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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110412

Dossier : T-1838-09

Référence : 2011 CF 445

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2011

En présence de Monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

 

SUCCESSION DE FEU

SLOMA ROSENBERG

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, d’une décision rendue le 9 octobre 2009 par laquelle l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a refusé d’annuler les pénalités et les intérêts en vertu des dispositions d’allègement pour les contribuables de la Loi sur l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi).

 

 

Contexte factuel

[2]               Le 14 juin 2003, M. Sloma Rosenberg est décédé. Il n’y n’avait aucun testament ni liquidateur de la succession. Un liquidateur pour la succession a été nommé le 3 novembre 2003. Le liquidateur a donné au comptable de M. Rosenberg le mandat de préparer sa dernière déclaration de revenus pour 2003. Or, ce comptable n’a pas fait ce qui lui avait été demandé. Il a été remplacé par Charles Neuhaus.

 

[3]               Des dissensions survenues entre les héritiers de la succession ont mené à des poursuites judiciaires.

 

[4]               Le 21 avril 2004, le liquidateur a informé l’ARC que les déclarations ne seraient pas produites à la date requise, soit le 30 avril 2004. La succession a envoyé un chèque de 50 000 $ à l’ARC afin de réduire ou d’éviter de payer des pénalités.

 

[5]               Le 22 septembre 2004, la succession a produit la déclaration de revenus pour 2003 de feu M. Rosenberg.

 

[6]               Le 12 novembre 2004, le liquidateur a envoyé un autre chèque de 500 000 $ à l’ARC afin de réduire le montant des intérêts qui pourraient avoir été dû par la succession pour l’année d’imposition 2003.

 

[7]               Le 4 août 2005, la succession a déposé une demande de divulgation volontaire de revenus pour les années d’imposition 1998 à 2003 concernant des sommes que le défunt détenait dans un compte bancaire en Europe et que la succession voulait rapatrier au Canada.

 

[8]               En août 2006, Mme Helen Price, vérificatrice de l’ARC, a entrepris la vérification de la succession pour l’année d’imposition 2003. La vérification s’est terminée le 11 décembre 2008.

 

[9]               Le 13 décembre 2006, l’ARC a établi des avis de cotisation pour les années d’imposition se terminant le 14 juin 2004 et le 14 juin 2005. Pour 2004 et 2005, l’ARC a imposé des pénalités s’élevant à 8 249,70 $ et à 10 073,13 $, respectivement, ainsi que des intérêts totalisant 4 782,30 $ et 9 445,64 $, respectivement.

 

[10]           Le 16 juillet 2007, la succession a envoyé une demande visant à annuler les pénalités pour production tardive pour les années d’imposition se terminant le 14 juin 2004 et le 14 juin 2005. Le 30 janvier 2009, l’ARC a envoyé une lettre à la succession dans le but de confirmer que les pénalités avaient été annulées pour les exercices 2004 et 2005.

 

[11]           Le 12 décembre 2008, des avis de nouvelle cotisation ont été établis à l’égard de la succession pour les années d’imposition 1998 à 2003. Des intérêts totalisant 58 289,37 $ ont été ajoutés pour l’année d’imposition 2003.

 

[12]           Le 18 mars 2009, un autre avis de nouvelle cotisation a été établi par l’ARC, dans lequel la pénalité pour production tardive imposée à la succession pour l’année d’imposition 2003 s’est élevée à 47 851,69 $.

 

[13]           Le 7 avril 2009, une demande a été envoyée à l’ARC dans le but d’annuler la pénalité pour production tardive ajoutée par l’avis de nouvelle cotisation daté du 18 mars 2009 concernant l’année d’imposition 2003. Une même demande a été faite dans le but d’annuler les intérêts ajoutés à l’année d’imposition 2006 ainsi que les intérêts et les pénalités pour l’année d’imposition 2007.

