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Cour fédérale

Federal Court

 


Date : 20110527

Dossier : T-1202-10

Référence : 2011 CF 625

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 27 mai 2011

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

ALEXIE RANDHAWA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               En juin 2008, le défendeur, citoyen canadien, a été condamné, en Californie, à une peine d’emprisonnement de cinq ans après avoir plaidé coupable à l’accusation de complot en vue de se livrer au trafic de stupéfiants. En décembre 2008, il a déposé, conformément à la Loi sur le transfèrement international des délinquants, L.C. 2004, ch. 21 (la Loi), une demande de transfèrement afin de pouvoir purger au Canada le reste de sa peine. Par décision en date du 8 juillet 2010, le ministre intimé a rejeté cette demande. Il s’agit en l’espèce du contrôle judiciaire de la décision de rejet.

 

[2]               Il y a lieu de dire en l’occurrence si la décision en cause est raisonnable au regard de l’objet même de la Loi et des divers facteurs jugés pertinents relativement à la demande de transfèrement. C’est à son article 3 que la Loi définit son objet :

La présente loi a pour objet de faciliter l'administration de la justice et la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en permettant à ceux-ci de purger leur peine dans le pays dont ils sont citoyens ou nationaux

The purpose of this Act is to contribute to the administration of justice and the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community by enabling offenders to serve their sentences in the country of which they are citizens or nationals.

 

[10]           L’article 10 de la Loi précise les facteurs dont il convient de tenir compte :

10. (1) Le ministre tient compte des facteurs ci-après pour décider s'il consent au transfèrement du délinquant canadien  :

a) le retour au Canada du délinquant peut constituer une menace pour la sécurité du Canada;

b) le délinquant a quitté le Canada ou est demeuré à l'étranger avec l'intention de ne plus considérer le Canada comme le lieu de sa résidence permanente;

c) le délinquant a des liens sociaux ou familiaux au Canada;

d) l'entité étrangère ou son système carcéral constitue une menace sérieuse pour la sécurité

du délinquant ou ses droits de la personne.

 

(2) Il tient compte des facteurs ci-après pour décider s'il consent au transfèrement du délinquant canadien ou étranger :

a) à son avis, le délinquant commettra, après son transfèrement, une infraction de terrorisme ou une infraction d'organisation criminelle, au sens de l'article 2 du Code criminel;

b) le délinquant a déjà été transféré en vertu de la présente loi ou de la Loi sur le transfèrement des délinquants, chapitre T-15 des Lois révisées du Canada (1985).

 

[Non souligné dans l'original.]

10. (1) In determining whether to consent to he transfer of a Canadian offender, the Minister

shall consider the following factors :

(a) whether the offender's return to Canada would constitute a threat to the security of Canada;

(b) whether the offender left or remained outside Canada with the intention of abandoning Canada as their place of permanent residence;

(c) whether the offender has social or family ties in Canada; and

(d) whether the foreign entity or its prison system presents a serious threat to the offender's security or human rights.

 

(2) In determining whether to consent to the transfer of a Canadian or foreign offender, the Minister shall consider the following factors :

(a) whether, in the Minister's opinion, the offender will, after the transfer, commit a terrorism offence or criminal organization offence within the meaning of section 2 of the Criminal Code; and

(b) whether the offender was previously transferred under this Act or the Transfer of Offenders Act, chapter T-15 of the Revised Statutes of Canada, 1985.

 

[Emphasis added]

 

[3]               Le ministre a rendu la décision suivante :

[traduction]

[1]     La Loi sur le transfèrement international des délinquants (la Loi) a pour objet de faciliter l’administration de la justice et la réadaptation et réinsertion sociale des délinquants en permettant à ceux-ci de purger leurs peines dans le pays dont ils sont citoyens ou nationaux. Ces objectifs servent à renforcer la sécurité publique au Canada. J’examine, pour chaque demande de transfèrement, les circonstances et faits particuliers, tels qu’ils m’ont été présentés, à la lumière de l’objet de la Loi ainsi que des facteurs énoncés à son article 10.

 

[2]     Le demandeur, Alexie Randhawa, purge actuellement aux États-Unis une peine d’emprisonnement de cinq ans pour complot. Le 3 juin 2008, à l’occasion d’un contrôle de la circulation, la police découvre, dans le véhicule de son complice, environ 107 kilogrammes de cocaïne dissimulés dans des valises et des boîtes en carton. Le demandeur est arrêté en compagnie de son complice.

