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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20110414

Dossier : IMM-4887-10

Référence : 2011 CF 459

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

 

SUREEL LATA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE BLANCHARD

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 4 août 2010, par laquelle la Commission rejetait une demande relative à un abus de procédure, demande qui visait l’obtention d’une ordonnance de rejet ou de suspension de la demande d’annulation présentée par le ministre, et par laquelle elle ordonnait que la demande d’annulation en question soit mise au rôle pour audition.

Le contexte factuel

[2]               La demanderesse, Mme Sureel Lata, est une Indo‑Fidjienne âgée de 46 ans. Elle était arrivée au Canada le 28 décembre 1999 à titre de visiteuse et elle avait présenté une demande d’asile le 2 juin 2000, à la suite d’un coup d’État aux Fidji.

 

[3]               La demande d’asile de la demanderesse était fondée sur la persécution à caractère racial des Indo-Fidjiens par les Fidjiens indigènes, pendant et après le coup d’État. Dans sa demande, la demanderesse alléguait que son domicile avait été saccagé violemment par des Fidjiens indigènes et que son époux et ses enfants adolescents avaient tout juste pu fuir et sortir vivants du saccage.

 

[4]               Le 8 mai 2001, la Section du statut de réfugié (la SSR) avait conclu que la demanderesse était une réfugiée au sens de la Convention.

 

[5]               La demanderesse avait ensuite demandé le statut de résidente permanente au titre de la catégorie des réfugiés; la demande visait aussi l’ancien époux de la demanderesse ainsi que ses deux enfants.

 

[6]               L’ancien époux de la demanderesse a été reçu en entrevue à deux reprises aux Fidji, le 11 octobre 2002 et le 21 mars 2003, relativement à la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse ainsi que pour clarifier les circonstances entourant le départ de sa famille de leur ancien domicile. Dans les deux entrevues, il avait mentionné que lui et la demanderesse avaient quitté leur domicile en décembre 1999, peu après que la demanderesse fut arrivée au Canada, parce que le propriétaire de leur logement n’avait pas renouvelé leur bail. Il n’avait pas mentionné quoi que ce soit à propos de leur expulsion violente et forcée de leur domicile aux Fidji par des Fidjiens indigènes, comme l’avait relaté la demanderesse dans sa demande d’asile.

 

[7]               À la suite de ces entrevues, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada a fait passer une entrevue à la demanderesse le 21 décembre 2005 en vue d’obtenir une réponse de cette dernière concernant les déclarations de son ancien époux.

 

[8]               Le ministre a ensuite présenté la demande d’annulation au mois de mars 2009, en vue d’annuler la décision par laquelle la SSR concluait que la demanderesse était une réfugiée au sens de la Convention, parce qu’elle avait fait une présentation erronée sur des faits importants ou qu’elle avait exprimé une réticence sur ces faits.

 

[9]               Le 10 février 2010, la demanderesse a présenté une demande relative à un abus de procédure, dans laquelle elle alléguait que le délai du ministre à présenter la demande d’annulation lui avait occasionné un préjudice, parce que ce délai la rendait inapte à témoigner ou à participer à l’instance. Par conséquent, elle prétend qu’elle ne peut préparer une défense pleine et entière.

 

[10]           En plus de sa demande relative à l’abus de procédure, la demanderesse a produit un rapport psychologique du Dr Krywaniuk, dans lequel celui‑ci était d’avis que Mme Lata [traduction] « est aux prises avec une grave dépression et que celle‑ci n’a fait qu’empirer au cours des dernières années ». Il a mentionné dans son rapport que Mme Lata avait été victime de violence sexuelle au cours de son mariage, violence dont elle porte les cicatrices. Ses symptômes ont graduellement diminué en intensité, mais certains d’entre eux ont été ravivés par l’augmentation de son degré de stress attribuable aux délais en ce qui a trait à son statut au Canada. Dans son affidavit daté du 5 avril 2010, le Dr Krywaniuk a affirmé que [traduction] « je dirais, peut‑être de manière la plus franche qui soit, que si ce n’avait été du long délai à présenter les allégations concernant l’annulation, je crois qu’il est très probable que Mme Lata aurait continué à être fonctionnelle d’un point de vue psychologique ».

