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Federal Court

 

Cour fédérale


Date : 20110531

Dossier : IMM-3214-10

Référence : 2011 CF 634

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

 

SPACIL JAROSLAV (alias JAROSLAV SPACIL), SPACILOVA RUZENA (alias RUZENA SPACILOVA), ALEX SPACIL ERIK (alias ERIK ALEX SPACIL),

JAROSLAV SPACIL

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision, en date du 14 mai 2010, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), parce qu’ils ne craignaient pas avec raison d’être persécutés en République tchèque pour un motif prévu par la Convention et parce que leur retour en République tchèque ne les exposerait pas personnellement à un risque de torture, à une menace à leur vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

LES FAITS

Le contexte

[2]               Les demandeurs, une famille de quatre personnes, sont citoyens de la République tchèque : Jaroslav Spacil (âgé de 39 ans), le demandeur principal, Ruzena Spacilova (âgée de 42 ans), son épouse, et leurs deux enfants, Eric Alex Spacil (âgé de 9 ans) et Jaroslav Spacil (âgé de 19 ans). Les demandeurs sont arrivés au Canada le 14 mai 2008 et ont demandé l’asile.

 

[3]               Les demandeurs affirment avoir été victimes de persécution en République tchèque du fait de leur origine ethnique rome. Le demandeur principal décrit les fondements de leur demande dans l’exposé circonstancié qui accompagne son Formulaire de renseignements personnels (le FRP) et dans son témoignage devant la Commission.

 

[4]               Premièrement, la preuve décrit les mauvais traitements généraux subis par les demandeurs en République tchèque :

a.       Les demandeurs ont constamment fait l’objet de menaces, y compris de menaces de mort, par leurs voisins;

 

b.      Au moins deux fois par mois, la résidence familiale des demandeurs était la cible des skinheads qui donnaient des coups de pied dans la porte, menaçaient de jeter des bidons d’essence en flammes dans le logement, et proféraient des menaces telles que [traduction] « Nous allons brûler votre logement, espèces de sales nègres tsiganes », et [traduction] « Vous les Tsiganes, vous devriez mourir dans des chambres à gaz ». Le demandeur a indiqué que sa famille pouvait identifier la plupart des skinheads, soit par leur nom, soit de vue;

 

c.       Les demandeurs étaient terrifiés de sortir le soir, parce qu’ils pouvaient être attaqués;

 

d.      Les demandeurs croient que les policiers et les tribunaux sympathisent avec ceux qui s’en prennent aux Roms. Le demandeur principal indique que, selon certains reportages de la télévision tchèque, ces sympathisants existent véritablement. En outre, il indique qu’il est bien connu que ceux dont on sait qu’ils ont attaqué les Roms en République tchèque sont condamnés à des peines légères lorsqu’ils sont traduits devant le système judiciaire.

 

[5]               En plus des allégations de nature générale, le demandeur principal a également fourni les exemples suivants du traitement qui, selon les demandeurs, les a amenés à fuir la République tchèque pour le Canada :

a.       Bien que son exposé circonstancié diffère de son témoignage, il semble qu’en 1996, le demandeur principal, sa belle-mère et son beau-frère ont été attaqués par des skinheads. L’incident s’est en grande partie déroulé dans le logement de sa belle-mère. L’un des assaillants s’est servi d’une batte de baseball lors de l’attaque. Toutes les victimes ont signalé l’agression à la police. La police a retrouvé le skinhead qui avait utilisé la batte de baseball et selon le demandeur principal, celui‑ci a été condamné à deux ans de prison pour ce crime. Aucun des autres assaillants n’a été accusé. De plus, le demandeur principal a indiqué que sa belle-mère s’était d’abord vu refuser des soins médicaux, mais qu’elle avait finalement reçu les soins nécessaires après que la police soit intervenue. L’agression l’a laissée avec des côtes fracturées et des contusions importantes, dont un œil au beurre noir.

b.      Dans son exposé circonstancié, le demandeur principal a indiqué que le 30 octobre 2002, le neveu de Ruzena Spacilova, Jan Dunka (qui a fait une demande d’asile distincte), était assis à un bar avec d’autres amis roms. Ils ont dû quitter le bar après avoir été menacés par de nombreux skinheads qui étaient entrés s’asseoir. Au moment où ils sortaient, M. Dunka a été poignardé dans le dos. La police et une ambulance ont été appelées sur les lieux et les policiers ont arrêté l’agresseur, mais le reste de la bande a pu fuir. À cause de ses blessures, M. Dunka n’a pas pu retourner au travail pendant deux mois, et pour cette raison il a été congédié. M. Dunka a fait un rapport à la police après l’incident, mais lorsqu’il a voulu faire un suivi environ deux mois après, on lui a dit qu’il n’y avait aucun rapport, que la police avait perdu le dossier et qu’elle ne donnerait pas suite à la plainte.

c.       Le 20 avril 2007, le demandeur principal a appris par l’ami de son fils Miroslav que celui-ci, qui était demeuré en République tchèque, s’était fait agresser par des skinheads dans la rue à côté de leur résidence. Son épouse a appelé les policiers, qui lui ont dit qu’ils ne pouvaient pas l’aider, car il s’agissait d’une simple bagarre entre garçons. Selon l’exposé circonstancié, Mme Spacilova a appelé la police à au moins cinq reprises pour demander de l’aide, mais chaque fois, les policiers lui ont répondu qu’ils étaient trop occupés pour intervenir. L’exposé circonstancié indique que les demandeurs étaient trop effrayés pour aider leur fils, car les skinheads avaient braqué une arme à feu sur eux. Le demandeur principal a cependant rassemblé un groupe d’environ 15 autres Roms habitant dans le même immeuble d’habitation en vue d’empêcher les skinheads de s’approcher des plus jeunes enfants de l’immeuble et de s’attaquer à eux. Ces hommes ont aussi été menacés avec une arme à feu. Finalement, une ambulance et des policiers sont arrivés sur les lieux, ce qui a fait fuir les assaillants. Bien qu’il ait été sévèrement battu, Miroslav n’a pas été transporté à l’hôpital et n’a pas fait rapport à la police, car on lui avait dit que s’il signalait l’incident, lui et les autres Tsiganes de son immeuble seraient tués. L’exposé circonstancié indique que les demandeurs pouvaient identifier les skinheads et savaient où ils habitaient. Nombre d’entre eux, cependant, ont des liens avec la police.

