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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110509

Dossier : T-1512-10

Référence : 2011 CF 533

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2011

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

 

HOSAM ELDEEN EL OCLA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel présenté par M. Hosam Eldeen El Ocla, Ph. D. en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi). M. El Ocla conteste la décision du juge de citoyenneté, datée du 22 juillet 2010, par laquelle sa demande de citoyenneté canadienne a été rejetée. Cette décision est fondée sur le motif voulant que M. El Ocla n’ait pas répondu au critère de résidence exigé par l’alinéa 5(1)c) de la Loi. 

 

Le contexte

[2]               M. El Ocla est venu au Canada de l’Égypte en 2001 et a commencé à travailler en tant que professeur adjoint au département des sciences informatiques de la faculté d’ingénierie électrique et informatique de la Lakehead University (Lakehead), à Thunder Bay. Il a obtenu sa résidence permanente canadienne en 2006. 

 

[3]               M. El Ocla est maintenant un membre permanent du corps professoral à Lakehead, occupant le poste de professeur adjoint. 

 

[4]               Le curriculum vitae de M. El Ocla informe qu’il est un chercheur et un professeur très réputé à Lakehead. Ses écrits sont largement publiés et il collabore avec plusieurs collègues enseignants à l’échelle internationale. Il est aussi fréquemment invité à participer à des symposiums internationaux et il est reconnu dans son domaine de spécialisation. M. El Ocla est aussi le récipient de bourses accordées par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (le CRSNG) pour des recherches en cours, principalement pour l’étude des systèmes de détection par radar. Ces bourses du CRSNG sont conditionnelles à sa recherche continue et celle-ci lui demande d’être souvent absent du Canada afin de participer à des travaux de groupe, notamment en Égypte et au Japon. 

 

[5]               M. El Ocla est bien établi à Thunder Bay, où il a établi sa demeure.

 

[6]               M. El Ocla a demandé la citoyenneté canadienne le 24 octobre 2008. Il a reconnu dans sa demande qu’il n’avait été présent au Canada que pendant 996 jours, alors que le minimum prévu par la loi est de 1095 jours, mais il se fiait que le juge de citoyenneté qui entendrait sa requête considérerait s’il avait tout de même établi une résidence par déduction ou une résidence de qualité au Canada. 

 

[7]               Le juge de citoyenneté a refusé de considérer si M. El Ocla avait centralisé son mode de vie au Canada (une norme qualitative) et a plutôt appliqué le critère de résidence qui exige une présence physique au Canada d’un minimum de 1095 jours durant les quatre années qui précédent la demande. Parce qu’il lui manquait 99 jours sur les trois années de présence physique, sa demande a été rejetée. C’est de cette décision qu’est interjeté le présent appel. 

 

Les questions en litige

[8]               Quelle est la norme de contrôle appropriée pour la question principale soulevée par le présent appel?

 

[9]               Est-ce que le juge de citoyenneté a erré en appliquant strictement le critère de présence physique à l’exclusion du critère qualitatif de résidence?

 

Analyse

[10]           La Cour n’est pas unanime en ce qui concerne la norme de contrôle qui doit s’appliquer aux appels des décisions rendues par les juges de citoyenneté concernant le critère de résidence conformément à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Dans la décision Ghaedi c. Canada, 2011 CF 85 I, j’ai appliqué la norme de la décision correcte, mais plus récemment, plusieurs de mes collègues ont, en des circonstances similaires, appliqué la norme de la raisonnabilité avec devoir de réserve : voir Hao c. Canada (MCI), 2011 CF 46, Alinaghizadeh c. Canada (MCI), 2011 CF 332, et El‑Khader c. Canada (MCI), 2011 CF 328.

 

[11]           Dans la décision Canada c. Takla, 2009 CF 1120, 359 FTR 248, le juge Robert Mainville a aussi adopté la norme de raisonnabilité, mais dans le contexte de l’application du critère juridique de la résidence à la preuve, lequel a été établi par la décision Koo (Re), [1993] 1 CF 286, 58 FTR 27. La question étudiée dans la décision Takla était, par conséquent, une question mixte de faits et de droit pour laquelle la norme de raisonnabilité était clairement applicable. De même, la plupart des décisions qui sont citées dans l’affaire Takla, en appui à la raisonnabilité comme norme de contrôle, telles que Chen c. Canada, 2006 CF 85, 145 ACWS (3d) 770, Canada c. Ryan, 2009 CF 1159, Zhao c. Canada, 2006 CF 1536, 306 FTR 206, Rizvi c. Canada, 2005 CF 1641, 51 Imm LR (3d) 146, Morales c. Canada, 2005 CF 778, 45 Imm LR (3d) 284, Xu c. Canada, 2005 CF 700, 139 ACWS (3d) 433, Zeng c. Canada, 2004 CF 1752, 136 ACWS (3d) 15 et Canada c. Fu, 2004 CF 60, 128 ACWS (3d) 1074, appliquent la norme de raisonnabilité à ce qui a été qualifié de questions mixtes de faits et de droit. En effet, dans une grande partie de la jurisprudence de la Cour, les appels de cette nature ont été des contestations de l’application par le juge de citoyenneté du critère qualitatif prédominant dans l’évaluation de la résidence décrit dans la décision Koo (Re), précitée. En d’autres mots, l’aspect préoccupant était l’application de facteurs tirés de la décision Koo (Re) à la preuve. 