 

Décision contestée

[14]           Le 14 juillet 2009, Mme Price a préparé une recommandation de premier niveau pour chacune des trois (3) années d’imposition dans laquelle elle dit que la demande d’allègement fiscal devrait être accueillie en partie en ce qui concerne l’annulation d’une partie des intérêts qui ont été imposés pour l’année d’imposition 2006, mais qu’elle devrait être refusée en ce qui concerne les pénalités pour production tardive pour les années d’imposition 2003 et 2007.

 

[15]           Dans une lettre datée du 21 juillet 2009, l’ARC a confirmé que les intérêts pour la déclaration de revenus de 2006 ont été annulés pour la période allant du 2 décembre 2006 à la date de la lettre. Toutefois, l’ARC a confirmé que la pénalité pour production tardive en ce qui concerne la déclaration de revenus de 2007 ne serait pas annulée parce que la succession n’avait pas démontré que la déclaration avait été produite le 12 septembre 2007 plutôt que le 13 septembre 2007. Une autre lettre a été envoyée le même jour pour confirmer que la pénalité pour production tardive concernant la déclaration de revenus de 2003 ne serait pas annulée.

 

[16]           Dans une lettre datée du 9 septembre 2009, la succession a demandé à ce que la décision rendue le 21 juillet 2009 soit révisée par l’ARC. Dans la même lettre, elle a demandé une copie du rapport sur lequel l’ARC s’est fondé pour refuser la demande de la succession.

 

[17]           Le 17 septembre 2009, M. Frank Antonacci, chef d’équipe de la Division de l’exécution à l’ARC, a entrepris un examen de deuxième niveau de la demande d’allègement fiscal présentée par la succession.

 

[18]           Le 25 septembre 2009, M. Antonacci a appelé la représentante de la succession qui a confirmé que la demande d’examen de deuxième niveau visait la décision rendue par l’ARC de refuser d’annuler la pénalité pour production tardive pour l’année d’imposition 2003.

 

[19]           Le 2 octobre 2009, M. Antonacci a recommandé que l’ARC refuse la demande au motif que la succession n’avait pas démontré l’existence de circonstances l’empêchant de produire la déclaration de revenus de 2003 à la date requise.

 

[20]           Dans une lettre datée du 9 octobre 2009, M. Guy Gohier a répondu à la lettre de la succession datée du 9 septembre 2009. Il a mentionné qu’il n’y avait aucune circonstance exceptionnelle justifiant l’annulation de la pénalité pour production tardive. Par conséquent, il a conclu que les différends survenus entre les héritiers ne constituaient pas une circonstance exceptionnelle empêchant la production de la déclaration de revenus à la date requise.

 

Dispositions pertinentes

[21]           Le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu est libellé comme suit :

PARTIE XV

 

APPLICATION ET EXÉCUTION

 

APPLICATION

 

Renonciation aux pénalités et aux intérêts

 

220 (3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

PART XV

 

ADMINISTRATION AND ENFORCEMENT

 

ADMINISTRATION

 

Waiver of penalty or interest

 

 

220 (3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

Questions en litige

[22]           Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les questions en litige sont les suivantes :

A)           L’ARC a-t-elle manqué aux principes de justice naturelle en rendant la décision datée du 9 octobre 2009 sans donner l’occasion à la succession de répondre et de donner davantage d’explications quant aux raisons ayant motivé son refus d’annuler les pénalités et les intérêts?

 

B)           L’ARC a-t-elle commis une erreur en interprétant mal la portée de son pouvoir discrétionnaire aux termes du paragraphe 220(3.1) de la Loi?

 

C)          La décision rendue par l’ARC était-elle raisonnable?

 

Norme de contrôle

[23]           La Cour s’entend avec les deux parties pour dire que la norme de contrôle qui s’applique à l’égard de la décision de l’ARC est celle de la décision raisonnable. En effet, la Cour a reconnu que « [l]a norme de la décision déraisonnable est la norme de contrôle qui s’applique normalement à l’exercice du pouvoir discrétionnaire » (Telfer c. Canada (Agence du revenu), 2009 CAF 23, par. 24) (Fleet c. Canada (Procureur général), 2010 CF 609, [2010] A.C.F. no 746, par. 17).

