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Date : 20110419

Dossier : IMM-4341-10

Référence : 2011 CF 477

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 avril 2011

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

FREDIS ANGEL GARCIA VASQUEZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), présentée par Fredis Angel Garcia Vasquez (le demandeur) en vertu du par. 72 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 ch. 27 (la Loi). La Commission a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger au titre des art. 96 et 97 de la Loi.  

 

I.                   Faits

 

[2]               Le demandeur est un citoyen du Salvador, né le 14 juillet 1980. Vers l’an 2000, certains de ses camarades de classe se sont joints à la bande Mara Salvatrucha (MS 13). Le demandeur a refusé de s’y joindre.

 

[3]               Le 4 mars 2000, pour éviter la MS 13, le demandeur s’est engagé dans les forces armées du Salvador, pour une période de 18 mois, dans la troisième brigade, dans la province de San Miguel. À la fin de son contrat, il a quitté les forces armées et il a travaillé comme gardien de sécurité pour l’entreprise Serconce. La MS 13 a continué d’essayer de le recruter.  

 

[4]               En octobre 2004, le gouvernement du Salvador a adopté une loi « antimaras », en vertu de laquelle le service de police national s’est joint aux militaires pour former une force opérationnelle mixte chargée de lutter contre les bandes MS 13 et MS 18. Dans le cadre de cette initiative, le demandeur s’est à nouveau joint aux forces armées, dans la sixième brigade de l’infanterie du département d’Usulután aux termes d’un contrat d’un an. Il a reçu une formation spéciale et il avait pour mandat de confisquer les armes à feu et de capturer les membres.

 

[5]               En novembre 2004, pendant qu’il était en congé, le demandeur a été abordé par trois membres bien connus : El Buda, La Pantera et El Singo. Le demandeur a été agressé physiquement et il aurait été tué si personne n’était intervenu. Il a affirmé que les membres lui ont dit l’avoir attaqué pour avoir emprisonné d’autres membres de leur bande.  

 

[6]               En 2005, le demandeur a démissionné et est allé à San Salvador. Alors qu’il se trouvait là, il a encore une fois été reconnu par des membres de la bande qui lui ont dit avoir reçu l’ordre de le tuer. Le demandeur a quitté le Salvador le 13 janvier 2006 et il est passé par le Guatemala et le Mexique pour arriver aux États-Unis, où il est resté illégalement pendant deux ans et demi. Une ordonnance d’expulsion a été prononcée contre lui; il est donc venu au Canada le 12 septembre 2008 et il a demandé l’asile le 15 septembre 2008.

 

[7]               L’audience du demandeur devant la Commission a eu lieu le 13 mai 2010. La décision a été rendue le 4 juin 2010 et reçue par le demandeur le 13 juillet 2010.

 

II.        La décision faisant l’objet du contrôle

 

[8]               L’identité et la crédibilité du demandeur n’ont pas été remises en question.

 

[9]               En ce qui concerne l’art. 96, la Commission a d’abord fait remarquer que la Cour fédérale a maintenu que les victimes du crime, de la corruption et de vengeances ne réussissent généralement pas à établir un lien entre leur crainte de persécution et un motif prévu dans la Convention. La Commission a souligné l’argument de l’avocat du demandeur à l’audience selon lequel le lien découlait de l’appartenance du demandeur aux forces armées, plus précisément à la force opérationnelle antigang, qui doit collaborer avec la police pour arrêter les membres de la MS 13 et de la MS 18. La Commission a tiré un passage de l’arrêt Ward c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 739, où le juge La Forest a identifié trois catégories de groupe social :

 

70   Le sens donné à l’expression « groupe social » dans la Loi devrait tenir compte des thèmes sous-jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l’initiative internationale de protection des réfugiés. Les critères proposés dans Mayers, Cheung et Matter of Acosta, précités, permettent d’établir une bonne règle pratique en vue d’atteindre ce résultat. Trois catégories possibles sont identifiées :

 

(1) les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;

 

(2) les groupes dont les membres s’associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu’ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et

 

(3) les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.

 

La première catégorie comprendrait les personnes qui craignent d’être persécutées pour des motifs comme le sexe, les antécédents linguistiques et l’orientation sexuelle, alors que la deuxième comprendrait, par exemple, les défenseurs des droits de la personne. La troisième catégorie est incluse davantage à cause d’intentions historiques, quoiqu’elle se rattache également aux influences antidiscriminatoires, en ce sens que le passé d’une personne constitue une partie immuable de sa vie.  

