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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110517

Dossier : IMM-3139-10

Référence : 2011 CF 558

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

RACHID FATHI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Rachid Fathi, un citoyen du Maroc, a épousé une Canadienne qu’il a rencontrée alors qu’il était au Canada sans statut. Il est retourné au Maroc et a présenté une demande d’admission au Canada. Sa demande a été rejetée au motif qu’il y avait des raisons de croire qu’il était membre d’une organisation terroriste et qu’il avait fait une présentation erronée sur des faits importants au sujet de son séjour et des personnes qu’il connaissait au Canada. Les présents motifs exposent les raisons du rejet de la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Fathi.

 

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue le 26 mai 2010 par une agente des visas de la Section de l’immigration de l’ambassade du Canada à Rabat, au Maroc.

 

LE CONTEXTE

 

[3]               M. Fathi est venu au Canada en octobre 1992 muni d’un visa de visiteur afin de participer à une compétition d’arts martiaux. Il est resté au Canada pendant plus longtemps que le séjour autorisé, soit jusqu’en mars 2005, et il est demeuré et a travaillé principalement à Montréal. M. Fathi a épousé une citoyenne canadienne en 1994 et il a déposé une demande de résidence permanente parrainée par son épouse en 1995. Cette demande a été retirée lorsque le couple s’est séparé quelques mois plus tard.

 

[4]               M. Fathi a divorcé de sa première épouse en 1996. Il affirme que, la même année, il a perdu son passeport et, comme il ne pouvait pas obtenir un autre passeport valide sans le signaler à la police, il a acheté, par la fraude, un passeport canadien et d’autres documents sous le nom de Rachid Farouq. Il a utilisé ce passeport pour voyager en Germanie afin de visiter son frère en 1997 et sa famille au Maroc en 1999. Il affirme avoir détruit le faux passeport après les événements du 11 septembre 2001 et avoir recommencé à utiliser sa vraie identité.

 

[5]               M. Fathi a rencontré son épouse actuelle en juillet 2003 à Montréal et ils se sont mariés en mars 2004. En novembre 2004, il a présenté une nouvelle demande de résidence permanente parrainée par son épouse. En février 2005, M. Fathi a révélé qu’il était déjà au Canada et, le 17 mars 2005, il s’est livré aux agents d’immigration et est retourné au Maroc en avion sur un vol qu’il avait déjà réservé.

 

[6]               La première entrevue de M. Fathi à l’égard de sa demande d’établissement a eu lieu le 15 septembre 2005 et a été menée par une agente à l’ambassade de Rabat. Il a été conclu que le mariage était authentique et il a été demandé que soit effectuée une vérification de sécurité. Son épouse s’est rendue au Maroc à plusieurs reprises. Le premier enfant du couple est né en février 2006 et le second enfant est né en décembre 2010.

 

[7]               M. Fathi a été convoqué à une deuxième entrevue le 25 octobre 2006 concernant certaines réserves soulevées par la vérification de sécurité. Au cours de la deuxième entrevue, le demandeur a été interrogé au sujet de ses activités et des personnes qu’il connaissait à Montréal. Ses réponses renfermaient un certain nombre de mensonges et de présentations erronées. En janvier 2008, le demandeur a sollicité une troisième entrevue afin de préciser ces éléments. Lors d’une entrevue menée le 2 avril 2008, le demandeur a admis avoir menti lors de la deuxième entrevue. M. Fathi a également admis avoir acheté et utilisé de faux documents pendant son séjour au Canada.

 

[8]               Alors qu’il vivait à Montréal et utilisait le nom Farouq, M. Fathi avait tissé des liens avec un certain nombre de personnes liées à des organisations terroristes du nord de l’Afrique, notamment Abdellah Ouzghar. M. Ouzghar a plus tard été extradé en France et déclaré coupable d’infractions parmi lesquelles on compte l’appartenance à une organisation terroriste et l’acquisition de faux documents pour le compte de personnes qui se livraient à des activités terroristes.

 

[9]               Une lettre relative à l’équité renfermant l’examen préliminaire de l’agente a été envoyée au demandeur le 22 janvier 2010, et une réponse a été reçue le 25 février 2010. La décision de l’agente de refuser la demande a été envoyée au demandeur le 26 mai 2010.