 

[11]           Dans un autre rapport psychologique, le Dr Peach a confirmé l’opinion exprimée par le Dr Krywaniuk selon laquelle la demanderesse ne peut, d’un point de vue psychologique, subir un procès ou participer à quelque instance judiciaire sans que cela lui occasionne des incidences gravement défavorables sur son problème de santé sous‑jacent.

 

La décision de la Commission

[12]           La Commission a rejeté la demande relative à l’abus de procédure présentée par la demanderesse. La Commission a conclu, en appliquant le critère dégagé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 (Blencoe), que la preuve relativement au préjudice ne démontrait pas que celui‑ci était « assez important » pour avoir nui à l’équité de l’audience. Elle a conclu que la demanderesse aurait droit à une audience équitable, et ce, même si elle ne témoignait pas. La Commission a aussi conclu que le délai avait directement occasionné un préjudice psychologique important à la demanderesse, mais elle n’a pas conclu que le préjudice est d’une telle ampleur qu’il heurterait le sens de la justice ou de la décence du public.

 

[13]           La Commission a aussi conclu que la demanderesse était une personne vulnérable au titre des directives applicables de la Commission (les Directives sur les procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada), et a nommé la sœur de la demanderesse comme représentante désignée pour donner des instructions au conseil et pour aider à recueillir de la preuve pour les besoins de l’instance relative à l’annulation. Cependant, dans une décision datée du 8 septembre 2010, la Commission a révoqué la désignation de personne vulnérable de la demanderesse et la nomination d’une représentante désignée, compte tenu de la nouvelle preuve produite par la demanderesse.

 

Les questions en litige

[14]           Les questions suivantes sont soulevées dans le cadre du présent contrôle judiciaire :

1.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas eu un préjudice important à l’équité à l’égard de l’instance relative à la demande d’annulation visant la demanderesse?

 

2.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que l’instance n’avait pas été viciée au point d’entraîner la déconsidération du régime d’immigration et de protection des réfugiés?

 

Le droit applicable

[15]           Pour trancher la question de savoir si le droit d’une personne à une audience équitable a été violé par un retard excessif, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Blencoe, précité, au paragraphe 101, mentionne que : « […] le délai ne justifie pas, à lui seul, un arrêt des procédures comme l’abus de procédure […] il faut prouver qu’un délai inacceptable a causé un préjudice important ». La Cour suprême du Canada a aussi statué que le terme « un préjudice important » comprend les situations où un délai compromet la capacité d’une partie de répondre à la plainte portée contre elle, notamment parce que ses souvenirs se sont estompés, parce que des témoins essentiels sont décédés ou ne sont pas disponibles ou parce que des éléments de preuve ont été perdus.

 

[16]           Dans l’arrêt Blencoe, précité, la Cour suprême du Canada a aussi conclu que, dans des circonstances où le retard ne justifiait pas de conclure à l’existence d’une violation du droit d’une personne à une audience équitable, la cour de révision pourrait conclure que le retard avait vicié l’instance au point de déconsidérer, aux yeux du public, l’organisme administratif ou le tribunal en question. Dans de telles circonstances, la Cour suprême du Canada a élaboré, au paragraphe 115 de l’arrêt Blencoe, un critère à deux volets : (1) le délai excessif a‑t‑il causé directement un préjudice psychologique important à la demanderesse, et (2) le préjudice psychologique souffert par la demanderesse en raison du délai a‑t‑il vicié l’instance au point d’entraîner la déconsidération de l’organisme administratif ou du tribunal. La Cour suprême du Canada a précisé aux paragraphes 122 et 133 de ses motifs que le délai doit avoir causé un préjudice réel d’une telle ampleur qu’il heurte le sens de la justice et de la décence du public.

