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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110525

Dossier : IMM-3224-11

Référence : 2011 CF 609

Ottawa (Ontario), le 25 mai 2011

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

MOHAMED SAKO

 

 

 

 

défendeur

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.  Introduction

[1]               La mise en liberté d’un individu reconnu comme danger pour la sécurité publique représente un risque grave que la société, selon la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR),  ne devrait subir. C’est un risque que la Cour ne peut pas se permettre d’imposer selon la LIPR, alinéas 3(1)h) et 4(2)h), qui démontre les principes clés mis en place par le législateur que la Cour a l’obligation d’interpréter et non de reformuler. (La séparation des pouvoirs selon la suprématie constitutionnelle accorde une juridiction à chacune des trois branches du gouvernement. La branche exécutive exécute et met en vigueur la législation légiférée par la branche législative; et, la Cour a le devoir que d’interpréter la Loi et non de la formuler ou de la reformuler).

 

[2]               Le défendeur a un dossier judiciaire important. Il a été condamné à de multiples reprises pour différents types d’infractions, incluant des crimes commis avec violence. En ordonnant sa mise en liberté à des conditions non contraignantes qui n’éliminent pas le danger, la Section de l’immigration (SI) a fait fi du régime législatif mis en place par la LIPR et elle a évalué déraisonnablement le danger que représente le défendeur.

 

[3]               La Cour est entièrement d’accord avec les propos de la partie demanderesse.

 

[4]               Pour éviter que la mise en liberté du défendeur cause un préjudice irréparable, la décision de la SI doit être suspendue jusqu’à ce que la demande d’autorisation soit tranchée ou jusqu’à ce que jugement soit rendu sur la demande de contrôle judiciaire.

 

II.  Faits

[5]               Le défendeur, monsieur Mohamed Sako, est détenu par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) depuis sa sortie de prison le 7 mai 2011. Il terminait de purger une peine d’emprisonnement de trois mois pour agression avec infliction de lésions corporelles et méfaits.

 

[6]               Le 9 mai 2011, la SI a ordonné le maintien de la détention de monsieur Sako. Au cours de l’audience tenue le même jour, l’ASFC a déposé la décision rendue le 4 décembre 2008 dans laquelle la Commission des libérations conditionnelles du Québec refusait d’ordonner la libération conditionnelle de monsieur Sako parce qu’il représentait « un risque inacceptable pour la société », qu’il refusait de prendre ses responsabilités pour les gestes criminels qu’il avait posés et qu’il avait adopté un mode de vie fait de criminalité.

 

[7]               Au cours de l’audience, tenue le 16 mai 2011 sur le deuxième contrôle des motifs de détention de monsieur Sako, l’ASFC a mis en preuve le dossier judiciaire de monsieur Sako :

a.       le 19 avril 2001 : vol de carte de crédit; amende de 300 $ et absolution inconditionnelle;

b.      le 21 janvier 2008 : entrave et inobservation d’un engagement; amende de 150 $ et probation de un an;

c.       le 30 janvier 2008 : fraude de moins de 5 000 $ et complot; vol de carte de crédit (deux chefs d’accusation); 30 jours d’emprisonnement et probation de un an;

d.      le 22 février 2008 : vol de carte de crédit (deux chefs) et fraude de moins de 5 000 $; emprisonnement de 30 jours et probation de un an;

e.       le 27 février 2008 : agression armée et avoir proféré des menaces; emprisonnement de 15 jours et probation de deux ans;

f.        le 9 juillet 2008 : proxénétisme; emprisonnement de 12 mois et 18 jours; probation de trois ans;

g.       le 17 février 2011 : vol de carte de crédit; emprisonnement de 30 jours et probation de deux ans;

h.       le 17 février 2011 : défaut de se conformer à une ordonnance; emprisonnement de 30 jours et probation de deux ans;

i.         le 17 février 2011 : possession de biens criminellement obtenus; emprisonnement de 30 jours et probation de deux ans;

j.        le 17 février 2011 : voies de fait et entrave; emprisonnement de 30 jours et probation de deux ans;

k.      le 17 février 2011 : agression avec lésions corporelles et méfait; emprisonnement de trois mois et probation de trois ans.

 

[8]               Deux des victimes de monsieur Sako sont ses ex-copines.