 

[12]           La jurisprudence précitée et les décisions semblables sont selon moi différentes des affaires, telle que l’espèce, qui concerne le choix par un juge de citoyenneté du critère de présence physique pour évaluer la résidence au détriment des facteurs issus de la décision Koo (Re). La question de savoir si cela constitue un critère approprié pour déterminer la résidence en conformité avec l’alinéa  5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté est une question de droit préliminaire qui peut et doit être isolée de son contexte factuel. Cette distinction a été bien décrite par le juge Marshall Rothstein dans l’extrait suivant de la décision Canwell Enviro-Industries Ltd. c. Baker Petrolite Corp., 2002 CAF 158, [2003] 1 CF 49, aux paragraphes 51 et 52 :

[51]      Cependant, lorsqu'il est possible de dégager la question de droit de la question de fait dans le cas d'une question mixte de droit et de fait et de conclure qu'une erreur de droit a été commise, la norme de contrôle sera celle de la décision correcte. Voici comment s'expriment les juges Iacobucci et Major au paragraphe 27 de l'arrêt Housen :

 

Dans l'arrêt Southam, précité, par. 39, notre Cour a expliqué comment une erreur touchant une question mixte de fait et de droit peut constituer une pure erreur de droit, assujettie à la norme de la décision correcte :

 

[...] si un décideur dit que, en vertu du critère applicable, il lui faut tenir compte de A, B, C et D, mais que, dans les faits, il ne prend en considération que A, B, et C, alors le résultat est le même que s'il avait appliqué une règle de droit lui dictant de ne tenir compte que de A, B et C. Si le bon critère lui commandait de tenir compte aussi de D, il a en fait appliqué la mauvaise règle de droit et commis, de ce fait, une erreur de droit.

 

[52]      La formulation erronée du critère juridique approprié donne lieu à l'application de la norme de la décision correcte aux conclusions de fait qu'a tirées le juge de première instance. C'est ce qu'affirment les juges Iacobucci et Major au paragraphe 35 de leur jugement :

 

Cette formulation erronée du critère juridique approprié (les conditions juridiques requises pour être une « âme dirigeante » ) a entaché ou vicié la conclusion factuelle des juridictions inférieures selon laquelle le capitaine Kelch était une âme dirigeante de la société. Comme cette conclusion erronée était imputable à une erreur de droit, un degré moindre de retenue s'imposait et la norme applicable était celle de la décision correcte.

 

[…]

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[13]           Dans l’affaire Dedaj c. Canada, 2010 CF 777, 90 Imm LR (3d) 138, le juge James O’Reilly a déclaré que le Bureau de la citoyenneté avait l’obligation d’appliquer le critère reconnu dans la décision Koo (Re), précitée, pour déterminer la résidence, un critère qu’il a justement décrit comme représentant « l’approche prédominante » dans la jurisprudence. Il a aussi conclu que la stricte application du critère de présence physique constituait une erreur de droit susceptible de contrôle en fonction de la norme de la décision correcte : voir aussi Lin c. Canada (MCI), 2002 CFPI 346, 21 Imm LR (3d) 104, aux paragraphes 9 et 19. Je suis d’accord avec le juge O’Reilly et je tiens à ajouter à son analyse sérieuse les points suivants. 

 

[14]           L’idée selon laquelle deux ou peut-être trois critères distincts pour évaluer la résidence puissent se trouver dans l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté implique l’adoption implicite de la norme de la décision correcte. Cette adhésion découle de la reconnaissance du fait qu’il y a un nombre limité d’interprétations possibles qui s’offrent au juge de citoyenneté et que d’autres interprétations raisonnables ne sont pas possibles. Probablement l’application d’une véritable norme de raisonnabilité en conformité à l’alinéa 5(1)c) reconnaîtrait d’autres approches possibles ou peut‑être même une approche hybride. Je souligne que la Cour a systématiquement rejeté, en tant qu’erreur de droit, la combinaison par le Bureau de la citoyenneté des critères déjà reconnus pour déterminer la résidence sans procéder à une évaluation évidente de la raisonnabilité de l’approche adoptée. 

