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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110525

Dossier : IMM-4227-10

Référence : 2011 CF 588

Ottawa (Ontario), ce 25e jour de mai 2011

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

Arturo SANABRIA OSUNA

Ma Guadalupe VERDUZCO DE SANABRIA

Abril SANABRIA VERDUZCO

Lluvia Ruth VERDUZCO NORZAGARAY

 

Demandeurs

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, par Arturo Sanabria Osuna, Ma Guadalupe Verduzco de Sanabria, Abril Sanabria Verduzco et Lluvia Ruth Verduzco Norzagaray (les demandeurs). Le tribunal a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de « réfugiés » ni celle de « personnes à protéger » et a donc rejeté leur demande d’asile.

 

[2]          Les demandeurs sont citoyens du Mexique. Arturo Sanabria Osuna est le demandeur principal. Ma Guadalupe Verduzco de Sanabria est son épouse, Abril Sanabria Verduzco est leur fille et Lluvia Ruth Verduzco Norzagaray est la belle-sœur du demandeur principal. Ces trois dernières basent leur demande sur le récit du demandeur principal.

 

[3]          Les demandeurs vivaient à Silao. Le demandeur principal est ingénieur chimique et il occupait un poste de gérance dans une entreprise; son épouse est médecin.

 

[4]          Le demandeur principal aurait été enlevé le 27 février 2008 par trois individus et la famille aurait dû payer la somme de 600 000 pesos afin qu’il puisse être libéré. Il aurait été relâché deux jours plus tard et laissé au bord de la route. Un camionneur l’aurait aidé et il a pu appeler sa femme, qui l’a amené à l’hôpital. Les demandeurs auraient appelé la police le 29 février 2008. Son épouse ne l’avait pas fait plus tôt parce que les kidnappeurs lui auraient dit que si elle le faisait son mari serait tué. Les demandeurs ont décidé de passer quelques jours avec la belle-sœur Lluvia à Leon Guanajuato, à une trentaine de minutes de leur résidence.

 

[5]          Le 6 mars 2008, une lettre anonyme aurait été reçue par la famille chez la belle-sœur; les auteurs auraient demandé plus d’argent et auraient dit que la police était de leur côté. Le demandeur principal a fait une dénonciation au ministère public à Leon. Les demandeurs ont aussi décidé de retourner à Silao pour ne pas mettre la belle-sœur en danger.

 

[6]          Le 12 mars 2008, le demandeur principal aurait reçu une menace de mort par téléphone. Il aurait informé le ministère public de cet appel. Il aurait reçu entre 10 et 15 appels de ce type dans les semaines suivantes. Le 12 mars 2008, la famille serait retournée chez la belle-sœur. Le 24 mars 2008, ils auraient reçu une nouvelle note anonyme à l’effet que les persécuteurs étaient au courant de la plainte et demandaient de l’argent, sous peine de mort. La famille serait allée au ministère public le jour même pour communiquer ces faits. L’agent du ministère public leur aurait dit qu’il n’y avait pas assez d’agents disponibles à moins qu’ils payent 2 500 pesos par jour.

 

[7]          Les demandeurs seraient ensuite allés au bureau de la Commission des droits humains, lequel les aurait référés à un avocat, Me Villalobos. L’avocat leur aurait fortement recommandé de quitter le pays. Les demandeurs ont pris la décision de le faire le 25 mars 2008. Ils auraient quitté Leon pour la ville de Querétaro le 2 avril 2008 afin de voyager vers Mexico DF. Ils ont pris l’avion le 14 avril 2008 et ont demandé l’asile dès leur arrivée au Canada. La belle-sœur a quitté le Mexique le 28 mars 2008 pour aller à Vancouver où elle a demandé le statut de réfugiée trois mois plus tard. Le demandeur principal allègue que c’est la police judiciaire qui est l’objet de sa crainte principale.

 

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[8]          Après avoir jugé que les demandeurs n’étaient pas tout à fait crédibles et qu’ils pouvaient profiter de la protection étatique au Mexique, le tribunal a conclu que de toute façon les demandeurs avaient une possibilité de refuge interne (« PRI ») à Mexico DF, Monterrey, Cancun et Acapulco. Le tribunal a considéré les deux volets du critère à appliquer pour déterminer l’existence d’une PRI. Il a trouvé qu’il n’y avait aucune raison de croire que les incidents en question étaient reliés au trafic de drogues ni qu’il s’agissait d’autre chose que de criminels, peut-être de petits criminels locaux. Les demandeurs ne les ayant jamais vus et ne pouvant pas les décrire, ils ne pouvaient poser aucun danger pour leurs persécuteurs. Le tribunal n’a pas cru que ces derniers auraient les moyens ou la volonté de rechercher les demandeurs à travers tout le pays. La possibilité de les retrouver ailleurs serait quasi-inexistante. Il serait objectivement raisonnable et peu exigeant de s’attendre à ce que les demandeurs déménagent ailleurs au Mexique; les conditions dans les PRI envisagées ne mettraient pas en péril leur vie ou leur sécurité. Ils pourraient tous les quatre travailler ou étudier dans les villes nommées, lesquelles constituant des options réalistes et abordables.

