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Date : 20110420

Dossier : IMM‑5296‑10

Référence : 2011 CF 460

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2011

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

Entre :

 

ALVARO SALCEDO REYES

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

    Motifs du jugement et jugement

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), visant la décision, en date du 5 juillet 2010, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. La Commission a conclu que la crédibilité du demandeur était au cœur de la décision.

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Colombie né le 18 juillet 1986. Il est arrivé au Canada le 4 novembre 2009 et a présenté une demande d’asile fondée sur sa crainte de représailles de la part des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).

 

[3]               En 2001, la mère du demandeur a été menacée par l’armée de libération nationale (ELN), qui lui demandait des contributions. Après qu’elle eut refusé de les verser, l’ELN lui a dit qu’elle savait où son fils étudiait et où ils vivaient. À l’insistance de sa mère, le demandeur a fui aux États‑Unis en 2002 pour y vivre avec des parents à Miami. Sa mère est restée en Colombie, mais elle se déplaçait d’un endroit à un autre.

 

[4]               Le demandeur est entré aux États‑Unis muni d’un visa de touriste, qui était valide du 10 mai 2000 au 4 mai 2005. Il y est resté jusqu’en août 2005. Bien qu’il soit entré aux États‑Unis en qualité de touriste, le demandeur a terminé ses études secondaires pendant qu’il s’y trouvait.

 

[5]               Le demandeur est retourné en Colombie en 2005, lorsque sa mère a cru qu’il pouvait le faire en toute sécurité. Le demandeur a alors commencé à travailler avec Maria Victoria Vargas, conseillère municipale, membre du Parti libéral et amie de son père, lequel était également un membre actif du Parti libéral. Le demandeur donnait un coup de main au bureau de Mme Vargas et travaillait auprès des jeunes de la région. Par le biais de son travail, le demandeur aurait encouragé les jeunes à se consacrer à leurs études et à ne pas joindre les FARC.

 

[6]               En conséquence de son travail, deux membres des FARC ont communiqué avec le demandeur en juin 2008. Ils lui ont dit de cesser de travailler dans un quartier contrôlé par les FARC (Ciudad Bolivar) et de cesser de travailler pour le Parti libéral.

 

[7]               Le demandeur a discuté de cet incident avec Mme Vargas, son père et sa mère. Ils l’ont tous encouragé à être prudent et le demandeur a donc déménagé dans un autre appartement et s’est caché.

 

[8]               Le demandeur s’est ensuite rendu aux États-Unis, en septembre 2008, et il y est resté jusqu’à son arrivée au Canada en novembre 2009. Le demandeur a décidé de quitter les États‑Unis et de venir au Canada parce que sa mère, qui était alors devenue une résidente américaine, ne pouvait pas le parrainer et ses chances d’obtenir l’asile dans ce pays étaient minces en raison de son séjour antérieur.

 

Décision faisant l’objet du contrôle

[9]               La Commission a décrit le demandeur comme étant un membre d’un groupe social particulier (sa famille) qui était perçu comme ayant une opinion politique contraire aux intérêts des FARC en raison de l’engagement de son père au sein du Parti libéral et de son propre travail pour ce parti. L’opposition du demandeur aux FARC se serait même soldée par une rencontre, en juin 2008, entre le demandeur et deux membres des FARC, qui lui auraient dit de cesser ses activités politiques.

 

[10]           La Commission a estimé que la question déterminante était la crédibilité du demandeur. La conclusion quant à la crédibilité découlait de contradictions, d’un manque de preuves et d’inférences défavorables.

 

[11]           La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas démontré l’existence d’une crainte subjective. Le fondement de la décision de la Commission à cet égard reposait sur le fait que le demandeur avait passé trois ans aux États‑Unis, de février 2002 à août 2005, sans présenter de demande d’asile. De plus, lorsque la mère du demandeur a fait l’objet de menaces de la part de l’ELN, elle est demeurée en Colombie et n’a pas incité son fils à présenter une demande d’asile aux États‑Unis. La mère du demandeur n’a pas non plus signalé cet incident aux autorités. La Commission a par conséquent conclu que les mesures prises par le demandeur, sa mère et ses tuteurs pendant son séjour aux États‑Unis de février 2002 à août 2005, ne montraient pas que le demandeur ou sa mère craignait de façon crédible l’ELN.

 

[12]           La Commission a reconnu que le demandeur avait travaillé pour le Parti libéral, mais elle était préoccupée par le fait qu’il n’avait pas fourni une preuve suffisante au sujet son travail et a donc conclu que son engagement politique n’était pas crédible.

 

[13]           La Commission a également tiré une inférence défavorable du fait que le père du demandeur n’avait pas envoyé une lettre détaillant les activités politiques de son fils, d’autant plus qu’il était un avocat qui participait très activement aux activités du Parti libéral. Le demandeur a déclaré à la Commission qu’il avait reçu peu avant l’audience une lettre de son père et qu’il n’avait pas eu le temps de la faire traduire.

 

[14]           La Commission a aussi tenu compte du fait qu’il n’y avait aucune preuve de plaintes à la police ou à quelque autorité que ce soit et elle a tiré une inférence défavorable de l’omission du demandeur de solliciter la protection de l’État. En fait, la Commission a estimé que le demandeur ne semblait pas avoir pris les menaces au sérieux.

 

[15]           La Commission a conclu qu’en raison de l’absence de crédibilité et l’absence de crainte subjective, le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences relatives à l’asile et a rejeté sa demande.

