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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110405

Dossier : IMM‑1444‑11

Référence : 2011 CF 418 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

 

TERHEMBA THOMAS SHASE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

  MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE LEMIEUX

 

  1. Introduction

  • [1] Le mardi 15 mars 2011, j’ai suspendu le renvoi de Terhemba Thomas Shase au Nigéria prévu à 18 h le même jour. Mes motifs sont les suivants.La procédure sous-jacente à laquelle la présente demande de sursis est rattachée est le refus, en date du 1er mars 2011 du report de son renvoi par un agent de renvoi.

 

 

 

  1. Contexte et faits

  • [2] Né au Nigéria en décembre 1982, le demandeur est un citoyen nigérian. Il est arrivé au Canada le 18 juillet 2006 et a demandé le statut de réfugié le même jour.Le 27 mai 2009, la Section de la protection des réfugiés a rejeté sa demande.Il s’est représenté lui-même à l’audience.Sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été considérée comme abandonnée au motif qu’il n’a pas déposé son dossier de demande.

 

  • [3] Le 1er mars 2010, il a eu la possibilité de déposer un examen de risques avant renvoi (ERAR). Cette demande a été refusée le 20 décembre 2010. Il n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision concernant l’ERAR.

 

  • [4] Le 2 février 2007, il s’est engagé dans une relation avec Suzy Jeannie Kauki, une citoyenne canadienne d’origine inuite. Ils sont devenus conjoints de fait.Suzy a donné naissance à son premier enfant le 6 octobre 2008 ou aux alentours de cette date; une deuxième fille du couple est née récemment.

 

  • [5] Le 22 mars 2010 ou aux alentours de cette date, l’avocat du demandeur a présenté une demande de résidence permanente au nom de M. Shase, parrainé par son épouse Suzy. Cette demande a été présentée conformément à une politique publique connue sous le nom de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, publiée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, 2001, ch-27 (LIPR) afin de faciliter la procédure conformément au Règlement.L’objectif déclaré de la politique est le suivant :


Le ministre a établi une politique d’intérêt public en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) dans laquelle il expose les critères d’évaluation de la demande de résidence permanente des personnes qui n’ont pas de statut d’immigration légal et qui sont des époux et des conjoints de fait de citoyens canadiens et de résidents permanents au Canada. L’objectif de cette politique est de faciliter le regroupement familial ainsi que le traitement des cas des époux et des conjoints de fait qui vivent déjà ensemble au Canada. [Non souligné dans l’original]

 

 

 

  • [6] La politique indique ce qui suit :


3. Politique

CIC s’efforce de faciliter le regroupement familial ainsi que le traitement du cas des époux et des conjoints de fait authentiques qui vivent déjà ensemble au Canada. Le Ministère s’efforce également, dans la mesure du possible, d’éviter que les époux et les conjoints de fait qui vivent ensemble au Canada subissent le préjudice résultant de leur séparation.

 

Ainsi, les époux et les conjoints de fait qui se trouvent au Canada ont dorénavant le droit, peu importe leur statut au regard de l’immigration, de demander la résidence permanente au Canada selon les règles de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Cette politique de facilitation s’applique uniquement aux couples dont le répondant a présenté un engagement d’aide.

 

Les engagements d’aide sont une exigence de cette politique d’intérêt public surtout parce qu’ils peuvent être une indication des liens qu’a le demandeur avec des parents au Canada, ce qui à son tour est un facteur qui intensifie la difficulté que représente la séparation des époux ou conjoints de fait.   Les engagements d’aide sont également une exigence de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada.

 

Le L25 est utilisé pour faciliter le traitement dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada de tous les cas d’époux ou de conjoints de fait authentiques qui sont sans statut et où un engagement a été présenté. Les demandes CH de conjoint, en attente, qui sont assorties d’un engagement seront aussi traitées dans cette catégorie. L’effet de cette politique est de dispenser le demandeur de l’obligation prévue au R124b) d’avoir un statut d’immigration et des exigences prévues au L21(1) et au R72(1)e)(i) de ne pas être interdit de territoire pour absence de statut; cependant, toutes les autres exigences de la catégorie s’appliquent et les cas des demandeurs seront traités en fonction des lignes directrices de l’IP2 et de l’IP8. [Caractères gras dans l’original; non souligné dans l’original]

 

 

  • [7] La politique indique clairement que le CIC s’engage à traiter toutes les demandes de conjoint conformes, y compris celles en vertu de la politique publique, de façon prioritaire.

 

  • [8] En ce qui concerne les demandeurs au Québec, comme c’est le cas en l’espèce, la politique stipule ce qui suit :


i. Québec

Les demandeurs admissibles, qui sont au Québec, sont traités selon les règles de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Ils doivent satisfaire aux exigences du Québec relatives au parrainage.

 

Les demandeurs, qui ne sont pas acceptés dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, mais qui demandent la résidence permanente au titre des CH et qui sont au Québec, doivent satisfaire aux critères de sélection de cette province conformément au paragraphe 25(2) de la LIPR.

 

Dans les deux cas, l’agent doit transmettre le dossier au MICC. L’agent continuera ensuite de traiter le dossier une fois que la province de Québec aura pris une décision en vertu de ses pouvoirs. [Caractères gras dans l’original; non souligné dans l’original]

 

 

  • [9] Le 22 février 2011, le demandeur a reçu son certificat de sélection des autorités québécoises et les autorités fédérales en ont été avisées.

