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Date : 20110510

Dossier : IMM-4094-10

Référence : 2011 CF 541

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

 

SU LING LIANG

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

LE JUGE BLANCHARD

[1]               La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire de la décision du 11 juin 2010 par laquelle la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du Statut de réfugié [la SAI] a rejeté l'appel de la décision par laquelle un agent des visas avait refusé la demande de résidence permanente de l'époux de la demanderesse, M. Wei Tu Wu, pour cause de « mauvaise foi » au sens de l'article 4 du Règlement sur l'immigration et le statut de réfugié [le Règlement] et au motif que M. Wu était interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations au sens de l'alinéa 40(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, (la LIPR). La demanderesse sollicite également le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la SAI a rejeté la demande qu’elle avait présentée en vue d'obtenir de la SAI qu'elle délivre une citation à comparaître à un agent des visas, ainsi que de la conclusion de la SAI suivant laquelle on ne pouvait conclure à l'existence d'une crainte raisonnable de partialité de la part du tribunal qui avait refusé de délivrer la citation à comparaître en question.

 

Contexte factuel

[2]               La demanderesse, Mme Liang, a obtenu le droit d'établissement au Canada le 4 mai 1997. Le 10 mars 2003, la demanderesse et son époux, M. Wu, ont fait enregistrer leur mariage en Chine. La même année, Mme Liang a présenté une demande pour pouvoir parrainer la demande de résidence permanente de M. Wu au Canada. Monsieur Wu a été reçu en entrevue le 5 janvier 2004 et la demande a été refusée par lettre datée du 13 octobre 2005.

 

[3]               En 2007, Mme Liang a présenté une seconde demande visant à parrainer M. Wu. Monsieur Wu a été reçu en entrevue le 11 septembre 2008 par un agent des visas, M. Gary Wallace [lagent], au consulat général du Canada à Hong-Kong. Pendant lentrevue, M. Wu a signé un document qui indiquait notamment [traduction] « que, dans le but d’émigrer au Canada, j’ai donné de l’argent pour arranger ce faux mariage ». La seconde demande a été refusée dans des lettres datées respectivement du 11 et du 12 septembre 2008, au motif que le mariage n'était pas authentique et qu'il visait principalement à acquérir le statut de résident permanent au Canada, ce qui allait à l’encontre de l'article 4 du Règlement, et au motif que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations au sens de l'alinéa 40(1)a) de la LIPR.

 

[4]               Madame Liang a interjeté appel à la SAI de la décision par laquelle l'agent avait refusé la demande de résidence permanente de M. Wu.

 

[5]               Madame Liang a également demandé à la SAI de délivrer une citation à comparaître pour forcer l'agent à se présenter à l'audience de l'appel. Madame Liang affirmait que l'agent avait incité de façon illicite M. Wu à admettre qu'il avait fait de fausses déclarations. La demande a été rejetée par la SAI le 12 novembre 2009.

 

[6]               Le 13 novembre 2009, l’avocat de Mme Young a écrit à la SAI pour lui faire part des [traduction] « graves préoccupations » que lui inspirait la décision de la SAI de rejeter la demande de citation à comparaître. Par lettre datée du 17 novembre 2009, la SAI a répondu à l’avocat qu'il aurait la possibilité de faire valoir son point de vue au sujet du poids à accorder aux éléments de preuve que présenterait l'agent lors de l'audience prévue pour le 30 novembre 2009.

 

[7]               Par lettre datée du 24 novembre 2009, l’avocat de Mme Liang a demandé à la commissaire qui avait rejeté la demande de citation à comparaître de sa cliente de se récuser au motif qu'il existait une crainte raisonnable de partialité compte tenu du fait que cette commissaire avait déjà travaillé pour le ministre.

 

[8]               L'audience a eu lieu comme prévu le 30 novembre 2009.

 

La décision de la SAI

[9]               La SAI a rejeté la demande de récusation. Appliquant le critère juridique énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c Office national de l'énergie, [1978] 1 RCS 369, la SAI a conclu que la personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne croirait pas, selon toute vraisemblance, que le tribunal ne rendrait pas une décision juste.

 

[10]           La SAI a également rejeté la demande de délivrance d'une citation à comparaître au motif qu'on ne trouvait dans la Loi, les Règlements et les Règles aucune disposition permettant d'obliger une personne se trouvant à l'extérieur du Canada à obéir à une citation.