L’exercice d’un pouvoir ministériel discrétionnaire commande donc un degré élevé de déférence.

 

[24]           Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, par. 47, la Cour suprême s’est exprimée comme suit :

[…] Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[25]           S’agissant de questions touchant à l’équité procédurale, la Cour a bien établi que ces questions doivent être tranchées selon la norme de la décision correcte (893134 Ontario Inc. (f.a.s. Mega Distributors) c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2008 CF 715, [2008] A.C.F. no 897, par. 13).

 

Analyse

1.            L’ARC a-t-elle manqué aux principes de justice naturelle en rendant la décision datée du 9 octobre 2009, sans donner l’occasion à la succession de répondre et de donner davantage d’explications quant aux raisons ayant motivé son refus d’annuler les pénalités et les intérêts?

 

[26]           La demanderesse soutient qu’il a été privé de l’application des principes de justice naturelle parce qu’il n’a pas eu l’occasion de présenter d’autres observations à l’ARC avant la décision rendue à la suite de l’examen de deuxième niveau. La demanderesse souligne que dans sa lettre datée du 9 septembre 2009, la représentante de la succession, Mme Nathalie Elharrar, a demandé que sa demande soit portée au deuxième échelon de la procédure d’examen en matière d’équité et a également demandé que l’ARC lui fournisse le rapport duquel découlait le premier refus. La demanderesse affirme que l’ARC ne lui a jamais remis le rapport et qu’elle n’a donc pas eu l’occasion de se faire entendre et de donner ses arguments contre la première décision.

 

[27]           Toutefois, selon la Cour, la décision a été suffisamment motivée pour permettre à la demanderesse de répondre au moyen d’arguments pertinents au moment où elle a demandé que la décision fasse l’objet d’un examen de deuxième niveau. De plus, le raisonnement fourni par M. Oliverio dans sa lettre datée du 21 juillet 2009 reflète la recommandation de premier niveau formulée par Mme Price dans le document d’information sur l’allègement pour les contribuables daté du 9 avril 2009. Dans son raisonnement, M. Oliverio s’est exprimé comme suit :

 

Nous avons pris en compte les commentaires que vous avez formulés concernant la production tardive de votre déclaration. De plus, nous avons examiné attentivement les faits de l’affaire et votre observation relative à la législation applicable. À notre avis, la complexité de la succession et les procédures judiciaires entreprises ne devraient pas raisonnablement avoir empêché la production de la déclaration de revenus de 2003 à la date requise malgré le fait que nous reconnaissons que le montant calculé pour les impôts payables semble n’avoir été qu’une estimation. Selon nous, le fait qu’une entente ait été conclue entre l’Agence quant à la détermination de la juste valeur de marché des actifs au décès justifierait l’annulation des pénalités.

[Dossier de la demanderesse, onglet 7, p. 37]

 

[28]           La recommandation de premier niveau de Mme Price est la suivante :

Nous reconnaissons que la complexité du dossier a rendu très difficile la tâche de déterminer les impôts payables dans la dernière déclaration de revenus du défunt. Par conséquent, nous acceptons que les impôts soient payés en retard. […] Le Guide général d’impôt et de prestations de 2003 recommande la production de la déclaration même si les impôts ne peuvent être payés immédiatement afin d’éviter les pénalités. Dans ce document, il est également recommandé que les contribuables produisent la déclaration de revenus même s’ils leur manquent des feuillets d’information. […]

[Dossier du défendeur, p 5]

 

[29]           Contrairement aux arguments de la demanderesse, la Cour estime qu’il n’existe aucun élément nouveau mentionné par M. Oliverio qui pourrait causer préjudice à la demanderesse. Bien que la demanderesse n’ait pas reçu de copie du rapport, le raisonnement à l’appui de la décision de M. Oliverio se reflétait dans la recommandation. Pour ces raisons, la Cour conclut que bien qu’il aurait été plus approprié pour l’ARC de fournir une copie du rapport au moment où la demande a été formulée le 9 septembre 2009, le défaut d’assurer un suivi et de fournir le rapport à la demanderesse ne peut être considéré comme un élément important ayant une incidence sur l’issue de cette affaire en particulier. La Cour ne peut donc pas conclure que, dans ces circonstances, il y a eu manquement aux principes de justice naturelle.