 

 

LA DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

 

 

[10]           L’agente a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour raison de sécurité en application des alinéas 34(1)c) et f) de la Loi, parce qu’il s’était livré au terrorisme et avait été membre d’une organisation dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteure d’un acte de terrorisme. Les organisations mentionnées sont le Groupe islamique armé (le GIA) et le Groupe islamique combattant libyen (le GICL).

 

[11]           L’agente a également conclu que M. Fathi était interdit de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi pour avoir fait une présentation erronée sur des faits importants. Plus précisément, l’agente a noté que lors de son entrevue d’octobre 2006, le demandeur avait nié avoir utilisé de faux documents et connaître Abdellah Ouzghar et d’autres personnes que l’on croyait liées au GIA et au GICL. Ce n’est que lorsque l’agente a insisté lors de l’entrevue d’avril 2008 que le demandeur a admis ces faits, qui non pas été contestés par le demandeur dans sa réponse de février 2010 à la lettre relative à l’équité. L’agente a conclu que les mensonges et l’attitude du demandeur ainsi que les contradictions dans ses entrevues ont miné sa crédibilité.

 

[12]           L’agente a noté la demande du demandeur de tenir compte de circonstances exceptionnelles suivant lesquelles elle pourrait lui accorder une dispense quant à son interdiction de territoire établie en application de l’alinéa 40(1)a) et lui délivrer un visa de résident temporaire. L’agente a affirmé qu’elle n’avait pas la compétence pour examiner si les circonstances justifiaient la délivrance d’un permis de séjour temporaire suivant l’article 24 de la Loi, puisque le demandeur a été déclaré interdit de territoire pour raison de sécurité. L’agente a envoyé pour examen la demande de dispense à l’administration centrale de Citoyenneté et Immigration Canada à Ottawa.

 

[13]           À la demande du demandeur, l’agente a examiné si des motifs d’ordre humanitaire pourraient trouver application dans son dossier. L’agente a conclu que la situation de M. Fathi ne justifiait pas une dispense pour motifs d’ordre humanitaire; elle a tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (le demandeur et son épouse ont eu un deuxième enfant après cette décision), les difficultés auxquelles feraient face la mère et l’enfant s’ils devaient retourner au Maroc et le fait que le demandeur a été frappé d’interdiction de territoire sur le fondement des articles 34 et 40 de la Loi.

 

L’ORDONNANCE DE PROTECTION DE RENSEIGNEMENTS

 

[14]           Par voie de requête datée du 22 décembre 2010, le défendeur a sollicité une ordonnance d’interdiction de divulgation en vertu de l’article 87 de la Loi concernant des renseignements qui avaient été caviardés dans le dossier certifié soumis à l’ambassade et déposés le 17 décembre 2010. Le défendeur a déposé, ex parte, au greffe des instances désigné de la Cour des affidavits secrets auxquels étaient jointes des pièces renfermant les renseignements caviardés. Le demandeur a demandé que la Cour établisse s’il était nécessaire de nommer un avocat spécial pour aider la Cour à déterminer si les renseignements devraient être protégés.

 

[15]           Dans une ordonnance datée du 4 février 2011, j’ai accueilli la requête du défendeur et j’ai ordonné que les renseignements caviardés dans le dossier certifié ne soient pas divulgués au public, ni au demandeur ni à son avocat. J’ai mentionné dans l’ordonnance que la nomination de l’avocat spécial n’était pas nécessaire pour protéger les intérêts du demandeur dans le présent contrôle judiciaire.

 

