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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110510

Dossier : IMM-6087-10

Référence : 2011 CF 536

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2011

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

THISOKLAL GNANAGURU ET VELUMMYLUM GNANAGURU

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION ET

LE MINISTRE DE LA PROTECTION CIVILE ET DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

 

 

 

 

défendeurs

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Le contexte

 

[1]               M. Thisoklal Gnanaguru, l’un des demandeurs dans la présente affaire, voudrait parrainer son père, M. Velummylum Gnanaguru (le père), ainsi que la famille de son père, pour les faire venir au Canada depuis le Sri Lanka. Par décision datée du 27 septembre 2010, un agent des visas (l’agent) du Haut-Commissariat du Canada au Sri Lanka a refusé la demande parrainée de résidence permanente déposée pour le père, au motif que le père était interdit de territoire au Canada. L’agent a conclu que le père était interdit de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), pour avoir fait une présentation erronée sur des faits importants ou avoir fait une réticence sur de tels faits. L’agent a conclu aussi que l’existence de motifs d’ordre humanitaire ne justifiait pas l’attribution du statut de résident permanent au père, ni une dérogation à une quelconque obligation prévue par la LIPR. Les demandeurs voudraient faire annuler la décision de l’agent.

 

II.        Les questions en litige

 

[2]               Les questions en litige soulevées par la présente demande sont les suivantes :

 

1.                  Quelle norme de contrôle convient-il d’appliquer?

 

2.                  L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que le père était interdit de territoire?

 

3.                  L’agent a-t-il commis une erreur en examinant les motifs d’ordre humanitaire sans en avoir informé les demandeurs?

 

4.                  Une mesure spéciale devrait-elle être accordée dans la présente affaire?

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’il n’était pas déraisonnable pour l’agent de conclure que le père était interdit de territoire. Cependant, je crois aussi que la conclusion relative aux motifs d’ordre humanitaire a été tirée sans que les demandeurs en aient été dûment avisés et qu’elle devrait être réexaminée.

 

II.        Les dispositions légales

 

[4]               Les dispositions légales applicables sont les suivantes :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés 

(L.C. 2001, ch. 27)

 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

 

 

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

Immigration and Refugee Protection Act 

(S.C. 2001, c. 27)

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

40. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

 

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

 

 

III.       Analyse

 

A.        La question n° 1 : Quelle norme de contrôle convient-il d’appliquer?

 

[5]               Les deux questions de fond soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire portent sur les conclusions suivantes de l’agent : a) le père était interdit de territoire pour cause de présentation erronée sur des faits importants et b) les motifs d’ordre humanitaire ne justifiaient pas la prise d’une mesure spéciale.

 

[6]               La conclusion d’un agent des visas selon laquelle un demandeur est interdit de territoire appelle la retenue de la Cour et doit donc être contrôlée d’après la norme de la raisonnabilité (voir, par exemple, Kumarasekaram c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1311; Karami c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 788). En outre, depuis l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 rendu par la Cour suprême, il est bien établi que la norme de contrôle applicable aux décisions d’agents des visas relatives aux motifs d’ordre humanitaire est la norme de la raisonnabilité.

 

[7]               Appliquant cette norme de contrôle, la Cour n’interviendra pas dans la mesure où la décision de l’agent appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 47).

 

[8]               La question de savoir si les demandeurs ont été dûment avisés que l’agent procéderait à un examen des motifs d’ordre humanitaire est une question d’équité procédurale, qui est contrôlée d’après la norme de la décision correcte.

 

B.         La question n° 2 : L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que le père était interdit de territoire?

 

[9]               Comme on peut le lire dans la lettre de décision, l’agent a trouvé que les documents produits par le père comportaient une présentation erronée de faits importants sous trois aspects : le détail de ses antécédents professionnels ou de ses activités passées; le détail de ses détentions; enfin, l’historique de ses adresses. Dans une lettre datée du 25 août 2010 (la lettre relative à l’équité), l’agent a informé le père des doutes qu’il avait et lui a donné la possibilité de les dissiper. Le père a répondu par écrit à la lettre relative à l’équité. Les demandeurs font valoir que l’agent a commis une erreur dans chacune des trois conclusions.

 

(1)        Le caractère cumulatif des conclusions

 

[10]           Le premier argument avancé par les demandeurs est le fait que les trois conclusions sont « cumulatives », en ce sens que, si l’agent a commis une erreur dans l’une des trois conclusions, alors sa décision tout entière doit être annulée. Cela n’est pas exact.