 

B)     L’ARC a-t-elle commis une erreur en interprétant mal la portée de son pouvoir discrétionnaire aux termes du paragraphe 220(3.1) de la Loi?

 

 

[30]           La demanderesse soutient que la décision de l’ARC est déraisonnable parce qu’elle ne tient pas compte adéquatement de la portée du pouvoir discrétionnaire. La demanderesse fait valoir que l’ARC devrait suivre les lignes directrices d’allègement pour les contribuables (Partie II), Circulaire d’information IC07-1 (lignes directrices) lorsqu’il s’agit de déterminer si un demandeur devrait pouvoir bénéficier de la renonciation prévue au paragraphe 220(3.1).

 

[31]           Voici le libellé de ces lignes directrices:

Partie II

Situations dans lesquelles un allègement des pénalités et des intérêts peut être justifié

23. Le ministre peut accorder un allègement de l’application des pénalités et des intérêts lorsque les situations suivantes sont présentes et qu’elles justifient l’incapacité du contribuable à s’acquitter de l’obligation ou de l’exigence fiscale en cause :

a) circonstances exceptionnelles;
b) actions de l’ARC;
c) incapacité de payer ou difficultés financières.

24. Le ministre peut également accorder un allègement même si la situation du contribuable ne se trouve pas parmi les situations mentionnées au paragraphe 23.

Circonstances exceptionnelles

25. Les pénalités et les intérêts peuvent faire l’objet d’une renonciation ou d’une annulation, en tout ou en partie, lorsqu’ils découlent de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable. Les circonstances exceptionnelles qui peuvent avoir empêché un contribuable d’effectuer un paiement lorsqu’il était dû, de produire une déclaration à temps ou de s’acquitter de toute autre obligation que lui impose la Loi sont les suivantes, sans être exhaustives :

a) une catastrophe naturelle ou causée par l’homme, telle qu’une inondation ou un incendie;
b) des troubles publics ou l’interruption de services, tels qu’une grève des postes;
c) une maladie grave ou un accident grave;
d) des troubles émotifs sévères ou une souffrance morale grave, tels qu’un décès dans la famille immédiate.

 

[…]

 

Facteurs utilisés pour arriver à la décision

33. Lorsque des circonstances indépendantes de la volonté du contribuable, des actions de l’ARC, ou l’incapacité de payer ou les difficultés financières ont empêché le contribuable de respecter la Loi, les facteurs suivants seront considérés pour déterminer si l’ARC annulera ou renoncera aux pénalités et aux intérêts, ou non :

a) le contribuable a respecté, par le passé, ses obligations fiscales;
b) le contribuable a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés;
c) le contribuable a fait des efforts raisonnables et n’a pas été négligent dans la conduite de ses affaires en vertu du régime d’autocotisation;
d) le contribuable a agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission.

 

[32]           La demanderesse affirme que l’ARC a commis une erreur lorsqu’elle a examiné si les circonstances exceptionnelles relevaient de l’un des quatre exemples figurant au paragraphe 25 des lignes directrices, mais n’a pas tenu compte de l’applicabilité du paragraphe 24. La demanderesse semble suggérer que l’ARC avait l’obligation de prendre en compte le paragraphe 25 et d’accorder l’allègement demandé sur ce fondement. Toutefois, le libellé du paragraphe 24 des lignes directrices confirme qu’un large pouvoir discrétionnaire est accordé au décideur : « Le ministre peut également accorder un allègement même si la situation du contribuable ne se trouve pas parmi les situations mentionnées au paragraphe 23 ». [Je souligne.]