 

La norme de contrôle applicable

[17]           Les questions se rapportant à l’application ou non du bon critère juridique par la Commission sont des questions de droit susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité, laquelle s’attache principalement à la justification de la décision et à la transparence ainsi qu’à l’intelligibilité du processus décisionnel. La décision doit appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Voir : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

 

Analyse

Le caractère équitable de l’audience

[18]           Voici les prétentions de la demanderesse en ce qui a trait au caractère équitable de l’audience :

1)   La Commission a appliqué le mauvais critère juridique lorsqu’elle a décidé de ne pas accorder le sursis;

2)   La Commission a omis de tenir compte du fait que la demanderesse est un témoin essentiel et nécessaire pour établir une défense;

3)   La Commission a commis une erreur en concluant que la déclaration solennelle de l’agent de l’ASFC pourrait être substituée au témoignage de la demanderesse;

4)   La Commission a commis une erreur en se livrant à des conjectures quant à la disponibilité d’autres témoins.

 

 

Le caractère équitable de l’audience

[19]           La demanderesse prétend d’abord que la Commission a commis une erreur en appliquant le mauvais critère juridique lorsqu’elle a rejeté la demande de sursis. Elle prétend que le critère dégagé dans l’arrêt Blencoe, précité, en ce qui a trait à la question de savoir à quel moment un sursis peut être ordonné en raison d’un retard équivalant à un abus de procédure nécessite que l’on se penche sur des questions, comme celles à savoir si [traduction] « les souvenirs sont flous, si des témoins essentiels sont morts ou ne sont pas disponibles, ou si quelques autres formes similaires de préjudice nuisent à la capacité de la partie de répondre à la plainte ». Par conséquent, la demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur de droit susceptible de contrôle judiciaire lorsqu’elle s’était demandé si Mme Lata pouvait avoir recours à d’autres moyens pour présenter une réponse quant aux questions en litige dans le contexte de l’audience relative à l’annulation. Je ne souscris pas à cette prétention. Le critère dégagé dans l’arrêt Blencoe, précité, nécessite que la personne qui allègue l’existence d’un abus de procédure démontre que le retard avait entraîné chez elle un préjudice « assez important » pour nuire à l’équité de l’audience. Je suis d’avis que la Commission a appliqué le bon critère juridique et que, ce faisant, elle avait raisonnablement tenu compte des autres possibilités dont pouvait se prévaloir la demanderesse pour présenter une réponse quant aux questions qui allaient être soulevées au cours de l’audience relative à l’annulation. Cela ne constitue pas une mauvaise application du critère juridique énoncé dans l’arrêt Blencoe.

 

[20]           La demanderesse prétend que son témoignage et sa connaissance de la situation sont d’une importance cruciale, puisque la demande d’annulation repose entièrement sur les faits. Elle soutient que l’appréciation de la véracité des déclarations formulées par son ancien époux en 2000, 2002 et 2003 constitue le cœur de la demande d’annulation. Elle prétend que son témoignage est nécessaire pour établir les circonstances dans lesquelles les déclarations formulées par son ancien époux à son endroit avaient été formulées en 2000. Elle maintient que la preuve se rapportant aux changements dans leur relation, comme les instances en matière de divorce, peut expliquer les déclarations formulées subséquemment par son ancien époux dans lesquelles le récit des incidents de ce dernier est contradictoire. Elle prétend qu’elle est la seule personne capable de produire une telle preuve.

 

[21]           La demanderesse soutient de plus qu’elle est la mieux placée pour aider les avocats à cerner les témoins potentiels ainsi qu’à les conseiller en ce qui concerne les circonstances et les faits pertinents se rapportant à l’instance relative à l’annulation. Il s’ensuit que sa participation active est nécessaire pour lui permettre de faire valoir sa thèse et de produire une défense pleine et entière. La demanderesse prétend que son état mental, lequel est occasionné par le retard à introduire l’instance relative à l’annulation, est la raison pour laquelle elle est inapte à témoigner et à participer utilement à l’audition de la demande d’annulation à ce stade‑ci.