 

[11]           En l’espèce, l’agent a tiré trois conclusions distinctes de présentation erronée sur un fait important. En général, une seule présentation erronée de faits importants, si elle ne résulte pas d’une erreur, autorisera l’agent à conclure que le demandeur a fait une présentation erronée sur des faits importants et qu’il est donc interdit de territoire. Il s’ensuit que la conclusion de l’agent sur l’interdiction de territoire ne doit être annulée que si les trois conclusions relatives au père sont erronées.

 

[12]           Les demandeurs se fondent sur deux précédents : Kozman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 714, et Peng c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n° 119 (C.A.). À mon avis, aucun de ces précédents n’appuie la position des demandeurs.

 

[13]           Dans la décision Kozman, le point litigieux concernait l’effet de questions inopportunes posées par le commissaire. Le commissaire avait posé à la demanderesse de nombreuses questions sur les raisons pour lesquelles elle avait choisi de faire une affirmation solennelle plutôt que de prêter serment sur la Bible alors qu’elle était croyante. La Cour a fait droit à la demande de contrôle judiciaire parce qu’il était impossible, au vu du dossier, de dire l’effet que ces questions avaient pu avoir sur la manière dont la Commission avait apprécié la preuve. Il ne s’agit nullement de cela ici.

 

[14]           Dans l’arrêt Peng, la Commission avait conclu erronément que la demanderesse ne résidait pas à Canton, mais qu’elle venait probablement de Hong Kong. La Cour d’appel fédérale a estimé qu’il lui était impossible de dire si cette erreur avait amené la Commission à conclure différemment. Encore une fois, le cas dont je suis saisie est tout autre.

 

(2)        Les adresses

 

[15]           L’agent a trouvé que les observations du père concernant son [traduction] « historique d’adresses » ne concordait pas. Dans la lettre relative à l’équité, l’agent a exposé ainsi ses doutes :

[traduction]

 

Votre historique d’adresses varie considérablement en fonction de la source d’information que je consulte. Votre nouvelle demande comprend maintenant de nouveaux renseignements, par exemple un déplacement en décembre 1995 et un retour à Jaffna en janvier 1997. Les dates relatives aux emplacements de Jaffna et de Trincomalee diffèrent d’environ six mois par rapport aux demandes antérieures. Je dois me faire une idée exacte des endroits où vous avez habité, et je dois savoir pourquoi les renseignements que vous donnez varient à ce point. Je note que les adresses de votre épouse ont varié elles aussi.

 

[16]           Dans sa réponse datée du 11 septembre 2010, le père n’a donné qu’une seule raison pour expliquer les différentes adresses. Il a blâmé un interprète qui, en 2005, n’avait pas inclus toutes ses adresses.

 

[17]           Comme le révèlent les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI) (dossier certifié du tribunal (le DCT), page 24), l’agent a examiné l’explication donnée par le père (désigné sous le sigle « PI » dans les notes du STIDI), et il l’a rejetée dans les termes suivants :

[traduction]

 

Le PI nous dit que les changements dans ses demandes concernant les emplacements et les dates s’expliquent par le fait qu’une demande antérieure avait été remplie par un interprète, mais d’une manière inexacte. Le PI ne reconnaît pas qu’il lui incombait à lui de s’assurer de l’exactitude des renseignements présentés. En décembre 2008, au cours d’une entrevue, le PI a signé une déclaration selon laquelle cette même demande de 2005 était véridique, complète et exacte. Il n’a pas mentionné à ce moment-là que des erreurs pouvaient s’y être glissées. Je suis d’avis que le PI a donc fait une présentation erronée de ses adresses passées.

 

[18]           Ce qui ressort clairement aussi des notes du STIDI est le fait que l’agent a estimé qu’il s’agissait là d’une présentation erronée sur des faits importants. Le point de savoir si un fait est important relève sans contredit de la compétence de l’agent.

 

[19]           Les demandeurs ont tenté de rejeter la responsabilité de la situation sur l’interprète, alors même que le père avait signé la déclaration selon laquelle les renseignements figurant dans la demande étaient véridiques et exacts. Les demandeurs ont aussi affirmé que le père n’avait pas volontairement indiqué des adresses inexactes, comme en témoigne le fait que le père les a modifiées par la suite. Un examen du dossier montre qu’il ne s’agissait pas là d’une simple déclaration inexacte d’une seule adresse. En fait, l’historique des lieux de résidence du père est rempli de contradictions et d’incohérences, et il est impossible qu’elles puissent être toutes imputées à l’interprète.

