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Date : 20110525

Dossier : IMM-5324-10

Référence : 2011 CF 611

[Traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 25 mai 2011

En présence de MONSIEUR LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

 

JHON EDUARD ORTEGA AYALA

ANGELICA ORTEGA AYALA

KEVIN ALBERTO AVELLAN

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision, en date du 3 août 2010, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIRP). La Commission devait statuer sur la crédibilité des demandeurs et sur la question de la crainte subjective, en plus de déterminer si leur crainte était objectivement bien fondée.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

 

I.          Contexte

 

A.         Contexte factuel

 

[3]               Jhon Eduard Ortega Ayala (le demandeur principal, DP) et sa sœur, Angelica Ortega Ayala, (collectivement, les demandeurs) sont citoyens de la Colombie. Kevin Alberto Avellan, demandeur mineur et fils de Angelica, est citoyen des États-Unis d’Amérique (É.-U.). La demande d’asile qu’ils ont présentée était fondée sur le fait qu’ils auraient été menacés par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).

 

[4]               Les demandeurs allèguent que leurs problèmes ont commencé en décembre 1994 alors qu’ils étaient en vacances à la ferme de leur grand-père dans la ville de Trujillo à Sonora, dans le département de Valle del Cauca, en Colombie. La famille faisait de l’équitation lorsqu’elle a été interceptée par des individus armés qui se sont plus tard identifiés comme étant des membres des FARC. Le père des demandeurs et le régisseur de la ferme ont été pris à part puis informés qu’ils devaient payer la vacuna, taxe imposée par les guérilleros, s’ils voulaient vivre et travailler dans la région. On leur a dit de ne pas prévenir les autorités. Alarmée, la famille a décidé de retourner à Bogotá dès son retour à la ferme.

 

[5]               À la mi-juin 1995, la famille des demandeurs est retournée à la ferme pour assister à la première communion des enfants du régisseur qui avait lieu dans la salle communautaire de la ville. Les demandeurs affirment que, plus tard ce soir‑là, ils ont entendu des coups de feu et des cris alors qu’ils montaient dans leur voiture. Leur père leur a dit de s’étendre sur le plancher de la voiture et il s’est dépêché de revenir à la ferme. Les demandeurs ont récupéré leurs effets personnels et sont partis pour Bogotá. Ils ont appris plus tard que cette nuit-là les FARC étaient entrés dans la salle communautaire et avaient tué 13 personnes. Le père des demandeurs a par la suite accompagné ses parents dans la ville de Cali pour faire une dénonciation à la police.

 

[6]               Au début de septembre 1995, le père des demandeurs a reçu un appel de menaces d’un homme qui disait appartenir aux FARC. L’homme lui a dit que les membres de sa famille seraient en sécurité tant qu’ils continueraient de payer la vacuna. Il a utilisé les noms des demandeurs. À ce moment, craignant pour la sécurité de leurs enfants, les parents des demandeurs les ont envoyés aux É.-U.

 

B.         Décision contestée

 

[7]               La Commission a tout d’abord rejeté la demande du demandeur mineur étant donné qu’il est citoyen des É.-U. et qu’aucune allégation n’avait été faite contre les É.-U. Dans son examen de la demande soumise par les deux demandeurs adultes, la Commission a tenu compte des témoignages oraux et écrits et de l’ensemble de la preuve documentaire, mais elle a conclu que les demandeurs manquaient de crédibilité et qu’ils étaient incapables de démontrer le bien‑fondé d’une crainte, subjective ou objective, de persécution.

 

[8]               Le DP n’a fourni aucune preuve documentaire permettant de démontrer que son grand-père était propriétaire de la ferme où les problèmes des demandeurs avec les FARC auraient commencé. La Commission a conclu que l’explication du DP quant aux raisons pour lesquelles il n’avait pu obtenir ces documents, entre autres que celui aurait pris beaucoup de temps, n’était pas raisonnable. La Commission s’attendait à voir ces documents puisque d’autres demandeurs colombiens avaient pu les présenter dans le cadre d’autres instances, et parce que la ferme était un élément central et matériel de leur allégation. L’omission de fournir une preuve documentaire confirmant que le grand-père était propriétaire de la ferme a soulevé des doutes sérieux dans l’esprit de la Commission à ce sujet, et elle n’a donc pas cru que les incidents de décembre 1994 et de juin 1995 s’étaient produits. La Commission n’a pas cru non plus que la famille des demandeurs avait reçu des menaces de la part des FARC et elle a conclu que les demandeurs avaient fabriqué leur récit.