 

Analyse

[16]           La question déterminante en l’espèce est la crédibilité. La conclusion de la Commission quant à la crédibilité relève tout à fait de son expertise et, à ce titre, elle devrait être examinée en fonction de la norme de contrôle de la décision raisonnable (Plaisimond c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 998, au paragraphe 30; voir aussi Triana Aguirre c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 571, au paragraphe 14).

 

[17]           Même si elles ont été faites avant l’arrêt de la Cour suprême du Canada (CSC) Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, les observations du juge Rouleau dans la décision Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 808, au paragraphe 23, demeurent pertinentes :

Il est de la jurisprudence constante de nos tribunaux que la Commission a une expertise bien établie lorsqu’il s’agit de trancher des questions de fait, et notamment d’évaluer la crédibilité des demandeurs d’asile. En fait, l’appréciation des faits constitue la pierre angulaire de la compétence de la Commission. En tant que juge des faits, la Commission est l’instance la mieux placée pour tirer des conclusions raisonnables quant à la crédibilité du récit du demandeur en se fondant sur le manque de vraisemblance, le bon sens et la raison.

 

 

[18]           Le point de départ d’une analyse de la crédibilité est que la Commission doit reconnaître la véracité d’un témoignage sous serment, à moins qu’il n’existe une bonne raison d’en douter (Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302, [1979] A.C.F. no 248). Cependant, cette présomption peut toujours être réfutée, plus particulièrement par l’absence de mention, dans la preuve documentaire, d’un fait qu’on pourrait normalement s’attendre à y retrouver (Adu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 114, au paragraphe 2 (CAF)). Enfin, lorsque la Commission tire une conclusion défavorable en matière de crédibilité, elle doit justifier cette conclusion « en termes clairs et explicites » (Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 228 (CAF); Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (CAF)). Cette déférence ne s’applique toutefois pas aux cas dans lesquels la Commission a ignoré un élément factuel clé de la demande ou a réuni des événements ou éléments de preuve autrement distincts en une seule conclusion, comme cela s’est produit en l’espèce.

 

[19]           La Commission a commis une erreur en estimant que le demandeur ne possédait pas une crainte subjective parce qu’il avait omis de présenter une demande d’asile aux États‑Unis. La Commission a fondé cette conclusion sur le fait que le demandeur avait fui aux États‑Unis et vécu avec des parents de 2002 à 2005, de l’âge de 15 à 18 ans environ, et qu’il est ensuite retourné en Colombie. La raison pour laquelle ce demandeur avait fui aux États‑Unis était parce que sa mère avait été menacée par l’ELN, qui avait proféré des menaces précises visant son fils.

 

[20]           La fuite du demandeur aux États‑Unis en raison de sa crainte à l’égard de l’ELN n’est pas la même que la crainte à l’égard des FARC, qui constitue le fondement de l’actuelle demande d’asile du demandeur. La crainte à l’égard des FARC était une nouvelle crainte qui a surgi à son retour en Colombie en 2008, par suite de ses activités politiques. Il appert de la preuve dont la Commission était saisie que l’origine et la nature du risque auquel le demandeur était exposé étaient substantiellement différentes. Le demandeur ne craignait pas les FARC lorsqu’il s’est rendu aux États‑Unis. Il n’avait pas l’intention de présenter une demande d’asile aux États‑Unis. Voilà la preuve dont la Commission était saisie. La Commission a commis une erreur en assimilant les deux craintes, comme s’il s’agissait de la même crainte, et en déclarant que le demandeur aurait dû demander l’asile lors de son premier séjour aux États‑Unis.

 

[21]           Cette erreur est illustrée par le fait que la Commission n’a pas abordé la question du séjour du demandeur aux États‑Unis lorsqu’il a fui la Colombie pour la deuxième fois en 2008. Dans son affidavit, le demandeur a déclaré qu’il s’était rendu aux États‑Unis en quittant la Colombie en septembre 2008 et qu’il y était resté jusqu’en novembre 2009. Il a cependant expliqué qu’il n’a pas demandé l’asile parce qu’on lui avait dit qu’il était trop âgé pour que sa mère (maintenant une résidente américaine) le parraine et que les États-Unis n’accueilleraient pas sa demande d’asile. La Commission n’a pas tenu compte de ce renseignement, qui était pertinent, et si l’on se fie à l’analyse de la Commission concernant cette question au paragraphe 20 de la décision, on ne sait pas avec certitude si elle a compris que le demandeur était allé aux États‑Unis en 2008.

 

[22]           Bien qu’il soit vrai que la preuve doit être appréciée dans son ensemble et que tous les éléments de preuve doivent être appréciés à la lumière des autres éléments de preuve, cela ne signifie pas qu’il est permis de fusionner ou d’autrement réunir des événements distincts, de nature substantiellement différente, et de les examiner comme un tout. De plus, la Commission a tiré des inférences défavorables quant à la crédibilité du demandeur en raison de son omission de présenter une demande d’asile. La Commission a estimé que cette conclusion était importante pour se prononcer sur la crainte subjective du demandeur à l’égard des FARC. Elle a mentionné l’omission de présenter une demande d’asile aux États-Unis à deux occasions. Étant donné l’erreur signalée, cette conclusion est injustifiable.

 

[23]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission.

 

[24]           Aucune question n’est certifiée. 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5296‑10

 

Intitulé :                                                   ALVARO SALCEDO REYES c.
Le ministre de
la citoyenneté
et de
l’immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 12 avril 2011

 

Motifs du jugement

et jugement :                                          le juge RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 20 avril 2011

 

 

 

Comparutions :

 

Clifford Luyt

Pour le demandeur

 

Jelena Urosevic

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Myles J. Kirvan,

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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