 

  1. Discussion et conclusions

  • [10] Je suis bien conscient de la jurisprudence de notre Cour et de la Cour d’appel fédérale dont la décision la plus récente est Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) 2009 CAF 81, [2010] 2 FCR 311 qui signale ce qui suit :

    1. Le critère pour déterminer une question sérieuse est plus contraignant (des arguments défendables) lorsque la procédure sous-jacente est une demande de contrôle judiciaire du refus d’un agent chargé de renvoi de reporter le renvoi.

    2. Le pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution est restreint – la question n’est pas si, mais quand une personne doit être renvoyée.

    3. La simple existence d’une demande pour des motifs d’ordre humanitaire (CH) en suspens n’empêche pas l’exécution d’une mesure de renvoi valide.

    4. Toutefois, une demande pour motifs d’ordre humanitaire qui a été présentée en temps opportun, mais qui n’a pas encore été tranchée constitue un facteur pertinent.

 

  • [11] Le motif invoqué par le demandeur à l’agent chargé du renvoi était que sa demande de résidence permanente à titre de personne parrainée avait été envoyée le 22 mars 2010 avec les frais requis payés et a été reçu le 12 avril 2010. Elle a été présentée en temps opportun et devrait être examinée avant le renvoi en raison des conséquences de son renvoi potentiel. Pendant l’audience j’ai demandé à l’avocat l’effet qu’aura le renvoi du demandeur sur sa demande de parrainage étant donné qu’il ne serait plus au Canada.L’avocat du ministre pensait que la demande continuerait à être traitée; l’avocat du demandeur pensait que la demande ne serait plus traitée.J’ai demandé aux deux avocats de vérifier adéquatement.

 

  • [12] Selon une lettre datant du 15 mars 2011, j’ai été avisé par l’avocat du ministre que le traitement de la demande se poursuivrait, mais que la demande serait probablement refusée étant donné qu’il ne satisferait pas à l’exigence en vertu de la politique qu’il habite avec son parrain, ce qui ne serait pas nécessairement le cas s’il avait présenté une demande CH.Je mentionnerai en passant que la politique prévoit un sursis administratif automatique pendant l’examen d’une demande de résidence permanente à titre de personne parrainée par un époux ou conjoint de fait, mais le demandeur en l’espèce est tombé dans une exception à cet avantage étant donné que l’on s’apprêtait à le renvoyer au moment du dépôt de sa demande à titre de personne parrainée.

 

  • [13] Les renseignements qui m’ont été fournis par l’avocat du demandeur étaient semblables à ceux fournis à la Cour par l’avocat du défendeur.

 

  • [14] À mon avis, le refus probable de sa demande de parrainage découlant directement de son renvoi est un facteur crucial pour décider si l’agent chargé du renvoi a exercé de façon appropriée son pouvoir discrétionnaire de suspendre son renvoi en attendant une décision fondée d’une demande de parrainage à titre de personne parrainée par un conjoint fait en temps opportun. Cela signifierait une longue séparation pour la famille. Rien n’explique la raison pour laquelle le bureau de CIC de Vegreville n’a pas entamé l’examen de sa demande avant le 28 juin 2010, puisqu’il a encaissé les frais, le reçu de 550 $ étant joint à sa demande.

 

  • [15] À mon avis, le demandeur a établi une question sérieuse à trancher puisque l’agent chargé du renvoi n’a pas pris en considération tous les facteurs pertinents lorsqu’il a refusé la demande de report du renvoi. En particulier, il n’a pas soupesé l’objectif de la politique par rapport aux faits de cette affaire et n’a pas pris en considération l’effet de non-octroi de la demande à savoir, une longue séparation du père d’une jeune famille dans cette relation qui semble être authentique.

 

  • [16] La longue séparation dans les circonstances particulières de cette jeune famille fait pencher la balance sur un préjudice irréparable. Je reconnais que la séparation est normalement considérée comme une conséquence courante d’un renvoi et ne constitue pas de préjudice irréparable.Toutefois, les conséquences de son renvoi signifient que sa demande de parrainage (qui était présentée en temps opportun et à la première étape est normalement traitée dans les 9 à 10 mois) sera probablement refusée.Un tel effet, à mon avis, n’est pas une conséquence ordinaire d’un renvoi.

 

  • [17] Ayant établi l’existence d’une question sérieuse et d’un préjudice irréparable, la prépondérance des inconvénients milite en faveur du demandeur.

 

  • [18] Lorsque je mentionne les circonstances particulières de cette affaire, je suis conscient du fait que la mère et les enfants habitent dans le Nord depuis l’automne 2010. Cela ne signifie pas qu’ils se sont séparés. La preuve dont je suis saisi est que le demandeur se joindra à elles.Il a dû demeurer à Montréal en raison de ses problèmes d’immigration.Son épouse a envoyé une longue lettre à la Cour expliquant comment sa relation avec le demandeur a évolué et a imploré qu’il ne soit pas renvoyé.

 

  • [19] Pour ces motifs, j’ordonne le sursis de son renvoi jusqu’à ce que sa demande d’autorisation soit tranchée, et, si l’autorisation est accordée, jusqu’à ce que sa demande de contrôle judiciaire soit tranchée.

 

 

 

« François Lemieux »

Judge

 

Ottawa (Ontario)

Le 5 avril 2011

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

DOSSIER :   IMM‑1444‑11

 

INTITULÉ :  TERHEMBA THOMAS SHASE c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Montréal

 

DATE DE L’AUDIENCE :   Le 14 mars 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :  Le 5 avril 2011 

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stewart Istvanffy

POUR LE DEMANDEUR

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

À Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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