 

[22]           La présentation erronée qu’aurait prétendument fait la demanderesse, et qui a conduit à la présentation de la demande d’annulation par le ministre, concerne les circonstances entourant le départ du domicile familial de son ancien époux et de ses enfants aux Fidji. La demanderesse n’était pas présente aux Fidji lors du coup d’État et où elle prétend que des Fidjiens indigènes avaient saccagé le domicile, expulsé son époux et ses enfants de force et avaient menacé de les tuer ou de les blesser gravement. Elle avait déjà quitté les Fidji pour le Canada à ce moment‑là. Par conséquent, elle n’avait pas une connaissance directe du déroulement des incidents s’étant déroulés ce jour‑là. Elle pouvait seulement relater des renseignements qu’elle avait appris par des tiers. La meilleure preuve serait celle produite par des témoins directs, comme ses enfants qui étaient présents au moment de la prétendue expulsion forcée. Par conséquent, le témoignage de la demanderesse n’est pas essentiel pour établir les faits allégués qui sont cruciaux relativement à l’audition de la demande d’annulation.

 

[23]           La relation de la demanderesse avec son époux peut être pertinente pour nous éclairer sur les déclarations subséquentes formulées par son ex‑époux, mais il ne s’agit pas de la seule preuve qui puisse être produite pour contester la crédibilité de ses déclarations. Comme l’a conclu la Commission, il serait possible de demander à des tiers de confirmer le récit de la demanderesse concernant le départ de sa famille du domicile familial. Dans les circonstances, il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure que d’autres options s’offraient à la demanderesse pour produire des éléments de preuve à l’appui de sa version des incidents. Elle a souligné l’existence de possibles témoins et/ou de possibles éléments de preuve documentaire qui appuieraient la demande d’asile de la demanderesse. Je ne souscris pas aux observations de la demanderesse selon lesquelles ces conclusions étaient de nature conjecturale. Le dossier démontre que d’autres membres de la famille, y compris les enfants de la demanderesse qui étaient de jeunes adultes à l’époque, étaient présents aux Fidji lorsque le coup d’État a eu lieu et que ceux-ci avaient une connaissance directe de la situation dont a fait part la demanderesse dans sa demande d’asile. La Commission fait aussi mention de l’existence d’un bail se rapportant au domicile familial. Si on devait trouver de tels éléments de preuve documentaire, cela pourrait donner un éclairage sur les conditions du bail et sur la question de savoir si celui‑ci était expiré, comme l’avait allégué l’ancien époux de la demanderesse. Dans les circonstances, la Commission n’a pas commis une erreur lorsqu’elle a conclu que, même si la demanderesse était incapable de témoigner à l’audition de la demande d’annulation, cela ne mènerait pas à une audience inéquitable.

 

[24]           Je conviens avec la demanderesse que la déclaration solennelle de l’agent de l’ASFC n’est pas un substitut à son témoignage. Toutefois, il s’agit d’un élément de preuve qui est pertinent quant à la question en litige soulevée par la demande d’annulation. La déclaration reprend les questions posées à la demanderesse par l’agent de l’ASFC ainsi que les réponses que cette dernière a données au cours de l’entrevue du 21 décembre 2005, et elle sera mise en balance avec les autres éléments de preuve qui seront produits. Sa valeur probante sera déterminée lors de l’audition de la demande d’annulation.

 

[25]           De plus, la demanderesse ne fait pas ressortir les éléments de preuve précis qu’elle produirait en vue de contester l’allégation formulée par le ministre dans la demande d’annulation. Elle avait eu l’occasion de produire une telle preuve lors de l’entrevue tenue en décembre 2005 avec l’agent de l’ASFC, alors qu’elle avait clairement compris à ce moment‑là qu’il y avait d’importantes contradictions entre son récit des incidents et celui relaté par son ancien époux.