Par suite de cet incident, Miroslav a été condamné à 150 heures de travaux communautaires. Selon l’exposé circonstancié, les demandeurs ont confirmé avec Miroslav, dans le cadre de conversations téléphoniques, que les agressions continuaient. Il est incapable de dormir en raison des nombreux coups de pied donnés dans sa porte et des appels téléphoniques ou messages textes qu’il reçoit tard le soir, le menaçant de lui faire subir d’autres agressions. Une autre membre de la famille qui vivait avec lui dans le logement s’est enfuie pour rejoindre des membres de sa parenté dans une autre ville, car elle craignait pour sa vie et celle de ses deux jeunes enfants.

d.      Il ressort de l’exposé circonstancié qu’en mai 2007, les demandeurs ont communiqué avec six ou sept avocats de leur région pour leur demander de les représenter dans l’affaire de l’agression dont Miroslav avait été victime. Les avocats ont refusé de s’occuper de leur cas.

e.       Le 5 février 2008, le père de Mme Spacilova a été retrouvé noyé dans l’étang d’un parc. La police a communiqué avec les demandeurs et les a informés qu’une autopsie serait pratiquée pour déterminer les causes de la noyade. Deux semaines plus tard, la police les a informés que selon sa théorie, l’homme se serait tué en absorbant une surdose d’un médicament qui aurait été retrouvé dans son corps. Les demandeurs ont indiqué que l’homme en question n’avait jamais pris de médicament et qu’en fait, il avait toujours refusé d’en prendre. Après avoir communiqué avec la police et insisté pour qu’on lui envoie une copie du rapport d’autopsie, Mme Spacilova a reçu, un peu avant son arrivée au Canada, ce que les demandeurs présument être une copie incomplète du rapport. Les demandeurs soupçonnent que le père de Mme Spacilova a été battu et jeté dans l’étang. Dans son exposé circonstancié, le demandeur principal indique que l’employé du salon funéraire qui a aidé à retirer le corps de l’eau a dit à son épouse qu’il y avait un complot visant à cacher la vérité sur le décès et qu’elle devrait arrêter de chercher les véritables causes du décès. Le demandeur a également indiqué que lorsqu’ils ont vu le corps pour la première fois, lors des funérailles, il était entièrement couvert d’ecchymoses.

 

La décision visée par le contrôle judiciaire

[6]               La Commission a statué que les demandeurs ne sont ni des réfugiés, ni des personnes à protéger au sens de la Convention.

 

[7]               Avant de statuer sur le bien‑fondé de la demande d’asile, la Commission a examiné la requête des demandeurs portant qu’elle ne pouvait statuer sur la demande en raison d’une crainte raisonnable qu’elle ne fasse preuve de partialité envers les demandeurs d’asile tchèques par suite de commentaires faits par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration selon lesquels les demandeurs d’asile tchèques sont des [traduction] « fraudeurs ».

 

[8]               La Commission a donné la définition de partialité, à savoir si « une personne raisonnable chargée d’étudier les faits serait saisie d’une crainte raisonnable de partialité ». La Commission a indiqué qu’elle était un tribunal quasi judiciaire indépendant. La Commission a conclu que les commissaires étaient des décideurs indépendants dont les décisions se fondent sur la preuve présentée lors de chaque audience et sont rendues conformément à la Loi. Bien que les membres de la Commission soient nommés à titre inamovible par le gouverneur en conseil, leur nomination peut être révoquée par le gouverneur en conseil en tout temps pour un motif valable. Les membres de la Commission doivent observer un code de conduite.

 

[9]               La Commission a conclu qu’il n’y avait aucune crainte raisonnable de partialité :

¶3.       […] Le ministre n’est pas celui qui tranche dans ces affaires, et ces décisions sont prises à partir des critères énoncés dans la LIPR. Par conséquent, j’estime qu’une personne raisonnable chargée d’examiner les faits n’aurait aucune crainte raisonnable de partialité.

 

[10]           La Commission a ensuite examiné le fondement factuel de la revendication des demandeurs. La Commission s’est penchée sur les incidents de discrimination susmentionnés. La Commission a déclaré que la question à trancher en l’espèce était celle de la protection de l’État :

¶14.     La question à trancher en l’espèce consiste à déterminer s’il existe une possibilité sérieuse que les demandeurs d’asile soient persécutés s’ils retournent en République tchèque, ou que, selon la prépondérance des probabilités, ils soient personnellement exposés à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou au risque d’être soumis à la torture s’ils retournent en République tchèque.

¶15.     J’estime que la protection de l’État est adéquate en République tchèque, et que les demandeurs n’ont pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État au moyen de preuves claires et convaincantes.

 

[11]           La Commission a énoncé les principes juridiques applicables à l’examen de la question de la protection de l’État et a fait état d’un certain nombre de décisions. La Commission a mentionné qu’il existe une présomption de protection de l’État et que le fardeau de réfuter cette présomption au moyen de preuves claires et convaincantes démontrant l’incapacité de l’État d’assurer cette protection incombe aux demandeurs. La Commission a reconnu que la preuve de l’incapacité de l’État de protéger d’autres personnes se trouvant dans des situations semblables pouvait permettre de réfuter cette présomption. La Commission a confirmé que le critère applicable n’est pas en soi « celui de l’efficacité », mais plutôt « celui du caractère adéquat », bien que l’efficacité soit un facteur pertinent à considérer. Il n’est pas nécessaire que la protection soit parfaite. De plus, la Commission a reconnu que le fardeau de prouver l’absence de protection de l’État augmente avec le degré de démocratie de l’État d’origine.

[12]           La Commission a conclu que, puisque la République tchèque est une démocratie possédant un processus électoral libre et équitable, il existait donc une forte présomption de protection de l'État. Les demandeurs avaient par conséquent le fardeau de démontrer qu’ils avaient épuisé tous les recours qui s’offraient à eux en République tchèque, notamment en cherchant une protection à l’extérieur de leur région. La Commission a conclu que si les demandeurs d’asile croyaient que certains membres des forces de sécurité ou des autorités étaient corrompus, il leur incombait de s’adresser à d’autres membres de ces forces ou autorités.

[13]           La Commission a statué que les lois protègent très bien les droits des Roms en République tchèque, notamment les lois anti‑discrimination et contre les crimes haineux. La Commission a conclu que les lois et mesures suivantes adoptées par le gouvernement tchèque démontrent que l’État tchèque respecte et protège les Roms au sein de la République tchèque :

a.       Dispositions législatives qui interdisent la discrimination et les crimes haineux dans la Constitution tchèque, lois qui régissent l’emploi et l’éducation, et Charte des droits et libertés;

b.      Membre de l’Union européenne, ce qui donne accès à ses citoyens à la Cour européenne des droits de l'homme, et à « des programmes multilatéraux comme la Décennie pour l'inclusion des Roms »;

c.       Embauche d’ « assistants de police roms », qui aident les policiers dans le cadre de leurs enquêtes criminelles, ainsi que les victimes romes qui souhaitent dénoncer un crime;

d.      Surveillance étroite par la police de groupes extrémistes;

e.       Efforts déployés pour augmenter le recrutement d’agents de police roms, notamment au moyen d’une aide financière qui leur permettrait d’acquérir la formation scolaire nécessaire. La Commission a indiqué qu’en 2006, il y avait approximativement 61 policiers roms en République tchèque;

f.        Formation des policiers sur la façon de travailler avec les minorités, et efforts de sensibilisation aux communautés romes;

g.       Instruction devant les tribunaux des crimes haineux commis contre des Roms;

h.       Enquêtes menées par l’ombudsman tchèque sur les allégations de mauvais traitements contre les Roms dans le secteur public;

i.         Organisations non gouvernementales, dont 400 sont désignées comme étant des ONG romes par la Commission, qui enquêtent sur les cas d'inconduite policière à l'égard des Roms, et qui s'occupent de l'intégration sociale des Roms au sein de la société tchèque, notamment du logement, des soins de santé, de l'emploi, des services sociaux et de la cohésion.

 

[14]           En l’espèce, la Commission a conclu que le système judiciaire avait adéquatement protégé les demandeurs. La Commission a signalé que l’assaillant impliqué dans l’incident de 1996 (les motifs de la Commission renvoient en fait aux « attaques commises en 1992 ») a été reconnu coupable et condamné à deux années d’emprisonnement. La Cour conclut que cela indiquait qu’il y avait également eu enquête.