 

 

[10]           La Commission a souligné que le demandeur s’est joint aux forces armées dans le but d'échapper à l’emprise de la MS 13, mais a conclu que, comme il s’est engagé pour de très courtes périodes et qu’il pouvait quitter à la fin de ses contrats, il n’a pas établi qu’il appartenait à un groupe social particulier visé par le motif prévu par la Convention. La Commission a conclu que le demandeur était une victime du crime, mais que cela ne permettait pas d’établir un lien avec un motif prévu à l’art. 96.

 

[11]           En ce qui concerne l’art. 97, la Commission a accepté le témoignage et la preuve documentaire du demandeur démontrant la violence répandue au Salvador de la part de la MS 13. La Commission a fait remarquer que la MS 13 est le plus grand réseau criminel des Amériques, et l’un des plus prolifiques dans le monde. Elle a aussi accepté le fait que si une recrue ne veut pas se joindre aux Maras du Salvador, sa famille et ses amis sont tous en danger, car les Maras n’hésitent pas à éliminer ceux qui les défient. Cependant, la Commission a aussi conclu que les risques que court le demandeur étaient généralisés, et par conséquent, étaient visés par l’exception énoncée au s.-al. 97(1)b)(ii). La Commission a renvoyé au Cartable national de documentation qui indiquait que la MS constituait une menace importante à la sécurité publique du Salvador, et que le risque d’être une victime de violence ou de crime de la part de groupes organisés est généralement un risque auquel sont exposés tous les citoyens et les résidents du Salvador.  

 

[12]           La Commission a souligné que le demandeur avait refusé de se joindre à la MS 13 et a conclu que les menaces et attaques dirigées contre lui ont pris des proportions inquiétantes après qu’il eut décidé de ne pas se joindre à la bande. La Commission a accepté le fait qu’il y a eu plus de représailles parce que le demandeur s’est engagé dans les forces armées et a lutté contre les bandes, mais a conclu que les menaces et attaques faites contre lui étaient liées aux premières fois que la bande a tenté de le recruter. La Commission a conclu que le demandeur ne pouvait pas personnaliser son risque au-delà de l’appartenance au sous-groupe des jeunes hommes qui sont recrutés pour faire partie de la bande. La Commission a souligné que dans Perez c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 345, où les faits étaient à peu près semblables, la Cour a confirmé la conclusion de la Commission selon laquelle le recrutement de jeunes hommes par la MS au Honduras constituait un risque généralisé même où il y avait eu des tentatives répétées accompagnées de menaces et de violence.  

 

III.             Dispositions législatives pertinentes

 

Voici les dispositions pertinentes de la Loi :

Définition de « réfugié »

 

Convention refugee

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if:

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

IV.             Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

 

 

[13]           La présente demande soulève les questions suivantes :

 

a.  La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’appartenait pas à un groupe social en vertu de l’art. 96?

b.  La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur est exposé à un risque généralisé en vertu de l’art. 97?

c.  La Commission a-t-elle ignoré, mal interprété ou mal compris des éléments de preuve solides et importants?

 

 

[14]           La norme applicable est celle de la raisonnabilité puisque les questions soulevées par la demande sont des questions mixtes de fait et de droit. Le rôle de la Cour ne consiste pas à réévaluer la preuve ou à substituer son propre avis, mais à s’assurer que la décision de la Commission respecte les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité et qu’elle appartient aux « issues possibles et acceptables » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47, 53; Gabriel c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 1170, par. 10; Khosa c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CSC 12, par. 59, 61-62). 

 

V.        Analyse

 

a) La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’appartenait pas à un groupe social en vertu de l’art. 96?

 

[15]           Le demandeur cite une bonne partie de l’arrêt Ward de la Cour suprême du Canada et prétend que sa situation le place dans la troisième catégorie énumérée par le juge La Forest (citée dans la décision de la Commission), à savoir « les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique ». Le demandeur souligne l’explication du juge La Forest selon laquelle cette catégorie est « incluse davantage à cause d’intentions historiques, quoiqu’elle se rattache également aux influences antidiscriminatoires, en ce sens que le passé d’une personne constitue une partie immuable de sa vie ».

 

[16]           Le demandeur soutient que la Commission ne s’est pas demandé si l’ancienne appartenance du demandeur aux forces armées tombait dans cette troisième catégorie de groupe social, en ce sens que le demandeur ne peut pas modifier la « permanence historique » de son ancienne appartenance aux forces armées.

