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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110503

Dossier : IMM-1759-10

Référence : 2011 CF 511

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2011

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

ENTRE :

 

INDRADEI PARRASRAM DHURMU

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch.  27 (la Loi), d’une décision rendue par une agente d’exécution (l’agente), datée du 30 mars 2010, dans laquelle l’agente rejette la demande en sursis de renvoi de Indeadei Parrasram Dhurmu (la demanderesse) en attendant l’issue de sa demande de contrôle judiciaire d’une décision défavorable concernant son examen des risques avant renvoi (ERAR).

 

[2]               La décision au sujet de la demande de la demanderesse pour le contrôle judiciaire de l’ERAR négatif n’a pas encore été rendue.

 

[3]               La demanderesse sollicite l’annulation et le renvoi de la décision de l’agente à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

Le contexte

 

[4]               La demanderesse est une citoyenne du Guyana. En décembre 2003, elle est arrivée au Canada et a déposé une demande d’asile fondée sur une crainte de persécution et sur un risque pour sa vie, en raison de son ethnicité en tant qu’Indo-Guyanaise, ainsi qu’à cause de ses opinions politiques comme partisane du Parti populaire progressiste (PPP). La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande le 18 janvier 2005, citant le manque de crédibilité de la demanderesse. La demanderesse n’a pas déposé de demande de contrôle judiciaire de cette décision.

 

[5]               Par la suite, la demanderesse a déposé une demande d'ERAR, laquelle a été rejetée le 16 février 2010. Le 22 mars 2010, elle a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable d’ERAR  (Dossier de la Cour IMM‑1610‑10). L’autorisation a été accordée et le contrôle judiciaire est toujours en instance.

 

[6]               Le renvoi de la demanderesse était prévu le 8 avril 2010. Le 23 mars 2010, la demanderesse a déposé auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) une demande de sursis à la mesure de renvoi en attendant l’issue de sa demande de contrôle judiciaire concernant son ERAR. Le 30 mars 2010, l’agente d’exécution de l’ASFC a rejeté sa demande et l’a enjointe à se présenter pour son renvoi le 15 avril 2010. La demanderesse a par la suite déposé devant la Cour une demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable à sa demande de sursis, soit l’espèce.

 

[7]               La demanderesse a de plus déposé à la Cour, le 29 mars 2010, une demande de sursis à la mesure de renvoi en attendant l’issue du contrôle de son ERAR et du contrôle judiciaire concernant sa demande de sursis à la mesure de renvoi. Le 14 avril 2010, le juge Michael Phelan a accordé un sursis à la mesure de renvoi dans les deux recours.

 

La décision de l’agente d’exécution

 

[8]               La demanderesse a fondé sa demande de sursis au renvoi sur deux motifs :

            1.         Qu’il lui soit permis de demeurer au Canada en attendant l’issue de sa demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable d’ERAR; et

            2.         Il existe des [traduction] « circonstances personnelles individuelles et cumulatives de nature urgente, notamment un établissement considérable, des difficultés extraordinaires et un risque pour sa vie si elle devait être renvoyée ».

 

[9]               L’agente a remarqué qu’il y avait très peu de renseignements dans la demande de sursis expliquant pourquoi la décision d’ERAR était erronée et qu’elle n’était [traduction] « pas convaincue, d’après les renseignements fournis, que l’agent n’avait pas évalué adéquatement les renseignements fournis avec chaque demande ».

 

[10]           De plus, en ce qui concerne la prétention de la demanderesse selon laquelle il existait un risque pour sa vie si elle devait être renvoyée, l’agente n’a pas relevé d’autres risques, outre ceux qui ont été allégués dans l’ERAR, ni même de quelconques risques au Guyana dont la nature était suffisamment personnelle. L’agente a aussi noté que les allégations de la demanderesse concernant les risques et les difficultés excessives avaient été jugées par la Commission et un agent d’ERAR, lesquels avaient rendu des conclusions défavorables concernant ces points.