[15]           En ce qui a trait à l’incident impliquant Miroslav, la Commission a conclu qu’une enquête devait également avoir eu lieu et qu’elle avait abouti à la sentence de travaux communautaires infligée Miroslav. La Commission a reconnu les préoccupations des demandeurs quant au fait qu’ils n’avaient pas été traités équitablement, qu’ils n’avaient été en mesure de trouver un avocat pour les représenter, et que la police n’avait pas répondu à leurs demandes d’aide. La Commission a conclu que la police et le système judiciaire semblaient avoir correctement exercé leur devoir. Plus particulièrement, la Commission a examiné les faits suivants pour tirer cette conclusion :

a.       Il semble y avoir eu enquête et examen par le système judiciaire;

b.      Miroslav est venu au Canada et a fait une demande d’asile avant de retourner en République tchèque. Les demandeurs ont témoigné à l’audience que Miroslav avait des troubles mentaux et qu’ils n’étaient pas en mesure d’expliquer ou de contrôler ses agissements, mais la Commission a estimé que :

Néanmoins, Miroslav était la cible de cette attaque selon les demandeurs, et, en fin de compte, c’est lui qui a été condamné. Il est ensuite retourné en République tchèque. Il semble que la police et le système judiciaire ont exercé leur devoir dans cette affaire.

 

[16]           En ce qui concerne la mort du beau-père du demandeur principal, la Commission a estimé que malgré les doutes exprimés par les demandeurs quant au caractère adéquat de l’enquête de la police, une autopsie a été pratiquée. Bien que les demandeurs aient indiqué que l’employé du salon funéraire leur avait dit qu’il y avait eu corruption dans le cadre de l’autopsie, la Commission a indiqué au paragraphe 24 que « [s]elon la prépondérance des probabilités, je ne peux conclure que l’enquête et l’autopsie ont été bâclées. Le système tchèque a pris les choses en mains ».

[17]           La Commission a conclu qu’elle ne pouvait accorder beaucoup de crédibilité à l’incident concernant M. Dunka. La Commission a indiqué que le témoignage quant à cet incident constituait du ouï-dire et que le récit était invraisemblable.

[18]           Pour ce qui est du témoignage des demandeurs selon lequel leurs enfants ont été forcés de recevoir leur instruction dans des écoles spéciales pour les Roms, la Commission s’est penchée, au paragraphe 26 de sa décision, sur la preuve documentaire concernant le traitement des enfants roms dans ces écoles. La Commission a reconnu que ces écoles s’adressent aux étudiants qui ont des déficiences développementales. La Commission a reconnu que l’éducation dans ces écoles serait « inférieure aux normes et elle n’offre pas aux élèves les connaissances nécessaires pour entrer dans des écoles normales » tout en concluant que, selon certains rapports, les possibilités d’éducation s’amélioraient pour les Roms. La Commission a indiqué que selon ces rapports, on veille maintenant davantage à offrir les ressources nécessaires pour améliorer l’éducation des Roms : mise sur pied de classes préparatoires et embauche d’aide‑enseignants, éducation préscolaire gratuite et bourses d’études secondaires pour élèves roms.

[19]           Au paragraphe 27 de sa décision, la Commission s’est penchée sur les efforts déployés par les organisations non gouvernementales pour aider les étudiants roms. La Commission a conclu que les écoles régulières « refusent encore systématiquement les enfants roms pour les rediriger vers des écoles dont le programme d’enseignement n’est pas aussi exigeant et ne répond pas aux exigences minimales de dignité ». Au paragraphe 28, la Commission s’est intéressée aux efforts faits par le gouvernement tchèque pour que les élèves roms ne soient pas inscrits à tort dans des écoles spéciales. La Commission a indiqué qu’en 2007, la Cour européenne des droits de l’homme a statué en faveur de dix-huit étudiants roms qui avaient été placés dans des écoles spéciales, en concluant que cette mesure correspondait « à une discrimination indirecte » et enfreignait la Convention européenne des droits de l’homme. La Commission a conclu que par suite de cette décision, la République tchèque devait adopter des lois interdisant la discrimination contre les enfants roms dans le système d’éducation. La Commission a estimé que les demandeurs auraient pu par conséquent faire en sorte que leurs enfants soient placés dans le système d’enseignement régulier si tel avait été leur désir :

¶28.     […] Par conséquent, j’estime que les demandeurs pourraient demander que les enfants fréquentent une école du système régulier d’éducation s’ils retournent en République tchèque.

 

[20]           Enfin, la Commission a examiné le témoignage des demandeurs concernant leurs difficultés à avoir accès à un logement en République tchèque. La Commission a toutefois conclu que la preuve selon laquelle ils avaient été victimes de discrimination à cet égard n’était convaincante :

¶29.     […] Toutefois, des éléments de preuve ont été fournis concernant le fait que l’employeur du demandeur principal avait garanti l’acquisition de la maison dans laquelle ils vivaient avec d’autres membres de leur famille, ces derniers installés à un autre étage. Aucune preuve convaincante n’a été déposée concernant la discrimination dont ils disent avoir été victimes à ce sujet.

 

[21]           La Commission s’est également penchée sur l’observation des demandeurs selon laquelle la preuve qu’ils ont soumise aurait dû être examinée en fonction du fait que certains membres de leur famille avaient obtenu le statut de réfugiés au Canada sur la foi d’éléments de preuve similaires, y compris un compte‑rendu de l’agression de 1996. L’exposé circonstancié du FRP utilisé dans la présente cause a été présenté comme pièce à la Commission. La Commission a estimé cependant que les faits exposés dans le FRP et le témoignage des demandeurs différaient des faits et du témoignage présentés par les membres de leur famille. La Commission a conclu qu’« [a]ucune raison écrite n’est donnée concernant leur décision, et je ne peux que me fonder sur les faits dans l’affaire qui nous intéresse ».

[22]           La Commission a tiré une conclusion semblable au sujet d’autres affaires invoquées par l’avocat des demandeurs et dans lesquelles le même commissaire a tiré une conclusion positive dans une affaire visant des Roms tchèques, et dans une autre affaire où la Cour a accueilli la demande de révision judiciaire d’un Rom :

Chaque affaire est examinée au cas par cas, et même si j’ai pris en considération ces autres affaires, j’estime qu’il n’y a aucun élément de preuve clair et convaincant quant au fait que les demandeurs ne seraient pas en mesure d’obtenir la protection de l’État s’ils retournent en République tchèque.

 

 

 

LOIS APPLICABLES

 

[23]           L’article 96 de la Loi protège le réfugié au sens de la Convention :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :    

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;    

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

96. A Convention refugee is a  person who, by reason of a  well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality,  membership in a particular  social group or political  opinion,    

 

(a) is outside each of their  countries of nationality and is  unable or, by reason of that  fear, unwilling to avail  themself of the protection of  each of those countries; or    

 

(b) not having a country of  nationality, is outside the  country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country

 

[24]           L’article 97 de la Loi protège la personne qui serait personnellement, par son renvoi du Canada, exposée à une menace à sa vie ou au risque de peines cruelles et inusitées, ou au risque d’être soumise à la torture :     

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :    

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le

croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;    

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant : 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas, 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles, 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97. (1) A person in need of  protection is a person in  Canada whose removal to their  country or countries of  nationality or, if they do not  have a country of nationality,  their country of former  habitual residence, would  subject them personally    

 

(a) to a danger, believed on  substantial grounds to exist, of  torture within the meaning  of Article 1 of the Convention  Against Torture; or    

 

(b) to a risk to their life or to a  risk of cruel and unusual  treatment or punishment if 

(i) the person is unable or,  because of that risk, unwilling  to avail themself of the  protection of that country, 

(ii) the risk would be faced by  the person in every part of that  country and is not faced  generally by other individuals  in or from that country, 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions,  unless imposed in disregard  of accepted international  standards, and 

(iv) the risk is not caused by  the inability of that country to  provide adequate health or  medical care.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[25]           Les demandeurs soulèvent quatre questions :

1.      La différence considérable entre le taux d’acceptation de réfugiés tchèques par la Commission avant et après les remarques formulées par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en avril 2009 suscite‑t‑elle une crainte raisonnable de partialité de la part des membres de la Commission quant à leurs décisions sur les demandes d’asile présentées par des demandeurs originaires de la République tchèque?