 

 

[11]           La SAI a rejeté l'appel. Elle a conclu que la preuve appuyait la conclusion que M. Wu était interdit de territoire pour fausses déclarations. Elle a également conclu que la déclaration de M. Wu avait été signée volontairement, quoiqu’avec réticence. La SAI a accordé plus de poids à la déclaration signée de M. Wu et aux réponses qu'il avait données lors de son entrevue qu'à l'affidavit et au témoignage présentés à l'audience.

 

Questions en litige

[12]           Les trois questions suivantes sont soulevées dans le présent contrôle judiciaire :

(1)        La SAI a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu'il n'y avait aucune crainte raisonnable de partialité de la part de la commissaire de la SAI?

(2)        La SAI a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que M. Wu avait signé sa déclaration volontairement, quoiqu’avec réticence, et que, par conséquent, il était interdit de territoire pour fausses déclarations?

(3)        La SAI a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a refusé de délivrer une citation à comparaître à l'agent?

Norme de contrôle

[13]           C'est la norme de la décision correcte qui s'applique aux questions portant sur les manquements allégués à l'équité procédurale et aux principes de justice naturelle (McConnell c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 2005 CAF 389, au paragraphe 7).

 

[14]           Les questions relatives à une crainte raisonnable de partialité et à une déclaration d'interdiction de territoire pour fausses déclarations sont des questions mixtes de fait et de droit. La norme de contrôle applicable à ces questions est celle de la décision raisonnable. Les questions de fait pures sont également assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable. Voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 53.

 

Analyse

Crainte raisonnable de partialité

[15]           La demanderesse soutient qu'il existe une crainte raisonnable de partialité de la part de la commissaire de la SAI en raison du fait qu'elle avait déjà travaillé à la fois pour l'Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] et pour la SAI. La demanderesse affirme que la commissaire a été agente d'audience à l'ASFC du 19 septembre 2007 au 25 mai 2008 et que, par conséquent, la demanderesse ne peut avoir la certitude que la commissaire n'avait pas pris connaissance de son dossier en tant qu’agente d'audience de l'ASFC en 2008 et 2009. La demanderesse affirme également que la commissaire se trouve en situation de conflit d'intérêts au sens de la Loi sur les conflits d'intérêts, LC 2006, c 9, art. 2, étant donné qu'elle travaillait à la fois pour la SAI et pour l'ASFC à la même époque. La thèse de la demanderesse est que les liens d'emploi étroits ou de complaisance qui existaient entre la commissaire et l'ASFC permettent de douter de son impartialité.

[16]           Le critère juridique applicable permettant de conclure à l'existence d'une crainte raisonnable de partialité se trouve dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c Office national de l'énergie, [1978] 1 RCS 369, à la page 372. Il consiste se demander : « À quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le tribunal], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » Dans l’arrêt R c S, [1997] 3 RCS 484, au paragraphe 15, le juge Cory souligne que les motifs permettant de conclure à l'existence d'une crainte de partialité doivent être convaincants et que le critère auquel il faut répondre est rigoureux.

[17]           Au paragraphe 15 de ses motifs, la SAI explique en quoi consistaient les fonctions qu'exerçait la commissaire lorsqu'elle travaillait pour l'ASFC :

En outre, bien que le tribunal ait été employé par le ministre pour une période denviron six mois au cours de laquelle ses fonctions consistaient principalement à mettre à jour des documents de formation à lintention des agents daudiences et à participer à des séances dans le cadre du mode alternatif de règlement des litiges, le tribunal na pas été chargé de ce dossier particulier et na pas utilisé ce dossier ou les renseignements qui y sont versés pour quelque document de formation, et le conseil du ministre a confirmé quil ny avait pas dindication que cette affaire particulière avait été confiée au tribunal.

 

 

[18]           Ces conclusions de la SAI ne sont pas contestées. La demanderesse n'a signalé aucun élément de preuve tendant à démontrer que la commissaire avait eu affaire à son dossier alors qu'elle travaillait pour l'ASFC. La demanderesse reconnaît que rien ne permet de penser que la commissaire a examiné le présent dossier alors qu'elle était agente d'audience ou qu'elle en est a parlé avec d'autres agents d'audience. Dans ces conditions, je suis d'accord avec le défendeur pour dire que la commissaire a travaillé pour l'ASFC pendant plusieurs mois comme agente d'audience et qu'elle exerçait les fonctions susmentionnées et que le fait qu'elle a rejeté la demande de citation à comparaître de la demanderesse ne constitue pas une raison convaincante de conclure à l'existence d'une crainte raisonnable de partialité de sa part.