 

[11]           L’agente a poursuivi en notant que le dépôt d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’une décision d’ERAR ne constitue pas en soi un empêchement au renvoi et n’entraîne pas un sursis prévu par la Loi. De plus, elle a conclu qu’il n’y avait :

[traduction]

[…] pas suffisamment de renseignements […] pour démontrer que [la demanderesse] sera incapable d’obtenir de la Cour fédérale l’audition de son recours en instance avant son renvoi prévu du Canada.

 

 

[12]           Conséquemment, l’agente n’était pas convaincue que le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi était approprié.

 

Les questions en litige

 

[13]           La demanderesse a formulé les questions de la façon suivante :

            1.         Est-ce que l’agente a erré en soutenant que le recours relatif à l’ERAR pouvait se conclure avant le renvoi de la demanderesse?

            2.         Est-ce que l’agente a erré dans son évaluation concernant les circonstances personnelles urgentes de la demanderesse?

            3.         Est-ce que l’agente aurait dû surseoir au renvoi en se fondant sur le fait que le recours relatif à l’ERAR était en instance et sur les conséquences de la décision Shpati?

            4.         Est-ce que l’agente a illégalement délégué à la Cour sa compétence en matière de renvoi?

            5.         Est-ce que la Loi et le Hansard confirment qu’une personne a le droit à une autorisation exhaustive en matière de contrôle judiciaire et à un processus de contrôle judiciaire complet?

            6.         Est-ce que l’agente a ignoré la politique ministérielle relative aux agents de renvoi en ce qui concerne les ERAR négatifs?

            7.         Est-ce que l’agente a ignoré les droits accessoires liés à une demande d’appel concernant une décision d’ERAR négative, tels que le confère la Loi d'interprétation?

            8.         Est-ce que la demanderesse pouvait légitimement s’attendre à pouvoir librement procéder à ses démarches concernant sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire?

 

[14]           Je reformulerais les questions de la manière suivante :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         Est-ce que l’agente a erré quant à ses motifs justifiant le rejet de la demande de sursis à la mesure de renvoi?

            3.         Est-ce que la décision de ne pas surseoir au renvoi était déraisonnable eu égard à la décision Shpati c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 367?

            4.         Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale dans la décision de l’agente?

 

Les observations écrites de la demanderesse

 

[15]           La demanderesse soutient que l’agente a manqué de prendre en considération les circonstances personnelles urgentes alléguées dans sa demande de sursis au renvoi. Il y a deux parties aux circonstances. Premièrement, il y a les circonstances personnelles soulignées dans son affidavit, lesquelles sont essentiellement les mêmes que celles alléguées dans son ERAR, soit qu’elle craint la persécution et qu’il existe un risque pour sa vie compte tenu de son statut d’Indo‑Guyanaise et du fait qu’elle a appuyé le parti d’opposition, le PPP, et a effectué de la sollicitation pour celui‑ci au cours de la campagne électorale de 2001. La demanderesse s’appuie sur la décision Ramada c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1112, pour affirmer qu’un agent des renvois doit considérer s’il existe des circonstances urgentes pouvant justifier un sursis au renvoi, en particulier des contraintes familiales. Elle allègue que l’agent a erré surtout en ne considérant pas la perte de l’année scolaire. 

 

[16]           La deuxième circonstance urgente est le recours en instance relatif à l’ERAR de la demanderesse. En refusant de surseoir au renvoi en attendant l’issue du contrôle judiciaire de son ERAR, la demanderesse soutient que l’agente l’a privé de son droit à un contrôle judiciaire prévu au paragraphe 72(1) de la Loi, puisqu’un renvoi du pays rend théorique le contrôle judiciaire d’une décision d’ERAR défavorable (voir Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 171, au paragraphe 5). La demanderesse allègue que le droit à un contrôle judiciaire exhaustif devrait s’étendre à ceux qui ont obtenu de la Cour fédérale une autorisation pour en appeler de toute décision défavorable en application de la Loi, pas seulement des décisions concernant les demandes d’asile (voir Shpati, précitée, au paragraphe 45). La demanderesse s’appuie sur le paragraphe 31(2) de la Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, qui prévoit que :

31.(2) Le pouvoir donné à quiconque, notamment à un agent ou fonctionnaire, de prendre des mesures ou de les faire exécuter comporte les pouvoirs nécessaires à l’exercice de celui-ci.