 

[15]           Lors de la rédaction de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, une exigence particulière sur laquelle est fondé l’octroi de la citoyenneté en fonction de la résidence, le législateur n’a pas voulu prévoir qu’elle soit sujette à une variété d’interprétations possibles. Cette disposition n’est pas du tout similaire à celle étudiée dans l’arrêt Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, dans lequel la Cour suprême du Canada a été capable de cerner l’intention du législateur voulant que le décideur (un tribunal administratif ayant une expertise reconnue et spécialisée) soit doté d’une autorité pour décider de la nature et du montant d’une adjudication des dépens. Dans cette affaire, le décideur était reconnu comme ayant une large marge de manœuvre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, ce qui a été mis en évidence par la disposition législative selon laquelle un comité d’arbitrage peut adjuger des dépens s’il croit qu’ils sont « entraînés par l’exercice du recours ». Il était apparent à la Cour suprême, dans l’arrêt Smith, que cette disposition relative aux dépens avait été laissée sujette aux interprétations afin de permettre au décideur de tenir compte d’un éventail de circonstances potentiellement imprévisibles, mais avec le but sous-entendu d’octroyer une pleine compensation dans le contexte d’une expropriation

 

[16]           En revanche, il semble incongru qu’une intention évidente du législateur selon laquelle l’exigence en matière de résidence tirée de l’alinéa 5(1)c) doit n’avoir qu’une seule signification puisse être infirmée par une déduction voulant que le législateur ait aussi voulu que le devoir de réserve soit élargi a un juge de citoyenneté (un tribunal administratif profane) concernant les appels de dernière instance à la Cour fédérale pour des questions de droit, créant ainsi des issues incohérentes à des affaires identiques. Poussée à sa conclusion logique, l’idée que les dispositions légales, telles que celle dont il est question en l’espèce, soient sujettes à un éventail d’interprétations [traduction] « raisonnables » entraînerait un chaos administratif et donnerait lieu à une iniquité généralisée dans une variété de contextes où s’exerce le pouvoir discrétionnaire.

 

[17]           Adopter une norme différente pour le type de question soulevée par l’affaire Smith, précitée, et ne pas appliquer un devoir de réserve à la question présentée en l’espèce est, selon moi, cohérent avec l’analyse de la norme de contrôle exigée par la décision Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 : soit, lorsque qu’elle procède à l’analyse d’une norme de contrôle, une cour de révision doit considérer, entre autres choses, l’expertise du tribunal administratif et la nature précise de la question étudiée. 

 

[18]           Nonobstant les vues murement réfléchies des collègues qui ont conclu autrement sur cette question, je demeure d’avis qu’il ne peut y avoir qu’un seul critère reconnu pour évaluer la résidence en conformité avec l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté

 

[19]           Comme je l’ai mentionné dans l’affaire Ghaedi, précitée, un juge de citoyenneté doit appliquer le critère en matière de résidence qui a été reconnu dans la décision Koo (Re), précitée, pour des affaires où un demandeur, tel que M. El Ocla, n’a pas été physiquement présent au Canada pendant 1095 jours au cours des quatre années précédentes, mais démontre une preuve qu’il a centralisé son mode de vie au pays. Mais lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, un juge de citoyenneté applique uniquement le critère de présence physique, il commet une erreur de droit susceptible de contrôle en fonction de la norme de la décision correcte

 

[20]           Il n’est tout simplement pas acceptable ou tolérable que certains demandeurs, dont la demande de citoyenneté canadienne est peut-être moins méritoire que celle de M. El Ocla, obtiennent succès, parce qu’ils ont eu la chance de comparaître devant un juge de citoyenneté qui a choisi d’appliquer le critère qualitatif pour évaluer la résidence. Bien que plusieurs aient dit que le législateur était le mieux placé pour le régler le problème, une solution se fait attendre depuis plus de 30 ans et la suggestion de régler le problème n’apporte aucun réconfort aux gens comme M. El Ocla qui sont les victimes d’un manque de clarté légale et d’un état d’incohérence judiciaire qui existent depuis trop longtemps. 

 

[21]           En conclusion, l’appel est accueilli. La demande de citoyenneté de M. El Ocla sera renvoyée à un autre juge de citoyenneté pour nouvelle décision sur le fond en conformité avec les présents motifs

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que le présent appel soit accueilli et que l’affaire soit renvoyée à un autre juge de citoyenneté pour nouvelle décision sur le fond en conformité avec les présents motifs. 

 

 

 

« R.L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1512-10

 

INTITULÉ :                                       OCLA c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Thunder Bay (ON)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 mai 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lydia C. Stam

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Tamrat Gebeyehu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stam Law Office

Thunder Bay (ON)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (ON)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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