[16]           Dans cette ordonnance, j’ai noté que j’avais examiné les renseignements caviardés et que j’étais convaincu que le caviardage était justifié, que la plus grande partie de l’information caviardée renfermait des renseignements de nature interne ou administrative, que certains renseignements touchant au fond de l’affaire semblaient déjà avoir été divulgués au demandeur sous une forme ou une autre et que l’essentiel des renseignements touchant au fond de l’affaire avait été résumé dans la décision et les motifs écrits du 26 mai 2010, lesquels sont connus du demandeur.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[17]           Rien dans le dossier dont je suis saisi ne donne à penser que le demandeur s’est livré au terrorisme au sens de l’alinéa 34(1)c). L’avocat du défendeur a, à juste titre, concédé ce point lors de l’audience. Par conséquent, la décision ne peut pas être confirmée sur le fondement de ce motif. Le demandeur ne conteste pas le fait que les organisations auxquelles il appartiendrait ou aurait appartenu sont des organisations qui se livrent à des actes de terrorisme et que, par conséquent, elles sont visées par l’alinéa 34(1)f). Il conteste l’allégation selon laquelle il est ou a déjà été membre de l’une ou l’autre organisation. Par conséquent, les questions soulevées dans la présente affaire sont les suivantes :

a.       Les conclusions de l’agente relatives à l’interdiction de territoire sont‑elles raisonnables?

b.      Les conclusions relatives aux motifs d’ordre humanitaire tirés par l’agente sont‑elles raisonnables?

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES PERTINENTES

 

[18]           L’article 33 de la Loi établit le critère des « motifs raisonnables de croire » pour l’établissement des faits nécessaire à l’examen lié à l’interdiction de territoire effectué en application des articles 34 et 37 :

 

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

 

[19]           L’article 34 de la Loi énonce les motifs pour lesquels une personne est interdite de territoire au Canada pour raison de sécurité. Les dispositions pertinentes dans le présent contrôle judiciaire sont les alinéas 34(1)c) et f) :

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

[…]

[…]

 

c) se livrer au terrorisme;

(c) engaging in terrorism;

 

[…]

[…]

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas […] c).

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph …(c).

 

[20]           Comme il l’a été noté ci‑dessus, rien ne donne à penser que le demandeur s’est lui‑même livré au terrorisme. L’alinéa 34(1)c) est donc pertinent en l’espèce dans la seule mesure où il en est question à l’alinéa 34(1)f).

 

[21]           L’article 40 de la Loi porte sur l’interdiction de territoire pour motifs de présentation erronés. L’alinéa 40(1)a) est ainsi libellé :

 

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

 

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

 

[22]           L’article 25 de la Loi prévoit que l’on peut accorder une dispense à l’égard d’une conclusion d’interdiction de territoire si des motifs d’ordre humanitaire le justifient :

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances

concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

 

[23]           La personne interdite de territoire pour raison de sécurité peut solliciter une dispense à l’égard de cette conclusion en vertu du paragraphe 34(2) de la Loi. Cette disposition, qui confère un pouvoir discrétionnaire, exige que le ministre détermine si la présence du demandeur au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. Il est question de cette dispense en l’espèce seulement parce que le défendeur a fait une observation selon laquelle il était encore loisible au demandeur d’en faire la demande.

 

ANALYSE

 

La norme de contrôle judiciaire

 

[24]           Selon la jurisprudence, le critère des « motifs raisonnables de croire » énoncé à l’alinéa 34(1)f) et à l’article 33 de la Loi exige davantage que de simples soupçons, mais est moins rigoureux que la prépondérance de la preuve en matière civile. Ce critère exige un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 39, au paragraphe 114; Mohammad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 51, au paragraphe 50; Almrei (Re), 2009 CF 1263, au paragraphe 100.

 

[25]           La question de savoir si une personne est membre d’une organisation qui est, a été ou sera l’auteure d’un acte de terrorisme au sens de l’alinéa 34(1)f) constitue une question mixte de fait et de droit et elle commande l’application de la raisonnabilité comme norme de contrôle : Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, [2005] 3 R.C.F. 487, aux paragraphes 16 à 23.

 

[26]           La raisonnabilité reflète l’élément factuel présent dans les questions relatives à l’appartenance à une organisation ainsi que l’expertise des agents dans l’évaluation des demandes au regard du critère de l’interdiction de territoire établi au paragraphe 34(1) de la Loi : Ugbazghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 694, [2009] 1 R.C.F. 454; Saleh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 303.

 

[27]           Il se peut très bien qu’il existe plus d’une issue raisonnable dans une affaire comme en l’espèce. Si le processus suivi par l’agent des visas et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, aux paragraphes 46 et 59.

 

Les conclusions de l’agente relatives à l’interdiction de territoire sont‑elles raisonnables?