 

[9]               La Commission a de plus mentionné que, même si elle avait accordé foi aux dires des demandeurs, rien ne permettait de croire qu’ils étaient personnellement ciblés. C’est plutôt leur père et le régisseur de la ferme qui avaient été menacés. En outre, comme la vacuna était apparemment payée régulièrement aux FARC, il n’y avait donc aucune raison pour que les FARC menacent la famille des demandeurs.

 

[10]           La Commission a conclu que le fait que le DP ait vécu pendant longtemps aux É.-U. sans tenter d’y demander l’asile était incompatible avec une crainte de persécution subjective. Le DP a expliqué qu’il n’avait pas les moyens de recourir aux services d’un avocat et qu’il ne pouvait présenter une demande d’asile après avoir séjourné plus d’un an aux É.-U. La Commission a rejeté ces explications. Elle a également conclu que le témoignage du DP sur le retour de sa mère en Colombie était incompatible avec une crainte subjective de persécution. Bien qu’elle ait quitté la Colombie avec les demandeurs en 1996, elle a été renvoyée en Colombie en 1997. Elle n’a pas cherché à obtenir l’asile au Mexique ou au Canada avant de retourner en Colombie. Le DP n’a pas non plus fourni de preuve documentaire à l’appui de son allégation selon laquelle sa mère devait retourner en Colombie pour prendre soin de sa mère malade.

 

[11]           La Commission n’a pas cru que les demandeurs craignaient objectivement et avec raison d’être persécutés en Colombie puisqu’il n’existait aucune preuve que les FARC avaient tenté de s’en prendre à leur mère ou de savoir où se trouvaient les demandeurs. La Commission a également conclu que les FARC n’avaient aucune raison de cibler les demandeurs à cause des dénonciations faites par leur père.

 

[12]           La Commission a donc conclu qu’il existait moins qu’une simple possibilité que les demandeurs soient persécutés par les FARC s’ils devaient retourner en Colombie.

 

II.         Les questions en litige

 

[13]           La présente demande soulève les questions suivantes :

(a)        Était-il raisonnable pour la Commission de tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité du fait que le DP n’a présenté aucune preuve documentaire corroborant ses dires?

(b)        Était-il raisonnable pour la Commission de rejeter le témoignage du DP portant qu’il ne pouvait demander l’asile aux É.-U. après y avoir séjourné pendant un an?

(c)        Était-il raisonnable de la part de la Commission de tirer une conclusion défavorable à partir d’un élément de preuve concernant la mère du DP?

(d)        La Commission a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables relativement à des invraisemblances?

 

III.       Norme de contrôle

 

[14]           Il est bien établi qu’en matière de crédibilité, les décisions de la Commission sont de nature factuelle et appellent une grande déférence. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Lawal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 558, par. 11; Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315, 42 A.C.W.S (3d) 886 (C.A.F.), par. 4). Dans le même ordre d’idée, le poids accordé à la preuve ainsi que l’interprétation et l’appréciation de cette preuve sont susceptibles de révision selon la norme de raisonnabilité (NOO c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, par. 38).

 

[15]           Comme il est établi dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. La décision doit également appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

IV.       Argumentation et analyse

 

A.        La Commission a-t-elle tiré des conclusions raisonnables quant à la crédibilité?

 

[16]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a agi de façon déraisonnable en tirant une conclusion négative sur leur crédibilité du fait qu’ils n’ont fourni aucune preuve documentaire établissant l’existence de la ferme de leur grand-père. Les demandeurs font valoir qu’il était déraisonnable de s’attendre à ce qu’ils présentent une preuve à l’appui de leurs déclarations sous serment. Les demandeurs soutiennent qu’il est bien établi en droit que si elle n’a pas de raison valable de douter de la crédibilité d’un demandeur, la Commission a tort d’exiger une preuve documentaire à l’appui d’une allégation (Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (CAF), par. 5).

 

[17]           Le défendeur estime qu’il n’est pas injustifié de s’attendre à ce que les demandeurs fournissent les éléments de preuve documentaire dont ils devraient raisonnablement disposer et qu’il leur incombe de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour étayer leur demande. Le défendeur soutient que la Cour a déjà statué que lorsque le récit du demandeur est considéré comme invraisemblable ou non crédible, l’absence de documents corroborant ce récit peut être un élément à prendre en compte dans l’évaluation de la crédibilité (Bin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1246, 213 FTR 47, par. 21).