2.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la police de la République tchèque avait fourni une protection adéquate aux demandeurs en réponse à leurs plaintes?

3.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la violence à l’égard des Roms avait diminué, sans tenir compte de la preuve la plus récente qui laissait entrevoir des conclusions contraires?

4.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en se fondant sur le mauvais critère en ce qui concerne la protection de l'État?

 

NORME DE CONTRÔLE

[26]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a statué, au paragraphe 62, qu’à la première étape du processus de contrôle judiciaire, la cour de révision « vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » : voir également Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, motifs du juge Binnie, par. 53.

 

[27]           Il est clair, au vu des arrêts Dunsmuir et Khosa, que les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit doivent être examinées selon la norme de la raisonnabilité : voir, par exemple, la décision Liang, au paragraphe 15, et les décisions que j’ai rendues dans l’affaire Corzas Monjaras c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 771, au paragraphe 15, et Rodriguez Perez c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2009 CF 1029, au paragraphe 25.

 

[28]           La question de savoir si les incidents de discrimination ou de harcèlement équivalent à de la persécution est également une question mixte de fait et de droit : Liang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 450, par. 12.

 

[29]           L’examen par la Commission de la preuve relative à l’état de la violence faite aux Roms constitue également une conclusion de fait qui doit être examinée selon la norme de la raisonnabilité.

 

[30]           En examinant la décision de la Commission en fonction de la norme de la raisonnabilité, la Cour s’attardera à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, par. 47; Khosa, par. 59.

 

[31]           La question de savoir si les faits de l’espèce ont pu faire naître une crainte raisonnable de partialité est liée à l’obligation d’agir équitablement qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte : Geza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 124, par. 44; Dunsmuir, précité, par. 55 et 90; et Khosa, précité, par. 43.

 

ANALYSE

Question n° 1 :    La différence considérable entre le taux d’acceptation de réfugiés tchèques par la Commission avant et après les remarques formulées par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en avril 2009 suscite‑t‑ elle une crainte raisonnable de partialité de la part des membres de la Commission quant à leurs décisions sur les demandes d’asile présentées par des demandeurs originaires de la République tchèque?

[32]           Les demandeurs soutiennent que, par suite des remarques faites par le ministre canadien de la Citoyenneté et de l’Immigration en avril 2009, il existe une crainte raisonnable que les membres de la Commission fassent preuve de partialité dans leurs décisions sur les demandes d’asile présentées par des demandeurs originaires de la République tchèque. Les remarques du ministre figurent aux paragraphes 43, 44 et 50.

 

[33]           La Cour signale tout d’abord qu’elle a entendu deux demandes, l’une à la suite de l’autre, qui soulèvent la même question. Pour être conséquente, la Cour exposera au complet les raisons pour lesquelles elle conclut qu’une personne raisonnable et pratique, et qui étudierait la question en profondeur, ne croirait pas, selon toute vraisemblance, que la Commission, consciemment ou non, se prononcerait de manière inéquitable sur la demande d’asile d’un Rom tchèque, en raison des remarques faites par le ministre et de la différence entre les taux d’acceptation des demandeurs tchèques. La Cour a pris l'affaire en délibéré quant à la présente demande tout comme dans l’affaire IMM-1773-10, et a rendu ces deux décisions en même temps. Par souci d’uniformité, les motifs sur la question de la crainte raisonnable de partialité sont les mêmes que dans l’autre cause (IMM-1773-10).

 

Le principe de courtoisie judiciaire s’applique

[34]           Cette allégation a été soulevée dans plusieurs affaires récemment soumises à la Cour. Dans Zupko c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1319, la juge Snider devait répondre précisément à cette question. Elle résume les résultats des autres décisions :

¶11.     Comme le savent les parties, la question de la crainte raisonnable de partialité dans le contexte même qui nous occupe a été abordée et examinée dans les trois décisions distinctes suivantes :

·        Dunova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 438, 367 F.T.R. 89 (Dunova) (le juge Crampton);

·        Gabor c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2010 FC 1162 (Gabor) (le juge Zinn);

·        Cervenakova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1281 (Cervenakova) (le juge Crampton).

 

¶12.     La Cour a rejeté les arguments des demandeurs dans chacune de ces décisions. Dans Gabor, le juge Zinn a ainsi déclaré ce qui suit (paragraphe 35) :

 

[traduction]

Une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne croirait pas, selon toute vraisemblance, que la Commission, consciemment ou non, se prononcerait de manière inéquitable sur la demande d’asile d’un Rom tchèque.

Depuis la décision Zupko, le juge Mosley s’est prononcé sur cette allégation de partialité et l’a rejetée. Voir Ferencova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2011 CF 443, motifs du juge Mosley.

[35]           Comme la juge Snider l’a reconnu dans Zupko, l'affaire soulève donc le principe de la courtoisie judiciaire :

¶14.     J’estime, compte tenu de la jurisprudence existant ainsi sur le point même, que le principe de la courtoisie judiciaire est d’application directe en l’espèce. Le juge Lemieux a déclaré ce qui suit sur le sujet dans la décision Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1025, 316 F.T.R. 49, paragraphes 61 et 62 :

Le principe de courtoisie judiciaire est bien reconnu par la magistrature canadienne. Appliqué dans des décisions rendues par les juges de la Cour fédérale, ce principe signifie qu’une décision essentiellement semblable qui est rendue par un juge de notre Cour devrait être adoptée dans l’intérêt de favoriser la certitude du droit […] [Citations omises.]

Il y a plusieurs exceptions au principe de courtoisie judiciaire qui est exposé ci-dessus; ce sont les suivants :

1. Les cas où l’ensemble de faits ou les éléments de preuve ne sont pas les mêmes pour les deux causes;

2. Les cas où la question à trancher est différente;

3. Les cas où la décision antérieure n’a pas examiné la loi ou la jurisprudence qui auraient donné lieu à un résultat différent, c’est-à-dire lorsque la décision était manifestement erronée;

4. Les cas où la décision suivie créerait une injustice.

 

[36]           Dans Zupko, la juge Snider conclut qu’aucune des exceptions au principe de la courtoisie judiciaire ne s’applique. Elle examine néanmoins la question de la partialité et conclut que, outre les décisions précédentes de la Cour, la preuve n’établit pas l’existence d’une crainte raisonnable de partialité.

 

[37]           Je suis également d’avis que le principe de la courtoisie judiciaire s’applique en l’espèce. Par conséquent, les remarques du ministre ne soulèvent pas une crainte raisonnable de partialité. Quoi qu’il en soit, j’examinerai cette question.

 

Droit relatif à la partialité

[38]           En l’espèce, la Cour dispose d’une preuve supplémentaire non disponible jusqu’à alors : les statistiques relatives au traitement, par la Commission, des demandes provenant de la République tchèque entre janvier et septembre 2010.