 

[19]           Je conclus par conséquent que la SAI a appliqué le bon critère juridique et qu'elle a conclu de façon raisonnable qu'il n'y avait aucune crainte raisonnable de partialité de la part de la commissaire de la SAI.

 

La déclaration était‑elle volontaire?  

[20]           L'agent a motivé son refus de la demande de résidence permanente de M. Wu en se fondant sur la déclaration que M. Wu lui avait faite au cours de son entrevue à Hong-Kong :

[traduction

Madame, Monsieur,

 

Je, WU Wei-Guo, admets que, pour pouvoir immigrer au Canada, j'ai payé de l'argent pour organiser ce faux mariage. J'ai avancé 50 000 yuans et promis que, si je réussissais à immigrer au Canada, je verserais 200 000 yuans de plus.

 

J'admets également que mon épouse canadienne (c.‑à‑d. ma répondante actuelle) est au courant des détails de l'affaire et qu'elle a participé à toutes les étapes de la préparation de ce faux mariage.

 

Je fais cette déclaration devant les autorités des services de l'immigration au consulat du Canada à Hong-Kong.

 

 

[21]           Les notes consignées dans le STIDI indiquent que, dès le début de l'entrevue, l'agent a interrogé M. Wu au sujet de sa première demande de résidence permanente pour chercher à savoir pourquoi il n'avait pas fait appel de cette décision défavorable. M. Wu a répondu qu'il avait tenté de faire appel, mais qu'il n'avait pas reçu la lettre des autorités à temps et avait raté sa chance. L'agent a écarté les explications de M. Wu et l'échange suivant a eu lieu :

[traduction

Pourquoi n'êtes‑vous pas plus précis. La question est simple. Vous n'avez jamais eu la possibilité d'interjeter appel? Qui vous a dit cela?

Ma femme.

 

Est‑ce la raison pour laquelle vous avez présenté une nouvelle demande, c'est‑à‑dire parce que vous avez raté votre chance de faire appel?

Oui.

 

J'ai l'impression que vous avez été malchanceux?

Oui, c'est uniquement parce qu'elle a déménagé, sinon nous aurions fait appel.

 

Bon, on a un gros problème là ! La vérité est bien différente. La vérité est que votre femme a effectivement interjeté appel. Elle a été déboutée de son appel. Comprenez‑vous ce que je vous dis? Oui.

 

Alors pouvez-vous expliquer la situation?

(Pas de réponse.)

 

Vous avez un gros problème là. Vous voyez, avant de vous poser ces questions au sujet de votre appel, je savais déjà qu'il avait été rejeté. Je voulais savoir si vous le saviez également. La raison en est que ceux qui contractent de faux mariages essaient très fort de prévoir tous les détails. Mais certains détails leur échappent. Il y a toujours certains détails qu’ils oublient. C'est exactement ce qui est arrivé ici. La raison pour laquelle on ne vous a jamais informé du refus de l'appel était qu'on voulait que vous poursuiviez vos démarches. Et on voulait que vous continuiez à donner de l'argent. N'est‑ce pas?

(Aucune réponse)

 

Ces questions vont continuer à se poser. Je ne vais pas en faire abstraction parce que vous refusez de répondre. J'ai déjà envisagé la possibilité de refuser votre demande parce que vous ignorez complètement ce qui s'est passé. Autrement dit, vous ne savez rien de cette fille et de sa vie, n'est‑ce pas?

Je dois faire mes vérifications.

 

Je tiens à ce que vous regardiez (j'ai tourné l'écran de l'ordinateur pour que l'intéressé puisse voir). Voyez, c'est bien écrit sur l'écran « Appel rejeté », le traducteur peut vous expliquer. Vous voyez?

Oui.

 

D'accord, voilà une chose de réglée. Vous vous êtes tout simplement fait avoir par ces gens. Ils vous ont probablement soutiré encore plus d'argent pour s'assurer que vous continuez à présenter des demandes, n'est‑ce pas?

(Aucune réponse, l'intéressé fixe le sol.)

 

Voici ce que je vous propose. D'après votre réaction, je vois bien que j'ai raison. Vous n'avez pas besoin de parler. Je le vois dans votre visage. La présente demande sera rejetée. La seule chance que je vais vous donner, c'est de me dire la vérité.