 

* * * * * * * *

 

[9]          À l’égard de cette dernière conclusion, les demandeurs soutiennent que le tribunal n’a pas réellement évaluer la PRI, mais n’a fait que lancer le nom de quelques villes mexicaines au hasard, sans offrir de raison ou preuve justifiant le choix de ces villes. Cette caractérisation de la décision n’est pas juste. Les paragraphes 29 à 36 de la décision traitent de la PRI et suivent clairement le test établi par la jurisprudence à l’effet que les PRI nommées seraient pertinentes et raisonnables pour les demandeurs.

 

[10]      Les demandeurs ajoutent que l’existence d’une PRI ne suffit pas pour rejeter une demande d’asile parce que la demande d’asile n’est pas nécessairement une solution de dernier recours. Ils citent les directives suivantes du UNHCR (Guidelines on International Protection : « Internal Flight or Relocation Alternative » within the Context of Article 1A(2) of the 1951 Convention and/or 1967 Protocol relating to the Status of Refugees) :

International law does not require threatened individuals to exhaust all options within their own country first before seeking asylum; that is, it does not consider asylum to be the last resort.

 

 

 

[11]      Les demandeurs argumentent que puisqu’ils ne savent pas exactement qui sont leurs persécuteurs ni de quelle organisation ils font partie, il est impossible de trouver une PRI qui leur convienne. Ils notent que leurs agresseurs les ont trouvés à Leon et à Querétaro. Ils prétendent que le tribunal n’a aucune raison de ne pas croire que les persécuteurs font partie d’un groupe de crime organisé en collusion avec la police. Ils allèguent que le tribunal n’a pas considéré la preuve documentaire au sujet des narcotrafiquants qui sévissent au Mexique.

 

[12]      Je ne suis pas d’accord avec ces arguments.

 

[13]      Comme le soutient avec raison le défendeur, il appert que le tribunal s’est fondé sur les faits particuliers à la situation des demandeurs et sur la preuve documentaire pour conclure que ces derniers ne possédaient pas une crainte bien fondée de persécution ou de danger à leur vie dans les PRI identifiées.

 

[14]      La crainte d’être persécuté dans une des PRI potentielles doit reposer sur un fondement objectif (Hussain c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CFPI 913 au para 8). En l’espèce il n’y a pas de tel fondement objectif. Il n’y a aucune preuve qui lie les agents de persécution aux « mafias » ou narcotrafiquants, tel qu’il appert de l’extrait suivant de la transcription de l’audience (dossier du tribunal, à la page 376) :

Q. : Okay. Mais ça peut être certains policiers corrompus avec certains petits criminels. C’est possible. Parmi d’autres possibilités. Mais vous n’avez, d’après ce que vous avez témoigné jusqu’à présent et votre preuve, aucune connaissance qu’ils soient reliés à du crime organisé, d’après ce que je peux comprendre. C’est une présomption de votre part. Exact?

 

R. : Exactement.

 

 

 

[15]      Enfin, les demandeurs ont tort lorsqu’ils  prétendent qu’une PRI n’est pas déterminante à une demande d’asile. Dans Lopez c. Canada (M.C.I.), [2010] A.C.F. no 1352 (QL), cette Cour a exprimé ce qui suit :

[13]     Avec égard, j’estime qu’en l’espèce, l’existence d’une PRI était une conclusion déterminante dans la décision de la Commission et que le défaut de contester cette conclusion suffit pour rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[14]     Dans Olivares Vargas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1347, comme en l’espèce, le demandeur n’avait pas contesté la conclusion de la Commission au sujet de la PRI, notre Cour a reconnu que la conclusion de la Commission au sujet d’une PRI était à elle seule suffisante pour rejeter la demande d’asile puisque la possibilité de refuge interne est inhérente à la notion même de réfugié et de personne à protéger.