 

[9]               Toujours le 16 mai 2011, la SI a ordonné sa mise en liberté à des conditions qui, à leur lecture même, n’éliminent pas le danger important qu’il représente :

a.       se présenter à l’ASFC ou à la SI au moment qu’elle fixe pour toute obligation imposée par la loi, y compris le renvoi;

b.      communiquer son adresse à l’ASFC avant d’être mis en liberté et l’informer en personne de tout changement avant sa prise d’effet;

c.       se présenter au bureau de l’ASFC le plus près de sa résidence dans les 48 heures suivant la mise en liberté et une fois par semaine par la suite;

d.      garder la paix et avoir une bonne conduite;

e.       confirmer son départ du Canada auprès d’un agent de l’ASFC;

f.        collaborer pleinement avec l’ASFC pour l’obtention d’un titre de voyage;

g.       ne pas se livrer à des activités donnant lieu à une déclaration de culpabilité;

h.       aviser un agent de l’ASFC de chaque condamnation et accusation;

i.         respecter un couvre-feu de minuit à 6 heures le matin, sauf autorisation écrite de l’ASFC dans certaines circonstances;

j.        ne pas consommer d’alcool ou de drogue;

k.      respecter les conditions imposées par les tribunaux de juridiction criminelle.

 

[10]           Le 16 mai 2011, le ministre a déposé une demande d’autorisation à l’encontre de cette décision et a demandé ex parte à la Cour d’ordonner la suspension de la décision de la SI le temps qu’une requête en sursis formelle soit entendue et décidée.

 

III.  Points en litige

[11]           Est-ce que la Cour doit ordonner le sursis de la décision rendue par la SI le 16 mai 2011? Plus précisément, elle devra trancher les questions suivantes :

a.       Questions sérieuses. En ordonnant la mise en liberté de monsieur Sako, la SI a-t-elle fait abstraction des critères qu’impose la LIPR? A-t-elle évalué déraisonnablement le danger que monsieur Sako représente? A-t-elle imposé des conditions qui éliminent ce danger?

b.      Préjudice irréparable et balance des inconvénients. Compte tenu du danger que représente monsieur Sako, sa mise en liberté à des conditions qui ne permettent pas d’éliminer le danger cause-t-elle un préjudice irréparable à la sécurité publique? La balance des inconvénients favorise-t-elle le ministre?

 

 

 

IV.  Analyse

            Questions sérieuse

[12]           Les conditions de mise en liberté qu’a ordonnées la SI reflètent trois éléments : d’abord, qu’elle n’a pas tenu compte des critères imposés par l’article 58 de la LIPR, ni du sous-alinéa 246f)(ii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement), commettant ainsi une erreur de droit (Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Vargas, 2009 CF 1005 au para 37); ensuite, qu’elle a évalué déraisonnablement le danger important que représente monsieur Sako; enfin, que les conditions elles-mêmes ne tiennent pas compte de l’obligation qu’elles éliminent le danger. Cette troisième erreur est également une erreur de droit (Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Al Achkar, 2010 CF 744, 371 FTR 231 au para 48).

 

[13]           Déjà au mois de décembre 2008, la Commission des libérations conditionnelles du Québec jugeait que monsieur Sako représentait « un risque inacceptable pour la société ». Elle concluait, au terme de son enquête, qu’il n’assumait pas la responsabilité des gestes qui lui étaient reprochés, qu’il les minimisait ou cherchait à s’en disculper, qu’il refusait de participer à tout programme puisqu’il n’identifiait aucun problème, et qu’il avait adopté un mode de vie désorganisé caractérisé par la fréquentation de gens criminalisés et la consommation de stupéfiants.

 

[14]           Depuis qu’il a terminé de purger sa sentence de plus de un an pour proxénétisme et de 15 jours pour agression armée et menaces, il a été condamné pour de multiples infractions criminelles allant du défaut de se conformer à une ordonnance à des voies de fait, entrave, agression avec lésions corporelles et méfait. Deux des copines de monsieur Sako ont été ses victimes de voies de fait d’une plus ou moins grande gravité. Les tribunaux lui ont imposé quatre sentences d’emprisonnement de 30 jours et une de 3 mois, toutes assorties de périodes de probation de deux ou trois ans.

 

[15]           Dans ces circonstances, le ministre a l’intention d’émettre un avis de danger à l’égard de monsieur Sako. Une décision sera prise d’ici trois mois. Une première liasse de documents lui a d’ailleurs été remise à cet effet le 29 juin 2010. Monsieur Sako n’y a toujours pas répondu bien que le ministre lui ait donné un délai de 15 jours pour présenter ses observations.

 

[16]           Monsieur Sako représente un danger pour la sécurité publique au sens de l’alinéa 58(1)a) de la LIPR. La SI a néanmoins ordonné sa mise en liberté à des conditions si minimales qu’elles ne permettent pas de contenir à un degré acceptable le danger que monsieur Sako représente.

 

[17]           Bien entendu, l’article 58 de la LIPR fait de la mise en liberté la règle. La détention doit devenir l’exception. Toutefois, dans l’évaluation qu’elle fait du risque, la SI doit tenir compte des solutions de rechange à la détention (Règlement, alinéa 248e)). Sur ce point, la SI a commis une deuxième erreur.

