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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110519

Dossier : IMM-1735-10

Référence : 2011 CF 583

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 mai 2011

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

ENTRE :

 

KINGSLEY BAFFOUR KWAKYE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision d’un agent des visas (l’agent) à Accra, au Ghana, datée du 11 mars 2010, par laquelle l’agent a rejeté la demande de visa de résidence temporaire du demandeur. 

 

[2]               Le demandeur demande que la décision de l’agent soit annulée et que la présente affaire soit renvoyée un autre agent pour une nouvelle décision.

 

Le contexte

 

[3]               Kingsley Baffour Kwakye (le demandeur) est né le 14 décembre 1961 et est citoyen ghanéen. 

 

[4]               Le demandeur déclare qu’il est marié à Ernestina Eson, une résidente permanente du Canada, depuis février 1997. 

 

[5]               Le couple a eu ensemble deux enfants nés au Canada, qui, selon le demandeur, ont vécu avec lui au Ghana de septembre 1998 à octobre 2008, date à laquelle ils sont retournés au Canada. 

 

[6]               En 2009, l’épouse du demandeur a souffert de graves problèmes de santé mentale, lesquels ont requis l’intervention de la police. À la suite de ce premier incident, les enfants furent envoyés vivre chez leur grand-mère et à la suite du deuxième incident, ils ont été placés chez le cousin de leur mère.

 

[7]               La Children’s Aid Society of Toronto (la société d’aide aux enfants de Toronto) (la CAS) a déposé une demande de protection des enfants à la Cour de justice de l’Ontario le 10 septembre 2009. Le 10 octobre 2009, les enfants ont été placés en famille d’accueil par la CAS.

 

[8]               Le demandeur a été en contact avec la CAS depuis décembre 2009. Il a demandé la première fois un visa de résidence temporaire en février 2010 afin de pouvoir assister aux procédures relatives à la protection des enfants. Cette demande a été rejetée.

 

[9]               Le demandeur a refait une demande de visa de résidence temporaire. Dans cette demande se trouvaient :

  • Une lettre de sa répondante au Canada
  • Une lettre de l’employeur de sa répondante
  • Une lettre de la CAS
  • Un billet d’avion
  • Une lettre du juge Bovard de la Cour de justice de l’Ontario
  • Des bordereaux de paie émis par Commodities Consortium Exports Ltd. qui indiquent un salaire mensuel de 3 004,45 cédis ghanéens (GHC)
  • Un solde bancaire de 2 974 GHC
  • L’immatriculation de sa voiture

 

La décision de l’agent

 

[10]           L’agent a rejeté la demande de visa parce qu’il a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisé. 

 

[11]           Les principales préoccupations de l’agent étaient :

            (a)        l’historique de voyage du demandeur;

            (b)        les liens familiaux du demandeur au Canada et au Ghana;

            (c)        l’insuffisance de fonds du demandeur pour accomplir ce qu’il voulait faire;

            (d)        le manque de preuve, tel qu’un certificat de naissance ou de mariage, étayant la relation du demandeur avec ses enfants ou avec sa femme au Canada.

 

[12]           L’agent n’était pas convaincu que le demandeur était un véritable visiteur.   

 

Les questions en litige

 

[13]           Le demandeur a soumis les questions suivantes :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée concernant la décision d’un agent des visas?

            2.         Est-ce que l’agent a erré en refusant au demandeur un visa de résidence temporaire?

            3.         Est-ce que les motifs étaient suffisants pour répondre aux exigences de l’équité procédurale?

            4.         Est-ce que l’agent a tiré des conclusions de faits erronées de façon abusive, arbitraire ou sans égard aux documents dont il était saisi?

 

[14]           Les questions en litige sont les suivantes :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         Est-ce que la décision de l’agent était suffisamment justifiée?

