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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20110519

Dossier : IMM-6424-10

Référence : 2011 CF 580

Ottawa (Ontario), le 19 mai 2011

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

 

PEDRO ESCARBALLEDA VALDEZ

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défenderesse

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Introduction

[1]               Il s’agit du cas d’un citoyen mexicain qui a vu sa demande rejetée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés (Commission) en raison de l’existence d’une possibilité de refuge interne (PRI). La Commission a raisonnablement conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau d’établir d’une part, qu’il n’y avait aucune possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté dans la région où la PRI est envisagée, et d’autre part, que les conditions qui ont cours dans ladite région doivent être telles qu’il n’est pas déraisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances, que le revendicateur d’asile y trouve refuge (Rasaratnam c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 CF 706 (CAF)).

 

II.  Procédure judiciaire

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission, rendue le 5 octobre 2010, selon laquelle le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention tel que défini à l’article 96 de la LIPR ni la qualité de personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

 

III.  Faits

[3]               Le demandeur, monsieur Pedro Escarballeda Valdez, est né le 1er juin 1981 et est citoyen mexicain. Il habitait l’État de Morelos au moment des événements faisant l’objet de la présente demande.

 

[4]               Monsieur Valdez allègue qu’il craint de retourner dans son pays parce que sa vie serait menacée. Il aurait refusé de donner de l’argent à des individus qui l’ont intercepté pour la première fois à la sortie de son travail en date du 13 décembre 2008. Monsieur Valdez aurait également été agressé à trois autres reprises par ces mêmes individus :

a.       En date du 29 janvier 2009 lorsqu’il sortait de chez lui pour se rendre à son travail;

b.      En date du 12 février 2009 lorsqu’il se trouvait dans la municipalité de Yautepec, dans l’État de Morelos, alors qu’il était allé s’enquérir de possibilité d’emplois;

c.       En date du 2 mars 2009 alors qu’il traversait une fête de village et qu’il aurait été reconnu par les présumés persécuteurs.

 

[5]               Monsieur Valdez allègue avoir déposé une plainte au ministère public après chacune de ces trois dernières agressions. Il allègue également qu’il a envoyé sa femme et ses enfants vivre à l’extérieur de l’État de Morelos, suite à l’agression du 29 janvier 2009. Quant à lui, il serait demeuré dans l’État de Morelos.

 

[6]               Le demandeur est arrivé au Canada le 5 mars 2009 et a demandé l’asile le même jour. Sa femme et ses enfants habitent toujours au Mexique.

 

IV.  Décision faisant l’objet de la demande

[7]               Ayant entendu le témoignage du demandeur et après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la SPR a conclu qu’il y avait pas lieu de faire droit à la demande d’asile. Tout d’abord, il n’existait aucun lien avec l’un des cinq motifs de la Convention en vertu de l’article 96 de la LIPR. Il ne s’agissait pas non plus de torture en vertu de l’alinéa 97(1)a) de la LIPR puisqu’il n’y avait pas d’implication d’un agent de l’État ou de quelqu’un agissant en son nom ou avec son consentement. Par conséquent, l’analyse a été faite en fonction de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR.

 

[8]               Il transparaît des motifs de la SPR que « plusieurs questions aient été soulevées à l’audience concernant la crédibilité des allégations du demandeur » (Décision au para 7) et que celui-ci fut incohérent concernant les dates des divers endroits où il aurait habité au Mexique. Toutefois, la SPR a jugé que la question déterminante était celle de l’existence d’une PRI. Le demandeur bénéficierait d’une PRI à Mexico D.F., Monterrey ou à Veracruz (Décision aux para 9 et 12). La SPR a notamment spécifié qu’elle rejetait les explications du demandeur à l’effet que le demandeur n’ait pas déménagé d’État pour la sécurité de sa famille.

 

V.  Question en litige

[9]               La SPR a-t-elle commis une erreur susceptible de révision judiciaire quant à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur?

 

VI.  Dispositions législatives pertinentes

[10]           Les dispositions suivantes de la LIPR s’appliquent au cas présent :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tous lieux de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

VII.  Prétention des parties

[11]           Le demandeur soumet qu’il serait retrouvé par ses persécuteurs s’il retournait au Mexique et que les moyens de protection soulignés par la SPR dans la preuve documentaire déposée ne lui seraient d’aucune aide. Le demandeur présume qu’il s’est vu accorder le bénéfice du doute, puisque la SPR a spécifié qu’il n’y avait aucune contradiction majeure sur les éléments centraux de la demande d’asile et que la PRI a été identifiée comme seule question déterminante.

 

[12]           Le défendeur fait valoir, pour sa part, que la décision de la SPR s’appuie sur la preuve présentée, s’en infère raisonnablement et respecte les principes de droit applicables.