 

[39]           L’équité procédurale exige que les décisions soient rendues par un décideur impartial, sans crainte raisonnable de partialité : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 45. Les allégations de partialité sont donc graves et jettent le doute sur le processus décisionnel ainsi que sur le décideur. Il faut donc démontrer qu’elles sont probablement exactes. Il s’agit d’un critère auquel il est difficile de satisfaire.

 

[40]           Les décisions susmentionnées, ainsi que ma décision dans l’affaire Dunkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1322, où la même question évoquée sans être tranchée, ont repris le critère servant à déterminer ce qui constitue une crainte raisonnable de partialité, critère que la Cour suprême du Canada a confirmé à maintes reprises. La formulation classique du critère a été élaborée par le juge de Grandpré dans Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’Énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 [non souligné dans l’original] :

La Cour d’appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » [Non souligné dans l’original]

 

[41]           Lorsqu’il est allégué que la partialité vient non pas d’un décideur, mais d’une institution, le critère est similaire. Dans la cadre de son examen de la question de la partialité institutionnelle et de l’indépendance des tribunaux au regard de l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, la Cour suprême du Canada a déclaré, dans l’arrêt R. c. Valente (n° 2), [1985] 2 R.C.S. 673, que l’indépendance objective du tribunal devait également être examinée :

Il importe donc qu'un tribunal soit perçu comme indépendant autant qu'impartial et que le critère de l'indépendance comporte cette perception qui doit toutefois, comme je l'ai proposé, être celle d'un tribunal jouissant des conditions ou garanties objectives essentielles d'indépendance judiciaire, et non pas une perception de la manière dont il agira en fait, indépendamment de la question de savoir s'il jouit de ces conditions ou garanties.

 

[42]           La crainte de partialité doit être établie selon la prépondérance des probabilités. Le demandeur qui fait valoir qu’il existe une crainte de partialité doit démontrer qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, en viendrait probablement à la conclusion que la Commission était partiale.

 

Les remarques du ministre

[43]           Les demandeurs soutiennent que les remarques suivantes publiées dans deux articles de presse ont influencé la Commission :

a.       Un article du National Post, daté du 15 avril 2009, écrit par Peter O’Neil et intitulé « Canada Flooded with Czech Refugee Claims », dans lequel le ministre aurait fait les remarques négatives suivantes au sujet des demandeurs d’asile roms originaires de la République tchèque lors d’une entrevue accordée à Canwest News Service. Les demandeurs indiquent que les déclarations suivantes ont influencé la Commission :

[traduction]

                                                               i.            Bien qu’à l’instar de toutes les autres démocraties, elle ait ses défis et ses lacunes, il est difficile de croire que la République tchèque soit un ilot de persécution en Europe.

                                                             ii.            Nous tenons à maintenir notre dispense de visa à l’égard de la République tchèque. Parallèlement, nous sommes évidemment préoccupés par le nombre de fausses demandes d’asile.

b.      Un article du Embassy Magazine, daté du 22 juillet 2009, écrit par Michelle Collins et intitulé « Political Interference Crippling Refugee Board : Former Chair », qui cite les commentaires suivants faits par le ministre au sujet d’un rapport produit par des chercheurs de la Commission, alors qu’il accordait une entrevue au Toronto Star le 24 juin 2009 :

[traduction]

                                                               i.            Si quelqu’un affirme avoir été tabassé par des policiers, les commissaires de la CISR peuvent alors se référer à leur rapport et dire : « En fait, il n’existe aucune preuve de brutalité policière ».

 

[44]           L’article du National Post est intitulé : Canada flooded with Czech refugee claims (en caractères gras dans le titre original). Cet article rapporte que le ministre de l’Immigration, Jason Kenney, a appelé le gouvernement tchèque à [traduction] « prendre des mesures fermes contre les entrepreneurs peu scrupuleux soupçonnés d’être à l’origine de l’augmentation massive du nombre des demandeurs d’asile roms arrivant dans les aéroports canadiens ». Le ministre aurait déclaré :

[traduction]

Si, en vérité, il existe des entreprises commerciales (qui font les démarches au nom des demandeurs d’asile originaires de la République tchèque), j’aimerais que les autorités tchèques puissent les identifier et prendre des mesures fermes contre elles.

 

On mentionne qu’au milieu des années 1990, alors que le Canada avait imposé de nouveau l’obligation pour les ressortissants de la République tchèque d’obtenir un visa après [traduction] « l’arrivée massive de plus de 4 000 Tchèques, là encore, la plupart d’entre eux Roms, durant la période d’exemption de visas. À cette époque, un documentaire avait été diffusé à la télévision tchèque, vantant le Canada comme étant une terre promise pour les Roms en raison de la facilité d’accès au pays et des programmes sociaux généreux offerts après leur arrivée ».

 

L’allégation de partialité ou de crainte raisonnable de partialité

[45]           Les demandeurs prétendent ce qui suit :

1.                  les remarques soulèvent une crainte raisonnable de partialité en ce que la Commission sera partiale à l’égard des demandeurs d’asile provenant de la République tchèque;

 

2.                  les taux d’acceptation relatifs aux demandeurs d’asile originaires de la République tchèque avant et après ces commentaires démontrent qu’il y a eu véritablement partialité.

 

[46]           L’annexe 1 ci-jointe est un tableau des taux d’acceptation des demandes d’asile présentées par des demandeurs originaires de la République tchèque, préparé par la Commission, lequel comprend les désistements et les retraits avant instruction complète. Le défendeur soutient que la Cour doit tenir compte du nombre de demandes d’asile provenant de la République tchèque qui ont fait chaque année l’objet d’un abandon ou d’un retrait chaque année parce qu'elles n’auraient probablement pas été accueillies à l’audience ou qui, par ailleurs, n’auraient pas été abandonnées ou retirées. Maintenant que la Cour est en mesure de comprendre ces statistiques, elle est d’accord avec cette analyse. En utilisant ce tableau, voici les taux d’acceptation :

Pourcentage de demandes d’asile provenant de la République tchèque et

acceptées par la Commission

1.

2008

43 % des demandes provenant de la République tchèque ont été acceptées

2.

2009

10 % des demandes provenant de la République tchèque ont été acceptées

3.

2010

(janvier‑ septembre) 2 % des demandes provenant de la République tchèque ont été acceptées

 

 

 

[47]           Cependant, le même tableau contient une statistique importante. En 2008, 107 demandes de la République tchèque ont fait l’objet d’un désistement ou d’un retrait. En 2009, ce sont 760 demandes qui ont fait l’objet d’un désistement ou d’un retrait, alors qu’en 2010, ce sont 624 demandes. Le défendeur prétend que, lorsque le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a affirmé que son ministère était préoccupé par [traduction] « le nombre de fausses demandes d’asile », il pouvait raisonnablement faire référence au grand nombre de demandeurs d’asile qui ont retiré leurs demandes d’asile ou qui se sont désistés volontairement, probablement parce qu’il s’agissait de fausses demandes et qu’elles ne pouvaient pas être accueillies.

 

[48]           Les demandeurs soutiennent que la baisse spectaculaire des taux d’acceptation démontre que la Commission fait preuve de partialité à l’égard des demandeurs d’asile originaires de la République tchèque. Les demandeurs font état de commentaires qu’ont faits les membres de la communauté juridique canadienne dans l’article du Embassy Magazine susmentionné. Ces citations sont tirées d’un article de magazine. Malgré le respect que la Cour peut avoir à l’égard des personnes citées dans l’article du Embassy Magazine, elle ne saurait donner du poids à leurs opinions. Premièrement, la Cour n’accepte pas de preuve sous forme d’opinion sur des conclusions de droit. La Cour décidera si les déclarations du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration suscitent une crainte raisonnable de partialité. Deuxièmement, même si elle était admissible, la preuve d’expert sur des questions clés ne saurait être admise sans comparution du témoin en vue d’un contre‑interrogatoire.