Quelle vérité?

 

La vérité au sujet de ce qui s'est passé ici. Comme je vous l'ai expliqué, je sais déjà que le mariage est faux. Je vous ai déjà coincé et vous le savez. Vous vous retrouvez dans une mauvaise situation parce que vous êtes incapable de l'expliquer et que vous ne pouvez retirer vos paroles. Comprenez‑vous cela?

Oui.

 

Vous admettez donc que je vous ai coincé?

(Aucune réponse)

 

Inutile d'aller plus loin maintenant. Les gens qui ont élaboré ce stratagème vous ont floué en vous permettant de venir au Canada. Si j'étais à votre place, je serais vraiment en colère. Je serais en colère contre eux parce qu'ils m'ont tendu un piège et ne m'ont pas expliqué les détails qui font que je me retrouve devant cette impasse. Est‑ce que vous allez me parler maintenant?

C'est inutile.

 

Bien sûr que c'est utile. C'est utile pour expliquer et espérons‑le, clarifier le tout. Si je ne m'abuse, c'est le seul choix que vous avez? (Aucune réponse)

 

Comme je vous l'ai déjà dit, vous vous êtes fait prendre. Pourquoi tenez‑vous à les protéger après qu’ils vous aient floué?

Qu'est‑ce que vous allez faire?

 

Je ne vais rien faire maintenant. Je vais attendre d'avoir obtenu tous les détails sur ce qui s'est passé avant de rendre ma décision en me fondant sur vos paroles. Si vous pensez que vous me bernez, on arrête tout ici et vous retournez chez vous. Si vous voulez que l'audience se poursuive, vous me dites ce qui s'est passé sinon nous arrêtons dès maintenant?

D’accord.

 

 

 

[22]           Monsieur Wu a ensuite répondu aux questions qui lui étaient posées sur le montant d'argent qu'il avait payé pour [traduction] « enclencher le processus ». Les notes consignées dans le STIDI ne parlent pas des circonstances qui ont conduit à la rédaction et à la signature de la déclaration par M. Wu. Les notes sont muettes sur la question des échanges qui ont pu avoir lieu entre l'agent et M. Wu au sujet de cette déclaration. L'agent a par la suite admis qu'il avait interrogé par erreur M. Wu au sujet de la première demande de parrainage dont son épouse avait fait appel alors qu'il ne disposait d'aucun élément de preuve confirmant la présentation de cette demande ou le rejet d’un appel. L'agent a confondu la présente affaire avec un autre dossier dans lequel un appel avait été rejeté. La demanderesse soutient que cette erreur et la façon dont l'agent a mené l’entrevue font que tout le processus est entaché de graves irrégularités et que l'agent a incité M. Wu à admettre une faute qu'il n'avait pas commise en signant la déclaration.

 

[23]           Voici ce que M. Wu affirme dans sa déclaration solennelle du 1er juillet 2009 :

[traduction

12.       J'étais à la fois consterné et confus parce que je savais que ma femme et moi avions décidé de présenter une nouvelle demande au lieu d'interjeter appel. Ma femme ne m'a rien caché.

 

13.       L'agent a alors dit que, si je disais la vérité, il me laisserait quand même immigrer au Canada. Il m'a expliqué qu'il savait que la plupart des mariages provenant d'Emping étaient des faux. Il y a eu jusqu'à 78 dossiers de faux mariages jusqu'à maintenant ce mois‑ci.

 

14.       Je lui ai répété que mon mariage n'était pas un faux, mais il a insisté pour dire que c'était un faux et que je m'étais fait « rouler » parce que je n'avais aucune chance d'obtenir gain de cause. Il n'arrêtait pas de me demander combien j'avais dû payer.

 

15.       Je ne me serais jamais attendu à ce qu'une entrevue portant sur mon mariage se transforme en accusations de mensonges éhontés de la part de l'agent et d'allégations que ma femme m'avait menti. Il n'arrêtait pas d'insister et de m'inciter à lui donner un chiffre pour savoir combien j'avais payé pour mon mariage.

 

16.       Je savais alors que cet agent était trop insistant et intimidant pour que cette entrevue se déroule de façon appropriée.

 

17.       Voyant que je ne réagissais pas à ses provocations, il a alors changé de ton et m'a dit qu'il me laisserait passer si je lui disais la vérité.

 

18.       Je lui ai dit que je disais la vérité. Il a fermé le dossier et je voyais qu'il voulait mettre fin à l'entrevue.

