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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110526

Dossier : IMM-5848-10

Référence : 2011 CF 595

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2011

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

SERGIO SANTIAGO RAYMOND SALVAGNO

HAYDEE CAROLINA GIMENEZ BENTANCOUR

MICHELLE RAYMOND GIMENEZ

AGUSTIN DAMIAN RAYMOND GIMENEZ

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), par Sergio Santiago Raymond Salvagno, Haydee Carolina Gimenez Bentancour, Michelle Raymond Gimenez et Agustin Damian Raymond Gimenez (les demandeurs), d’une décision rendue par un commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Les demandeurs sont des citoyens de l’Uruguay. Sergio Santiago Raymond Salvagno et Haydee Carolina Gimenez Bentancour (la demanderesse principale) sont mariés ensemble et étaient âgés de 51 ans et de 46 ans respectivement lors de l’audience. Les deux autres demandeurs sont leurs enfants, lesquels avaient 14 ans et 21 ans lors de l’audience.

 

[3]               La demanderesse principale est issue d’une famille uruguayenne bien connue et influente qui est propriétaire d’une vinerie et de grandes terres. La demanderesse principale, sa mère et ses quatre frères et sœurs sont propriétaires des deux entreprises qui exploitent la vinerie et les terres. Son père avait appuyé dans le passé deux partis politiques en Uruguay, les Blancos et les Colorados. En 1962, des membres du mouvement de libération Tupamaro (le MLT) ont exercé des pressions sur certaines familles uruguayennes prestigieuses en vue d’obtenir du soutien pour leur cause. Le père de la demanderesse principale a refusé. En 1972, des guérilleros du MLT ont creusé un tunnel sous la vinerie et s’y sont cachés, avec des armes et des munitions. Le père de la demanderesse principale a alerté les autorités au sujet du tunnel, et plusieurs guérilleros ont été appréhendés.

 

[4]               En 1973, l’armée a pris le pouvoir, et la démocratie a été rétablie en 1983 et 1984. Le père et le frère de la demanderesse principale ont continué d’appuyer les Blancos et les Colorados. La demanderesse principale est devenue la directrice générale de la vinerie à la suite du décès de son père, et elle a reçu des menaces par téléphone. La propriété a fait l’objet d’une série de vols et d’incendies. En 1999, l’entreprise a essayé de produire des boissons non alcoolisées, mais la demanderesse principale affirme que le MLT tenait le conseil municipal de Montevideo sous sa coupe et qu’il a causé tant de problèmes qu’il n’y a jamais eu de production.

 

[5]               En 2005 et 2006, la vinerie et les maisons des demandeurs ont fait l’objet d’une série de vols, mais il n’y a jamais eu d’inculpation. Un envoi d’étiquettes n’est jamais arrivé, bien que la société de transport maritime ait montré aux demandeurs la feuille de route : la signature du récépissé devait avoir été contrefaite. En janvier 2006, la demanderesse principale s’est fait voler sa voiture. Quatre chiens, gardés dans un chenil à leur maison, ont été empoisonnés.

 

[6]               Le 23 février 2006, la maison et le garage de la sœur de la demanderesse principale ont été incendiés. Les pompiers auraient affirmé avoir trouvé de l’essence autour de la maison, mais selon le rapport officiel, la cause de l’incendie était inconnue. Une menace a été laissée à la messagerie vocale de l’entreprise. Une nuit d’août 2006, le garage de la mère de la demanderesse principale a pris en feu, mais les pompiers ont réussi à l’éteindre. Le fils demandeur devait s’y trouver cette nuit-là, mais il n’était pas là. Une menace, reçue par téléphone, leur a donné à penser que le fils avait été visé.