 

Contexte des remarques du ministre

[49]           Les remarques du ministre sur l’augmentation massive des demandes d’asile provenant de la République tchèque doivent être examinées dans leur contexte. Premièrement, le ministre était en Europe afin d’assister à des réunions de l’Union européenne auxquelles prenait part la République tchèque. Deuxièmement, le Canada connaissait une hausse soudaine des demandes d’asile provenant de la République tchèque après que l’obligation de détenir un visa eut été levée à la fin de 2007. (Le tableau de la Commission à l’annexe 1 montre cette hausse des demandes d’asile en provenance de la République tchèque soumises à la Commission). Troisièmement, le ministre avait de toute évidence entendu des reportages sur des [traduction] « entrepreneurs peu scrupuleux » qui faisaient la promotion du Canada auprès des demandeurs d’asile originaires de la République tchèque et qui les aidaient moyennant le paiement d’une somme d’argent. Quatrièmement, il est déjà arrivé que des demandeurs d’asile originaires de la République tchèque affluent vers le Canada – au milieu des années 1990 – après qu’un programme télévisé tchèque eut vanté le Canada comme étant [traduction] « une terre promise pour les Roms » en raison de sa facilité d’accès et de ses programmes sociaux généreux. Après cette période, le Canada a imposé aux visiteurs en provenance de la République tchèque l’obligation d’obtenir un visa. Ce sont là les circonstances dans lesquelles le ministre a fait ces commentaires.

 

[50]           La Cour estime que l’article de presse démontre que le ministre s’inquiétait que des entreprises commerciales en République tchèque utilisent le régime de protection des réfugiés pour amener un nombre considérable de citoyens tchèques vers le Canada. Plusieurs d’entre eux n’étaient donc pas de véritables demandeurs d’asile ayant besoin de protection. Plus particulièrement, la Cour estime que l’extrait suivant de l’article aide à mettre les choses en contexte :

[traduction]

Le ministre Kenney déclare que le gouvernement canadien ne prévoit par pour l’instant imposer de nouveau l’obligation d’obtenir un visa, une décision qui exaspérera très certainement les autorités et les citoyens tchèques.

« Nous tenons à maintenir notre dispense de visa à l’égard la République tchèque. Par ailleurs, nous sommes évidemment préoccupés par le nombre de fausses demandes d’asile. »

Il dit souhaiter que les autorités tchèques, soucieuses de continuer à bénéficier de la dispense de visa, fassent leur part.

« Si, en vérité, il existe des entreprises commerciales, j’espère que les autorités tchèques sont capables de les identifier et de prendre des mesures fermes contre elles ».

Il ajoute que le Canada et la République tchèque cherchent des moyens « pour empêcher les gens d'abuser de notre très généreux régime de détermination du statut de réfugié ».

Il signale que sept autres pays des États baltes et de l’Europe de l’Est avaient levé l’obligation de détenir un visa durant les années 2007‑2008, et qu’en aucun cas, il n’y avait eu d’augmentation soudaine des demandes d’asile.

Plusieurs de ces pays, y compris la Slovaquie et la Hongrie, comptent d'importantes minorités romes.

 

[51]           En outre, la Cour fait remarquer que la preuve indique que l’augmentation massive des demandeurs originaires de la République tchèque en 2007‑2008, après la levée de l’obligation d’obtenir un visa, rappelle l’expérience antérieure qu’a connue le Canada. En 1997, le Canada a de nouveau imposé aux visiteurs en provenance de la République tchèque l’obligation d’obtenir un visa après les en avoir exemptés pendant un an. L’article du National Post contient les éléments suivants, qui ne sont pas contestés :

[traduction]

Le Canada a démontré dans le passé qu'il était prêt à prendre des mesures fermes, levant dans les années 1990 et imposant de nouveau l’obligation d’obtenir un visa, après « l’arrivée massive de plus de 4 000 Tchèques, là encore, la plupart d’entre eux Roms, durant la période d’exemption de visas. À cette époque, un documentaire avait été diffusé à la télévision tchèque, vantant le Canada comme étant une terre promise pour les Roms en raison de la présumée facilité d’accès au pays et des programmes sociaux généreux offerts après leur arrivée.

[52]           Dans un tel contexte, la Cour comprend pourquoi le ministre a fait les commentaires où il s’inquiétait du « nombre de fausses demandes d’asile » en provenance de la République tchèque. Le ministre a fait ces commentaires à Paris devant les représentants officiels de la République tchèque.

 

[53]           Dans les autres décisions où la question de la partialité a été examinée, on a conclu que la preuve statistique ne permettait pas de démontrer que la Commission faisait preuve de partialité, et que l’allégation de partialité n’était étayée par aucune autre preuve.

 

[54]           Dans Gabor, le juge Zinn a conclu que les statistiques ne suscitaient simplement pas de crainte raisonnable de partialité :

[traduction]

¶34.     Il est grave d’alléguer qu’il est possible ou qu’on craint qu’un décideur indépendant soit partial. Je conviens avec le défendeur que cette allégation, en l’espèce, « remet en question le professionnalisme du commissaire, le fonctionnement du tribunal administratif et l’impartialité du processus décisionnel. Une telle allégation ne saurait intervenir que dans des cas évidents présentant des motifs de crainte substantiels ». Je ne vois en l’espèce aucun motif substantiel. Les allégations du demandeur relèvent de la supposition, et la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve établissant que la Commission a été influencée par les déclarations du ministre ou aurait pu l’être.

 

[55]           Dans la décision Cervanakova, le juge Crampton a eu l’occasion d’examiner les rapports d’enquête auxquels il avait simplement fait référence dans Dunova. Il a conclu que les rapports pouvaient éventuellement étayer cette baisse :

¶68.     Maintenant que j’ai eu l’occasion de me pencher sur les deux exposés de la Commission, je suis convaincu que le contenu de ces documents explique de manière tout à fait plausible la diminution du taux de succès des demandeurs d’asile provenant de la République tchèque, du dernier trimestre de 2008 au deuxième trimestre de 2010.

 

[56]           De plus, le juge Crampton a convenu avec le juge Zinn que les statistiques étaient tout simplement insuffisantes pour établir l’existence d’une crainte raisonnable de partialité.

 

[57]           Enfin, dans la décision Zupko, la juge Snider a expliqué pourquoi elle estimait que les statistiques n’étaient pas convaincantes :

¶22.     Ce qui mine toutefois cet argument, c’est que d’autres facteurs ont pu jouer un rôle dans le déclin des taux d’acceptation. Je ne souhaite pas m’engager dans une analyse statistique approfondie (en partie parce qu’aucun expert en la matière n’a présenté une telle analyse). Je ferai néanmoins observer que les taux d’acceptation obtenus ont très bien pu résulter d’une mise à jour de la preuve documentaire ou de l’abandon d’un certain nombre de demandes d’asile. Le taux d’acceptation avait d’ailleurs commencé à décliner (quoique pas de manière aussi marquée) avant même que le ministre formule ses commentaires. Il serait difficile, sans l’apport d’experts, de tirer des conclusions à partir d’une telle preuve, à moins que les statistiques ne soient à première vue absolument convaincantes, ou étayées sans conteste par d’autres éléments de preuve dignes de foi. On ne peut établir par de seules statistiques la crainte raisonnable de partialité (se reporter à Geza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 124, 52 Imm. L.R. (3d) 163, paragraphe 72; Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1043, [2002] 1 C.F. 559, paragraphe 130).

