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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110415

Dossier : IMM-4160-10

Référence : 2011 CF 464

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 avril 2011

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

 

YOUSSEF NAWFAL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 29 juin 2010 par la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, décision rejetant l’appel du demandeur. L’agent des visas a conclu que Toni Nawfal, le fils du demandeur, n’était pas un enfant à charge au sens de l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Par conséquent, le fils du demandeur ne faisait pas partie de la catégorie du regroupement familial en vue d’une demande de résidence permanente. 

 

Le contexte factuel

[2]               Le demandeur, Youssef Nawfal, est marié et il a trois fils : Toni, né en 1968, Edgard, né en 1971, et Elie, né en 1979. Toni est handicapé : la partie inférieure de son corps est complètement paralysée et sa main droite est partiellement paralysée. 

 

[3]               M. Youssef Nawfal est arrivé au Canada le 18 mai 2003, parrainé par son fils Edgard. M. Nawfal était accompagné de sa femme et de son fils cadet. La demande de résidence permanente de M. Nawfal n’incluait pas la demande de résidence permanente de son fils Toni.

 

[4]               En 1999-2000, Toni Nawfal a fait une demande de résidence permanente, parrainé par sa fiancée canadienne. La demande a été rejetée le 15 juillet 2000, parce qu’il fut conclu que l’union n’était pas authentique. L’appel de cette décision a été rejeté le 8 janvier 2002. Lors de cet appel, des éléments de preuve ont été présentés selon lesquels Toni vivait seul, travaillait, conduisait et disposait de l’équipement requis pour composer avec son handicap.

 

[5]               Toni Nawfal a présenté une demande de visa temporaire en 2003, laquelle a été rejetée le 22 juillet 2003. En 2006, il a présenté une autre demande afin d’être réuni avec sa famille, mais il ne s’est pas présenté à l’entrevue.

 

[6]               Le 2 avril 2007, Toni Nawfal a présenté, à titre d’enfant à charge, une demande de résidence permanente parrainée par son père. Cette demande a été rejetée en avril 2007. Le demandeur a porté la décision en appel. L’appel a été rejeté en juin 2010.

 

 

La décision contestée

[7]               La Section d’appel de l’immigration (la SAI) a conclu que le demandeur n’avait pas prouvé que son fils répondait à la définition d’enfant à charge. La SAI a fait remarquer que bien que l’affaire pût être considérée au regard des motifs d’ordre humanitaire, l’article 65 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), empêche cependant la SAI de tenir compte de ces motifs.

 

[8]               D’emblée, la SAI a renvoyé à l’article 2 du Règlement. Cet article contient une définition du terme « enfant à charge ». Le demandeur a affirmé qu’il avait toujours pris soin de son fils, qui ne pouvait travailler ou être autonome. Avant d’immigrer au Canada, certains membres de sa famille avaient apparemment pris soin de son fils. 

 

[9]               La SAI a remarqué la différence entre les témoignages entendus lors de l’appel et les témoignages précédents entendus devant la Commission en 2000 en lien avec la demande de résidence permanente. Lors de l’audience devant la Commission, des relevés d’emploi avaient été présentés et Toni avait été décrit comme étant une personne qui vivait seule, travaillait, pouvait conduire une automobile et possédait l’équipement requis pour composer avec son handicap. En rejetant la demande en 2002, cette preuve avait poussé la Commission à conclure que Toni était indépendant et autonome. Toutefois, lors de l’audience devant la SAI, les témoins ont affirmé que Toni avait un lourd handicap et avait toujours besoin de l’aide de ses parents.

 

[10]           Plus particulièrement, et contrairement à ce qu’il avait été affirmé lors de l’audience devant la Commission, les témoins ont livré des témoignages différents devant la SAI et ont expliqué que Toni n’avait jamais travaillé et qu’il était complètement dépendant de ses parents. La SAI a conclu que soit les témoignages entendus lors de l’appel étaient faux, soit la demande précédente de Toni avait été embellie pour faciliter son immigration au Canada. D’une manière ou d’une autre, l’une des versions n’était pas vraie. Face à ces contradictions entre les témoignages différents entendus devant la Commission et devant la SAI, la SAI a considéré qu’elle se devait de préserver l’intégrité du système d’immigration du Canada et, par conséquent, elle a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à prouver que Toni était un enfant à charge au sens du Règlement.

 

Les dispositions légales applicables

[11]           L’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés est rédigé en partie comme suit :

Définitions

 

2. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

 

[…]

 

« enfant à charge » L’enfant qui

 

 

[…]

 

b) d’autre part, remplit l’une des conditions suivantes :

 

 

[…]

 

(iii) il est âgé de vingt-deux ans ou plus, n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt-deux ans et ne peut subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental.