 

[28]           Le demandeur ne conteste pas la conclusion de l’agente suivant laquelle il était interdit de territoire pour présentation erronée en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi. La durée de l’interdiction de territoire se limite à deux ans selon l’alinéa 40(2)a), et un agent pourrait estimer qu’il est justifié, en application du paragraphe 24(1), d’accorder un permis de séjour temporaire, ce qui ne s’applique pas si le demandeur est interdit de territoire pour raison de sécurité.

 

[29]           Comme il a été noté précédemment, le critère des « motifs raisonnables de croire » visant la conclusion d’appartenance à une organisation aux fins de l’alinéa 34(1)f) est peu rigoureux, mais il exige des renseignements concluants et dignes de foi se traduisant par plus que des soupçons. Il y aura d’ordinaire une « participation consciente » dans les activités du groupe terroriste : Sinnaiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1576, 43 Imm. L.R. (3d) 269, au paragraphe 6. Voir aussi Toronto Coalition to Stop the War c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 957, 219 C.R.R. (2d) 226, au paragraphe 102; Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.) (QL); Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 349, [2004] 3 R.C.F. 301, infirmée pour d’autres motifs 2005 CAF 122, [2006] 1 R.C.F. 474. Dans le dossier dont je suis saisi, rien ne donne à penser que le demandeur participait consciemment à des activités de groupe terroriste.

 

[30]           Dans le contexte de la sécurité nationale, les tribunaux ont donné à la notion d’appartenance à une organisation une interprétation large : Poshteh, précité, aux paragraphes 27 à 32; Farkondehfall c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 471, au paragraphe 30. Ainsi, en pratique, les tribunaux se sont montré prêts à appuyer leurs conclusions d’appartenance sur des inférences fondées sur les renseignements accessibles lorsqu’il n’y avait aucune preuve directe d’un engagement actif, mais qu’il y avait des preuves péremptoires de liens avec d’autres personnes qui, elles, jouent un rôle important au sein des organisations interdites. Par contre, le seul lien avec ces personnes ne suffit pas à prouver l’appartenance à une organisation.

 

[31]           Je note que, dans le dossier de M. Ouzghar, la juge d’extradition, Mme Susan Himel, a conclu que la preuve n’établissait pas tous les éléments de l’infraction de participation à une organisation criminelle au sens du Code criminel. La preuve contre M. Ouzghar datait d’avant l’adoption des infractions liées au terrorisme relativement à la participation que l’on trouve actuellement dans le Code criminel. La juge Himel a frappé M. Ouzghar d’extradition en lien avec plusieurs chefs d’infraction pour complot et pour fabrication et utilisation de faux passeports. Le ministre de la Justice a ordonné son extradition pour toutes les infractions, y compris l’infraction d’appartenance à une organisation terroriste prescrite en droit français.

 

[32]           La décision du ministre a été confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario lors d’un contrôle judiciaire : France c. Ouzghar, 2009 ONCA 69, 94 O.R. (3d) 601; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2009] C.S.C.R. no 122. La Cour d’appel a noté aux paragraphes 23 à 26 que, même si la preuve dont disposait la juge Himel n’aurait peut‑être pas justifiée une déclaration de culpabilité à l’égard à l’infraction de participation au Canada, telle qu’elle existait à l’époque pertinente, elle respectait en revanche les éléments de l’infraction en droit français. La preuve dont disposait la juge Himel révélait notamment un lien avec des membres d’une organisation terroriste en France, des liens avec des membres d’un réseau de faux passeports au Canada et la fourniture d’un passeport à un terroriste connu. M. Ouzghar avait des liens avec Fateh Kamel, qui avait été déclaré coupable de complot visant à commettre des actes terroristes en France et qui, à son tour, était lié à Ahmed Ressam, qui avait été déclaré coupable aux États‑Unis d’avoir planifié de faire exploser une bombe à l’aéroport de Los Angeles.