 

[7]               En décembre 2006, la nièce de la demanderesse principale a été tuée alors qu’elle conduisait la motocyclette du fils demandeur. Le rapport officiel de la police affirmait qu’une collision avait eu lieu avec un chariot tiré par un cheval. La demanderesse principale affirme qu’un témoin a dit avoir vu un véhicule quitter les lieux de l’accident, mais la police n’a pas interrogé le témoin. L’accident était suspect et les policiers et les ambulanciers ont été très lents à arriver sur les lieux de l’accident. Le jour des funérailles, lors de menaces reçues par téléphone, les demandeurs se sont fait dire : [traduction] « Nous avons tué la mauvaise personne. » Les demandeurs ont engagé un avocat pour enquêter sur cette affaire.

 

[8]               Les demandeurs sont partis pour le Canada et sont arrivés le 17 décembre 2007.

 

* * * * * * * *

 

[9]               La Commission a conclu que l’article 96 ne s’appliquait pas aux demandeurs en raison du manque d’un lien avec un motif de la Convention. La Commission a conclu que l’article 97 ne s’appliquait pas aux demandeurs parce qu’une protection de l’État efficace existait pour les demandeurs en Uruguay.

 

[10]           Il y a deux questions soulevées par la présente demande :

a.       La Commission a-t-elle erré en concluant qu’il n’y avait pas de lien avec un motif de la Convention?

b.      La Commission a-t-elle erré en concluant qu’une protection de l’État efficace existait pour les demandeurs?

 

 

[11]           Dans la décision Chekhovskiy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 970, au paragraphe 18, le juge Yves de Montigny a conclu que la norme de contrôle applicable à l’interprétation par la Commission de la question du lien était la raisonnabilité, parce que la Commission interprète la loi qui est la plus près de ses fonctions (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

[12]           La norme de contrôle applicable à une conclusion au sujet de la protection de l’État est également la raisonnabilité (Buitrago c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1046, au paragraphe 14).

 

* * * * * * * *

 

A. Le lien

[13]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a erré en concluant qu’ils n’avaient pas montré qu’ils étaient persécutés au regard d’un motif de la Convention, soutenant qu’il est de droit constant que le motif de l’opinion politique, réelle ou perçue, est évalué selon la perception des persécuteurs, qui n’ont pas besoin d’avoir un lien avec le gouvernement. Les demandeurs font remarquer qu’ils ont soumis un récit circonstancié détaillé montrant que les actes commis contre eux découlaient de l’histoire politique de la famille et de leur aversion pour le MLT. La Commission a conclu que les demandeurs étaient crédibles, mais elle a cependant conclu qu’il n’y avait pas de preuve convaincante montrant que le MLT était responsable.

 

[14]           Les demandeurs soutiennent également qu’ils ont un lien avec le motif d’« appartenance à un groupe social ». Ils affirment que leur acharnement à toujours alerter les autorités et à contrer les persécuteurs fait immuablement partie de leur passé, ce qui découle de leur droit de s’associer ou de refuser de s’associer et de leur respect de la loi.

 

[15]           À mon avis, la conclusion de la Commission au sujet du lien avec l’article 96 appartient aux « issues possibles acceptables », comme il est établi dans l’arrêt Dunsmuir, précité. Je fais remarquer que, bien que la Commission ne rejette pas toutes les allégations des demandeurs, elle n’est pas convaincue que tous les éléments de leur récit sont exacts ou véridiques. Comme le défendeur le fait remarquer, la Commission a le droit d’accepter le récit d’un demandeur sans en accepter les interprétations ou les déductions; la Commission avait donc le droit d’en tirer sa propre opinion à savoir si le MLT pouvait être le groupe responsable des incidents. Vu le manque de preuve convaincante établissant un lien entre les incidents et le MLT (outre les allégations des demandeurs), je conclus que la Commission avait le droit de conclure que les demandeurs étaient victimes de criminalité plutôt que de persécution politique. Je fais également remarquer que bien que la Commission n’eût pas conclu que la crédibilité était décisive, les allégations des demandeurs n’ont pas nécessairement été considérées comme étant des faits véridiques. En effet, la Commission a conclu que si la famille élargie des demandeurs avait effectivement craint le MLT, elle aurait quitté l’Uruguay. Il n’y a donc pas eu erreur au sujet de la question du lien.