 

[3]     Je dois, aux termes de la Loi, déterminer si, à mon avis, le délinquant commettra, après son transfèrement, une infraction de terrorisme ou d’organisation criminelle, au sens de l’article 2 du Code criminel. Je relève, en ce qui concerne ce facteur, que le demandeur a agi de concert avec un complice et que la nature de leurs agissements donne à penser qu’il y avait d’autres complices encore qu’aucun n’ait été arrêté. Le demandeur entretenait par ailleurs des liens avec un groupe de trafiquants qui fait, semble-t-il, le transport de stupéfiants entre le Canada et les États-Unis. Le demandeur a pris part à la perpétration d’une infraction grave qui, si elle avait abouti, aurait vraisemblablement rapporté un avantage matériel ou financier au groupe pour le compte duquel il agissait.

 

[4]     Je dois également, aux termes de la Loi, décider si le retour au Canada du délinquant peut constituer une menace pour la sécurité du Canada. Je relève à cet égard que le demandeur entretient des liens avec une organisation qui se livre au trafic de stupéfiants, rien n’indiquant que le demandeur ait rompu ses attaches avec l’organisation criminelle en question. Je note en outre la gravité de l’infraction et les quantités de stupéfiant en cause. L’infraction commise par le demandeur implique une entreprise criminelle préméditée avec des acteurs multiples. Je suis convaincu que si la transaction envisagée par le demandeur avait réussi, cela aurait, pour la société, entraîné de sérieuses conséquences à long terme.

 

[5]     Je reconnais que le demandeur a des attaches familiales au Canada et que ses proches continuent à lui accorder leur soutien. Je reconnais également que le demandeur n’a au Canada aucun casier judiciaire, qu’il se repent et qu’il a fait, en prison, des efforts de réadaptation.

 

[6]     Compte tenu des circonstances et faits particuliers de la demande, ainsi que des facteurs énumérés à l’article 10, je ne suis pas convaincu que le transfèrement du demandeur répondrait à l’objet de la Loi.

 

Vic Toews, c.p., c.r., député

8 JUILLET 2010

 

[Non souligné dans l'original.]

[La numérotation des paragraphes a été ajoutée.]

(Dossier de la demande, p. 8 et 9)

 

Il est convenu que le ministre affirme avoir tenu compte des facteurs jugés pertinents aux fins de la demande de transfèrement : au paragraphe 3 en ce qui concerne l’alinéa 10(2)a) de la Loi, et au paragraphe 5 en ce qui a trait à l’alinéa 10(1)c). Pour ce qui est du paragraphe 4, censé répondre au facteur de l’alinéa 10(1)a), l’avocat du ministre a, à l’audience, et sans que l’avocat du demandeur s’y oppose, renoncé à faire état de ce facteur, reconnaissant que la décision du ministre ne répond pas à la règle de droit applicable, que le juge Kelen a précisée dans la décision Getkate c. Canada (Sécurité publique et Protection civile) 2008 CF 965. L’avocat du ministre soutient néanmoins que la manière dont le ministre analyse l’alinéa 10(2)a) étaye pour l’essentiel la décision en cause, à savoir que le ministre a la conviction que le transfèrement au Canada du demandeur ne répondrait pas à l’objet que s’est fixé le législateur. Je suis, sur ce point, en désaccord.

 

[4]               La décision du ministre doit être examinée selon le critère de la raisonnabilité dégagé dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47 :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[Non souligné dans l'original.]

 

Je considère que l’analyse de l’alinéa 10(2)a) sur laquelle se fonde le ministre ne justifie pas la conviction dont il a fait état, parce qu’il n’a pas satisfait aux exigences que comporte l’alinéa 10(2)a) de la Loi. Le paragraphe 3 de la décision en cause avance, au sujet du comportement criminel à l’origine de l’incarcération du demandeur, des faits qui sont connus ainsi qu’un fait qui est supposé, mais ne contient pas ce que la Loi exige en l’occurrence, c’est-à-dire, un avis, étayé par de solides preuves, sur la question de savoir si le délinquant, après son transfèrement, commettra une infraction de terrorisme ou d’organisation criminelle. J’estime, en conséquence, que la décision du ministre ne se défend pas au regard des faits et du droit.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

La décision en cause est annulée et l’affaire est renvoyée au ministre pour nouvelle décision, avec instruction de se prononcer dans les 60 jours suivant la date de la présente ordonnance.

 

Le demandeur, ayant obtenu gain de cause, se voit adjuger les dépens.

 

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1202-10

 

INTITULÉ :                                      ALEXIE RANDHAWA c. MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             le 25 mai 2011

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

  ET ORDONNANCE :                    LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                     le 27 mai 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

John W. Conroy, c.r.

POUR LE DEMANDEUR

 

Curtis Workun

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Conroy & Company

Abbotsford (C.-B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

POUR LD DÉFENDEUR

 

 

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