 

[20]           En somme, il était raisonnablement loisible à l’agent de rejeter l’explication du père pour qui c’était la faute de l’interprète, et de conclure qu’il y avait là présentation erronée sur un fait important.

 


(3)        Les antécédents professionnels

 

[21]           L’agent a également constaté une présentation erronée sur des faits importants dans les antécédents professionnels du père. Il a fait connaître ses doutes au père dans la lettre relative à l’équité. Dans cette lettre, il a noté que le père avait uniquement mentionné sur sa demande son métier de pêcheur, qu’il avait plus tard révélé qu’il avait géré un atelier de textiles et qu’il avait alors donné plusieurs dates pour la fermeture de l’atelier. L’agent a aussi souligné que le père n’avait pu produire aucune preuve attestant qu’il avait géré un atelier, par exemple un permis d’exploitation commerciale, lequel, selon l’agent, aurait été nécessaire à l’époque. L’agent n’a pu trouver non plus aucune preuve à l’appui de l’affirmation du père selon laquelle il était pêcheur (si ce n’est une carte d’identité de pêcheur délivrée pour l’année 2003), par exemple un enregistrement de bateau, un document délivré par le gouvernement faisant foi de son emploi, ou encore une preuve acceptable de sa participation dans une coopérative. En outre, la carte d’identité de pêcheur qui a été produite renfermait pour 2003 une adresse différente de celle qui figurait dans la demande du père.

 

[22]           Dans sa réponse du 11 septembre 2010, le père a tenté de donner un certain nombre de renseignements afin de dissiper les doutes de l’agent. L’agent a examiné la réponse et a trouvé qu’elle ne suffisait pas à dissiper ses doutes.

 

[23]           Contrairement aux observations des demandeurs, je n’estime pas que l’agent se soit fondé sur de pures hypothèses en ce qui a trait aux documents qui auraient pu être présentés. Le problème était l’absence quasi totale de documents corroborant ses 35 années d’activités de pêche et d’appartenance à une coopérative.

[24]           À mon avis, l’agent pouvait raisonnablement conclure que le père avait fait une présentation erronée sur ses antécédents professionnels et que cette présentation erronée portait sur des faits importants.

 

(4)        Les détentions

 

[25]           Les demandeurs affirment que l’agent a commis une erreur en concluant que le père avait fait une présentation erronée sur son passé parce qu’il n’avait pas mentionné avoir été détenu – à au moins trois reprises – par les forces des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET). Le père reconnaît qu’il a été détenu par les TLET, mais il affirme que, s’il n’en a pas fait état, c’était parce qu’il a présumé que le formulaire de demande ne portait que sur les arrestations ou détentions effectuées par des agents de l’État. Selon lui, les TLET n’avaient jamais constitué un gouvernement légitime. L’argument semble être que seuls les agents officiels de l’État du Sri Lanka pouvaient procéder à des arrestations et à des détentions. Ainsi, de soutenir les demandeurs, le père n’avait jamais été détenu au sens de la demande. L’agent n’a pas accepté cette explication, et je ne l’accepte pas non plus.

 

[26]           À mon avis, les formulaires remplis par le père ne limitaient pas le mot « détention » à la détention par les forces gouvernementales du Sri Lanka. Par exemple, la question 11 du formulaire rempli en 2005 prie le demandeur de « donner les détails de ce que vous faisiez au cours des 10 dernières années ou depuis l’âge de 18 ans […] en incluant les emplois occupés, les périodes de chômage, les périodes d’études et tout autre […] par exemple séjours dans des hôpitaux, des prisons ou autres lieux de privation de liberté […] » [non souligné dans l’original]. La question met aussi le demandeur en garde : « Vous ne devez laisser aucun blanc. » Le père n’a pas énuméré ses périodes de privation de liberté (ni ses périodes de détention) imputables aux TLET, contrevenant ainsi manifestement aux directives. Dans le doute, le père aurait été bien avisé d’inclure les détentions imputables aux TLET, en donnant une explication. Il ne l’a pas fait, et l’on peut dès lors se demander ce qu’il cherchait à dissimuler.

 

[27]           S’agissant de la question de savoir si les TLET constituaient un « gouvernement », j’observe aussi que l’explication donnée par le père ne concorde pas avec l’idée que se faisait M. Thisoklal Gnagaguru (son fils et son répondant) du rôle des TLET au Sri Lanka. En 2008, M. Thisoklal Gnagaguru a fait la déclaration suivante dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) présenté avec sa demande d’asile au Canada (DTC, page 196) :

[traduction]

 

Les TLET prenaient parfois de l’argent à mon père, qui était un homme d’affaires. Lorsque mon père hésitait à leur donner de l’argent, ils le frappaient, le menaçaient d’arrestation et le maltraitaient. Nous ne pouvions rien faire pour empêcher cette injustice, parce que les TLET avaient la mainmise sur notre région et s’occupaient de l’administration civile. [Non souligné dans l’original.]