 

[26]           Bien que la demanderesse puisse ne pas être apte à témoigner lors de son audience, je suis d’avis qu’elle est capable d’aider son conseil à identifier les témoins et de lui donner des instructions. La preuve psychologique produite par la demanderesse et acceptée par la Commission lors de l’audience quant au réexamen démontre que, malgré le fait qu’elle ne serait pas apte à témoigner, elle comprenait l’importance et l’objectif de l’instance relative à la demande d’annulation. Selon les rapports psychologiques, elle est trop malade et elle est complètement inapte à se préparer pour une audience ou à témoigner. Cependant, la preuve démontre qu’elle participait activement à toutes les instances concernant son statut au Canada, y compris aux instances relatives à la demande d’annulation, et qu’elle rencontrait son conseil sur une base régulière pour discuter de ces questions et qu’elle était capable de donner des instructions à son conseil. Ce dernier a affirmé ce qui suit, au moment de la demande de réexamen :

[traduction]

a)      Je n’ai pas isolé Mme Lata en ce qui concerne les instances relatives à la demande d’annulation;

b)      J’ai, en tout temps, fait part à Mme Lata des renseignements en ce qui concerne les instances relatives à la demande d’annulation;

c)      Je suis convaincue que Mme Lata comprend les instances relatives à la demande d’annulation et qu’elle peut me donner des instructions relativement à ces instances;

d)      J’ai reçu des instructions de Mme Lata tout au long des instances relatives à la demande d’annulation;

e)      En ce qui a trait à la conférence tenue conformément à l’article 20 des Règles le 28 avril 2010 [« la Conférence préparatoire à l’audience »], j’ai parlé à Mme Lata à propos de la conférence, autant avant qu’après avoir comparu pour son compte. Je lui ai expliqué le but de la conférence et ce qui s’y était produit. Je suis convaincue que Mme Lata comprenait la nature de la Conférence préparatoire à l’audience et qu’elle pouvait me donner des instructions à cet égard;

f)      En tout temps, j’ai tenu Mme Lata informée à propos de la demande relative à l’abus de procédures et je suis convaincue qu’elle comprenait ces instances, qu’elle pouvait me donner des instructions, que j’ai reçu des instructions de sa part quant à la demande ainsi que sur toutes les autres questions se rapportant aux instances relatives à la demande d’annulation. (Affidavit de Naomi Minwalla, souscrit le 16 août 2010, dossier de la demanderesse, aux pages 264 et 265).

 

Il s’agit de la même preuve que celle ayant convaincu la Commission de réexaminer ainsi que de révoquer son ordonnance par laquelle elle déclarait que la demanderesse était une personne vulnérable et qu’elle nommait un représentant désigné.

 

[27]           Je suis d’avis que la Commission a raisonnablement conclu que le délai en cause a commencé à s’écouler à partir du 21 décembre 2005, soit la journée à laquelle la demanderesse avait été interrogée pour répondre au récit des incidents donnés par son ancien époux et qui était en contradiction avec des faits importants qui étaient le fondement de sa demande d’asile. C’est à ce moment‑là que la demanderesse a été informée pour la première fois de la question qui avait mené à la présentation de la demande d’annulation. Les rapports psychologiques indiquent que, jusqu’à ce moment-là [traduction] « elle était assez fonctionnelle pour travailler et pour mener par ailleurs une vie normale ». Il incombe à la demanderesse de démontrer que, en raison du retard, elle avait souffert d’un préjudice d’une ampleur suffisante pour que celui‑ci ait une incidence sur le caractère équitable des instances. Compte tenu de la preuve, je suis convaincue que la Commission a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle serait privée d’une audience équitable en raison du délai.

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que l’instance n’avait pas été viciée au point d’entraîner la déconsidération du régime d’immigration et de protection des réfugiés?

 

[28]           La demanderesse prétend, à titre subsidiaire, que même en faisant abstraction de l’équité de l’audience elle‑même, le retard aurait vicié l’instance au point d’entraîner la déconsidération du régime d’immigration et de protection des réfugiés.