 

[18]           À l’audience, le DP a expliqué que [traduction] « le processus permettant de trouver des documents en Colombie est très long et qu’il s’était écoulé beaucoup de temps [...] » (Dossier certifié du tribunal (DCT), p. 537), de sorte qu’il n’était pas en mesure d’obtenir les documents. Interrogé à ce sujet, il a précisé qu’il n’avait pas tenté d’obtenir lesdits documents.

 

[19]           Le défendeur a raison d’invoquer la jurisprudence de la Cour et d’affirmer qu’il incombe au demandeur d’asile de présenter une preuve crédible et digne de foi permettant d’établir qu’il existe une probabilité raisonnable qu’il soit persécuté s’il retournait dans son pays d’origine. Certes, dans la présente affaire, il était loisible à la Commission de conclure que les demandeurs n’avaient pas réussi à satisfaire à cette exigence. Cependant, j’estime déroutante la logique de la Commission en ce qui concerne l’absence de documents visant à corroborer l’existence de la ferme ou le fait que le grand-père en était propriétaire, faits qui, j’en conviens, étaient au cœur du récit en ce qu’ils permettaient de situer l’histoire et d’expliquer les raisons de la persécution. La Commission a adopté le raisonnement qui suit, au paragraphe 12 et suivants de ses motifs :

[12]      L’incapacité du demandeur d’asile de fournir des documents de propriété au sujet de la ferme rend le tribunal extrêmement sceptique quant au fait que la présumée ferme à Sonora appartenait à son grand‑père. Il n’existe aucune preuve documentaire convaincante provenant de sources fiables qui porte à croire que le grand‑père des demandeurs d’asile possédait une ferme à Sonora où auraient eu lieu leurs ennuis avec les FARC. La preuve documentaire ne révèle pas que les problèmes des membres de sa famille avec les FARC sont survenus à la ferme de leur grand‑père. C’est aux demandeurs d’asile qu’il incombe de prouver le bien‑fondé de leur demande d’asile.

 

[13]      Par conséquent, à la lumière de la preuve produite, le tribunal ne croit pas que le grand‑père du demandeur d’asile possédait une ferme à Sonora comme celui‑ci l’a prétendu et ne croit donc pas que les présumés incidents de décembre 1994 et de la mi‑juin 1995 ont eu lieu. Comme le tribunal ne croit pas que le grand‑père du demandeur d’asile avait une ferme, il ne croit pas non plus que les FARC ont exigé de la famille des demandeurs d’asile le paiement de la vacuna et, de ce fait, que leur famille a reçu des menaces des FARC parce qu’elle n’avait pas payé la vacuna.

 

[14]      Le tribunal estime que les demandeurs ont fabriqué leur récit quant à leur crainte d’être persécutés par des guérilleros des FARC en Colombie.

 

[20]           Ce raisonnement ne concorde pas avec la jurisprudence de la Cour et il est déraisonnable, car il justifie l’absence de crédibilité par le manque de preuve documentaire, au lieu d’utiliser le manque de preuve documentaire pour renforcer une conclusion antérieure défavorable quant à la crédibilité. La Commission ne donne aucune autre raison de ne pas croire le témoignage du demandeur. Comme le soutient le défendeur, lorsque le récit d’un demandeur est par ailleurs considéré comme non crédible, l’absence de preuve documentaire peut être un élément à prendre en compte. Par exemple, dans le jugement Bin, précité, invoqué par le défendeur, le juge Denis Pelletier a déclaré au paragraphe 22 :

[22]      En l’espèce, un certain nombre de contradictions et d’incohérences internes avaient jeté des doutes sur la revendication du demandeur. Par conséquent, la SSR pouvait tenir compte du défaut du demandeur de produire des éléments de preuve corroborant son récit lorsqu’elle a évalué sa crédibilité.

 

[21]           La Commission pouvait conclure que l’explication fournie par les demandeurs pour justifier leur défaut de fournir les documents était déraisonnable. La Commission ne pouvait cependant pas discréditer l’ensemble de leur demande simplement à cause de cette omission. Cela reviendrait à écarter la ratio decidendi, maintes fois citée, du jugement Maldonado, précité.