 

19.       J'étais désespéré à ce moment‑là parce que je ne voulais pas être débouté encore une fois. Si je perdais cette fois‑ci, je ne pourrais plus jamais retrouver ma femme. Je lui ai donc donné le chiffre que j'entendais chez les gens en ville. J'ai avancé le chiffre de 250 000 yuans.

 

20.       Il m'a posé des questions sur ce que j'avais payé jusqu'à maintenant et sur ce qu’il me restait à payer. J'ai inventé des chiffres au fur et à mesure, mais il insistait pour que je lui donne encore plus de détails, ce que je n'étais pas en mesure de faire puisque j'inventais au fur et à mesure.

 

21.       Il a alors changé de ton une autre fois et m'a déclaré qu'il approuverait ma demande parce que j'étais honnête.

 

22.       Il m'a déclaré que mon autorisation médicale était expirée et qu'il m'enverrait un nouveau formulaire médical pour que je le remplisse et que je confirme mon adresse avec lui. Il m'a suggéré d'étudier l'anglais et de n’avoir aucun contact avec ma femme après mon arrivée au Canada.

 

23.       Il a alors fait entrer un membre du personnel chinois et il m'a demandé de signer un document déclarant que le mariage était un faux.

 

24.       Il ne m'a jamais dit que ce document aurait pour effet de m'empêcher de venir au Canada pendant deux ans ou qu'il s'agissait d'un aveu de fausse déclaration.

 

25.       Le membre du personnel m'a rassuré à plusieurs reprises qu'on m'enverrait les formulaires médicaux et il a de nouveau confirmé mon adresse.

 

26.       Toute cette expérience était bizarre et je ne pouvais pas croire que j'avais réussi l'entrevue parce que j'avais fait ce que l'agent m'avait demandé. Il n'était pas intéressé à entendre ce que j'avais à dire.

 

27.       J'ai expliqué par la suite à ma femme que j'avais réussi l'entrevue et lui ai raconté que l'agent avait accepté ma demande malgré le fait qu'il avait conclu que notre mariage était un faux.

 

28.       Comme nous étions très heureux que j'aie réussi l'entrevue, ma femme et moi n'avons pas donné suite à l'insulte portant sur notre faux mariage.

 

 

[24]           La SAI a reconnu que l’agent avait commis une erreur lorsqu’il a confondu l'issue du dossier du demandeur avec celle d'un autre dossier. La SAI a toutefois estimé que cette erreur ne portait pas à conséquence. Au bout du compte, la SAI a rejeté l'affidavit de M. Wu et conclu que la déclaration avait été signée volontairement, quoiqu’avec réticence. Voici ce que le tribunal écrit, au paragraphe 40 de ses motifs :

[…] Le tribunal attribue davantage de poids à la déclaration et aux réponses du demandeur à son entrevue, qu’à son affidavit et à son témoignage présentés à laudience. Le tribunal conclut que la déclaration du demandeur constitue une preuve crédible quil a versé de largent et contracté un faux mariage en vue dimmigrer au Canada. Cette preuve nest pas compatible avec linformation fournie dans les documents de demande.

 

 

[25]           D’entrée de jeu, la demanderesse a contesté la version des faits de l'agent et cherché à obtenir une citation à comparaître pour contraindre l'agent à clarifier ce qui s'était passé au cours de l'entrevue. Le défendeur n'a pas déposé l'affidavit de l'agent et la SAI a rejeté la demande de citation à comparaître. Par conséquent, la SAI ne disposait pas de la version des faits de l'agent et la demanderesse ne pouvait pas la contester.

 

[26]           La décision défavorable de la SAI reposait sur sa conclusion selon laquelle la déclaration de M. Wu avait été faite volontairement. La SAI a tranché la question en se fondant sur les éléments de preuve suivants : les notes non assermentées consignées au STIDI, la déclaration de M. Wu, qu'elle a dit préférer à son affidavit, ainsi que les deux courriels de l'agent. Pour déterminer si la SAI a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la déclaration était volontaire, nous examinerons la façon dont elle a traité la preuve.