 

31.(2) Where power is given to a person, officer or functionary to do or enforce the doing of any act or thing, all such powers as are necessary to enable the person, officer or functionary to do or enforce the doing of the act or thing are deemed to be also given.

 

 

[17]           La demanderesse interprète cette disposition de la façon suivante : parce que le paragraphe 72(1) de la Loi prévoit le contrôle judiciaire d’une décision, le demandeur doit aussi bénéficier de tous les droits auxiliaires permettant de procéder au contrôle judiciaire. Ainsi, elle soutient que l’agente aurait dû prendre en considération le fait qu’en la renvoyant, l’agente rendait essentiellement sans effet son droit à un contrôle judiciaire. De plus, la demanderesse allègue que l’agente a erré en prétendant qu’il était possible que l’issue du contrôle judiciaire de la demande d’ERAR soit connue avant son renvoi. 

 

[18]           La demanderesse soutient que l’agente a usurpé sa propre compétence et l’a illégalement déléguée à la Cour (paragraphes 17 et 50 du dossier de la demanderesse).

 

[19]           Enfin, la demanderesse prétend qu’en refusant de surseoir à la mesure de renvoi, l’agente a enfreint l’obligation d’équité procédurale, car la demanderesse avait l’attente légitime qu’elle aurait l’entière possibilité de procéder au contrôle judiciaire de la décision défavorable d’ERAR.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[20]           Le défendeur allègue que la décision de l’agente concernant la demande de sursis au renvoi de la demanderesse était raisonnable, puisqu’il a conclu qu’un sursis n’était pas justifié par le recours en instance concernant l’ERAR et le prétendu risque à son retour au Guyana. Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas ciblé une quelconque erreur dans les motifs de l’agente concernant ses allégations de risque et n’a pas expliqué pourquoi la décision de l’agente était déraisonnable. Le simple fait d’être en désaccord avec la décision de l’agente, sauf s’il y a une erreur, ne constitue pas un fondement à un contrôle judiciaire. 

 

[21]           De plus, le défendeur prétend qu’un contrôle de la décision de l’agente démontre qu’elle a considéré les allégations de risque de la demanderesse et a conclu qu’il n’y avait pas de fondement justifiant un sursis à la mesure de renvoi. L’agente a noté que les allégations de risque ont été jugées par différents décideurs et qu’aucun d’entre eux n’a été persuadé par les prétentions de la demanderesse. La demanderesse a alors soumis les mêmes allégations de risque dans sa demande de sursis au renvoi et l’agente a raisonnablement conclu que la question du risque avait déjà été examinée en profondeur et de façon appropriée.

 

[22]           Ensuite, le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour l’agente de ne pas surseoir au renvoi en attendant la résolution du recours relatif à l’ERAR. La décision Shpati, précitée, ne doit pas être suivie, car elle est incompatible avec le texte clair de la Loi et les autres décisions contraignantes de la Cour d’appel fédérale. Le défendeur prétend que la Cour, dans la décision Shpati, précitée, semble avoir maintenu que les agents d’exécution doivent accorder des sursis lorsqu’un demandeur allègue des risques et qu’il a déposé de bonne foi une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’ERAR défavorable, sinon le demandeur se verrait refuser son recours judiciaire. Selon le défendeur, cela est inexact. La loi fédérale a volontairement omis la possibilité pour les demandeurs qui contestent une décision d’ERAR défavorable de bénéficier d’un sursis en attendant la résolution de leur recours. Dans la mesure où la décision Shpati, précitée, peut être interprétée comme suggérant qu’un sursis doit être accordé à ceux qui attendent l’issue du contrôle judiciaire concernant la décision d’ERAR, elle ne doit pas être suivie (voir Golubyev c. Canada, 2007 CF 394, aux paragraphes 19 à 22; Paul c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 398).