 

[18]           Les conditions qu’elle a imposées à monsieur Sako seraient tout à fait acceptables s’il n’avait aucun antécédent judiciaire ni passé violent, s’il s’était généralement présenté à toute convocation ou à tout rendez-vous, s’il avait respecté les conditions que lui avaient imposées les tribunaux d’autres juridictions et s’il reconnaissait ses torts. Puisque le comportement de monsieur Sako ne répond pas à ces caractéristiques, la SI a l’obligation de réfléchir sur la nécessité : (1) d’ordonner le maintien de sa détention par une solution qui devrait privilégier dans ces circonstances, ou (2) d’imposer des conditions qui atténuent le plus possible le risque que monsieur Sako représente. Aucune des conditions imposées ne permettent d’atteindre cet objectif.

 

[19]           D’abord, la mise en liberté n’apparaît pas d’être satisfait par aucune caution valable de quelque forme que ce soit, compte tenu des faits au dossier :

a.       se dénoncer lui-même — ce qu’il ne sera vraisemblablement pas enclin à faire puisqu’il ne reconnaît même pas sa responsabilité criminelle;

b.      ne pas se livrer à des activités criminelles, ce dont il est incapable selon la Commission des libérations conditionnelles;

c.       respecter un couvre-feu de minuit à 6 h — mais il peut résider où il veut et il n’a qu’à fournir une adresse, n’importe laquelle;

d.      se présenter une fois par semaine au bureau de l’ASFC le plus près — alors qu’il n’a pas l’habitude de respecter les règles internes des établissements de détention dans lesquels il a été incarcéré;

e.       respecter les conditions imposées par les cours criminelles — il a été condamné pour ne pas les avoir respectées;

f.        garder la paix et avoir une bonne conduite, ce qu’il est incapable de faire également.

 

[20]           Manifestement, s’il est mis en liberté à ces conditions, monsieur Sako continuera de représenter un danger pour la sécurité publique au Canada. La SI ne lui a imposé aucune condition l’incitant à adopter un comportement non violent ou l’obligeant à quitter le mode de vie qu’il a adopté depuis plusieurs années.

Préjudice irréparable et balance des inconvénients

[21]           Compte tenu de la nature des infractions commises par monsieur Sako, du risque élevé de récidive et du fait qu’il n’assume pas sa responsabilité criminelle, sa mise en liberté causerait un préjudice irréparable. Il est dans l’intérêt public qu’il soit maintenu en détention jusqu’à ce que la demande d’autorisation contestant la décision de le mettre en liberté soit tranchée ou, selon le cas, jusqu’à ce que jugement soit rendu sur la demande de contrôle judiciaire, le ministre ayant le devoir de protéger la société canadienne Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Castillo, 2009 CF 1022 aux para 23–24).

 

[22]           Les conditions de mise en liberté, qui ne permettent pas d’éliminer le risque que pose monsieur Sako, constituent également un préjudice irréparable (Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Sankar, 2009 CF 934 aux para 14 et 17).

 

[23]           En outre, si monsieur Sako est mis en liberté, la demande d’autorisation du ministre deviendra théorique (Vargas, ci-dessus, au para 66).

 

V.  Conclusion

[24]           En rendant sa décision, la SI a commis trois erreurs : (1) elle n’a pas tenu compte du régime législatif dans lequel s’inscrit le contrôle des motifs de détention; (2) compte tenu de la preuve de la criminalité lourde de monsieur Sako, elle a évalué déraisonnablement le danger qu’il représente; et, (3) les conditions de mise en liberté qu’elle a imposées ne permettent pas d’éliminer le danger.

 

[25]           Dans ces circonstances, mettre en liberté un homme aussi dangereux que monsieur Sako constitue un préjudice irréparable d’intérêt public. La balance des inconvénients ne peut que pencher en faveur du ministre.

 

[26]           Pour tous les motifs ci-dessus, le sursis de la décision rendue par la SI le 16 mai 2011 jusqu’à ce que la demande d’autorisation soit tranchée ou, le cas échéant, jusqu’à ce que jugement soit rendu sur la demande de contrôle judiciaire est accordé.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE le sursis de la décision rendue par la SI le 16 mai 2011 jusqu’à ce que la demande d’autorisation soit tranchée ou, le cas échéant, jusqu’à ce que jugement soit rendu sur la demande de contrôle judiciaire.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3224-11

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                            ET DE LA PROTECTION CIVILE

                                                            c MOHAMED SAKO

 

REQUÊTE CONSIDÉRÉE PAR TÉLÉCONFÉRENCE LE 25 MAI 2011 ENTRE OTTAWA, ONTARIO ET MONTRÉAL, QUÉBEC

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                        LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 25 mai 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Julie Déziel

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ian Demers

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Julie Déziel, avocate

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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