 

Les notes consignées dans le STIDI

[27]           La SAI a accepté « que la plupart des renseignements consignés dans les notes sont fiables, dans la mesure où ils constituent un compte rendu exact de ce qui est ressorti à lentrevue du demandeur en ce qui a trait aux questions et aux réponses concernant la question des fausses déclarations ». Toutefois, les notes consignées dans le STIDI sont muettes sur les circonstances entourant la signature de la déclaration par M. Wu. Les notes ne contiennent aucun renseignement concernant un échange qui aurait pu avoir lieu entre l'agent et M. Wu au sujet du contenu de la déclaration, de ses modalités et des conséquences qu'elle aurait sur la demande de résidence permanente de M. Wu, une fois signée. La SAI a estimé qu'on ne pouvait pas en conclure pour autant que l'agent avait omis de consigner des questions qu'il avait posées ou des observations qu'il avait faites à ce sujet à M. Wu. À mon avis, compte tenu du libellé et de l'exhaustivité des notes relatives aux échanges qui avaient antérieurement eu lieu entre M. Wu et l'agent au cours de l'entrevue, il est difficile d'accepter que pas un seul mot n'a été prononcé au sujet de la déclaration et de son contenu. Il semble qu'il y ait dans les notes du STIDI des lacunes qui demeurent inexpliquées. Ces lacunes revêtent encore plus d'importance dans le présent contexte, car c'est à cette étape de l'entrevue que l'agent aurait fait à M. Wu des promesses pour l'inciter à signer la déclaration.

 

[28]           Outre le témoignage qu'il a donné à l'audience, M. Wu n'a soumis que son affidavit à titre de preuve directe sur la question du caractère volontaire de sa déclaration. Les notes consignées dans le STIDI n'expliquent pas les allégations que M. Wu a faites au sujet du comportement de l'agent et des promesses qui lui ont été faites au cours de l'entrevue. Les notes ne contiennent pas vraiment d’éléments de preuve qui permettraient de se prononcer sur le caractère volontaire de la déclaration. Il importe donc de se demander comment la SAI a disposé des autres éléments de preuve portés à sa connaissance, en l’occurrence, les courriels de l'agent et le témoignage de M. Wu.

 

Les courriels de l'agent

[29]           Le courriel du 25 novembre 2008 de l'agent se voulait une réponse à une demande de renseignements présentée par l'agente d'audience et d'appel de l'ASFC au sujet de l'erreur commise par l'agent au cours de l'entrevue. Le malentendu concernait l'interprétation erronée de l'agent en ce qui concerne le sort de la première demande de M. Wu. Nous reproduisons ici les deux derniers paragraphes de ce courriel :

[traduction

Il s'agit d'une erreur malheureuse, car elle permet à l'avocat de la partie adverse de s’en servir pour remettre en question le reste de la décision. À mon avis, cette erreur ne devrait pas porter un coup fatal au présent dossier. Il est vrai que l'intéressé a pu être un peu perplexe en raison de l'échange qui a eu lieu au sujet du dossier antérieur, mais il n'en demeure pas moins qu'il a avoué de son plein gré qu'il s'agissait d'un mariage de convenance et qu'il a signé des documents à cet effet. Je ferais remarquer à la commissaire qu'en dépit de la confusion dont l'intéressé prétend avoir été victime, cela n'enlève rien au caractère volontaire de son aveu suivant lequel il a payé pour obtenir un visa. Il est peu probable que la confusion dont il parle l'a amené à inventer un récit aussi détaillé pour expliquer le mariage de convenance qu’il a contracté.

 

Soi dit en passant, l'avocat en question s'occupe de plusieurs autres dossiers de mariage de convenance qui relèvent de nos bureaux et nous le soupçonnons d'avoir pris des arrangements pour créer les mariages de convenance en question. Dans ces conditions, nous ferons l'impossible pour défendre cette décision. N'hésitez pas à communiquer avec nous pour tout complément d'information.

 

 

 

[30]           Hormis l'affirmation de l'agent suivant laquelle la déclaration était un « aveu volontaire », le courriel ne contribue guère à clarifier les circonstances dans lesquelles cette déclaration a été faite.

 

[31]           Le second courriel, qui est daté du 30 novembre 2008, reprend les mêmes renseignements, à l'exception du dernier paragraphe du courriel précédent, qui est omis et dans lequel on reprochait sa conduite à l'avocat de la demanderesse. La SAI a fait observer que les deux courriels avaient été versés au dossier et qu'« ils ne minent pas la fiabilité des notes de l'agent d'immigration ou ne font pas ressortir une tendance de l'agent à supprimer ou à omettre dans ses notes des renseignements qui lui seraient défavorables ». À mon avis, l'agent a probablement supprimé ce paragraphe pour retirer des renseignements qui se seraient avérés gênants s'ils se retrouvaient au dossier. Je suis toutefois d'accord pour affirmer qu’eu égard aux circonstances de l'espèce, cette suppression n'a aucune incidence sur la question déterminante de savoir si la déclaration était volontaire.