Interpretation

 

2. The definitions in this section apply in these Regulations.

 

 

[…]

 

“dependent child”, in respect of a parent, means a child who

 

[…]

 

(b) is in one of the following situations of dependency, namely,

 

[…]

 

(iii) is 22 years of age or older and has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 and is unable to be financially self-supporting due to a physical or mental condition.

 

Les questions en litige

[12]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

a)            Quelle est la norme de contrôle applicable?

b)            La SAI a-t-elle fait erreur en se basant sur des témoignages antérieurs pour conclure que le demandeur et ses témoins n’étaient pas crédibles?

c)            La SAI a-t-elle fait erreur en concluant que le fils du demandeur n’était pas un enfant à charge au sens de l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés?

 

La norme de contrôle

a)            Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

[13]           Dans Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 260, [2008] A.C.F. no 405, aux paragraphes 18 à 20, une affaire dans laquelle il a été conclu que l’enfant du demandeur n’était pas un enfant à charge, le juge Blanchard a décidé que cette conclusion était sujette à la norme de la décision manifestement déraisonnable :

[18] Dans la décision Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. n° 525, 2003 CFPI 375, la juge Snider écrivait ce qui suit, au paragraphe 14 :

 

Une demande d’admission au Canada en tant qu’immigrant suppose une décision discrétionnaire de l’agent des visas, lequel doit prendre cette décision en se fondant sur des critères précis. La norme de contrôle à appliquer à la décision d’un agent des visas en ce qui concerne une conclusion de fait est la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[19] Dans la décision Dhindsa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. n° 1700, 2006 CF 1362, le juge Gibson, citant la décision Liu de la juge Snider, écrivait que la norme de la décision manifestement déraisonnable s’applique à une conclusion selon laquelle une personne n’est pas un « enfant à charge » au sens du Règlement. Le juge de Montigny est arrivé à la même conclusion dans la décision Mazumber c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n° 552, 2005 CF 444, au paragraphe 6. Je souscris au raisonnement de mes collègues.

 

[20] Puisque la décision contestée dans la présente demande comprend également une conclusion selon laquelle une personne n’était pas un « enfant à charge » au sens du Règlement, j’adopterai la norme de la décision manifestement déraisonnable dans le cadre de l’examen de la décision de l’agent.

 

[14]           Depuis Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, il n’existe plus que deux normes de contrôle : la raisonnabilité et la décision correcte. Dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47, la Cour suprême du Canada a défini la raisonnabilité comme suit :

[47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

[15]           Dans la présente affaire, la norme de contrôle applicable est donc la raisonnabilité.

 

Analyse

b)            La SAI a-t-elle fait erreur en se basant sur des témoignages antérieurs pour conclure que le demandeur et ses témoins n’étaient pas crédibles?

 

[16]           Le demandeur soutient que la SAI n’a pas examiné tous les éléments de preuve pertinents. Par conséquent, le demandeur affirme que la preuve montre clairement que Toni est un enfant à charge âgé de plus de vingt-deux ans qui, en raison de son état physique, ne peut pas devenir autonome. Le demandeur a fait remarquer que la commissionnaire a admis, dans sa décision, que l’état physique de Toni n’était pas contesté et qu’il était à charge selon la définition donnée dans l’article 2 du Règlement. Par conséquent, le demandeur soutient que la SAI a tiré des conclusions sans apprécier la preuve montrant que le handicap de Toni est si grave que toute version contradictoire en lien avec le handicap n’est pas importante.

 

[17]           En réponse à cette allégation, le défendeur soutient que le demandeur n’a cité aucune jurisprudence valable pour appuyer cette allégation. Le défendeur affirme que, contrairement à l’allégation du demandeur, la question en litige est la sévérité du handicap.

 

[18]           Le défendeur affirme également que le demandeur n’a pas montré de manière satisfaisante que l’état physique de son fils le rendait incapable économiquement de subvenir à ses besoins. Selon le défendeur, le comportement du demandeur ainsi que celui de son fils donnent à penser qu’ils n’ont pas été des témoins crédibles en ce qui concerne la question de savoir si le handicap de Toni l’empêche de subvenir économiquement à ses besoins. Par conséquent, le défendeur affirme qu’il était entièrement raisonnable de la part de la SAI d’estimer que tant leurs propres versions que celles qui les contredisaient soulevaient des doutes concernant la crédibilité générale de la demande de résidence permanente.

 

[19]           Le demandeur soutient également que les extraits des conclusions de la Commission équivalent à une opinion et ne sont pas un fait. Selon le demandeur, la SAI s’y réfère en tant que fait, et elle n’a pas retenu les témoignages qu’elle a entendus. Le demandeur soutient que la SAI n’a également pas examiné le témoignage crédible qu’elle a entendu. Le demandeur renvoie à la décision Gilani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1522, [2005] A.C.F. no 1880.