            3.         Est-ce que l’agent devait accorder une entrevue au demandeur?

            4.         Est-ce que la décision finale appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit?

 

Les observations écrites du demandeur

 

[15]           Le demandeur prétend que l’agent a erré en déterminant qu’il ne répondait pas aux exigences d’admissibilité de la Loi. Étant donné tous les documents appuyant la demande, il n’y avait pas de preuve que le demandeur n’avait pas l’intention de quitter le Canada.

 

[16]           Le demandeur allègue qu’il était déraisonnable pour l’agent de considérer l’absence d’un historique de voyage comme un facteur négatif, puisqu’il existait des preuves non contredites que le but du voyage de demandeur était de participer aux démarches relatives à la protection des enfants et de retourner au Ghana avec ses enfants. 

 

[17]           Le demandeur soutient de plus que, même en prenant en considération ses liens familiaux au Canada, il y avait des éléments de preuve soumis à l’agent liant le demandeur au Ghana et rien ne laissait croire que ce dernier avait l’intention de demeurer au Canada de façon permanente. Par ailleurs, si le demandeur avait eu l’intention de rester au Canada, il en aurait fait la demande avant afin d’être parrainé par son épouse.

 

[18]           Le demandeur prétend que l’agent a fondé sa décision sur des hypothèses et qu’il n’a pas considéré les motifs et l’objectif du voyage. L’agent a tenu compte de critères inappropriés et a tiré de fausses conclusions de faits en ignorant les exhortations de la CAS et l’opinion d’un juge de la Cour de justice de l’Ontario. 

 

[19]           Finalement, le demandeur allègue que l’agent n’a pas respecté son obligation envers l’équité procédurale, car les motifs qu’il a donnés étaient inadéquats et qu’il aurait dû convoquer une entrevue avec le demandeur afin que celui-ci puisse répondre à toute inquiétude à savoir s’il était ou non un véritable visiteur. 

 

Les observations écrites du défendeur

 

[20]           Le défendeur prétend que la décision de l’agent était raisonnable. L’agent a tenu compte du solde bancaire actuel et habituel du demandeur et a jugé qu’il était insuffisant pour permettre au demandeur d’atteindre son objectif de voyage, notamment le litige au sujet des enfants. Ce fait, ajouté à l’absence de voyage antérieur et aux liens familiaux du demandeur au Canada, constituaient un fondement raisonnable pour conclure que le demandeur ne quitterait pas le pays à la fin de la période autorisée.    

 

[21]           L’agent a étudié les lettres de la CAS et du juge Bovard, mais a conclu que le demandeur n’avait pas présenté d’éléments de preuve de sa relation avec ses enfants ou de sa prétendue épouse. 

 

[22]           Le défendeur soutient que le fardeau incombe au demandeur de présenter une demande claire et des documents corroborants. Il n’y avait pas de droit automatique à une entrevue si la demande était ambigüe ou s’il manquait des documents.

 

Analyse et décision

 

[23]           La question en litige no 1

      Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            Lorsque la jurisprudence a défini la norme de contrôle applicable à une question particulière, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[24]           Les décisions d’un agent de délivrer ou non un visa de résidence temporaire impliquent des questions mixtes de faits et de droit, et font habituellement l’objet de retenue par la Cour (voir Ngalamulume c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 1268, aux paragraphes 15 et 16).

 

[25]           Cependant, toute question d’équité procédurale concernant un agent des visas sera évaluée en fonction de la norme de la décision correcte (voir Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, au paragraphe 43.)

 

[26]           Je me pencherai à présent sur la question en litige no 4.

 

[27]           La question en litige no 4

            Est-ce que la décision finale appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit?

            Les principales inquiétudes de l’agent, telles que soulignées dans les notes du système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI), concernaient le fait que le demandeur ne disposait pas suffisamment de fonds pour réaliser son but et qu’il n’avait pas attesté de sa relation avec les enfants. Je suis d’accord avec le demandeur que ces deux conclusions étaient déraisonnables.