 

Témoignage de M. Wu

[32]           Monsieur Wu a été contre-interrogé à l’audience au sujet de son affidavit. Il a admis avoir signé la déclaration parce qu'il croyait comprendre que l'agent allait lui délivrer un visa. La SAI a rejeté l'affidavit de M. Wu après avoir relevé deux contradictions dans son témoignage. La première concerne la question de savoir qui, de M. Wu ou de l'agent, a mentionné le premier le montant précis d'argent en litige. La seconde, que la SAI a considérée comme plus grave, concerne les propos tenus par l'agent au cours de l'audience.

 

[33]           En ce qui concerne la première contradiction, les notes consignées au STIDI indiquent que c'est l'agent qui a soulevé le premier la question de l'argent au cours de l'entrevue. Il a demandé à M. Wu combien d'argent il avait payé pour déclencher le processus. Voici l'échange qui s'en est suivi :

[traduction

Combien avez-vous payé jusqu'à maintenant?

Environ 50 000 yuans.

 

Donc les 200 000 yuans devaient être versés au moment de l'obtention du visa?

Oui.

 

Quand vous êtes arrivé au Canada, combien avez‑vous dû leur payer?

Un autre 200 000 yuans.

 

Combien la répondante a‑t‑elle reçu?

Je ne suis pas sûr du montant, mais il devrait tourner autour de 250 000 yuans.

 

Je peux m'assurer de l'exactitude du montant. C'était bien 200 000 yuans pour le visa puis un autre 200 000 une fois arrivé au Canada?

Non 50 000 puis 200 000 une fois arrivé au Canada.

 

[34]           Je reproduis les extraits pertinents de la transcription de l'audience :

[traduction

PRÉSIDENT DU TRIBUNAL : D'accord, avez‑vous d'abord mentionné le montant d'argent?

 

R.        Non.

 

Me BULMER :

 

Q.        D'accord. Qui l'a fait?

 

R.        L'agent d'immigration m'a demandé le montant d'argent exigé.

 

Q.        De quel genre d'argent parlez-vous?

 

R.        Il m'a demandé s'il faudrait 200 000 ou 250 000 yuans, quelque chose comme ça.

 

Q.        Vous dites donc que l'agent des visas a avancé le chiffre de 250 000 yuans avant même que vous ayez eu la possibilité de vous expliquer? C’est bien ce que vous affirmez maintenant?

 

 

[35]           Dans ces conditions, je suis d'accord avec la SAI pour dire que cette contradiction n'est pas [traduction] « aussi importante ». À elle seule, cette contradiction ne pourrait raisonnablement justifier la conclusion que l'affidavit de M. Wu n'était pas crédible.

 

[36]           En ce qui a trait à la seconde contradiction, la SAI l'explique dans les termes suivants au paragraphe 37 de ses motifs. Dans son affidavit, M. Wu déclare que l'agent lui a dit que, s'il disait la vérité, il le laisserait quand même venir au Canada, qu'il approuverait sa demande parce qu'il était honnête, qu'il devrait apprendre l'anglais et ne pas communiquer avec son épouse après son arrivée au Canada. Monsieur Wu a également déclaré que l'agent ne lui avait pas dit que ce document serait utilisé pour l'empêcher de venir au Canada pendant deux ans ou qu'il s'agissait d'un aveu de fausses déclarations. Toutefois, à l'audience, M. Wu a reconnu qu'il avait signé une déclaration, mais il a allégué qu'il n'était pas d'accord avec sa teneur et qu'il l'avait signée parce que l'agent avait convenu de le laisser partir et qu'il lui avait dit qu'il ne pourrait pas venir au Canada sans la signer. Il a également reconnu que l'agent lui avait dit qu'il était d'avis qu’il avait contracté un faux mariage, mais qu'il lui donnerait quand même un visa et qu'il ignorait la raison pour laquelle l'agent lui avait demandé de ne pas prendre contact avec son épouse une fois arrivé au Canada.