 

[20]           La Cour n’est pas d’accord avec le demandeur. La décision Gilani doit être écartée : les faits dans cette affaire étaient différents. Dans Gilani, la question était de savoir si le handicap devait avoir eu lieu avant ou après le vingt-deuxième anniversaire du demandeur. Selon le défendeur, la question de la présente affaire est de savoir si la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en tirant la conclusion défavorable au sujet de la crédibilité et s’il a été démontré que le fils du demandeur était effectivement incapable de subvenir à ses besoins. Ainsi donc, Gilani ne peut être d’aucune aide au demandeur.

 

[21]           De plus, la Cour est en désaccord avec le demandeur en ce qui concerne les extraits de la décision de l’appel en matière de parrainage cités par la SAI. Les extraits se lisent comme suit :

Sur la foi des témoignages et de la preuve devant elle, lorsqu’elle a rejeté l’appel du refus de cette demande, en 2002, la commissaire di Pietro en arrivait à la conclusion suivante en ce qui concerne le demandeur:

 

Il vit, malgré son handicap, de façon indépendante, travaille et, selon le témoignage de tous les témoins à l’audience, aurait préféré rester au Liban et n’aurait aucune raison de vouloir venir au Canada à part le prétendu désir de vivre avec l’appelante. (décision de la SAI, paragraphe 18)

 

[22]           Contrairement à ce que le demandeur soutient, ces conclusions n’équivalent pas à une opinion. Plutôt, elles sont des conclusions de fait, basées sur les éléments de preuve présentés devant la Commission et sur les témoignages entendus lors de l’audience. Par conséquent, la SAI était autorisée à se fonder sur les conclusions précédentes de la SAI pour tirer des conclusions défavorables sur la crédibilité du demandeur. Il était loisible à la SAI de tirer ces conclusions face aux contradictions entre les différents témoignages :

Le Tribunal ne peut ignorer les contradictions flagrantes entre les témoignages entendus dans le cadre du présent appel et les témoignages et déclarations précédentes qui donnent un tout autre portrait du demandeur, même si le conseil de l’appelant est d’avis que le handicap du demandeur est si lourd que ce qui s’est passé auparavant n’importe pas.  (décision de la SAI, au paragraphe 24)

 

[23]           Dans Badal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 311, [2003] A.C.F. no 440, au paragraphe 25, la Cour a conclu que la Commission pouvait s’appuyer sur la conclusion de fait d’un autre tribunal tant que cet appui était restreint, réfléchi et justifié. Dans la présente affaire, la SAI a renvoyé à la conclusion de fait antérieure de la Commission dans l’unique but de la comparer avec la position maintenant adoptée par le demandeur concernant la sévérité du handicap de son fils. La Cour conclut que la SAI ne s’en est pas remise aveuglément aux conclusions précédentes de la Commission, mais qu’elle a effectué sa propre analyse indépendante en se fondant sur les éléments de preuve à sa disposition. Selon la Cour, dans les circonstances, il était justifié qu’elle se fonde sur les conclusions précédentes pour maintenir l’intégrité du système d’immigration. 

 

[24]           Sur ce point, la Cour souscrit à l’observation de l’honorable Robert Mainville, maintenant juge de la Cour d’appel fédérale, faite dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Kimbatsa, 2010 CF 346, [2010] A.C.F. no 389, au paragraphe 54 :

[54] Le système canadien d’immigration n’est pas sujet au gré des répondants qui ajustent leur situation familiale selon les circonstances propices à leurs fins. Le système est largement établi sur le principe de déclarations véridiques et complètes de renseignements par les demandeurs. Toute entorse à ce principe ne peut être tolérée par les tribunaux. […]

 

[25]           La Cour est donc d’avis que la conclusion de la SAI est raisonnable.

 

 

c)            La SAI a-t-elle fait erreur en concluant que le fils du demandeur n’était pas un enfant à charge au sens de l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés?

 

[26]           La question à savoir si le fils du demandeur était un enfant à charge se basait sur un examen des faits qui, selon la Cour, a été raisonnable. La SAI était autorisée à se fonder sur les conclusions d’un tribunal précédent et n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle judiciaire en concluant que le fils du demandeur n’était pas un enfant à charge au sens de l’article 2 du Règlement. À la lumière de ces motifs, la Cour rejettera la demande de contrôle judiciaire.

 

[27]           Lors de l’audience devant la Cour, l’avocat du demandeur a annoncé son intention de soumettre une question à la certification. Toutefois, dans une lettre datée du 29 mars 2011, le demandeur a informé la Cour qu’il ne lui demanderait pas de certifier une question. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR statue comme suit :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4160-10

 

INTITULÉ :                                       YOUSSEF NAWFAL

                                                            c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 15 avril 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dan M. Bohbot

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Evan Liosis

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Law Firm

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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