 

[58]           Plusieurs facteurs peuvent expliquer pourquoi la Commission a cessé d’accepter autant de demandes d’asile en provenance de la République tchèque vers la fin de 2009 et en 2010. Par exemple, il y a le fait que la Commission a effectué une mission d’enquête et a publié son rapport durant l’été 2009. Autre fait important, la Commission savait beaucoup mieux comment traiter les demandes en provenance de la République tchèque après leur nombre eut explosé en 2007 et 2008.

L’analyse effectuée par la Commission dans l’affaire qui nous occupe

[59]           En l’espèce, le commissaire s’est livré à une analyse très approfondie de tous les aspects de la demande d’asile et en a disposé d'une manière juste et raisonnable. Pour les motifs qui suivent, la Cour ne saurait reprocher au commissaire l’analyse qu’il a faite dans la présente affaire.

La Commission est indépendante du ministre

[60]           De plus, la Cour confirme la jurisprudence antérieure selon laquelle la Commission est indépendante : voir Bader c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 214, par. 16. Une personne bien renseignée qui examinerait la décision de la Commission en l’espèce n’aurait aucune crainte que la Commission ait été influencée par les déclarations faites par le ministre en avril 2009. Cette personne bien renseignée conclurait plutôt que la Commission a évalué – avec soin et de façon indépendante – le bien-fondé de la demande en fonction du caractère raisonnable : (1) les demandeurs ont été victimes de discrimination, mais non de persécution; (2) la République tchèque offre une protection de l’État adéquate; (3) les agressions dont les demandeurs ont été victimes étaient des incidents isolés qui, après avoir été signalés à la police, ont fait l’objet d’une enquête. L’État prend des mesures contre les attaques des skinheads et des autres groupes extrémistes.

 

[61]           Dans l’affaire Zupko, la juge Snider a examiné attentivement cette question au paragraphe 20 de sa décision. Elle a conclu que la Loi prévoit l’indépendance de la Commission vis-à-vis de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) et du ministre. Tout commissaire est requis par la loi de prêter un serment professionnel, par lequel il s’engage à s’acquitter impartialement de ses fonctions. La juge Snider a ajouté qu’il n’y avait aucune preuve que la reconduction des membres était fonction du taux d’acceptation par eux des demandes d’asile de Roms originaires de la République tchèque, et qu’il s’agissait là de simples conjectures.

 

[62]           Je suis d’accord avec la juge Snider. Une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne croirait pas que la Commission était partiale en l’espèce en raison des remarques publiques faites par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration le 15 avril 2009. Cette prétention repose sur une hypothèse non réaliste, soit que le ministre actuel est réélu et nommé à nouveau à titre de ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, qu’il renouvelle les nominations des commissaires en fonction du nombre de demandes d’asile en provenance de la République tchèque que ceux-ci refusent, que le commissaire souhaite voir son mandat renouvelé, et enfin, que cette position adoptée par la Commission est même prévue au projet de loi C‑11. Par conséquent, la Cour n’est pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’une personne bien renseignée, qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, aurait pour cette raison une crainte raisonnable de partialité.

Question n° 2 :      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la police de la République tchèque avait fourni une protection adéquate aux demandeurs en réponse à leurs plaintes?

[63]           Les demandeurs soutiennent que la commission n’a effectué qu’une analyse « mince et superficielle » des incidents particuliers décrits en détail par les demandeurs en ce qui a trait à la façon dont ils ont été traités par la police en République tchèque. Plus particulièrement, les demandeurs prétendent que les conclusions suivantes de la Commission ne sont pas raisonnables selon les éléments de preuve soumis :

a.       La Commission a conclu que la police et le système judiciaire ont « exercé leur devoir » relativement à l’attaque commise à l’endroit du fils des demandeurs, Miroslav. Les demandeurs soutiennent que la Commission a fait défaut de tenir compte de la façon dont Miroslav a été déclaré coupable et condamné à 150 heures de travaux communautaires alors qu’il avait été victime d’une attaque par 15 skinheads;

b.      La Commission a conclu que le système tchèque avait enquêté sur la noyade du père de Mme Spacilova. Les demandeurs prétendent que la Commission a omis de traiter la preuve relative à l’hypothèse d’un acte criminel, et à la tentative de camouflage par les autorités;

c.       La Commission a accordé peu de poids à l’incident impliquant Jan Dunka, le neveu de Mme Spacilova, estimant qu’il était « impensable » qu’il soit arrivé. Les demandeurs prétendent que, dans compte tenu de la façon dont les Roms sont traités en général, l’incident était tout à fait vraisemblable. De plus, le demandeur soutient que la Commission n’a pas faire référence à la preuve des demandeurs selon laquelle ils avaient cherché à obtenir le rapport de police sur l’incident et qu’on leur avait dit que tout le dossier avait été perdu et qu’on ne donnerait pas suite à la plainte.

 

[64]           La Cour estime que les conclusions de fait tirées par la Commission découlent d’un examen attentif de la preuve. La Commission a abordé expressément la plupart des questions soulevées par les demandeurs.

 

[65]           S’agissant de la conclusion défavorable au sujet de Miroslav, la Commission a indiqué que la condamnation de Miroslav démontrait qu’il y avait bien eu enquête. Les demandeurs affirment que l’enquête était entachée de corruption, mais la Commission pouvait conclure que ces soupçons n’étaient pas étayés par la preuve.

 

[66]           De même, la Commission a estimé que les soupçons des demandeurs quant à la possibilité que la noyade du père de Mme Spacilova soit en fait un acte criminel n’étaient pas assez convaincants pour conclure que les autorités tchèques n’avaient pas exercé leur devoir dans leur enquête sur ce décès. Cette issue appartenait également aux conclusions raisonnables que la Commission pouvait tirer selon la preuve soumise. La Cour ne peut statuer sur la question de savoir si l’autopsie a été pratiquée de manière frauduleuse pour camoufler un crime.

 

[67]           Enfin, la Commission a estimé que l’incident impliquant M. Dunka a été relaté par une source secondaire – les demandeurs n’y ayant pas assisté— et que cette histoire était vraisemblablement plus complexe. Il était loisible à la Commission de ne pas se fier à la version de M. Dunka, en particulier parce que M. Dunka n’a pas comparu devant la Cour. D’ailleurs, dans sa description des faits, la Commission a également fait état de l’absence du rapport de police et du fait que celle‑ci avait dit à M. Dunka qu’aucune enquête n’avait été menée. Bien que les demandeurs prétendent maintenant que ce sont eux qui se sont rendus au poste de police afin d’obtenir le rapport, l’exposé circonstancié du FRP indique qu’il s’agit plutôt de M. Dunka.

 

[68]           Les motifs de la Commission démontrent que tous les éléments de preuve ont été examinés avec minutie et que tous les faits ont été lus de manière attentive. Les conclusions de la Commission en ce qui a trait à la police étaient raisonnables et précisées dans les motifs.

 

Question n° 3 :    La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la violence à l’égard des Roms avait diminué, sans tenir compte de la preuve la plus récente qui laissait entrevoir des conclusions contraires?