 

Les observations du défendeur

 

[17]           Le défendeur prétend que la Commission a raisonnablement conclu qu’un engagement temporaire et de courte durée dans l’armée n’établissait pas que le demandeur était membre d’un groupe social. Il souligne que la Commission a expressément conclu que le demandeur n’était pas membre du groupe social des forces armées parce qu’il s’est engagé pour de très courtes périodes et qu’il pouvait quitter à la fin de ses contrats.

 

[18]           Le défendeur affirme que la Commission a expressément examiné la troisième catégorie de groupe social énoncée dans Ward, mais a conclu que le statut du demandeur comme ancien participant dans les forces armées n’avait aucune permanence historique. Selon le défendeur, s’il n’y a aucune permanence, il n’y a aucune appartenance au groupe social aux fins de l’art. 96. Il a été jugé que le demandeur n’était pas un membre des forces armées en ce sens.  

 

[19]           Dans Ward, précité, la cour a défini les trois catégories possibles de personnes pouvant être décrites comme des membres d’un « groupe social » aux fins de l’art. 96 et qui, par conséquent, sont considérées comme des réfugiés au sens de la Convention et ont droit à l’asile. Cette appartenance établirait le lien nécessaire entre la crainte de persécution et les motifs sur lesquels la crainte est fondée (voir par exemple Xie c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CAF 250, par. 5; Lai c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CAF 125, par. 84, 93).

 

[20]           La Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que le demandeur n’était pas un membre d’un groupe social pour l’application de l’art. 96. Comme le service militaire du demandeur a été de courte durée et de nature contractuelle, la conclusion de la Commission appartenait aux « issues possibles et acceptables ». Selon la jurisprudence de notre Cour, un emploi temporaire n’atteint pas le niveau d’association sociale digne de protection de la Convention. Dans Chekhovskiy c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 970, par. 23, le juge de Montigny affirme ce qui suit :

[23]  Le demandeur a aussi essayé d’accorder beaucoup d’importance au fait que la SPR a accepté qu’il, en tant que membre du groupe formé d’entrepreneurs en construction, faisait partie d’un groupe associé par un ancien statut volontaire, immuable en raison de sa permanence historique. À cet égard, je veux souligner deux points. D’abord, la SPR n’était pas catégorique; elle n’a fait qu’indiquer que [traduction] « quelqu’un pourrait ne pas être d’accord » à ce propos. Mais, fait encore plus important, il me semble qu’on banaliserait la notion de « groupe social » si on devait considérer ces groupes professionnels comme étant liés à ce concept. Ce serait incompatible avec les origines historiques de cette notion, incompatible avec l’analyse fondée sur les motifs analogues élaborée dans le contexte du droit en matière de lutte contre la discrimination et peu favorable à la réalisable de l’objet de la protection des réfugiés au sens de la Convention.

 

 

[21]           Dans le même ordre d’idées, le juge Phelan a déclaré ce qui suit dans Martinez c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 502 :

 

[9] La Commission a correctement interprété l’article 96. Les problèmes du demandeur n’ont pas été causés par son statut, mais par ses actes. Comme le prévoit Canada (Procureur général) c. Ward, 1993 CanLII 105 (C.S.C.), [1993] 2 R.C.S. 689, les groupes, au sens où ce terme est employé à l’article 96, sont déterminés en fonction des principes de base sous-jacents à la Convention relative au statut des réfugiés (par exemple, la non-discrimination).

 

 

[22]           Ces décisions viennent renforcer le point de vue exprimé par le juge La Forest dans Ward, au par. 67, citant le Board of Immigration Appeals américain, Matter of Acosta, décision provisoire 2986, 1985 WL 56042 (B.I.A.) (banque de données FIM-81A), p. 37‑39 :

 

[…] nous interprétons l'expression « persécutée du fait de son appartenance à un groupe social » comme désignant la persécution dont est victime l'individu qui est membre d'un groupe de personnes ayant toutes une caractéristique commune immuable. […] quelle que soit la caractéristique commune qui définit le groupe, il doit s'agir d'une caractéristique que les membres du groupe ne peuvent changer ou ne devraient pas être requis de changer, parce qu'elle est essentielle à leur identité ou à leur conscience individuelle.

                                                                                     

 

Le juge La Forest souligne au par. 67 que « [c]ette définition exclut les [traduction] « groupes définis par une caractéristique changeable ou dont il est possible de se dissocier, dans la mesure où aucun de ces choix n'exige la renonciation aux droits fondamentaux de la personne ».