 

[23]           De plus, le défendeur soutient que l’agente en l’espèce n’a pas commis d’erreur en ce qui a trait à son pouvoir discrétionnaire limité lorsqu’elle a évalué le risque, comme il est noté au  paragraphe 43 de la décision Shpati, précitée. Elle a fait exactement ce qui a été expliqué par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, au paragraphe 51, dans lequel on se demande si le défaut de surseoir au renvoi peut exposer le demandeur à un risque pour sa vie, à des sanctions extrêmes ou à un traitement inhumain. 

 

[24]           Le défendeur allègue aussi que la Cour dans la décision Shpati, précitée, fusionne les deux premiers volets du critère à trois volets motivant un sursis. Cette interprétation ne suit pas la jurisprudence de la Cour d’appel, laquelle déclare que le caractère potentiellement théorique d’un litige en instance (tel qu’un recours concernant un ERAR) ne cause pas, en lui-même, un tort irréparable justifiant un sursis (voir El Ouardi c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 42, au paragraphe 8; Palka c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CAF 165, au paragraphe 20). Concernant la décision Perez, précitée, sur laquelle s’appuie la demanderesse, le défendeur affirme que la décision n’est pas reliée aux sursis aux renvois et qu’elle maintient les critères, établis dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 (CSC),  servant à déterminer si la Cour devrait entendre une affaire malgré le caractère théorique de celle‑ci.

 

[25]           En réponse à l’argument de la demanderesse relatif au paragraphe 72(1) de la Loi, le défendeur soutient que l’exigence pour le traitement rapide des audiences prévu dans les dispositions ne laisse pas entendre que les personnes qui reçoivent une décision d’ERAR défavorable devraient obligatoirement bénéficier d’un sursis au renvoi en attendant l’issue d’un contrôle judiciaire. Il n’y a précisément aucune disposition prévoyant le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi pour un étranger qui demande le contrôle judiciaire d’une décision d’ERAR défavorable et il n’y a pas lieu de donner un tel sens à la loi.

 

[26]           Ensuite, le défendeur soutient que, contrairement aux observations de la demanderesse, le paragraphe 31(2) de la Loi d'interprétation ne s’applique pas à ce contexte‑ci. Le paragraphe 31(2) sert seulement pour les situations où un pouvoir a été délégué à une personne, notamment un agent ou un fonctionnaire, et lui accorde tous les pouvoirs auxiliaires nécessaires à l’exécution de son mandat. Il ne concerne en rien les droits accordés à une personne en vertu de la loi.

 

[27]           Finalement, le défendeur soutient que l’agente n’a pas enfreint son obligation d’équité procédurale. Le pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution est très limité en vertu du paragraphe 48(2) de la Loi (voir la décision Baron, précitée, au paragraphe 14), puisque l’agent doit procéder au renvoi dès que les circonstances le permettent. La demanderesse ne disposait pas d’une attente légitime envers l’agente ou envers les guides d’immigration de pouvoir demeurer au Canada jusqu’à la conclusion de son recours concernant l’ERAR. De plus, la Cour d’appel fédérale, dans sa décision De al Fuente c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 186, a réitéré qu’un résultat concret, tel qu’un sursis, ne peut être considéré comme une attente au sens de la doctrine de l’attente légitime.

 

Analyse et Décision

 

[28]           La question en litige no 1

Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, la Cour suprême du Canada a établi qu’il y avait deux normes de contrôle applicables aux décisions administratives, soit celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable.

 

[29]           La norme de contrôle pour déterminer si l’agente d’exécution a commis une erreur dans sa justification du rejet d’une demande de sursis à une mesure de renvoi devrait être celle de la décision raisonnable (voir la décision Baron, précitée, au paragraphe 25).

 

[30]           Les questions d’équité procédurale sont évaluées selon la norme de la décision correcte (voir la décision Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 46, et l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 129).

 

[31]           La question en litige no 2

      Est-ce que l’agente a erré quant à ses motifs justifiant le rejet de la demande de sursis à la mesure de renvoi?

            La décision de l’agente est présentée sous forme de notes au dossier. Ces notes constituent les motifs justifiant sa décision (voir Baker c. Canada, [1999] 2 RCS 817, 1 Imm LR (3d) 1, au paragraphe 44).