 

[22]           De plus, la Commission semble ne pas avoir tenu compte de certains éléments de preuve pertinents, ou les avoir mal interprétés, lorsqu’elle conclut que l’incident de la mi-juin 1995 n’a pas eu lieu. Les demandeurs ont présenté un rapport de police faisant suite à la dénonciation de leur père. Le rapport mentionne les demandeurs et leurs parents, et fait référence à une enquête sur le massacre de 13 personnes qui a eu lieu le 23 juin 1995 dans le village de Sonora. De toute évidence, la Commission a commis une erreur en ne mentionnant pas cet élément de preuve dans sa conclusion portant que les incidents relatés par les demandeurs ne se sont jamais produits (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 FTR 35, 83 ACWS (3d) 264).

 

[23]           Il s’agit là d’une erreur susceptible de révision. Comme le juge Michel Shore l’a dit au paragraphe 26 de la décision Torres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 67 :

Selon la jurisprudence canadienne, une conclusion défavorable quant à la crédibilité doit trouver un fondement légitime dans la preuve. Les conclusions relatives à la crédibilité doivent être expliquées et appuyées par la preuve. La Commission a jugé invraisemblable le récit de M. Ortiz Torres, mais elle n’a fait aucune référence à une preuve spécifique contraire. L’omission de dégager des éléments de preuve clairs et précis est déraisonnable et rend chacune des conclusions hypothétiques (Kanaphathipillai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 81 ACWS (3d) 859, [1998] FCJ 1110 (QL/Lexis); Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 982, 125 ACWS (3d) 477; Armson c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 9 Imm LR (2d) 150, 17 ACWS (3d) 322 (CAF)).

 

[Souligné dans l’original]

 

[24]           J’estime cependant que cette erreur ne vicie pas la décision de la Commission dans son ensemble. Les demandeurs devaient démontrer qu’ils avaient, quant à la persécution, une crainte subjective et une crainte objectivement fondée. La Commission a dit, au paragraphe 15 :

[15]      Même si le tribunal ajoutait foi au récit du demandeur d’asile (ce qui n’est pas le cas), aucune preuve convaincante ne laisse supposer que le demandeur d’asile ou sa sœur ont déjà été visés personnellement ou menacé (sic) par les FARC lorsqu’ils vivaient en Colombie.

 

[25]           La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient jamais été visés personnellement par les FARC, que leur comportement aux É.-U. n’était pas compatible avec une crainte subjective de persécution et qu’aucun élément de preuve n’étayait l’existence d’une crainte objectivement fondée de persécution. Bref, même j’estime que la conclusion à laquelle est arrivée la Commission au sujet de la crédibilité n’était pas raisonnable, la Commission ne s’est pas fondée uniquement sur cette conclusion pour rejeter la demande des demandeurs. Il n’a pas été démontré que l’ultime conclusion portant que les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugié au sens de la Convention était déraisonnable.

 

B.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs auraient pu demander l’asile après avoir séjourné pendant plus d’un an aux É.‑U.?

 

[26]           La Commission a conclu que le fait que les demandeurs aient séjourné aux É.-U. pendant plus de 12 ans sans y demander l’asile témoignait de leur absence de peur subjective. Les demandeurs soutiennent que la Commission a agi de façon déraisonnable en rejetant l’explication qu’ils ont donnée pour justifier leur défaut de demander l’asile. Ils ont déclaré à l’audience qu’ils n’avaient pas au départ les fonds nécessaires pour demander l’asile, et qu’après être restés pendant un an aux É.-U. sans en faire la demande, il leur était interdit de le faire. Les demandeurs ont fait valoir que la Commission n’avait pas l’expertise nécessaire pour conclure qu’aucune loi américaine ne prévoit qu’il n’est pas possible de demander l’asile aux É.‑U. après y avoir séjourné un an. Les demandeurs prétendent qu’il n’appartenait pas à la Commission d’interpréter la loi américaine, mais d’apprécier le caractère raisonnable des gestes qu’ils ont posés après avoir obtenu les conseils juridiques d’un avocat pratiquant le droit de l’immigration aux É.-U.

 

[27]           Sur ce point, j’accepte les arguments du défendeur. Contrairement à l’affirmation des demandeurs selon laquelle la Commission ne possède pas l’expertise nécessaire sur le droit américain en matière d’asile, selon le service de réponses aux demandes de renseignements concernant les É.-U. de la Section de la protection des réfugiés, il appert qu’il est encore possible pour un demandeur de présenter une demande d’asile, au titre de différentes catégories ou à certaines conditions, même s’il n’a pas présenté de demande dans l’année suivant son arrivée aux États‑Unis. Cette information est connue de la Commission et elle est accessible au public. Il n’était pas déraisonnable pour la Commission de rejeter les explications des demandeurs sur les raisons pour lesquelles ils n’ont pas demandé l’asile aux É.-U. avant leur arrivée au Canada, soit plus de 12 ans après avoir fui la Colombie.