 

[29]           Le critère juridique applicable quant à cette question est énoncé dans l’arrêt Blencoe, précité. Tout d’abord, il faut trancher la question de savoir si le retard du ministre à présenter la demande en annulation a directement fait en sorte que la demanderesse a souffert d’un important préjudice psychologique; dans l’affirmative, il faut ensuite établir si le préjudice souffert par la demanderesse en raison du retard a vicié les instances au point d’entraîner la déconsidération de l’organisme administratif ou du tribunal (Blencoe, au paragraphe 115). La Cour suprême du Canada a conclu que le délai doit avoir entraîné un préjudice réel d’une telle importance qu’il heurterait le sens de la décence du public (Blencoe, aux paragraphes 122 et 133).

 

[30]           Il n’y a pas de litige en ce qui a trait à la conclusion de la Commission quant au premier volet du critère; le retard a directement occasionné un préjudice psychologique important à la demanderesse.

 

[31]           La demanderesse soutient que la Commission n’a pas bien appliqué le deuxième volet du critère. Elle prétend qu’on aurait dû mettre l’accent sur le préjudice qu’elle a réellement subi, plutôt que sur le préjudice qu’une personne ordinaire aurait hypothétiquement subi. Je ne souscris pas à sa prétention. Je conclus que la Commission a bien appliqué le deuxième volet du critère. La Commission devait trancher la question de savoir si le préjudice subi par la demanderesse était d’une telle ampleur qu’il entraînerait la déconsidération du régime d’asile, parce que la situation heurterait le sens de la décence du public. Dans sa décision, la Commission a minutieusement examiné la situation de la demanderesse et le préjudice qu’elle avait subi. Cet examen avait été effectué en tenant compte des circonstances particulières et des facteurs contextuels entourant la demande d’asile de la demanderesse et des développements qui ont mené à la présentation de la demande d’annulation. Ces facteurs comprennent notamment la capacité de la demanderesse à donner des instructions au conseil au sujet de la demande d’annulation dont elle fait l’objet, la probabilité que les autres témoins que la demanderesse pourrait appeler à témoigner pour son compte lors de l’audience soient disponibles, y compris ses propres enfants, et le fait que la demanderesse n’était pas aux Fidji lors de la journée où elle prétend que des Fidjiens de souche avaient saccagé leur domicile, qu’ils avaient expulsé de force son époux et ses enfants et qu’ils les avaient menacés de mort et de blessures graves. Ce dernier facteur était l’allégation clé à l’appui de la demande d’asile de la demanderesse. La Commission n’a pas commis une erreur susceptible de contrôle en se penchant sur le préjudice qu’une personne normale pourrait subir dans des circonstances similaires.

 

[32]           Compte tenu de la preuve, il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure que le régime d’immigration et de protection des réfugiés n’avait pas été vicié en raison du préjudice subi par Mme Lata et décrit ci‑dessus. À mon avis, le préjudice subi par la demanderesse n’était pas d’une ampleur telle qu’il entraînerait la déconsidération du régime d’asile parce qu’il heurtait la décence du public. Étant donné le préjudice subi par la demanderesse, les faits de la présente affaire ne répondent pas au seuil très élevé de préjudices nécessaires pour satisfaire au critère.

 

[33]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[34]           Les avocats sont priés de signifier et de déposer leurs observations en ce qui concerne la certification d’une ou de plusieurs questions de portée générale, le cas échéant, dans les dix (10) jours de la réception des présents motifs. Chaque partie disposera de quatre (4) jours supplémentaires pour signifier et déposer toute réponse aux observations présentées par la partie opposée. Après examen de ces observations, une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire et statuant sur la question grave de portée générale, suivant l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, sera rendue.

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 14 avril 2011

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4887-10

                                                           

INTITULÉ :                                      SUREEL LATA

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 15 février 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      Le juge Blanchard

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :           Le 14 avril 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Naomi Minwalla

Vancouver (C.-B.)

Me Robert Janes

Victoria (C.-B.)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Banafsheh Sokhansanj

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Naomi Minwalla Law Corporation

Vancouver (C.-B.)

 

Janes Freemman Kyle Law Corporation

Victoria (C.-B.)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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