 

[32]           Le juge James O’Reilly a examiné succinctement les pouvoirs des agents d’exécution dans sa décision Ramada c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1112, au paragraphe 3 :

Les agents d'exécution disposent d'un pouvoir discrétionnaire limité pour surseoir au renvoi d'une personne faisant l'objet d'une ordonnance d'expulsion du Canada. De manière générale, les agents ont l'obligation de renvoyer ces personnes dès que les circonstances le permettent (paragraphe 48(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27; reproduit en annexe). Cependant, aux termes de cette obligation, les agents peuvent prendre en considération les motifs valables de retarder le renvoi, le cas échéant. Les motifs valables peuvent être liés à la capacité de voyager de la personne (maladie ou absence de documents de voyage appropriés), à la nécessité de satisfaire à d'autres engagements (obligations scolaires ou familiales) ou à des circonstances personnelles impérieuses (raisons d'ordre humanitaire). (Voir : Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 936 (1re inst.) (QL), Wang c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2001] 3 C.F. 682 (1re inst.) (QL), Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 805 (1re inst.) (QL); Padda c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 1353 (C.F.) (QL)). Il est clair, toutefois, que le simple fait qu'une personne ait déposé une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire n'est pas suffisant pour justifier le sursis au renvoi. Par contre, l'agent doit examiner si des circonstances personnelles impératives, surtout lorsqu'elles concernent un enfant, justifient le sursis.

 

                                                            [Non souligné dans l’original]

 

 

[33]           En l’espèce, la demanderesse a émis deux allégations dans sa demande de sursis à la mesure de renvoi :

            1.         La capacité de rester au Canada jusqu’à la conclusion du contrôle judiciaire de son ERAR; et

            2.         La capacité de rester au Canada en se fondant sur ses [traduction] « circonstances individuelles et cumulatives de nature urgente » qui incluent [traduction] « un établissement considérable, des difficultés extraordinaires et un risque pour sa vie si elle devait être renvoyée ».

 

[34]           L’agente a étudié en premier la preuve relative au risque personnel et a maintenu que la demanderesse avait fourni peu de preuves démontrant un risque personnel, mais plutôt des renseignements généraux traitant de la violence au Guyana. L’agente a aussi soutenu que le contrôle judiciaire de l’ERAR avait été effectué assez récemment et qu’avec cette décision et la décision concernant le statut de réfugié de la demanderesse, la question du risque avait été examinée de façon appropriée. Je suis d’avis que cette décision est raisonnable. Il ne revient pas à l’agente de procéder à une nouvelle évaluation et à une nouvelle analyse des risques semblables à l’ERAR, mais d’étudier s’il existe des circonstances personnelles impérieuses pouvant justifier un sursis de la mesure de renvoi, telles que la maladie, l’impossibilité de voyager, la perte d’une année d’étude ou un risque personnel en particulier (voir Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 7 Imm LR (3d) 141 (CF 1ere inst.)). La décision de l’agente concernant les circonstances personnelles était raisonnable.

 

[35]           L’agente a par la suite étudié le recours en instance relatif à l’ERAR. Elle a conclu correctement que la demande de contrôle judiciaire en instance ne motive pas automatiquement un sursis de renvoi. Elle a poursuivi en notant qu’il n’y avait pas assez de renseignements pour démontrer que l’issue du contrôle judiciaire demandé par la demanderesse ne serait pas connue avant la date de renvoi prévue. Cette évaluation est, selon moi, là où la décision de l’agente devient déraisonnable. L’agente savait que la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse avait été déposée le 22 mars 2010. L’agente a rendu sa décision concernant la demande de sursis à la mesure de renvoi le 30 mars 2010 et elle a donné l’ordre que la demanderesse soit renvoyée le 15 avril 2010. Bien qu’il soit vrai que la demanderesse n’a pas déposé un calendrier détaillant le processus des demandes de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, elle a en effet indiqué que le processus ne devait pas prendre plus de 120 jours. De plus, l’agente avait probablement une certaine connaissance du fonctionnement du système de la Cour fédérale et devait savoir qu’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, si l’autorisation est accordée, ne pouvait être conclue en deux semaines et demie.