 

[28]           Dans le même document, le fils mentionne le fait que son père [traduction] « a été arrêté et détenu par les TLET ». Ce document montre clairement que les TLET étaient considérés par les demandeurs comme une entité administrative exerçant un réel contrôle sur leur territoire et ayant le droit d’arrêter et de détenir des gens. La question n’est pas de savoir si les TLET constituaient un gouvernement « légitime ».

 

[29]           Vu la preuve dont il disposait, l’agent était fondé à conclure que le père avait délibérément omis de faire état de ses détentions imputables aux TLET. Je suis de plus persuadée qu’il n’était pas déraisonnable pour l’agent de conclure que cette présentation erronée portait sur un fait important.

 

(5)        La conclusion sur l’interdiction de territoire

 

[30]           Finalement, je ne suis pas persuadée que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a examiné la question de savoir si le père était interdit de territoire. Il n’était pas déraisonnable pour l’agent de conclure comme il l’a fait : 

[traduction]

Vous avez fait une présentation erronée sur vos activités passées, sur vos adresses et sur vos détentions. Ces éléments sont essentiels pour savoir si vous êtes ou non interdit de territoire. Sans des renseignements crédibles, clairs et véridiques, il m’est impossible de conclure que vous n’êtes pas interdit de territoire. La présentation erronée ou la réticence sur des faits importants a entraîné, ou a risqué d’entraîner, une erreur dans l’application de la Loi, parce que nous aurions pu rendre des décisions fautives concernant votre admissibilité.

 

D.        La question n° 4 : L’agent a-t-il commis une erreur en niant l’existence de motifs d’ordre humanitaire?

 

[31]           Ayant conclu que le père était interdit de territoire en raison d’une présentation erronée des faits, l’agent s’est alors demandé si une dispense d’interdiction de territoire pouvait se justifier en raison de motifs d’ordre humanitaire, en application du paragraphe 25(1) de la LIPR. L’agent a conclu que les motifs d’ordre humanitaire n’étaient pas substantiels au point de justifier que l’on écarte les obligations de la LIPR ou au point de passer outre aux questions de sécurité qui exigent que l’on fasse la preuve que l’on n’est pas interdit de territoire.

 

[32]           L’argument principal des demandeurs est que l’agent a évalué les motifs d’ordre humanitaire sans les informer que les motifs en question allaient être pris en compte.

 

[33]           Les demandeurs n’avaient pas prié l’agent de procéder à une évaluation des motifs d’ordre humanitaire. En fait, les demandeurs croyaient que le père et sa famille avaient été acceptés pour motifs d’ordre humanitaire dans le cadre des interventions qui avaient fait suite au tsunami. On peut le constater dans un passage des notes du STIDI, dans le dossier certifié du tribunal :

[traduction]

 

EN VERTU DE LA RÉPONSE DE CIC À LA CATASTROPHE CAUSÉE PAR LE TSUNAMI, LE DEMANDEUR A ÉTÉ ACCEPTÉ POUR DES MOTIFS D’ORDRE HUMANITAIRE ET SA DEMANDE SERA TRAITÉE À TITRE PRIORITAIRE (DTC, page 4)

 

[34]           Les demandeurs affirment que, s’ils avaient su que l’agent allait tenir compte des motifs d’ordre humanitaire et vérifier si ces motifs devaient ou non l’emporter sur une conclusion d’interdiction de territoire, alors ils auraient dû en être informés et avoir la possibilité de présenter des observations ainsi que des éléments de preuve supplémentaires. Au vu des circonstances particulières de la présente affaire, je partage leur avis.

 

[35]           La présente affaire est tout à fait inusitée. Le cas du père a semble-t-il été évalué en marge de la réponse du Canada au tsunami et, en 2005, le père a obtenu une « approbation préalable » en tant que victime de la catastrophe. L’approbation était néanmoins subordonnée à une étape finale, c’est-à-dire à une vérification des références et à d’autres critères juridiques, dont l’un était de savoir si le père était frappé d’interdiction de territoire. Il n’était pas déraisonnable pour les demandeurs de penser que l’examen mené par l’agent allait se limiter à l’interdiction de territoire. La lettre relative à l’équité ne mentionnait pas non plus que l’agent se prononcerait sur l’existence possible de motifs d’ordre humanitaire.