 

C.        La Commission a-t-elle agi de manière déraisonnable en s’appuyant sur un élément de preuve concernant la mère du demandeur?

 

[28]           Les demandeurs soutiennent que, puisque leur mère n’est pas partie à la demande, la Commission a agi déraisonnablement en tenant compte de son retour en Colombie pour conclure que les demandeurs n’avaient ni une crainte subjective ni une crainte objective de persécution. Ils font valoir que la Commission a commis une erreur en s’appuyant sur les actes de leur mère pour mettre en doute leur crédibilité.

 

[29]           Le défendeur soutient que, étant donné que les demandeurs – qui voulaient donner plus de poids à leur demande d’asile – ont mentionné que leur mère se cachait en Colombie, il était raisonnablement loisible à la Commission de tenir compte du fait qu’elle était retournée deux fois en Colombie alors qu’elle vivait aux É.-U., de son défaut de demander l’asile dans un tiers pays sûr après avoir été renvoyée des É.-U., de l’absence de preuve médicale corroborant l’allégation des demandeurs selon laquelle leur mère est retournée en Colombie pour prendre soin de sa mère malade, ainsi que de l’absence de preuve convaincante démontrant qu’elle était ciblée par les FARC depuis son renvoi en Colombie en 1997.

 

[30]           À mon avis, la Commission n’a pas utilisé les actes de la mère pour attaquer la crédibilité des demandeurs; elle a plutôt considéré que ces actes témoignaient d’une absence de crainte objective de persécution en Colombie. Le défendeur fait valoir que les demandeurs ne peuvent prétendre, d’une part, que les FARC est une organisation très complexe, capable de retrouver quiconque l’intéresse, et d’autre part, que leur témoignage concernant l’expérience de leur mère en Colombie ne devrait pas faire l’objet d’un examen minutieux et qu’il n’est pas pertinent que leur mère n’ait pas été contactée par les FARC bien qu’elle soit retournée en Colombie depuis 13 ans. Les demandeurs n’ont pas réussi à me convaincre que la Commission avait commis une erreur susceptible de révision.

 

D.        La Commission a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables relativement à des invraisemblances?

 

[31]           Outre les arguments ci-dessus, les demandeurs ont également présenté d’autres exemples d’erreurs commises par la Commission. Entre autres, la Commission n’était pas convaincue que les FARC auraient intérêt à cibler les demandeurs à la suite des signalements faits à la police par leur père, puisque celui-ci n’a jamais mentionné expressément les FARC dans ces dénonciations. Les demandeurs ne partagent pas cet avis. Avec égards, les autres arguments des demandeurs se résument simplement à cela : exprimer leur désaccord sur la façon dont la Commission a apprécié la preuve. Certes, j’ai exprimé certaines réserves quant au raisonnement adopté par la Commission dans son appréciation de la crédibilité des demandeurs au regard de la crainte subjective. Néanmoins, la lecture de l’ensemble de la décision révèle que la Commission n’a tout simplement pas conclu que les demandeurs s’étaient acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer qu’ils seraient persécutés s’ils devaient retourner en Colombie. Il est permis de croire que la Commission aurait pu arriver à cette conclusion indépendamment de la crédibilité des demandeurs. Les demandeurs ont été incapables de fournir la preuve qu’ils avaient été, ou qu’ils seraient vraisemblablement, directement et personnellement visés par les FARC. J’aurais pu choisir de rédiger la décision différemment, ou d’accorder plus ou moins d’importance à certains éléments de preuve, mais il reste que la conclusion de la Commission appartient aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit. À ce titre, il n’y a aucune raison pour que la Cour intervienne.

 

 

V.        Conclusion

 

[32]           Aucune question à certifier n’a été proposée et l’affaire n’en soulève aucune.

 

[33]           Compte tenu des conclusions ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de révision judiciaire soit rejetée.

 

 

« D.G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5324-10

 

INTITULÉ :                                                   JHON EDUARD ORTEGA AYALA ET AUTRES c. M.C.I.

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 6 AVRIL 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          Le Juge Near

 

DATE :                                                           LE 25 MAI 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alesha Green

 

POUR LES DEMANDEURS

Prathima Prashad

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alesha Green

Green, Willard

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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