 

B. La protection de l’État

[16]           Les demandeurs soutiennent essentiellement qu’à la lumière de la preuve des nombreuses dénonciations qu’ils ont faites tant auprès de la police de Montevideo qu’auprès de la police technique, de la preuve de l’intervention déficiente de la police, de l’existence de lacunes dans certains rapports de police et de la preuve de la corruption dans la magistrature, il était déraisonnable de la part de la Commission de conclure simplement qu’ils n’avaient pas épuisé toutes les ressources possibles pour obtenir la protection de l’État, sans leur mentionner ce qu’ils auraient dû faire.

 

[17]           Les demandeurs soutiennent également que la Commission a erré en concluant que les grands efforts déployés par l’État pour s’occuper du crime et de la corruption étaient équivalents à une garantie d’une protection de l’État efficace donnée aux demandeurs.

 

[18]           Je ne souscris pas à l’interprétation des demandeurs de la décision de la Commission, vu que la Commission a expressément fait remarquer qu’il doit être conclu que la protection de l’État est satisfaisante plutôt que simplement efficace en tant que telle (paragraphe 26 de la décision). D’abord, la preuve documentaire sur laquelle la Commission s’appuie montre que l’Uruguay gère de manière efficace la police nationale et que le gouvernement possède des systèmes efficaces pour enquêter sur les actes de violence et sur la corruption et punir ces actes. Il était loisible à la Commission d’accepter cette preuve plutôt que les allégations des demandeurs au sujet de la corruption de la police et de la magistrature, comme ils n’avaient pas soumis de preuves convaincantes pour appuyer leur théorie. Dans la présente affaire, la police a enquêté sur toutes les allégations des demandeurs. Je conclus qu’il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que, bien que les demandeurs ne fussent pas satisfaits du résultat des enquêtes, cela de signifiait pas que la protection de l’État n’était pas satisfaisante. À mon avis, le fait que les enquêtes de la police sur les crimes n’aient pas abouti ne signifie pas qu’elle n’a pas fait diligence. Bien que la protection de l’État ait pu ne pas être tout à fait efficace en tant que telle dans les circonstances particulières aux demandeurs, vu que les enquêtes de la police n’ont pas abouti, cela ne signifie pas que la protection de l’État n’était pas suffisante, vu que la police a effectivement enquêté sur toutes les allégations. Il était loisible à la Commission de tirer la conclusion qu’elle a tirée.

 

[19]           Je mets cependant en question l’affirmation générale de la Commission selon laquelle les demandeurs n’avaient pas épuisé toutes les ressources possibles pour se prévaloir de la protection de l’État, étant donné que la Commission ne mentionne pas dans son analyse les autres possibilités ouvertes aux demandeurs. Bien que le défendeur ait fait remarquer certains manquements de la part des demandeurs (ils ne se sont pas assurés que la police interroge l’autre témoin de l’accident de motocyclette et n’ont pas mentionné le MLT dans leurs plaintes), la Commission ne les a pas mentionnés. Cependant, à mon avis, cela ne change pas l’issue, notamment qu’une protection de l’État suffisante existait pour les demandeurs, bien qu’ils aient pu ne pas être satisfaits.

 

* * * * * * * *

 

[20]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Je suis d’accord avec les avocats des deux parties qu’il n’y a aucune question à certifier.

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, selon laquelle les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5848-10

 

INTITULÉ :                                       SERGIO SANTIAGO RAYMOND SALVAGNO, HAYDEE CAROLINA GIMENEZ BENTANCOUR, MICHELLE RAYMOND GIMENEZ, AGUSTIN DAMIAN RAYMOND GIMENEZ c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 26 mai 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel M. Fine                                                  POUR LES DEMANDEURS

 

Prathima Prashad                                              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Daniel M. Fine                                                  POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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