 

 

 

[16]      Par ailleurs, les demandeurs soutiennent que leur déportation mettra en danger leur vie et leur intégrité physique, violant ainsi les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que les obligations internationales du Canada sous l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984 des Nations unies. Les demandeurs soutiennent que le Canada se doit de leur accorder l’asile sous peine de contrevenir à ses obligations constitutionnelles et internationales. Le défendeur plaide que cet argument est prématuré et je suis d’accord. Si la demande du statut de réfugié est rejetée, les demandeurs auront droit à un Examen des risques avant renvoi avant d’être déportés (voir, par exemple, les arrêts Barrera c. Canada (M.E.I.), [1993] 2 C.F. 3 (C.A.), Arica c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1995), 182 N.R. 392 (C.A.F.), Kaberuka c. Canada (M.E.I.), [1995] 3 C.F. 252 (C.A.), Sandhu c. Canada (M.C.I.) (2000), 258 N.R. 100 (C.A.F.), Plecko c. Canada (M.C.I.) (1996), 114 F.T.R. 7, Ithibu c. Canada (M.C.I.) (2001), 13 Imm. L.R. (3d) 251 (C.F., 1re inst.), Ijagbemi c. Canada (M.C.I.) (2001), 16 Imm. L.R. (3d) 299 (C.F., 1re inst.), Manefo c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. no 819 (1re inst.) (QL), Mihayo c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no 15 (1re inst.) (QL), Hilaire c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no 19 (1re inst.), Akindele c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no 68 (1re inst.) et Kofitse c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no 1168 (1re inst.) (QL)).

 

[17]      Les demandeurs plaident enfin qu’il existe un problème important de partialité administrative et institutionnelle de la part de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) en regard des revendicateurs mexicains. Cette prétention est basée partiellement sur la décision persuasive de la CISR au sujet de la protection de l’État mexicain où on décide qu’il y aurait une protection de l’État contre les policiers corrompus. Elle est aussi basée sur des déclarations qui auraient été faites par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, M. Kenney, au sujet des revendicateurs mexicains et le besoin de réformer le système à cause de leurs abus.

 

[18]      Il importe d’abord de souligner, comme l’a d’ailleurs reconnu le procureur des demandeurs devant moi, qu’aucune objection reliée à l’apparence d’impartialité du tribunal n’a été faite devant celui-ci.

[19]      Dans sa décision, le tribunal a dit avoir passé en revue les motifs de la décision à caractère persuasif de la Section de la protection des réfugiés dans le dossier TA6-07453, datée du 26 novembre 2007, et avoir adopté son raisonnement en ce qui concerne la disponibilité de la protection de l’État. Je note que le tribunal a fait cette affirmation après avoir analysé en détail la preuve factuelle devant lui. Cette façon de procéder est correcte (voir, par exemple, Hidalgo c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 707 et Hernandez c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 480).

 

[20]      Quant aux déclarations que les demandeurs prêtent au ministre Kenney pour tenter de prouver qu’elles pourraient susciter une crainte raisonnable de partialité, je note que les demandeurs n’en ont même pas déposé le texte.

 

[21]      À mon sens, l’allégation très générale de manque d’impartialité de la CISR dans le cas des demandeurs mexicains n’est aucunement étayée par une quelconque preuve au dossier et, à l’instar du défendeur, je trouve que cette allégation manque de sérieux et ne peut être retenue.

 

[22]      Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[23]      Le procureur des demandeurs, Me Istvanffy, a proposé la question suivante pour certification :

     Est-ce que l’analyse de la protection de l’état au Mexique dans le contexte d’une révision judiciaire d’une décision de la C.I.S.R. doit tenir compte de la jurisprudence internationale relative au fonctionnement du système judiciaire mexicain. Est-ce qu’on ne devrait pas analyser le dossier sous ce standard constitutionnel en vertu de l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés lorsqu’on cherche à établir une violation de la Charte?

 

[24]      Pour les raisons exprimées par l’avocat du défendeur dans sa lettre du 3 mai 2011, la question proposée ne mérite pas d’être certifiée. Dans les circonstances, je suis d’avis que la question ne rencontre pas les critères jurisprudentiels émanant notamment de l’arrêt Liyanagamage c. Canada (M.C.I.) (1994), 176 N.R. 4 (C.A.F.) et de l’arrêt Huynh c. Canada, [1995] 1 C.F. 633 (1re inst.), conf. [1996] 2 C.F. 976 (C.A.).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 23 juin 2010 est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4227-10

 

INTITULÉ :                                       Arturo SANABRIA OSUNA, Ma Guadalupe VERDUZCO DE SANABRIA, Abril SANABRIA VERDUZCO, Lluvia Ruth VERDUZCO NORZAGARAY c.  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 25 mai 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stewart Istvanffy                            POUR LES DEMANDEURS

 

Me Charles Junior Jean                        POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart Istvanffy                                                           POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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