 

[36]           Enfin, je suis d’avis que, au vu des circonstances particulières de la présente affaire, le père aurait dû avoir la possibilité de présenter d’autres observations sur les motifs d’ordre humanitaire. Ne lui ayant pas donné cette possibilité, l’agent a manqué aux règles de l’équité procédurale. Sur ce moyen précis, la demande de contrôle judiciaire sera accordée.

 

V.        Conclusion et réparations demandées

 

[37]           En définitive, les demandeurs obtiendront gain de cause sur l’aspect de la décision de l’agent qui concernait les motifs d’ordre humanitaire.

 

[38]           Les demandeurs voudraient obtenir un certain nombre de réparations. Je les examinerai chacun séparément :

 

1.                  Ils voudraient que la décision soit annulée. Je n’annulerai que la partie de la décision où l’agent a conclu que, en application du paragraphe 25(1) de la LIPR, les motifs d’ordre humanitaire ne justifiaient pas l’attribution de la résidence permanente au père, ni une dispense d’application des dispositions applicables de la LIPR.

 

2.                  Ils voudraient que la Cour ordonne au défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, d’accepter le père et sa famille comme résidents permanents du Canada. Je ne donnerai pas cette directive au défendeur. Je ne la lui aurais pas donnée non plus même si j’avais conclu que l’ensemble de la décision était déraisonnable; il ne s’agit pas ici d’un cas qui se prête à une décision tranchant l’affaire de façon définitive, soit une décision dans laquelle la Cour assumerait en fait les devoirs et responsabilités d’un agent des visas.

 

3.                  Ils voudraient que, si la Cour n’est pas disposée à rendre une telle décision, l’affaire soit renvoyée à l’administration centrale du défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, pour qu’une décision soit rendue dans un délai de 30 jours après l’ordonnance de la Cour. Les circonstances de la présente affaire sont inusitées, en ce sens que la décision ici contestée est la deuxième à être rendue sur la même demande, et que l’agent qui a procédé à ce deuxième examen était un conseiller supérieur de l’ambassade du Canada à Colombo. À mon avis, pour éviter toute autre allégation d’absence d’équité, il serait préférable que l’affaire soit renvoyée à l’administration centrale pour nouvel examen de la conclusion relative aux motifs d’ordre humanitaire. Étant donné que, comme l’ont souhaité les demandeurs, le nouvel examen sera mené par l’administration centrale et que les demandeurs seront autorisés à présenter d’autres observations, l’examen nécessitera inévitablement plus de 30 jours. Je ne suis donc pas disposée à fixer des délais. Cependant, je m’attends à ce que l’affaire soit réglée promptement.

 

4.                  Ils voudraient que leur soient accordés les dépens avocat-client. Il n’y a aucune raison particulière d’accorder des dépens dans la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[39]           Finalement, je voudrais souligner que ma décision selon laquelle cette affaire devrait être examinée à l’administration centrale ne doit en aucune façon être vue comme une critique adressée à l’agent. À mon avis, les attaques formulées par les demandeurs contre cet agent dans leurs observations n’étaient pas justifiées, ni fondées sur la preuve hormis le fait que la demande a été, pour une deuxième fois, refusée. L’administration de la justice n’est pas aidée par de telles attaques contre la réputation et l’intégrité de l’un des fonctionnaires du Canada.

 

[40]           Aucune des parties n’a proposé que soit certifiée une question.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  la décision de l’agent concernant le paragraphe 11(1) et l’alinéa 40(1)a) de la LIPR est confirmée;

 

2.                  la décision de l’agent concernant le paragraphe 25(1) de la LIPR est annulée et l’affaire est renvoyée, pour nouvel examen, à un autre agent de CIC posté à l’administration centrale du défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration;

 

3.                  les demandeurs seront autorisés à présenter d’autres observations en lien avec les prétentions fondées sur le paragraphe 25(1);

 

4.                  le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, évaluera les prétentions fondées sur le paragraphe 25(1) aussi rapidement qu’il sera possible après avoir reçu les observations additionnelles des demandeurs ou après avoir été informé par eux qu’ils ne présenteront pas d’autres observations;

 

5.                  aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-6087-10

 

INTITULÉ :                                       THISOKLAL GNANAGURU et

                                                            GNANAGURU VELUMMYLUM

                                                            c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et MINISTRE DE LA PROTECTION CIVILE ET DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 3 MAI 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 10 MAI 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Raoul Boulakia

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Gregory George

POUR LE DÉFENDEUR,

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

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