 

[33]           La demanderesse a cité la décision Nixon c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2008 CF 917, [2008] A.C.F. no 1146, pour étayer son argument. Or, et contrairement à Nixon, rien n’indique en l’espèce que cette exception a été prise en compte dans une autre partie des lignes directrices.

 

[34]           De plus, il n’y a aucune indication précise permettant de dire que M. Antonacci n’a pas envisagé d’exercer le pouvoir discrétionnaire résiduel qui lui était accordé en vertu du paragraphe 24 des lignes directrices. Monsieur Antonacci a clairement tenu compte des raisons données par la demanderesse pour justifier le fait qu’elle a produit la dernière déclaration de revenus en retard. Le fait qu’il a choisi de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire d’annuler la pénalité pour production tardive n’équivaut pas au défaut d’avoir exercé adéquatement ce pouvoir discrétionnaire.

 

[35]           Il n’est pas non plus clair si M. Antonacci a entravé son pouvoir discrétionnaire en exigeant que les circonstances exceptionnelles de la demanderesse relèvent de l’un des quatre exemples figurant au paragraphe 25 des lignes directrices. Monsieur Antonacci a simplement conclu (i) que la demanderesse n’a pas produit de preuve justifiant d’écarter les conclusions du rapport préparé par Mme Price, (ii) que la demande initiale d’allègement mentionnait des circonstances particulières attribuables à un conflit entre les héritiers et (iii) que ces circonstances ne constituaient pas des circonstances exceptionnelles empêchant la demanderesse de respecter la Loi. Enfin, le formulaire intitulé Rapport de décision d’allègement pour les contribuables indique que le paragraphe 33 des lignes directrices (Facteurs utilisés pour arriver à la décision) a effectivement été pris en compte dans le processus décisionnel (dossier du défendeur, p. 46).

 

[36]           À cet égard, et en l’absence d’une erreur manifeste, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

C)     La décision rendue par l’ARC était-elle raisonnable?

 

[37]           La demanderesse affirme également que l’ARC n’a pas tenu compte d’un fait important qui a entraîné des conclusions erronées. Plus particulièrement, la demanderesse fait valoir que l’ARC a commis une erreur en concluant que la demanderesse n’a pas fait des efforts raisonnables, qu’elle a fait preuve de négligence ou d’imprudence dans la conduite de ses affaires et qu’elle n’a pas agi avec diligence pour remédier à tout retard. La demanderesse prétend que, en tirant une telle conclusion, l’ARC n’a pas tenu compte des faits suivants :

a)      le contribuable est la succession, et non M. Rosenberg, et les déclarations tardives pour 2000 et 2001 n’étaient pas sous le contrôle du liquidateur de la succession;

b)      le liquidateur a engagé un comptable sans délai, le comptable n’a pas produit la déclaration de revenus, et un nouveau comptable a été nommé dès que possible;

c)      la déclaration a été produite dès qu’elle a été terminée malgré le manque d’information concernant les actifs;

d)      le liquidateur a envoyé des chèques totalisant 550 000 $ pour payer les impôts et éviter les pénalités;

e)      le conflit entre les héritiers échappait au contrôle de la demanderesse;

f)        la vérification a duré 2 ans et 3 mois et la demanderesse a fait de son mieux pour arriver à un règlement avec l’ARC afin de clore le dossier et de trancher certaines questions.

 

[38]           La demanderesse soutient qu’en omettant de tenir compte de ces faits, l’ARC a agi de mauvaise foi.

 

[39]           La demanderesse fait également valoir que l’ARC n’a pas adéquatement examiné d’autres faits en déterminant si les circonstances de la demanderesse étaient des circonstances exceptionnelles échappant à son contrôle, par exemple :

a)      M. Rosenberg a souffert de longue maladie et, par conséquent, toutes ses affaires étaient extrêmement désorganisées;

b)      Il n’y avait pas de testament et aucun liquidateur n’avait été nommé pour la succession, bien qu’un liquidateur ait été nommé le plus rapidement possible;

c)      Des efforts ont été déployés pour estimer les impôts payables;

d)      La déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2003 a été produite dès que les représentants de la succession ont reçu tous les renseignements concernant les actifs et les revenus;

e)      Dans le cadre de ses recherches et de l’examen concernant les actifs de M. Rosenberg, la demanderesse a déposé une demande de divulgation volontaire auprès de l’ARC afin de s’assurer que tous les revenus seraient adéquatement déclarés;

f)        La représentante de la succession et les représentants de l’ARC sont arrivés à une entente concernant les diverses questions liées à l’évaluation.