 

[36]           Quoique la Cour d’appel fédérale, dans la décision Perez, précitée, ait déclaré qu’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision défavorable d’ERAR serait rendue théorique si le demandeur était renvoyé du Canada avant que la demande ne soit entendue, elle n’a pas statué qu’il devait être sursis au renvoi d’un demandeur chaque fois qu’il y a un contrôle judiciaire d’un ERAR en instance. Ainsi, même si elle constitue une question que l’agent d’exécution devra prendre en considération, l’existence d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision défavorable d’ERAR ne peut être déterminante quant à la question du renvoi. En l’espèce, cependant, l’agente semble contourner entièrement la question en déclarant qu’il était encore possible que la demande de contrôle judiciaire soit entendue, lorsqu’en réalité le délai rendait la chose impossible. 

 

[37]           De plus, l’agente a émis des commentaires préoccupants au sujet du succès du recours en instance concernant l’ERAR. Elle déclare dans ses motifs que :

[traduction]

[. . .] dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, l’avocat soutient que l’agent effectuant l’ERAR a commis un certain nombre d’erreurs dans son évaluation. Je note aussi que très peu de renseignements ont été fournis dans la demande de sursis à l’appui de cette prétention […] 

 

 

[38]           Lorsqu’elle détermine si elle doit surseoir au renvoi, l’agente n’a pas à juger de la possibilité de succès du demandeur dans ses procédures relatives au contrôle judiciaire, mais elle doit simplement déterminer si l’existence d’une demande de contrôle judiciaire constitue un motif impérieux suffisant. Il était déraisonnable et peut‑être aussi en dehors du champ de compétences très étroit de l’agente de faire part de ses opinions quant au mérite de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse.

 

[39]           Conséquemment, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et l’affaire renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

 

[40]           Les parties ont demandé que je certifie comme questions graves de portée générale les questions certifiées dans la décision Shpati, précitée. Je ne suis pas disposé à certifier ces questions, étant donné que cette décision n’est pas fondée sur les conclusions de l’espèce.

 


JUGEMENT

 

[41]                       LA COUR ORDONNE que :

                   1.  La demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

                   2.  Aucune question n'est certifiée.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil
ANNEXE

 

Les dispositions légales pertinentes

 

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, 2001, Ch. 27

 

48.      (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

 

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :

 

 

a) elle ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées;

 

 

b) elle doit être signifiée à l’autre partie puis déposée au greffe de la Cour fédérale —la Cour — dans les quinze ou soixante jours, selon que la mesure attaquée a été rendue au Canada ou non, suivant, sous réserve de l’alinéa 169f), la date où le demandeur en est avisé ou en a eu connaissance;

 

 

 

 

 

 

 

 

c) le délai peut toutefois être prorogé, pour motifs valables, par un juge de la Cour;

 

 

 

 

d) il est statué sur la demande à bref délai et selon la procédure sommaire et, sauf autorisation d’un juge de la Cour, sans comparution en personne;

 

 

 

 

e) le jugement sur la demande et toute décision interlocutoire ne sont pas susceptibles d’appel.

 

48.      (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

 

 

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

(2) The following provisions govern an application

under subsection (1):

 

(a) the application may not be made until any right of appeal that may be provided by this Act is exhausted;

 

(b) subject to paragraph 169(f), notice of the

application shall be served on the other party

and the application shall be filed in the Registry

of the Federal Court (“the Court”) within

15 days, in the case of a matter arising in

Canada, or within 60 days, in the case of a

matter arising outside Canada, after the day

on which the applicant is notified of or otherwise

becomes aware of the matter;

 

(c) a judge of the Court may, for special reasons,

allow an extended time for filing and

serving the application or notice;

 

(d) a judge of the Court shall dispose of the

application without delay and in a summary

way and, unless a judge of the Court directs

otherwise, without personal appearance; and

 

(e) no appeal lies from the decision of the

Court with respect to the application or with

respect to an interlocutory judgment.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1759-10

 

INTITULÉ :                                       INDRADEI PARRASRAM DHURMU

 

                                                            - et -

 

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 4 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 3 mai 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dov Maierovitz

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Nicole Rahaman

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gertler, Etienne LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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