 

VIII.  Norme de contrôle

[13]           Concernant la question d’une possibilité de refuge interne, il est établi qu’il s’agit d’une question de nature mixte de faits et de droit qui relève de la compétence de la SPR (Sosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 275 au para 15; Esquivel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 468 au para 13). La Cour doit donc examiner la question sous la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

IX.  Analyse

[14]           La Cour d’appel fédérale a élaboré dans la décision Rasaratnam, ci-dessus, au paragraphe 10, un test à deux volets dans le but de déterminer s’il existe une PRI : 1) La Commission doit être convaincu, selon la prépondérance de la preuve, qu’il n’y a aucune possibilité sérieuse que le revendicateur d’asile sera persécuté dans la région où la PRI est envisagée; et 2) Les conditions vécues dans ladite région doivent être telles qu’il n’est pas déraisonnable – compte tenu de l’ensemble des circonstances – que le revendicateur d’asile y trouve refuge.

 

[15]           En l’espèce, la SPR a raisonnablement conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, l’existence de telles conditions.

 

[16]           Relativement au premier volet, la SPR a notamment demandé au demandeur pourquoi il ne croyait pas être en sécurité à Mexico D.F., à Monterrey ou à Veracruz, ce à quoi le demandeur a, entre autres, répondu : « [p]arce que ces gens ont des informations sur moi. Ils savent que je suis possiblement ici au Canada, car dans mon quartier, les gens savent que je suis ici. » (Décision au para 9; DT à la p 128). La SPR pouvait raisonnablement conclure que les réponses fournies par le demandeur étaient insuffisantes pour démontrer que ses persécuteurs avaient la volonté ou la capacité de le retrouver à travers le Mexique.

 

[17]           Dans son analyse, la SPR a spécifié que le demandeur n’avait pas l’obligation de tenter de déménager dans un autre État avant de demander l’asile (Décision au para 9); cependant, un déménagement aurait pu démontrer que les persécuteurs auraient eu la volonté et la capacité de retrouver le demandeur partout au Mexique. En l’espèce, le demandeur n’a pas tenté d’aller vivre dans un autre État, même après que ses beaux-parents l’eurent invité à venir vivre un certain temps chez eux, à l’extérieur de Morelos (il n’y envoya que sa femme et ses enfants). Ses propres parents lui auraient suggéré de déménager dans l’État de Tlaxcala, ce que le demandeur n’a pas fait. Contrairement à ce qu’il affirme dans son mémoire (au para 9), le demandeur ne s’est pas relocalisé trois fois. La preuve démontre que le demandeur a toujours subi des agressions alors qu’il se trouvait dans l’état de Morelos. Une des agressions semblait même fortuite, alors qu’il traversait une fête de village. Or, le demandeur se devait d’explorer ces options avant de rechercher la protection internationale. Il est bien établi par la jurisprudence que la protection internationale n’existe que si le gouvernement du pays d’origine ne peut offrir une protection efficace dans l’ensemble de son territoire et que s’il est démontré qu’il serait déraisonnable pour un demandeur de se prévaloir de la possibilité de chercher le refuge dans une autre partie du pays :

[22]      Pour ce qui est de la question de la PRI, les demandeurs reprochent uniquement à la Commission de ne pas avoir examiné la preuve à savoir si des efforts sérieux pour combattre la violence donnaient des résultats au Mexique. Comme les demandeurs n’ont rien fait pour trouver une PRI, nous ne saurons jamais si des efforts en ce sens, plutôt qu’une demande d’asile à l’étranger, auraient porté des fruits. En outre, la Commission est présumée avoir examiné toute la preuve et n’est pas obligée de faire référence à chaque élément de preuve soumis (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.)).

 

[23]      Comme il n’a pas été prouvé que les demandeurs seraient en danger dans une autre ville du Mexique, la Cour ne voit aucune raison d’intervenir sur la question de la PRI.

 

(Esquivel, ci-dessus).

 

[18]           Quant au second volet du test de Rasaratnam, le demandeur a soulevé comme seuls obstacles à son établissement dans les PRI suggérées sa crainte liée aux menaces dont il a été l’objet avant son départ du Mexique, ainsi que le fait qu’il travaille dans la construction et ne pourrait se trouver un emploi convenable dans ce domaine :

[15]      [...] Je ne connais personne à ces endroits. Il n’y a pas beaucoup de constructions à ces endroits et que, moi je travaille dans la construction, et ce sont des villes avec beaucoup de constructions. Mexico D.F., est déjà construit et quant à Monterrey et Veracruz, je ne connais pas la situation là-bas en matière de construction [...]

 

(Décision; Dossier du tribunal (DT) à la p 130).

 

[19]           Il convient de rappeler qu’en ce qui a trait au second volet du test, la Cour d’appel fédérale dans Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration),

[2001] 2 CF 164 (CA) a placé la barre très haute :

[14]      [...] Il ne faut rien de moins que l'existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d'un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l'existence de telles conditions [...]

 

[20]           La SPR est donc raisonnablement venue à la conclusion que le demandeur n’a pas satisfait à son fardeau de preuve. Il appartenait à la SPR, de par son rôle et de par ses connaissances spécialisées, d’apprécier la preuve soumise, de déterminer le poids qu’il lui accordait et d’en tirer les conclusions qui s’imposent.

 

X.  Conclusion

[21]           Il n’est pas justifié que la Cour intervienne dans le cas présent et pour les motifs énoncés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question à certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6424-10

 

INTITULÉ :                                       PEDRO ESCARBALLEDA VALDEZ c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 11 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 19 mai 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Claudette Menghile

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Yaël Levy

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Claudette Menghile, avocate

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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