 

Il était donc raisonnable pour la Commission de conclure que l’appartenance temporaire du demandeur aux forces armées n’atteignait pas le niveau d’une « caractéristique immuable » qui serait analogue à un motif antidiscriminatoire, et par conséquent, que le demandeur ne faisait pas partie d’un « groupe social » qui permettrait d’établir un lien avec un motif prévu dans la Convention.     

 

b) La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur est exposé à un risque généralisé en vertu de l’art. 97?

 

[23]           Selon le demandeur, lorsque la Commission a conclu qu’il était seulement exposé à un risque généralisé parce qu’il faisait partie du sous-groupe composé de jeunes hommes qui sont recrutés pour devenir membres de la bande, elle n’a pas tenu compte du risque élevé auquel était exposé le demandeur en tant que membre de la force opérationnelle mixte chargée de lutter contre la MS 13 et la MS 18, en tant qu’ancien participant des forces armées et en tant que personne qui a été menacée dans le passé.   

 

[24]           Le demandeur souligne que la Cour d’appel fédérale a refusé de répondre à la question certifiée dans Prophète c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration qui consistait à savoir si la restriction prévue à l’alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR s’applique à un sous-groupe de personnes exposées à un risque nettement plus élevé d’être victimes de tels actes criminels dans un pays exposé à un risque généralisé. Le demandeur souligne que la cour a refusé de répondre à cette question dans un vide factuel et a indiqué qu’elle ne pouvait pas simplement conclure dans cette affaire que tous les citoyens étaient généralement exposés au risque à Haïti, sans évaluer les circonstances précises de l’affaire.

 

[25]           En l’espèce, le demandeur affirme que la Commission n’a pas examiné la question de savoir s’il risquait davantage d’être ciblé dans le futur parce qu’il l’avait été dans le passé, et il conteste le fait que la Commission a restreint son analyse aux jeunes hommes qui couraient le risque d’être recrutés même après avoir souligné la participation militaire du demandeur.

 

[26]           Le défendeur répond que la Commission a examiné la façon dont la MS 13 recrute les membres et a souligné les conséquences du refus de se joindre à la bande, mais a conclu que le demandeur ne pouvait pas personnaliser le risque auquel il était exposé au-delà de l’appartenance au sous-groupe des jeunes hommes qui sont recrutés par les Maras. Le défendeur fait remarquer que le demandeur ne conteste pas les conclusions de la Commission fondées sur la preuve documentaire, mais affirme que la Commission n’a pas évalué les circonstances précises de l’affaire du demandeur. Le défendeur prétend que la Commission a examiné ces circonstances, mais a simplement estimé qu’elles s’inscrivaient dans le contexte d’un risque généralisé. La Commission a reconnu les menaces et les attaques dont le demandeur a été victime, mais a conclu qu’elles découlaient de son refus initial de se joindre à la bande et que le risque auquel il était exposé n’était pas suffisamment personnalisé.  

 

[27]           Le défendeur prétend que le fait que le recrutement soit personnel ne signifie pas que le risque est personnalisé, selon Perez c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 345, aux par. 36 et 39.

 

[28]           Le défendeur prétend que la Commission n’a pas omis de tenir compte de la participation du demandeur dans la force opérationnelle antigang mixte et souligne que la Commission a fait observer que le demandeur [traduction] « était exposé à d’autres représailles » à cet égard, mais qu’elle a conclu que le risque découlait des tentatives infructueuses de la bande pour le recruter et non de son engagement dans les forces armées. Le défendeur soutient que l’argument du demandeur selon lequel la Commission a limité son analyse au risque auquel étaient exposés les jeunes hommes et a ignoré les conséquences de la participation militaire du demandeur est illogique, car le demandeur admet lui-même dans son mémoire que la Commission a expressément mentionné sa participation militaire. Le défendeur prétend que le demandeur essaie simplement de faire en sorte que la Cour substitue sa propre opinion à celle de la Commission.  

 

[29]           Dans Prophète c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CAF 31, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’une personne à protéger est une personne pour laquelle le retour dans son pays d’origine l’exposerait personnellement à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont pas généralement (par. 3). La Cour a conclu ce qui suit :

 

6   Contrairement à l’article 96, l’article 97 de la Loi vise à accorder une protection sans obliger l’intéressé à « établir qu’il [est exposé à un risque] pour l’un des motifs énumérés à l’article 96 » (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, [2005] 3 R.C.F. 239, au paragraphe 33).

 

7   Pour décider si un demandeur d’asile a qualité de personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la Loi, il faut procéder à un examen personnalisé en se fondant sur les preuves présentées par le demandeur d’asile « dans le contexte des risques actuels ou prospectifs » auxquels il serait exposé (Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 99, au paragraphe 15) (en italique dans l’original).