[69]           Les demandeurs soutiennent que le document sur lequel s’est appuyée la Commission pour tirer la majorité de ses conclusions concernant la violence perpétrée contre les Roms en République tchèque, soit le rapport de juin 2009 rédigé à l’issue de la mission d’enquête de la Commission, intitulé Protection offerte par l’état : rapport de la mission d’enquête en République tchèque, juin 2009, n’étaye pas en réalité les conclusions au soutien desquelles la Commission l’a cité. Les demandeurs prétendent que le rapport indique en fait que les attaques violentes contre les Roms en République tchèque sont à la hausse.

 

[70]           La Cour estime que les motifs de la Commission démontrent que celle-ci a examiné l’ensemble du rapport de juin 2009, ainsi que les autres éléments de preuve qui lui ont été présentés. La Commission n’est pas tenue de renvoyer à chaque section du rapport. Bien que les demandeurs aient insisté sur les parties du rapport qui décrivaient en détail les problèmes auxquels est confronté l’État tchèque dans sa lutte contre la discrimination envers les Roms, la Commission était fondée de citer d’autres passages du rapport. La Commission a néanmoins reconnu à plusieurs que les Roms font encore l’objet de discrimination en République tchèque. Par exemple, au paragraphe 21, la Commission a conclu comme suit son évaluation des mesures prises par l’État tchèque pour lutter contre l’exclusion des Roms :

La prépondérance de la preuve documentaire indique que le gouvernement de la République tchèque déploie de très sérieux efforts pour protéger les Roms, en aidant les victimes de crimes haineux, en veillant à ce qu’ils aient accès aux soins de santé ou à l’éducation et en les aidant à faire partie intégrante de la société tchèque. Comme il a déjà été mentionné, les Roms sont victimes de discrimination dans divers volets de leur vie. Toutefois, le gouvernement tchèque déploie des efforts très sérieux en vue de combattre cette discrimination.

 

[71]           D’autres paragraphes des motifs de la Commission, précédemment cités, démontrent également comment la Commission a examiné les problèmes récurrents auxquels se heurtent les autorités tchèques dans l’intégration des Roms. Plus particulièrement, la Commission a examiné minutieusement la question de l’éducation des Roms, et a conclu que malgré les nombreuses difficultés qu’elle avait mentionnées, les demandeurs auraient pu avoir accès à une meilleure éducation s’ils l’avaient voulu.

 

[72]           La Cour européenne des droits de l’homme a démontré une certaine volonté de lutter contre la discrimination dont sont victimes les enfants roms dans le système d’enseignement tchèque. La Cour estime que la Commission n’a pas dénaturé le rapport cité par les demandeurs. La Commission a agi de manière raisonnable en estimant que le rapport concluait à l’existence de graves problèmes de violence et de discrimination, mais qu’il démontrait également que les autorités tchèques déployaient des efforts sérieux pour combattre ce problème.

 

Question n° 4 :    La Commission a‑t‑elle commis une erreur en se fondant sur le mauvais critère en ce qui concerne la protection de l'État?

[73]           Les demandeurs soutiennent que, bien que la Commission ait déclaré, à raison, que le critère concernant la protection de l’État consiste à déterminer si cette protection est « adéquate », elle a conclu néanmoins que les demandeurs bénéficiaient d’une protection de l’État suffisante, car les autorités tchèques déployaient de « sérieux efforts » pour assurer cette protection. Les demandeurs soutiennent que le critère applicable pour déterminer si la protection de l’État est « adéquate » n’est pas le critère fondé sur les « efforts sérieux » mais bien celui de « l’efficacité de la protection ».

 

[74]           Le critère en matière de protection de l’État est bien établi dans la jurisprudence récente de la Cour et a été énoncé correctement par la Commission. Comme je l’ai déclaré dans Hippolyte c. Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 82, en citant la jurisprudence antérieure, le critère n’est pas en soi celui de l’efficacité, mais bien celui du caractère adéquat : voir Hippolyte, par. 27, et les décisions qui y sont citées. Dans l’arrêt Flores Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, au paragraphe 18, la Cour d’appel a expliqué ce qui suit :

¶18.     En effet, pour réfuter la présomption de la protection de l’État, elle doit d’abord introduire des éléments de preuve quant à l’insuffisance de la protection de l’État (pour des raisons de commodité, j’emploierai l’expression « insuffisance de la protection de l’État » dans un sens qui comprend aussi l’absence d’une telle protection). Il s’agit de la charge de présentation.

¶19.     En outre, elle doit convaincre le juge des faits que les éléments de preuve ainsi produits établissent l’insuffisance de la protection de l’État. Il s’agit de la charge de persuasion (ou charge ultime).

 

[75]           Les efforts sérieux faits par l’État en vue d'assurer une protection est un facteur pertinent, mais non déterminant, pour la question de savoir si la protection est adéquate. Cette protection n’a pas à satisfaire à une norme de perfection. Dans Beharry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 111, la juge Mactavish a conclu au paragraphe 9, au sujet de la protection de l’État, qu’il ne faut pas se concentrer sur les efforts déployés par le gouvernement pour combattre le crime, mais bien sur les efforts qui ont « véritablement engendré une protection adéquate de l’État ». De même, le juge O’Keefe statue, dans Toriz Gilvaja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2009 CF 598, au paragraphe 39, que la Commission ne devrait pas se demander si l’État a fait de sérieux efforts pour assurer la protection des citoyens, mais plutôt si la protection a été appliquée sur le terrain.

 

[76]           Non seulement la Commission a correctement formulé le critère, mais elle l’a appliqué à la preuve. Au paragraphe 20 de sa décision, la Commission a déclaré :

[…] La police a arrêté des néo-nazis, et ces derniers ont été poursuivis en justice; dans l’un de ces cas, il y a eu le meurtre d’un Rom. Les policiers ont réussi à empêcher un conflit impliquant des néo-nazis à Brno, expulsant ces derniers de la ville.

 

 

La Commission a conclu qu’il incombait aux demandeurs de renverser la présomption de protection de l’État, et que le fardeau de la preuve serait plus élevé en raison du niveau relativement élevé de démocratie atteint en République tchèque. La Commission s’est demandé si la preuve soumise par les demandeurs que l’État ne leur avait pas assuré une protection. La Commission a conclu que les demandeurs avaient été adéquatement protégés par l’État tchèque. La Cour estime que cette décision faisait partie des conclusions raisonnables que pouvait tirer la Commission. Rien ne permet à la Cour d'intervenir dans les conclusions de la Commission quant à la protection de l’État.

 

CONCLUSION

[77]           La Cour estime que la Commission a raisonnablement conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Par conséquent, la présente demande est rejetée.

 

QUESTION CERTIFIÉE

[78]           Les demandeurs proposent des questions à certifier. Ces questions sont similaires aux questions proposées aux fins de la certification dans les affaires récentes suivantes, qui portaient exactement sur la même question en litige : Ferencova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2011 CF 443, le juge Mosley, par. 27 à 31; Cervenakova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 1281, le juge Crampton, par. 97 à 102; Dunova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 438, le juge Crampton, par. 75 à 77; Zupko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 1319, la juge Snider, par. 44 à 48. Dans toutes ces affaires, la Cour a refusé de certifier des questions similaires. J’estime que le principe de la courtoisie judiciaire est d’application directe en l’espèce et qu’aucune des exceptions au principe ne s’applique. Par conséquent, il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


ANNEXE 1
COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3214-10

 

INTITULÉ :                                       Spacil Jaroslav (alias Jaroslav Spacil) et al. c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 27 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 31 mai 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alyssa Manning

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Gordon Lee

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vandervennen Lehrer

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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