 

[28]           En ce qui a trait à la relation des enfants et du demandeur, bien que celui‑ci n’ait pas présenté leur certificat de naissance, des éléments de preuve avaient été présentés à l’agent confirmant que le demandeur était en fait leur père. Une lettre de la CAS, jointe à la demande, remarque qu’ [traduction] « un des défendeurs dans cette affaire est le père biologique des enfants, M. Kingsley Baffour Kwakye (né le 14 décembre 1961) […] ».

 

[29]           De même, le juge Bovard précise dans une autre lettre que :

[traduction]

M. Kingsley Kwakye essaie présentement d’obtenir un visa pour venir au Canada afin de prendre part à la présente affaire. La Cour considère sa participation très importante, car l’espèce concerne ses enfants […] La Cour exhorte les autorités d’Immigration Canada à faire tout ce qui est possible pour accélérer le traitement de la demande de visa de M. Kwakye pour qu’il puisse venir au pays afin que la Cour bénéficie de sa contribution à l’espèce.

 

[30]           Il était déraisonnable pour l’agent de conclure qu’il n’y avait pas d’élément de preuve appuyant la relation du demandeur avec les enfants.

 

[31]           Quoique le demandeur n’ait pas présenté de certificat de mariage ou d’autre preuve documentaire démontrant son mariage avec son épouse, il était déraisonnable pour l’agent de considérer ces absences comme des facteurs déterminants. Comme l’ont remarqué le demandeur, la CAS et le juge Bovard, le but du voyage était de participer aux procédures afin d’obtenir la garde de ses enfants et de retourner au Ghana. Les éléments de preuve démontrant la relation du demandeur avec son épouse n’étaient pas nécessaires pour déterminer si le demandeur était un véritable visiteur dans ce but.

 

[32]           Finalement, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas suffisamment de fonds pour réaliser son objectif. L’agent n’a pas développé cette décision. 

 

[33]           Le demandeur a appuyé sa demande avec une preuve qui comprenait un billet d’avion, des bordereaux de paie de son employeur, des relevés de son solde bancaire, l’immatriculation de son véhicule et une lettre de sa répondante.

 

[34]           Dans la lettre de sa répondante, Lydia Acheampong-Yeboah, celle‑ci affirme que :

[traduction]

Kingsley pourrait demeurer au Canada environ trois semaines ou moins. Il vivra avec moi, à l’adresse susmentionnée et je couvrirai ses frais de subsistance.

 

 

[35]           L’agent ne disposait pas d’élément de preuve démontrant que le demandeur avait l’intention de se faire représenter par un avocat au cours des procédures relatives à la protection des enfants. Le demandeur gagne 3 004,45 GHC par mois et son compte bancaire en contenait autant. Étant donné que sa répondante avait indiqué qu’elle répondrait à ses besoins essentiels durant son séjour au Canada et qu’il possédait déjà un billet d’avion, il était déraisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur ne disposait pas de suffisamment de fonds pour réaliser son objectif sans offrir d’explication supplémentaire.

 

[36]           Le refus de l’agent d’accorder un visa de visiteur temporaire n’appartenait pas aux issues acceptables et par conséquent, était déraisonnable selon l’arrêt Dunsmuir, précité.

 

[37]           Ainsi, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, la décision de l’agent doit être mise de côté et l’affaire doit être renvoyée à un autre agent pour une nouvelle décision.

 

[38]           Aucune des parties n’a soumis de question grave de portée générale aux fins de certification.

 

 


JUGEMENT

 

[39]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de l’agent soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour une nouvelle décision.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil
ANNEXE

 

Les dispositions légales pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

72.(1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1735-10

 

INTITULÉ :                                       KINGSLEY BAFFOUR KWAKYE

 

                                                            - et -

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 mai 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kweku Ackaah-Boafo

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Neeta Logsetty

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kweku Ackaah-Boafo

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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