 

 

[30]           En première instance, Prophète c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 331, la juge Tremblay-Lamer a fait remarquer ce qui suit au par. 18 :

[…] la Cour peut se trouver en présence d’un demandeur auquel on s’en est pris dans le passé, et auquel on pourra s’en prendre à l’avenir, mais dont la situation qui comporte un risque est similaire à celle d’une partie d’une population plus large. Ainsi, la Cour est en présence d’un individu qui peut être exposé à un risque personnalisé, mais un risque partagé avec de nombreux autres individus.

 

 

[31]           À notre avis, la situation du demandeur se distingue de celle envisagée par la juge Tremblay-Lamer dans Prophète (précité), étant donné que le demandeur a été personnellement ciblé dans le passé, et le sera à l’avenir; ce risque d’être ciblé aux fins du recrutement est, contrairement à ce que la Commission a conclu, limité et personnalisé en ce sens que la participation du demandeur au sein de la force opérationnelle a eu pour effet d’augmenter considérablement le risque qu’il courait relativement à celui auquel étaient exposés les jeunes hommes au Salvador. 

 

[32]           La Commission a cité de la preuve documentaire sur l’influence des bandes Maras dans les Amériques, et précisément sur les dangers inhérents aux méthodes de recrutement. La Commission a conclu que la participation du demandeur aux forces armées était attribuable au fait qu’il avait été ciblé en vue d’être recruté et a conclu que les menaces et attaques faites contre lui étaient principalement dues à son refus de se joindre à la bande. La Commission semble être d’avis qu’il n’existe aucune différence pertinente entre un refus de se joindre à la bande et une participation à une force opérationnelle antigang. Notre Cour estime que ce n’est pas une conclusion raisonnable parce que la participation du demandeur à l’opération antimaras a eu une incidence sur le risque que lui fait courir la MS 13 ou l’a modifié, de sorte que le risque est un risque personnalisé auquel ne sont pas exposés les autres jeunes hommes des forces armées ou de la population en général. L’attentat à sa vie résultait du fait qu’il a ouvertement lutté contre la bande MS 13 et a participé à l’emprisonnement de certains de ses membres.

 

c) La Commission a-t-elle ignoré, mal interprété ou mal compris des éléments de preuve solides et importants?

 

[33]           Le demandeur cite plusieurs décisions selon lesquelles la Commission est tenue de mentionner expressément la preuve qui contredit sa conclusion sur une question essentielle, y compris Garcia c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 807, aux par. 11-17; Armson c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 150 (CAF), aux par. 9-10; et Padilla c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1991] A.C.F. n° 71 (CAF). Le demandeur affirme ensuite que la décision de la Commission est viciée parce qu’elle ne tenait pas compte de toute la preuve.

 

[34]           Le défendeur prétend que le demandeur ne précise pas quels sont les éléments de preuve dont la Commission n’a pas tenu compte. Il affirme que la Commission est présumée avoir pris en considération toute la preuve produite, à moins que le contraire ne soit établi, et soutient que le demandeur n’a signalé aucun élément de preuve que la Commission aurait ignoré.

 

[35]           Dans Cepeda-Gutierrez c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1998] A.C.F. n° 1425, aux par. 15-17, la Cour d’appel fédérale a conclu que les motifs donnés par un organisme administratif ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal, et il ne faut pas non plus l’obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont il est saisi, mais que plus un élément de preuve contraire qui n’a pas été mentionné est important, plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments de preuve. Une simple déclaration par l’organisme qu’il a examiné l’ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent et la Commission est généralement présumée avoir pris en considération toute la preuve dont elle était saisie (Provost c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 1310, aux par. 30-31).

 

[36]           Le demandeur n’a signalé aucun élément de preuve qu’il considère comme allant à l’encontre de la conclusion de la Commission quant à une question essentielle. En l’absence d’une telle précision, la Commission est présumée avoir pris en considération toute la preuve.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR statue comme suit :

1.         Notre Cour accueille la présente demande de contrôle judiciaire.

 

2.         Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

 

 

 

« André F. Scott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-4341-10

 

INTITULÉ :                                             FREDIS ANGEL GARCIA VASQUEZ

demandeur

 

                                                                  et

 

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE  

                                                                  L’IMMIGRATION

défendeur

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     Le 9 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                            Le 19 avril 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joel Etienne

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jelena Urosevic

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gertler, Etienne LLP

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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