 

[37]           Après avoir examiné attentivement le dossier, je ne vois pas en quoi le témoignage que M. Wu a donné à l'audience contredit son affidavit. Essentiellement, tant dans son affidavit que dans son témoignage, M. Wu explique que l'agent lui délivrerait un visa s'il avouait qu'il avait contracté un faux mariage. Dans son témoignage, il a exposé plus en détail les faits allégués dans son affidavit, sans toutefois les contredire, à mon avis.

 

[38]           La SAI conteste également la crédibilité de M. Wu parce qu'il n'a pas fourni de raison satisfaisante pour expliquer pourquoi l'agent l'aurait conseillé comme il l’aurait fait, c'est‑à‑dire en lui promettant d'approuver sa demande en échange d'un aveu de fraude. Au paragraphe 26 de son affidavit, M. Wu explique ce qui suit : « Toute cette expérience était bizarre et je ne pouvais pas croire que j'avais réussi l'entrevue parce que j'avais fait ce que l'agent m'avait demandé. Il n'était pas intéressé à entendre ce que j'avais à dire. » Dans ces conditions, on ne peut reprocher à M. Wu de ne pas avoir expliqué davantage la vraisemblance des agissements qu’il reprochait à l'agent. Il aurait été tout aussi utile de la part de la SAI de chercher à savoir – ce qu'elle n'a pas fait – ce qui, à défaut de l’incitation alléguée de l'agent, aurait motivé M. Wu à signer une telle déclaration, sachant que la seule issue possible serait le rejet de sa demande de parrainage?

 

[39]           Les circonstances de la présente affaire sont uniques. La conduite de l'agent des visas est carrément en litige et son témoignage direct, qui était pourtant connu, n'a pas été présenté pour clarifier les circonstances entourant la signature de la déclaration de M. Wu lors de son entrevue. Comme nous l'avons déjà expliqué, les notes consignées dans le STIDI n'aident pas non plus à éclaircir ces circonstances.

 

[40]           À mon avis, les conclusions que la SAI a tirées au sujet de la crédibilité et qui l'ont amenée à rejeter le témoignage donné par M. Wu en faveur de sa déclaration ne sont pas appuyées par la preuve. En conséquence, la SAI a commis une erreur lorsqu’elle a écarté l'affidavit de M. Wu pour cette raison. Dans le contexte de la présente affaire, compte tenu en particulier de la nature des allégations formulées au sujet du comportement de l'agent à l'audience et de l’incitation à laquelle il se serait livré, des lacunes relevées dans les notes non assermentées du STIDI, du témoignage donné sous serment par M. Wu, de l'absence d'éléments de preuve émanant directement de l'agent pour réfuter les allégations de M. Wu, j’en arrive à la conclusion, vu ces erreurs, que la décision de la SAI était déraisonnable. Dans les circonstances de la présente affaire, il ne s'agit pas d'une décision qui appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

La SAI a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a refusé de délivrer une citation à comparaître à l'agent?

[41]           Comme la conclusion à laquelle j'en viens a pour effet de trancher le sort de la présente demande, il n'est pas nécessaire d'examiner cette dernière question.

 

Conclusion

[42]           Pour les motifs qui ont été exposés, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l'affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAI pour qu'il rende une nouvelle décision. Compte tenu de la gravité des allégations formulées au sujet de l'agent, le défendeur devra faire souscrire un affidavit à cet agent, qui devra se rendre disponible pour être contre-interrogé par la demanderesse. La question sera ensuite tranchée sur la base d'un dossier plus complet.

 

Question grave de portée générale à certifier

[43]           À la clôture de l'audience, l'avocat du défendeur a informé la Cour que le défendeur n'avait pas l'intention de proposer de question à certifier. La Cour ordonne à la demanderesse de déposer et de signifier ses observations au sujet de la certification d'une question grave de portée générale, le cas échéant, dans les dix (10) jours de la réception des présents motifs. Le défendeur aura ensuite quatre (4) jours pour déposer et signifier, le cas échéant, ses observations en réponse. À la suite de l'examen des observations, la Cour rendra une ordonnance faisant droit à la demande de contrôle judiciaire et se prononçant sur l'opportunité de certifier une question grave de portée générale au sens de l'alinéa 74d) de la LIPR.

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 10 mai 2011

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4094-10

 

INTITULÉ :                                      SU LING LIANG c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 17 février 2011

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      Le juge Blanchard

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 10 mai 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lawrence Wong

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Kimberly Shane

Vancouver (C.‑B.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lawrence Wong & Associates

Vancouver (C.‑B.).

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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