 

[33]           En l’espèce, le demandeur a menti lorsqu’il a affirmé ne pas connaître Abdellah Ouzghar lorsque l’agente le lui a demandé pour la première fois, puis, après une longue période de temps, il a admis avoir communiqué avec M. Ouzghar et d’autres personnes avec qui M. Ouzghar était lié. Ces admissions ont été faites après que la juge Himel eut rendu sa décision et avant que la Cour d’appel de l’Ontario ait tranché l’affaire. Il était loisible à l’agente de tirer une conclusion défavorable du temps que cela a pris au demandeur avant de corriger le dossier de la deuxième entrevue.

 

[34]           Le demandeur a également nié avoir utilisé le pseudonyme de Rachid Farouq lorsqu’il vivait à Montréal, puis il a admis avoir acheté un faux passeport à ce nom et qu’il l’avait utilisé pour voyager en Allemagne et au Maroc. Il a affirmé l’avoir acheté d’un Costaricain. Il était loisible à l’agente de se fonder sur les mensonges pour mettre en question sa crédibilité et, sur les fondements de l’ensemble de la preuve, de tirer une conclusion défavorable sur la nature et la portée de ses activités.

 

[35]           À mon avis, la preuve des liens de M. Fathi avec M. Ouzghar et d’autres personnes à Montréal ne justifiait pas en soi une conclusion d’appartenance à une organisation terroriste. En effet, l’agente semble l’avoir reconnu dans la lettre relative à l’équité datée du 22 janvier 2010 lorsqu’elle a affirmé ce qui suit au sujet du demandeur : vous « semblez avoir été impliqué dans des organisations terroristes inspirées d’Al-Qaida en Afrique du Nord […] ». Le choix des mots employés par l’agente révèle qu’elle n’était pas certaine que la preuve établissait l’appartenance.

 

[36]           Néanmoins, lorsque cette preuve a été combinée aux mensonges du demandeur et à son utilisation d’une fausse identité et d’un faux passeport, il existait une preuve limite, mais suffisante, qui respectait le critère des « motifs raisonnables de croire ». La conclusion de l’agente quant à l’appartenance du demandeur à une organisation terroriste était non seulement fondée sur les relations du demandeur, mais aussi sur ses propres mensonges, présentations erronées et actes. La conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée sur le fondement de ces éléments de preuve a jeté un doute sur toutes les explications fournies par le demandeur au sujet de sa participation ou non‑participation au sein des organisations en cause.

 

[37]           En définitive, la décision de l’agente appartient aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S.190, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59.

 

Les conclusions relatives aux motifs d’ordre humanitaire tirés par l’agente sont‑elles raisonnables?

 

[38]           Lorsqu’il rend une décision sur les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agent doit être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants touchés par sa décision, et ces intérêts ne doivent pas être minimisés : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 75. Par contre, l’intérêt supérieur de l’enfant ne tranche pas l’affaire : Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.F.). En outre, il incombe au demandeur d’établir que les difficultés seraient inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[39]           L’agente a reconnu en l’espèce que la relation entre le demandeur et sa conjointe était authentique et qu’elle était stable malgré plusieurs années de séparation physique. Elle a considéré les effets financiers de la séparation, surtout en ce qui a trait à l’intérêt supérieur de leur enfant et de l’enfant à naître. Elle a aussi tenu compte du fait que l’épouse et parraine du demandeur voulait demeurer au Canada pour prendre soin de sa mère à qui l’on avait diagnostiqué un cancer.

 

[40]           À mon avis, les conclusions de l’agente ayant trait aux motifs d’ordre humanitaire étaient raisonnables et, par conséquent, l’intervention de la Cour n’est aucunement justifiée.

 

[41]           Je note de nouveau que l’agente croyait qu’elle n’avait pas la compétence d’examiner s’il était justifié de délivrer un permis de séjour temporaire parce qu’elle avait conclu que le demandeur était interdit de territoire pour raison de sécurité. Dans les circonstances de la présente affaire, en particulier en raison de la preuve limite d’appartenance, du mariage stable et authentique du demandeur avec une citoyenne canadienne et des deux enfants canadiens, il pourrait s’agir d’une affaire où il serait justifié que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 34(2).

 

[42]           La présente demande sera rejetée. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée, et aucune n’est donc certifiée.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3139-10

 

INTITULÉ :                                       RACHID FATHI

 

                                                            c.

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 mai 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Naseem Mithoowani

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John Loncar

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

NASEEM MITHOOWANI

Lorne Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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