mme Delima pour qu’elle témoigne par téléphone. Il a demandé à M. Fabien si son épouse était disposée à expliquer les réponses qu’elle avait données à l’agent des visas. M. Fabien a répondu qu’elle était prête et voulait le faire.

 

[12]           L’avocat a alors commencé à contre-interroger M. Fabien. Le témoignage éventuel de Mme Delima n’a plus été mentionné. À la fin du contre-interrogatoire, l’avocat a simplement déclaré qu’il n’avait plus de questions et a remercié le président d’audience.

 

[13]           Je ne vois rien qui appuie l’argument du ministre suivant lequel la SAI n'a pas permis à l’avocat d’interroger Mme Delima. L’avocat semble avoir abandonné l’idée de le faire. Il ne s’est pas opposé à ce moment-là à la manière dont la SAI menait l’audience.

 

(2)   La décision de la SAI était-elle raisonnable?

 

[14]           M. Fabien a manifestement impressionné la SAI par son honnêteté et sa sincérité. La SAI a conclu de son témoignage que les lacunes et les contradictions relevées par l’agent des visas avaient été comblées et résolues.

 

[15]           Cependant, après avoir lu la transcription de l’audience devant la SAI, j’estime que la conclusion de la SAI n’est pas fondée.

 

[16]           M. Fabien a établi la fréquence de ses conversations téléphoniques avec Mme Delima, mais, quand on lui a posé la question, il n’a pas pu vraiment préciser les sujets qu’ils avaient abordés. Je ne vois pas comment la SAI a pu conclure que M. Fabien connaissait de nombreux détails de la vie de son épouse en Haïti. De plus, les autres lacunes soulignées par l’agent des visas au chapitre de la connaissance qu’avaient les deux époux l’un de l’autre n’ont pas été comblées.

 

[17]           Quant aux contradictions, elles n’ont pas non plus été dissipées à l’audience devant la SAI. Par exemple, Mme Delima a déclaré à l’agent des visas qu’il n’y avait pas eu de réception de mariage. M. Fabien a affirmé avoir dépensé 3 000 $ pour une réception réunissant 45 personnes. Mme Delima a dit à l’agent des visas que la dernière visite de M. Fabien en Haïti remontait à août 2007. M. Fabien a affirmé à la SAI qu’il se rendait en Haïti souvent, et qu’il l’avait fait notamment en août 2008. Encore une fois, je ne vois rien qui aurait pu amener la SAI à conclure que le témoignage de M. Fabien avait éliminé ces contradictions.

 

[18]           Dans l’ensemble, je conclus que la décision de la SAI était déraisonnable; elle ne faisait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

IV.  Conclusion et dispositif

 

[19]           Je ne peux considérer, comme le soutient le ministre, que la SAI a agi de façon inéquitable. Toutefois, selon la preuve qui lui a été présentée, je suis d’avis que sa conclusion – soit que M. Fabien avait livré un témoignage adéquat et convaincant qui dissipait les doutes exprimés par l’agent des visas – était déraisonnable. Par conséquent, je devrai accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un tribunal de la SAI différemment constitué. Aucune des parties ne m’a proposé de question grave de portée générale à certifier et aucune n’est énoncée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission pour une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué;

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2432-10

 

INTITULÉ :                                       MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

                                                            c

                                                            YVES FABIEN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Edmonton (Alberta)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 ET JUGEMENT :                             LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 avril 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Camille Audain

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Yves Fabien

 

LE DÉFENDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

Yves Fabien

Calgary (Alberta)

 

LE DÉFENDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.