 

[40]           Compte tenu de l’ensemble de cette preuve, la demanderesse soutient que la décision de l’ARC était déraisonnable.

 

[41]           La Cour ne peut souscrire à la position de la demanderesse pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les observations initiales formulées par la demanderesse au soutien de sa demande d’annulation de la pénalité étaient limitées. La demanderesse a soulevé les faits suivants :

a)      il y avait un conflit entre les héritiers;

b)      la succession était en voie de procéder à une divulgation volontaire;

c)      une vérification, qui a duré 2 ans et 3 mois, a été entreprise et a mené à une entente entre l’ARC et la succession concernant les différentes questions liées à l’évaluation.

 

[42]           De plus, il n’est pas contesté que la demanderesse n’a fait aucune nouvelle observation avant l’examen de deuxième niveau de la décision de ne pas annuler la pénalité. Par conséquent, il s’agit des seuls faits qui ont été adéquatement soumis à l’appréciation du décideur. On ne peut s’attendre à ce que l’ARC examine des faits qui n’ont pas été portés à son attention pour expliquer la production tardive de la déclaration ou comme preuve de diligence raisonnable – p. ex. la maladie de M. Rosenberg, les problèmes occasionnés par le comptable et l’envoi de 550 000 $.

 

[43]           De plus, la Cour souscrit à l’observation du défendeur portant que les arguments soulevés par la demanderesse dans ses observations concernant le processus de divulgation volontaire et la longue vérification n’étaient pas pertinents aux fins de la question de la production de la déclaration de revenus et que l’ARC n’a pas commis d’erreur en n’en tenant pas compte précisément. Le processus de divulgation volontaire n’a commencé qu’en août 2005 et la succession avait déjà décidé à ce moment de ne pas divulguer, dans sa dernière déclaration de revenus, les sommes détenues par M. Rosenberg dans une banque européenne. De plus, la vérification a commencé à la suite de la production de la dernière déclaration de revenus et ne peut être considérée comme un facteur ayant contribué au retard de production de la déclaration.

 

[44]           On a souligné que lorsque la dernière déclaration de revenus a enfin été produite, elle ne reflétait toujours pas la disposition des actifs parce que la demanderesse ne connaissait toujours pas le partage des actifs entre les bénéficiaires. La déclaration qui a été produite était accompagnée d’une lettre attestant ce fait :

 

« les déclarations de revenus du défunt ne reflètent pas la disposition d’aucun des actifs qu’il détenait à son décès étant donné qu’il y a actuellement une contestation devant les tribunaux concernant la succession et que le partage des actifs entre les bénéficiaires (y compris l’épouse du défunt) est incertain. Une déclaration de revenus modifiée sera déposée lorsque la présente affaire sera tranchée. »

(Dossier du défendeur, p. 20)

 

[45]           Ceci démontre clairement que la demanderesse était toujours en mesure de produire sa déclaration de revenus à la date requise même si elle et l’ARC ne s’étaient pas encore entendues au sujet des questions liées à l’évaluation. Il n’y a aucune preuve au dossier démontrant que la demanderesse a été empêchée de produire sa déclaration de revenus en avril 2004 plutôt qu’en septembre 2004. Ceci pourrait avoir eu une incidence sur la capacité de la demanderesse à déterminer le montant exact des impôts payables, mais sans l’empêcher de produire la déclaration à la date requise. Il n’y a eu aucune raison donnée à l’ARC ni à la Cour expliquant que la déclaration ne pouvait être produite le 30 avril 2004 avec une lettre similaire expliquant l’absence de renseignements concernant la disposition des actifs.

 

[46]           La demanderesse n’a pas non plus expliqué comment ces circonstances l’ont empêchée de produire sa dernière déclaration de revenus à la date requise, sauf pour une phrase qui mentionne que le conflit entre les héritiers et le processus de divulgation volontaire [traduction] « font en sorte qu’il est extrêmement difficile d’estimer le montant des impôts ». Comme il a été dit précédemment, le comptable était en mesure d’estimer le montant des impôts au moment où la dernière déclaration de revenus a été produite en septembre 2004. Dans l’ensemble, la demanderesse n’a présenté aucune preuve démontrant pourquoi la dernière déclaration de revenus pouvait être produite en septembre 2004, mais qu’elle ne pouvait pas l’être en avril 2004, dans les mêmes circonstances.

 

[47]           S’agissant des questions liées aux comptables, la Cour estime que incombait à la demanderesse de s’assurer avec diligence que le comptable s’acquittait de ses fonctions en produisant la déclaration de revenus. Au paragraphe 29 de l’arrêt Fleet, le juge Crampton a affirmé que le contribuable est directement responsable des agissements de la personne qu’il a désignée pour administrer ses affaires financières, et qu’il lui appartient de s’informer des règles applicables à la production des déclarations. La Cour souscrit aux observations du juge Crampton :

Il me semble que la raison pour laquelle M. Fleet n’a pas pris ces mesures est du moins en partie attribuable au fait qu’il s’est fié à ses conseillers et qu’il a malheureusement été victime de leurs erreurs ou de leurs omissions. Toutefois, le droit est bien établi : le contribuable est « directement responsable des agissements de la personne qu’il a désignée pour administrer ses affaires financières » (Babin c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CF 972, paragraphe 19; Northview Apartments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 74, paragraphes 8 et 11; PPSC Enterprises Ltd. c. Ministre du Revenu national, 2007 CF 784, paragraphe 23; et Succession Jones c. Canada (Procureur général), 2009 CF 646, paragraphe 59), et qu’il « leur appartient de s’informer des règles applicables à la production des déclarations » (Sandler c. Procureur général du Canada, 2010 CF 459, paragraphe 12).

 

[48]           Dans la présente affaire, il n’y a aucune preuve indiquant le moment où la demanderesse s’est rendu compte que le premier comptable n’avait pas exercé son obligation consistant à produire la dernière déclaration de revenus. Au contraire, l’affidavit de Mme Nathalie Elharrar, la représentante de la succession – plus particulièrement aux paragraphes 14 et 15 – n’est pas convaincant à cet égard.

 

[49]           S’agissant de l’appréciation par l’ARC du non-respect antérieur des obligations fiscales, la seule explication donnée par la demanderesse à cet égard est que l’ARC n’aurait pas dû tenir compte de la production tardive de ces déclarations parce que le contribuable en l’espèce est la succession et non M. Rosenberg lui-même. Le défendeur soutient qu’une telle interprétation rendrait le paragraphe 33 des lignes directrices inapplicable dans presque tous les cas mettant en cause un contribuable décédé. La Cour souscrit à l’observation du défendeur.

 

[50]           En conclusion, la Cour réitère le degré de discrétion accordée au ministre du Revenu national et à ses représentants pour décider quand une pénalité pour production tardive devrait être annulée. En l’absence d’une erreur importante dans l’analyse qu’a faite l’ARC de la preuve de la demanderesse, la Cour n’interviendra pas. En l’espèce et pour les motifs susmentionnés, la décision de l’ARC appartenait aux issues possibles acceptables (Dunsmuir) et l’ARC n’a pas manqué aux principes de justice naturelle en traitant le dossier de la demanderesse. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              T-1838-09

 

INTITULÉ :                                             SUCCESSION DE FEU SLOMA ROSENBERG c.

                                                                  MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     Le 16 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                  LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                            Le 12 avril 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Caroline Desrosiers

Antonin Roy

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Louis Sébastien

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Spiegel Sohmer Inc.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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